Entretien au coin du Net avec...

...ALAIN GOUT
 (suite)
Au sujet de la collection Signe de Piste


Depuis qu’il participe à nos discussions sur le Net, Alain GOUT, ancien directeur de la collection Signe de Piste nous a fait part de ses réflexions et avis sur un certains nombre de sujets abordés en commun.

Nous présentons ce texte qu'il a fait paraître sur le forum jeuxdepiste.com à la suite d'une question posée par Mic.
Alain Gout a developpé sa réponse et nous confie des informations sur les années difficiles vécues par la collection.
Ces informations sont essentielles pour ceux qui, comme nous, s'interrogent sur la vie de Signe de Piste et sa disparition momentannée des rayons des grandes librairies.


Question de Mic :

Hier soir sur la chaine Comédie, dans une emission tirée du dvd "De Caunes/Garcia dans Nulle part ailleurs" issue de Canal + et présentant des extraits d'émissions passées,
Philippe Gildas reçoit Frédéric Mitterand, alors jeune producteur et animateur télé en lui posant la question :
- Voila notre Prince qui a acheté les droits du Prince Eric, c'est vrai ?
- Oui, j'ai acquis les droits du roman "Le Prince Eric".
... intervient alors le sketch des deux comédiens et la discusson ne va pas plus loin.

Qu'en a-t-il fait de ces droits destinés à servir de scénario pour un film sur le héros (parfois contreversé) du Signe de Piste ?

Enfin, on en parle encore, c'est l'essentiel.


Réponse d'Alain Gout :

C'est une histoire un peu triste.
Effectivement, Frédéric Mitterand a demandé à acquérir les droits d'adaptation du "Prince Eric" pour le cinéma et la télévision.
 
C'était en 1989. A cette époque, j'étais directeur de Signe de Piste Editions, au sein du groupe Fleurus-Mame (ex-Begedis), lui-même racheté par le groupe Medias Participations (Fleurus-Mame, Desclée, Dargaud, Lombard, Rustica, Famille Chrétienne. Aujourd'hui, avec Dupuis, c'est devenu le troisième groupe d'édition français).
 
Pendant plus d'un an j'avais négocié, à la fois pour obtenir que Frédéric Mitterrand respecte l'esprit du roman, son côté ''roman de jeunesse des années 30'', et, en même temps, pour obtenir que Serge Dalens lui laisse les coudées franches. La quadrature du cercle. Mais Mitterand avait su convaincre et séduire Dalens, et l'affaire a marché.

En 1990, à l'occasion d'une restructuration interne visant à démanteler Begedis et à ventiler ses différents éditeurs entre les pôles d'édition de Media Participation, Signe de Piste s'est retrouvé incorporé dans une nouvelle entité nommée Criterion, qui regroupait, outre le secteur jeunesse Signe de Piste, les éditions Desclée (religieux), et un autre éditeur orienté débat d'idées.

Ce nouveau pôle se vit doté d'un HEC muni de la confiance de la haute direction et de beaucoup d'ambition. Mon budjet éditorial fut gonflé, avec un programme de parutions important, SDP étant augmenté d'une grosse collection de livres de vulgarisation historique destinée aux lycéens et jeunes étudiants, avec un parrainage de Jean Lacouture. Autant dire que l'avenir s'annonçait plutôt serein, avec un chiffre d'affaires prévisionnel qui triplait !

Et puis, retournement brutal de situation : subitement, la jeunesse cessait d'intéresser notre HEC-éditeur autoproclamé, et il annonça subitement qu'il fermait ce département pour ouvrir un département littérature générale. En fait, il venait de rencontrer le fils de Dominique de Roux, de La Table Ronde, et il lui venait la furieuse envie de se lancer dans la ''grande '' littérature. Pour cela, ne pouvant demander à Media Participations une rallonge, il lui fallait qu'il récupére un poste d'éditeur parmi ceux de son équipe, et son budjet éditorial. La jeunesse lui semblant moins prestigieuse que la littérature générale, ce fut mon département qui fut éliminé. Coïncident, et j'en viens au film de Frédéric Mittérand, j'appris mon licenciement, le jour-même où j'apportais le contrat de cinéma muni de la signature de Frédéric Mittérand, avec le gros chèque d'à-valoir qui accompagnait l'achat des droits d'adaptation !

