-Cher Jean-François Bazin, cet entretien me tient
d’autant plus à cœur que, dans les temps lointains de notre jeunesse, nous
avons participé au même concours organisé par Alsatia sur le thème de Mik Le
Chat-Tigre. Pour ma part j’ai participé au concours basé sur les illustrations
et obtenu une modeste 14ème place, tandis que vous brilliez à la
première place du concours du Meilleur scénario. Avec mes félicitations
tardives, je vous signale que les résultats de ce concours figurent avec le
prospectus correspondant dans l’article que nous avons consacré aux 75 ans de
Signe de Piste sur le site jeuxdepiste.com et en fin de cet entretien.
De votre scénario, un roman est né La Bible de
Chambertin qui a compté au sein des nombreuses aventures de Mik
Mercadier. Pouvez-vous nous parler un peu de votre découverte du monde du Signe
de Piste ?
- Classique à mon époque, celle des
années 1950, de mon adolescence. A travers une forte habitude de lecture,l’un
de nos loisirs les plus habituels – encore que le poste à galène caché sous les
draps m’ait beaucoup fait rêver la nuit. Imagine-t-on de nos jours un tel
appareil ! De la comtesse de Ségur à Jules Verne, sans parler d’Arnould
Galopin et de bien d’autres auteurs dont j’avais tout lu, je souhaitais passer
à autre chose. Il existait alors des collections dites de jeunesse dont je
lisais tous les romans (Idéal Bibliothèque, Jean-François, Rouge et Or, la
Verte, Belle Humeur, etc.). Le Signe de Piste m’apparut cet « autre
chose » : inscrit dans une culture scoute et de camping, de randonnée
(on n’achetait pas un Signe de Piste en librairie mais à La Hutte, ancêtre
scout des Intersport…), d’une écriture originale et complice pour les jeunes,
nous offrant un sentiment de liberté, traitant parfois de sujets non évoqués
ailleurs, en bref une collection très différente des romans dits « de
jeunesse ». Une collection, une famille, un esprit. Sur ce plan le Signe
de Piste reste inégalé. La preuve : on en parle encore, alors que Rouge et
Or ou même Jamboree, pastiche de Signe de Piste n’ont jamais réussi à fonder
une famille de lecteurs. Et puis, il y passait l’amitié – non sans équivoque
parfois - et le rêve, l’aventure accessible. Je dévorais Pierre Benoit. X.B.
Leprince le complétait à merveille ! Les romans de Dalens et de Foncine
ont été des événements dans la littérature de jeunesse.
-Un phénomène analogue à Harry Potter ?
- Non, pas du tout. Harry Potter
ne pouvait être qu’anglo-saxon. C’est d’ailleurs un bon exemple de ce qui
sépare le monde anglo-saxon et la France. Le Cercle des poètes disparus
a tout d’un Signe de Piste. Exactement cela. Paru en France, il serait
malheureusement resté sans grand écho. Aux Etats-Unis il deviendra un film, un
succès mondial. L’anglais est une langue universelle. Pas le français. A part
le Signe de Piste allemand, fils d’Alsatia, les romans Signe de Piste ont été
très peu traduits.
-Aviez-vous déjà eu
une expérience littéraire ?
- J’ai toujours aimé écrire : un
journal familial, des contes. Mais une expérience littéraire, non. Mais à
l’époque j’avais 15 ans…
-Comment
connaissiez-vous Signe de Piste ?
- Par la lecture de la plupart des
titres de la collection. Je me rappelle avoir écrit à Jean-Louis Foncine pour
lui demander des précisions sur le « Pays Perdu », à quarante kms de
Dijon où j’habitais. Il m’a invité à venir passer quelques jours à Malans. J’y
suis allé avec un ami, Alain Striffling. J’ai ainsi découvert la famille
Lamoureux, l’Oignon, les promenades en barque, le barrage, l’abbaye d’Acey, le
château de Mont-Rambert, Balançon, la forêt de la Serre, la croix Boyon, la
grotte de l’Ermitage… Cette visite précédait le concours organisé par le Signe
de Piste.
-Vous avez été Scout, pouvez-vous nous en parler et
nous dire si ce passage au sein de ce mouvement a influencé votre vie ?
- Le Scoutisme – celui de cette époque
en tout cas - a beaucoup influencé ma vie. Il m’a « sorti » de ma
famille pour m’admettre dans une autre famille, complémentaire, celle des amis,
des grands jeux, des camps, de l’aventure, de l’amitié. Je lui dois beaucoup
pour ma formation, mes engagements, mon regard sur les gens et les choses…
-En découvrant votre beau texte figurant dans
l’album Les Chemins de l’Aventure paru à l’occasion des
50 ans de la collection (qui est reproduit à l’issue de cet entretien) nous
avons réponse à de nombreuses questions que nous sommes tentés de vous poser,
et une idée plus précise de l’ambiance qui régnait à l’époque
Dalens-Foncine-Joubert, pouvez-vous développer ce sujet ?
