Entretien au coin du Net avec...

Jean-François PAYS


propos recueillis par Michel BONVALET

On ne présente plus Jean-François PAYS aux  lecteurs et collectionneurs de Signe de Piste. Nous lui devons quelques titres exceptionnels qui ont enrichi la collection pendant plus de 20 ans et dont certains sont encore en vente chez Carnet2bord.
Vous trouverez sa bibliographie à la fin de cet interview.
Nous avons d'ailleurs, sur ce site, mis en place deux fiches de lectures  pour deux romans parus en 1976:
Hier la liberté  et  Le Dieu du Nil
Cet auteur, dont la carrière professionnelle est passionnante, allant du cinéma à la médecine, a eu la gentillesse de nous accorder cet Entretien au coin du Net, nous permettant de mieux faire sa connaissance.
Il a répondu sincérement et sans détours à nos questions indiscrêtes. Qu'il en soit ici remercié.
C'est avec un grand plaisir que nous vous livrons ci-dessous ces quelques confidences.

- Cher Jean-François Pays, vous faites partie de ces auteurs Signe de Piste qui nous ont donné envie de demeurer, au-delà du temps qui passe, de fidèles lecteurs de la collection.
Votre premier roman (Le Bal d’Hiver) date de 1958, vous aviez 22 ans. Pouvez-vous en quelques phrases nous expliquer vos motivations envers l’écriture ? Votre formation, je crois savoir, a été très diversifiée, vous destiniez-vous à la littérature ?

Non, pas du tout, plutôt au cinéma. Mais, à cette époque,  la chose n’était pas facile. Sans production télévisuelle digne de ce nom, le marché était relativement étroit et les places, dans une équipe de tournage, vraiment rares.
J’étais en Afrique en 1956. J’y suis né. J’allais alors avoir 20 ans. Pour fêter cela, j’avais  entrepris un long périple en voiture de plus de 6000 kms qui m’avait amené d’Abidjan, plus exactement de Gagnoa, à Tombouctou par Mopti et Hombori, avec un retour par la Guinée et les montagnes du Fouta Djalon. Je m’en souviens comme si c’était hier.  Il faisait une chaleur à crever et, en quelque sorte pour me rafraichir, un soir, lors d’une étape, à la lumière d’une Pétromax et face au désert,  je me suis amusé à jeter sur le papier les rudiments d’une conte fantastique qui se passait en hiver, à l’époque des chevaliers teutoniques, dans une Allemagne de légende, avec beaucoup de neige et un froid glacial qui changeait les humains en statues de glace pour les punir d’abandonner leurs rêves pour un peu de bonheur. J’avais presque oublié cette histoire avortée lorsque qu’à mon retour en France, après une longue étape à Casablanca où vivaient mes meilleurs amis d’alors, j’ai fait  la connaissance d’Yves de Verdilhac. J’avais lu sa Tache de vin. Nous avons donc naturellement parlé littérature de jeunesse. Yves m’a vivement encouragé  à reprendre mon idée de conte fantastique en la transformant en roman  dans l’esprit Signe de Piste. Et comme il était alors directeur de la collection… C’est ainsi que le Bal d’Hiver a été écrit en quelques semaines, en 1957, toujours en Afrique, lors d’un nouveau séjour. Pour moi, c’est un livre raté, mais il occupe une place à part dans ce que j’ai bien du mal à appeler mon œuvre. Je me suis aperçu en effet, il n’y a pas si longtemps que cela, que le thème qui lui est sous-jacent se retrouve dans tous mes autres livres, tantôt au premier plan et en pleine lumière, mais le plus souvent dans l’ombre et en tache de fond, comme si ce thème  me collait à la peau, ou plutôt, à la plume.  Je ne sais plus trop quel auteur célèbre disait de son œuvre à peu près ceci : « Finalement on écrit toujours le même livre lorsqu’ on a eu la chance d’avoir trouvé quelque chose  qui valait la peine d’être  dit »  

 

- Votre carrière est très atypique et pour le moins intéressante : Vous avez été assistant- réalisateur (pour François Truffaut avec lequel vous étiez ami, entre autres), écrivain pour la jeunesse, à ce sujet vous êtes très orienté vers l’histoire antique, et vous avez été professeur en médecine. Comment expliquer ces différents parcours aussi passionnants les uns que les autres ? 
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre orientation personnelle et professionnelle ?