Mon patron s'est empressa de le signer, car le film allait lui rapporter gros, en royalties comme en ventes de romans, tout en licenciant d'un autre coup de stylo celui qui avait permis ce gros coup !
Ca a tellement choqué Dalens qu'il a dit : " Puisque c'est comme ça, en ce qui me concerne, je ne signerai pas ! C'est par ton travail que le succès est arrivé, pas question qu'ils en profittent ! " Geste de grand seigneur, car il renonçait lui aussi à des royalties assez colossales.
Et dans la foulée, il assignait en justice, conjointement avec Foncine, le groupe Fleurus-Mame et Begedis, en vue de récupérer ses droits d'édition... afin de les confier à la maison d'édition que je me proposais de créer, et de relancer Signe de Piste ! Ce fut un moment de totale cohésion de l'équipe auteurs/éditeurs, telle que cela avait toujours fonctionné au Signe de Piste.
 
Au bout de trois ans, nous avons effectivement gagné nos différents procès : Dalens et Foncine ont récupéré la totalité de leurs contrats, et moi itou, au civil comme aux Prudhomme, touchant des indemnités qui me permettaient d'envisager de relancer une maison d'édition. Sauf que le coeur n'y était plus : ces trois années de plaidoiries nous avaient épuisés et démoralisés. Il n'était plus question du film.

Je me suis relancé, mais beaucoup plus tard, en 1999. Et sans les contrats Dalens-Foncine : bien qu'ayant gagné leur procès, ils ont resigné avec Fleurus, pour leur malheur, car on sait depuis le désastre qu'a été la gestion du Signe de Piste par cette maison, avec une présentation poche sinistre, et des parutions rares et irrégulières..
 
Avec le recul, je réalise que j'aurais pu recontacter Frédéric Mitterand, en 1993, tant que le projet n'était pas trop lointain. Ca aurait, évidemment, permis à une jeune maison d'édition, de décoller. Mais le coeur n'y était plus.
 
Quand je vous disais que c'était une histoire triste.
 
Mic:
 
Une tranche de vie de la collection et de ceux qui en ont été les promoteurs....
Merci Alain de cette info précieuse.
Mais alors où étaient ceux qui se réclament de Signe de Piste aujourd'hui?
Et en dehors du duo Dalens-Foncine...les autres auteurs de l'écurie?
C'est une sacrée pente à remonter.
...mais il reste les supporters indéfectibles.


Alain Gout:

Où étaient ceux qui se réclament du SDP aujourd'hui ?
 
Au début des années 80, le SDP, une fois de plus, était agonisant : les Editions de l'EPI, d'abord, avaient repris la collection en 1975, à la suite de l'arrêt brutal imposé par Hachette alors que la collection avait atteint des tirages historiques et se trouvait diffusée partout, jusque dans les moyennes surfaces et les bibliothèques de gares.
Mais la collection faisait une rude concurrence à la Bibliothèque Verte et, surtout, à la Bibliothèque Rouge, créée pour contrer SDP et qui avait pris une déculotée. C'est la raison pour laquelle Hachette avait renoncé.
L'EPI, donc, s'était lancé mais, bien que dirigé par des gens remarquables et qui y croyaient, dû renoncer : ils avaient commis l'erreur, imprévisible, de maintenir la diffusion chez Hachette. Au début, tout alla bien, et le rythme de parution continua comme au temps du Safari, à raison de 2 titres par mois avec de gros tirages à 10000 exemplaires au titre et une diffusion au rouleau-compresse Hachette. Mais au bout de quelques mois, les représentants Hachette sabotèrent en douce la diffusion chez les libraires et les retours tombèrent en masse.
Explication : les dirigeants du département Hachette avaient trouvé le moyen d'abattre, en douce, leur concurrent. Le talent ne se commande pas, mais quand on a le pouvoir, on commande malgré tout.
L'EPI ne pouvait encaisser le choc, et la collection fut cédée à DDB. Hélas, ce fut pire ! le PDG, François-Xavier de Guibert était pourtant un fervent admirateur de SDP. Mais, chez DDB, c'était le petit personnel qui commandait : noyautés par un mouvement d'extrême gauche venu de la Pologne communiste, le mouvement Pax, les salariés faisaient la loi, et SDP n'était pas fait pour leur plaire. Dans les milieux marxistes, très virulents à l'époque, on parlait de "collection bourgeoise". SDP, pour eux, c'était le loup dans la bergerie. Là aussi, le sabotage fut violent. Et on dut à nouveau changer de cheval.
On trouva, je ne me souviens plus trop comment, le groupe Begedis dans lequel je fus présenté par Dalens et Foncine, pour leur succéder à la tête de la collection. Ils commençaient à prendre de l'âge et souhaitaient passer la main.
 