- Malans, c’était deux mondes. Pierre
Joubert ne s’y trouvait pas et je l’ai très peu croisé dans ma vie. Il y avait
le monde Verdilhac/Dalens et le monde Lamoureux/Foncine. Vivant l’été à
quelques dizaines de mètres l’un de l’autre, ils se rencontraient très peu,
n’avaient pas le même mode de vie, ni les mêmes amis : l’abbé
Charrière/Jean Valbert chez Foncine, Guy Joseph/Bruno Saint-Hill chez Dalens.
Moi-même je suis allé au moins une vingtaine de fois chez Françoise et Pierre
Lamoureux. Une seule fois je suis entré chez Yves de Verdilhac à Malans. Deux
mondes en effet. Pierre vivait passionnément Malans, Yves autrement. Pierre
était simple, cordial. Yves quelquefois pontifiant, se prenant en tout cas très
au sérieux. Il devenait un Auteur, un Ecrivain.
Même au physique, leurs caractères apparaissaient. Je penchais nettement
du côté Foncine. Quand on s’est revus plus tard, Yves était devenu très proche
de Jean-Marie Le Pen. Ce n’était pas du tout ma tasse de thé.
-Curieusement c’est ce que certains esprits partisans
reprochent parfois au Signe de Piste, réputé d’extrême-droite…
- Il ne faut rien exagérer. Ce n’est pas
du tout l’esprit Signe de Piste, ouvert, tolérant. La critique de la
littérature de jeunesse est en général l’œuvre de sectaires laïques qui, bien
entendu, rejettent la référence chrétienne du Signe de Piste, son côté Scout.
Dans La Littérature de jeunesse par Chelebourg et Marcoin (A. Colin), on
lit que Dalens aurait dès le début de sa saga exprimé et diffusé « son
idéologie d’extrême-droite traditionaliste ». Le propos est très excessif,
infondé. Il est vrai que l’on sent dans certains livres une certaine admiration
pour la jeunesse allemande des années 1930 : mais il ne faut certainement
pas confondre le côté feu de camp et culotte de cuir, jeunesse au plein air, et
l’apologie nazie. Soyons sérieux. Ces
premiers romans Signe de Piste datent d’ailleurs des années 30. A cette époque
la France offrait-elle de meilleurs exemples à la jeunesse ?
-Après votre second roman SdP L’Abbaye des
Effrayes (dont nous proposons une fiche de lecture au chapitre
concerné), vous n’avez plus écrit pour la collection. Quelle en est la
raison ?
- Mes études… Sciences-Po, une thèse de
droit, le syndicalisme étudiant et d’autres sollicitations. J’ai écrit des
manuscrits qui n’ont trouvé ni éditeur ni lecteur. J’ai été « nègre »
pour Jean-Paul Gisserot qui lançait chez Spes sous le nom de Michel Goissert
une collection destinée à concurrencer les Biggle, les Bob Morane… Je lui ai
écrit Une Pyramide pour Rona (paru) et Rona dans le Grand Bazar
(resté inédit car la collection disparut bientôt). Avec mon ami Michel
Renouard, j’ai écrit Le Requin de Runavel, un roman de jeunesse, breton,
paru longtemps plus tard chez Elor. Mais je m’attachais alors à d’autres
sujets, à d’autres livres. Le journalisme me portait vers des enquêtes, vers la
diversité : l’histoire des TGV, le vin de Californie, l’affichiste
Villemot, etc.
-Avez-vous des manuscrits non publiés ?
- Quel auteur n’en a pas ! Oui,
bien sûr.
-Votre carrière
journalistique (dont une parenthèse politique importante) a-t-elle gêné votre
carrière littéraire, bien que celle-ci soit déjà importante ?
- Non, j’ai toujours été journaliste et
j’ai toujours publié un à deux livres par an. L’engagement politique n’a jamais
provoqué pour moi une parenthèse de l’écriture, soit professionnelle (la
presse), soit de loisir (les livres). J’ai toujours mené cela de front. Ce qui
m’apportait un réel équilibre. Quand j’ai été battu aux municipales à Dijon, en
2001, j’ai entrepris dès le lendemain mon Tout Dijon, un dictionnaire
complet de la ville en mille pages. Ne pas rester sur un échec. L’idée de
carrière m’a toujours été étrangère car je n’ai jamais respecté le droit chemin
d’une carrière. Comme l’écrit Montaigne, je suis toujours allé « à sauts
et à gambades ».
-Avez-vous toujours
une activité au sein de votre ville ou de votre région ?
- Bien sûr. Des activités sociales,
culturelles, associatives… On me demande souvent des conférences, des articles,
des préfaces. On me consulte sur une recherche. Je m’efforce de demeurer
présent, mais discret.