 - Je ne peux pas dire grand-chose sur ma carrière car « faire carrière »  présuppose des choix contraints pour atteindre un but bien précis. J’ai toujours fait le contraire : ce que j’avais envie de faire au moment où je l’ai fait. Je me rends compte aujourd’hui combien j’ai eu de la chance qu’il ait pu en être ainsi.

           
Oui, j’ai travaillé comme assistant avec différents réalisateurs, mais aussi et surtout  comme monteur. C’est là que j’ai appris l’essentiel de ce que je sais encore du langage cinématographique. Un bon ou un mauvais montage peut sauver ou perdre un film et un réalisateur qui n’assure pas le montage de son film n’en est pas, pour moi, vraiment totalement l’auteur. 

L'enfant sauvage de François Truffaut

Puis un jour j’ai eu  « ma claque », non pas du cinéma, mais du milieu cinéma que je n’avais du reste jamais beaucoup apprécié. Je l’ai donc quitté sans trop de regrets  pour faire à la Sorbonne, puis au Musée de l’Homme, des études d’anthropologie et d’archéologie dans le cadre de ce que l’on appelait alors une licence libre de lettres modernes. Lorsque je me suis aperçu, diplômes en poche, qu’en persistant dans cette voie j’avais plus de chances de passer la moitié de ma vie dans les caves d’un musée à classer et restaurer des choses mortes qu’à monter, comme le héros du « Rendez-vous de Juillet », des expéditions aux quatre coins de la planète - ce qui, à l’époque, était mon rêve mais loin d’être aussi facile qu’aujourd’hui, car le « sponsoring » n’existait pratiquement pas - j’ai commencé à regarder ailleurs et je me suis inscrit pour partir en Arctique, comme membre des expéditions polaires Paul Emile Victor C’est très exactement à ce moment-là que le service militaire  m’a rappelé  à son  bon souvenir. Redevenu civil 2 ans perdus plus tard (c’était la fin de la guerre d’Algérie), j’ai alors décidé de «  faire médecine » car j’avais désormais envie de voir l’homme d’encore plus près, en quelque sorte dans sa misère et de l’intérieur, et de me confronter à des problèmes concrets dont le champ me paraissait soudain immense. J’avais alors 27 ans. Je ne me souvenais même plus de la formule de l’acide sulfurique, ce qui était une véritable incongruité pour un candidat au PCB-PCEM qui avait la juste réputation d’être un concours  féroce. Aussi n’ai-je été admis qu’à la session d’octobre. Mais après, tout s’est passé comme sur des roulettes et je me suis retrouvé très vite de l’autre côté de la barrière puis, passées  quelques années d’assistanat et d’études supplémentaires, finalement professeur de Parasitologie Médicale à la tête du laboratoire de Pathologie Exotique  de la Faculté de Médecine Necker Enfants Malades, et d’une consultation spécialisée en  Médecine Tropicale à l’hôpital  de l’Institut Pasteur.

 

- Avez-vous pratiqué le scoutisme ?

 - Non, jamais.

 - Comment avez-vous été amené à réaliser le film « Hier la Liberté » ? Comment s’est articulée votre collaboration avec Jean-Louis Foncine en tant que scénariste, acteur puis co-auteur du roman tiré du film ?