Tout ça pour en venir à répondre à la question de Mic, concernant les auteurs.
 
A cette époque, TOUS les auteurs étaient fidèles à la collection, et, à chaque changement d'éditeur, ils suivaient comme un seul homme. Les lecteurs aussi, d'ailleurs, qui ont toujours été le plus solide socle sur lequel pouvait s'assoir la collection. Même sans diffusion, elle retrouvait ses lecteurs.
C'est d'ailleurs lors du naufrage Hachette, en 1973, que nous avions décidé, Dalens, Foncine et moi, de créer l'Association des Amis du Signe de Piste, dont le premier siège social se trouvait à mon domicile d'alors, rue Lecourbe à Paris. Ensuite, un ami de Dalens nous offrit, quelle classe ! un magnifique bureau au 34, Champs Elysées ! Rien que ça. Mais une adresse aussi prestigieuse pour une association qui n'existait que pour pallier l'absence d'éditeur, ça réchauffait le coeur, mais ça ne faisait pas paraître de nouveaux livres.
Mais on est là au coeur du secret du succès de la collection : au talent, à l'audace des directeurs et auteurs, au ton employé dans l'écriture, à répondu un enthousiasme et une fidélité jamais démentis : dans la tourmente, lecteurs, auteurs, amis en tout genre accouraient.
En 1983, donc, les auteurs ont suivi une nouvelle fois. Mais la situation économique était catastrophique. Patiemment, nous avons remis les livres en librairie, repris la production de nouveautés et les réimpressions, relancé la production d'albums. Les auteurs écrivaient, et ils étaient nombreux à demander à être publiés, anciens comme nouveaux. Et ce fut, à nouveau, le succès : on pouvait trouver, à partir de 1985, la totalité de la collection dans les grandes Fnac parisiennes, dans les grandes librairies, malgré certains vendeurs gagnés par un vent mauvais soufflant dans les milieux jeunesse, etc. L'avenir semblait redevenu radieux.
 
Pourtant, c'est à cette époque qu'est apparu un phénomène nouveau, en plein succès : la première défection d'auteur. Ou, plus exactement, la reprise par un éditeur ''ami'', d'un premier titre appartenant au fonds Signe de Piste. Il s'agissait des Editions Elor, qui ont proposé à Gine Victor de rééditer son roman "Les Jumeaux de Pékin".
Légalement, dès lors qu'un titre est épuisé, un auteur est libre d'aller voir ailleurs, et un éditeur peut "détourner" cet auteur. Mais ce n'est pas dans les usages de la profession, entre gens de bonne compagnie. Elor a créé le précédent, que même Jamboree, collection directement concurrente, n'avait jamais fait. Tant que SDP, chez Begedis, a eu un fort développement (de 1983 à 1990, date de mon remerciement, les ventes ont été multipliées par 10), les infidélités ont été plutôt rares, et ne se sont produites que chez Elor.
Mais dès que SDP a commencé de battre de l'aile, en particulier pendant la période Fleurus, la fidélité des auteurs à la collection a totalement disparu, et les vocations éditoriales se sont multipliées : Héron Editions, Le Triomphe, Carrick-Tequi. Il faut dire, pour leur défense, que Fleurus a tout fait pour faire fuir les auteurs, et Dalens-Foncine, ont, eux-aussi, confié des manuscrits à l'extérieur, ne pouvant, ou ne voulant plus les confier dans une collection dont l'éditeur n'avait que faire.
Ce fut le début d'une Bérézina qui dure toujours, alors que le Signe de Piste a retrouvé aujourd'hui une maison d'édition, et son cornac, je veux dire l'homme qui fait prendre la sauce.
 
C'est la rançon du succès : chacun essaie d'avoir un morceau du repas qu'il n'a pas participé à créer. Mais c'est chose courante, et il ne faut pas trop s'en étonner. Et les auteurs, pour en finir avec la question de Mic, ne sont plus trop fidèles à la collection qui a contribué à les faire connaître, et vont là où le vent leur semble plus favorable. C'est ainsi.
  

  
 
 

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