-Encore des ambitions
politiques ?
- Certainement pas. En revanche, je n’accepterai pas de voir la Bourgogne
disparaître au profit de je ne sais quelle fusion. Nous avons mis deux siècles
pour retrouver nos papiers d’identité confisqués à la Révolution. Ce n’est pas
pour voir la Bourgogne devenir le Centrest ou
BFC (Bourgogne-Franche-Comté).
-Vous avez consacré
une grande partie de votre vie à votre région la Bourgogne et loué dans vos
ouvrages sa douceur de vivre et ses vignobles réputés, pouvez-vous nous en
parler ?
- Pas seulement sa douceur de vivre et
ses vignobles… J’écris seulement sur ce que je connais assez bien. Et il y faut
du temps. Quand j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de la Bourgogne, j’ai
cherché un autre endroit où déposer ma hotte : la Californie. Je lui ai
consacrée plusieurs livres, dont une partie d’un Guide Bleu.
-Votre roman L’Abbaye des Effrayes
est actuellement réédité en version numérique par Delahaye, sous le label Signe
de Piste. Etes-vous satisfait de ce succès durable ?
- Je suis heureux de voir L’Abbaye
des Effrayes poursuivre son chemin. Satisfait n’est cependant pas le mot en
ce qui concerne Delahaye. Par hasard j’ai découvert récemment ce piratage. Or,
je n’ai jamais été consulté à ce sujet et n’ai jamais reçu le moindre centime
d’euro de droit d’auteur. Delahaye exploite mon titre en toute
illégalité : aucun contrat ne l’y autorise précisément.
-Votre dernier roman Les Compagnons du grand
flot édité chez Calmann-Lévy a reçu le Prix littéraire du Morvan
2014, nous nous en sommes fait l’écho sur notre blog http://jeuxdepiste.over-blog.net/.
Voulez-vous nous en dire quelques mots ?
- Merci de me suivre si bien !
Voyez-vous, ma première signature sur un livre date de 1958. J’avais 16 ans.
J’en ai 71. J’ai publié une cinquantaine de livres. Or, et c’est merveilleux,
émouvant pour moi, le plus souvent on parle surtout de La Bible de
Chambertin, de L’Abbaye des Effrayes. On tient là un bon exemple de
l’inégalable durée (plus d’un demi-siècle, tout de même !) du Signe de
Piste à travers les générations.
-Ces Compagnons du grand flot ?
- Ah ! oui… Cette histoire, j’avais
envie de la raconter depuis longtemps. Elle aurait pu inspirer un Signe de
Piste. L’histoire du flottage du bois depuis le Morvan pour chauffer les
Parisiens. Je la raconte au milieu du XIXème siècle avec en parallèle le coup
d’Etat de 1851, le soulèvement de Clamecy, la dure répression, l’exil en
Algérie.
-Quels sont vos
projets en littérature ?
- Depuis quelques années, je me suis vraiment
mis au roman avec la saga des Raisins bleus – Le Clos des
Monts-Luisants – Le Vin de Bonne Espérance, puis Les Compagnons
du grand flot dont on vient de parler. Quatre romans en quatre ans :
il me fallait souffler un peu… J’ai travaillé sur deux bios. Je vais reprendre
mon rythme d’écriture. Les idées ne me manquent pas : un livre qui se
passe en Italie à la fin du XVIIIème siècle ; un roman actuel, social,
l’histoire d’une barre HLM depuis son inauguration jusqu’à sa
« déconstruction » ; une pièce de théâtre à laquelle je pense
depuis longtemps.
-Son sujet ?
- Vous connaissez la phrase :
« Il descendit aux Enfers… » Je me suis toujours demandé ce que le
Christ avait bien pu faire aux Enfers pendant plusieurs jours. J’ai étudié
toutes les interprétations théologiques… C’est en tout cas une bonne idée de
pièce de théâtre. Evidemment sous une forme allusive et contemporaine, hors de
tout message religieux.
-Rien pour la jeunesse ? Aucun retour aux
sources ?
- Je ne suis pas capable d’exprimer dans
un roman le mode de vie et de pensée, ou même l’expression, le langage des
jeunes de 15 ans dans la France d’aujourd’hui. D’ailleurs, que
lisent-ils ? Des mangas, de l’heroïc fantasy, ou les classiques qu’on leur
demande de lire. Avec un bon prof des banlieues, je me suis mis au verlan.
J’aime le rap, cette avalanche de mots, cette langue si particulière. Mais je
ne peux pas écrire ce que je ne ressens
pas de l’intérieur.
-Je vous remercie de
cet entretien et de votre franchise qui touchera bon nombre de lecteurs de
notre site, anciens du Signe de Piste et nouveaux supporters.
Ci-dessous le texte de Jean-François Bazin paru dans l'album du cinquantenaire de la collection Signe de Piste "Les Chemins de l'Aventure":