- J’avais fait depuis longtemps la connaissance de Jean-Louis Foncine, alias Pierre Lamoureux, et j’ai eu un jour l’idée, pour renouer un peu avec le cinéma et surtout me servir de la meilleure caméra amateur du moment que je venais de m’offrir, de tourner un long métrage super 8, ce qui ne s’était que très rarement fait en raison des difficultés techniques que cela représentait. Pour ne pas multiplier les difficultés   (je m’en suis  expliqué auprès de Christian Floquet au sujet du DVD « Les cent camarades » de G. Ferney), j’ai choisi une histoire qui pouvait être tournée à la campagne, en un lieu unique (un village et ses environs) et qui fasse essentiellement appel à des acteurs amateurs enfants ou adolescents, beaucoup plus faciles à mobiliser pendant trois semaines de vacances que des adultes. Quant au scénario, j’inventais une histoire à mi-chemin entre la Guerre des boutons et la Bande des Ayacks en évitant, comme le faisaient ces deux ouvrages, de trop caricaturer les adultes ou, pire, de les ridiculiser comme c’était systématiquement le cas dans tous les films  pour la jeunesse de l’époque. J’introduisais également dans l’histoire un thème qui m’est cher- celui du Sorcier aux yeux bleus, - c’est à dire l’intolérance sous toutes ses formes, et non uniquement sous celles reconnues et fustigées aujourd’hui par la doxa. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi  un acteur brun et l’autre blond et les ai associés comme victimes. Par contre, pour répondre par avance à une question qui m’est fréquemment posée, le fait d’avoir fait du blond un Norvégien n’a rien à voir avec la série des Eric. J’ai parlé de mon projet à J.-L. Foncine qui s’est dit aussitôt partant, mettant à ma disposition la moitié de Malaïac  (Malans), sa propre personne, sa ou plutôt ses maisons,  et  toutes les ressources du Pays perdu. Tirer ensuite ensemble un livre de cette aventure allait de soi.

 

- Vous avez fait tourner des acteurs professionnels, des personnalités du Signe de Piste dont Michel Gourlier et des ados, quels sont vos souvenirs marquants de ce tournage ? Avez-vous revu certains de vos acteurs ? Que sont-ils devenus ?

- Des trois principaux acteurs du film, j’en ai perdu deux de vue : un, très vite, le second après quelques années, mais le troisième est toujours  un de mes  meilleurs amis. Nous ne nous voyons pas très souvent car il travaille au quatre coins du monde. Mais c’est toujours avec un grand plaisir que nous nous retrouvons et nous faisons même parfois quelques voyages ensemble. Le temps a passé sur les autres et, hélas, sur certains, la mort aussi. Quant à vous raconter le tournage du film, quarante ans plus tard, je n’en ai guère envie. Compte tenu des problèmes de tous ordres qu’il fallait sans cesse régler, je dirai simplement que cela a été pour moi trois bonnes semaines de cauchemar entrecoupées de courtes périodes de pur plaisir.

 

-Pensez-vous éditer ou faire éditer un DVD de ce film ?

- Je ne sais pas. On me l’a souvent demandé. Il existe un problème de taille concernant la musique de ce film. Il me faudrait  le régler au préalable si je me décidais à l’éditer, et ce n’est vraiment pas simple du tout. Ensuite, la certitude de voir ce DVD piraté dès sa sortie publique ne m’encourage guère à le faire. De plus, à part quelques inconditionnels du Signe de Piste, je crains qu’ Hier, la liberté… n’intéresse plus grand monde. Enfin, à l’époque des caméscopes HD à trois euros six sous et des logiciels de montage automatique, je crains également que personne ne comprenne et n’imagine les difficultés qu’il y avait à faire un long métrage S8 dans les années 70, et ne lui pardonne ses imperfections techniques.

 

- Vous avez écrit 9 romans Signe de Piste, dont certains ont pour cadre l’Antiquité, Rome et surtout l’Egypte des Pharaons (l’un d’entre eux a atteint les 100.000 exemplaires) D’où vous vient cette passion pour l’histoire des peuples, car vos écrits sont de véritables traités d’histoire vulgarisée et à la portée de tous ?

- En réalité, je n’ai écrit que deux romans Signe de Piste : le Bal d’hiver et le Rendez-vous de Casablanca. Tous mes autres livres sont d’abord parus chez d’autres éditeurs et dans d’autres collections (Rouge et Or, Presses de la Cité…) et c’est seulement dans un deuxième temps qu’ils ont été repris par la collection Signe de piste.

D’où vient mon goût pour l’histoire ? Je ne sais vraiment pas. Peut-être en partie parce que  je n’ai jamais beaucoup aimé, et aime de moins en moins, vivre dans le monde qu’on est en train de me fabriquer. C’est du reste un peu ce que disait un de mes professeurs, Claude Lévy- Strauss, l’auteur de Tristes Tropiques, à la fin du long interview qu’il accorda, presque centenaire, à un journaliste de télévision.

 

- Vous avez abordé des thèmes divers  (L’enfant Sauvage, La Montagne interdite, Le Rendez-vous de Casablanca…) toujours sous l’aspect humaniste, comment choisissez-vous les sujets de vos romans ?  Sont-ils liés à des souvenirs ou des lieux personnels ?

- Je vous ai dit quelques mots de la genèse du Bal d’Hiver. Le Rendez-vous de Casablanca est une histoire qui contient beaucoup de faits réels et certains des personnages sont même les enfants de la famille par laquelle je m’étais fait alors en quelque sorte adopté. Je connais bien le massif de la Meije et les différentes voies d’escalade, et évidemment cela a joué un rôle important dans l’écriture de la Montagne Interdite. J’avais également rencontré l’alpiniste Maurice Herzog au club des Jeunes Explorateurs, à Paris, une dizaine d’années après sa fameuse ascension de l’Annapurna. Nous avions eu l’occasion d’y échanger quelques idées sur le fait que la cordée n’avait pas utilisé de masque à oxygène pour lancer l’assaut final. Cette rencontre et tout ce qui se disait déjà sous le manteau concernant la façon dont cette expédition s’était vraiment déroulée, n’ont pas été étrangers à l’écriture de certains passages de la Montagne Interdite.

Je connais bien également la Norvège et j’ai passé au moins cinq  fois le cercle polaire, une fois même, pour les besoins du film, avec un des acteurs d’Hier la liberté. Lorsque j’ai écrit le Sorcier aux yeux bleus, ce que l’un de mes autres professeurs en Sorbonne, André Leroy Gourhan, appelait la culture du Renne m’était très familière puisqu’ elle avait été le sujet d’un mémoire que j’avais rédigé dans le cadre de mon certificat de licence d’Archéologie préhistorique. Je me suis évidemment largement servi des connaissances acquises lors de la rédaction de ce mémoire pour écrire le roman.

Quant à la période romaine des empereurs par adoption, c’est ma période de prédilection, celle pendant laquelle j’aurais aimé vivre…dans la peau d’un patricien bien entendu ! Toukaram est mon livre fétiche. Il doit beaucoup à Marguerite Yourcenar. Les Mémoires d’Hadrien est en effet, depuis sa parution, un de mes livres de chevet, avec quelques autres, comme les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle et les Sept Piliers de la Sagesse de TE Lawrence. Cela ne veut pas dire que je suis un véritable  stoïcien. J’aime tout au contraire mêler les doctrines de Zénon et d’Epictète à celle d’ Epicure.

   

Toutankhamon est une œuvre de commande de la collection Rouge et Or à l’occasion de l’exposition des trésors de Toutankhamon au Grand Palais organisée par Desroches-Noblecourt et inaugurée par Malraux en  1967. Son écriture m’a obligé à approfondir ce que je savais déjà de cette extraordinaire civilisation pour laquelle je n’avais toutefois pas la même attirance que pour celles de la Grèce et de Rome. Les derniers examens (2010) pratiqués sur la momie du jeune pharaon et  sur sa parentèle ont soulevé plus de problèmes qu’ils n’en ont résolus, notamment au plan médical. Cela m’a conduit à écrire un article scientifique contestant en partie les conclusions du  Directeur des antiquités égyptiennes d’alors sur l’état de santé du pharaon et les raisons de sa mort, et à envisager une réécriture de mon roman. Pour ceux que ça intéresse, l’article en question peut être consulté sur internet sous le titre de Plasmodium falciparum toutankhamonensis.

 

-« Le sorcier aux yeux bleus » est un roman qui traite de l’exclusion voire du racisme, a-t-il tenu une place particulière dans votre œuvre littéraire ?

- Racisme et exclusion sont des thèmes que l’on retrouve également sous une autre forme dans Hier, la liberté…J’ai écrit le Sorcier à une époque où on ne parlait  guère encore de ces sujets qui devaient devenir pourtant, quelques années plus tard, des banalités politiquement manipulées par tous au point de vider rapidement les mots de leur sens. Très peu de critiques, à la sortie du livre, ont signalé mon engagement dans ce combat, probablement parce que l’exclusion et le racisme que je mettais en scène n’allait pas dans le « bon sens », et que mon livre, en revenant aux fondamentaux, inversait les données de la doxa qui était en train de se constituer. Il ne faut jamais oublier en effet qu’en matière de persécutions et d’intolérance, les victimes d’aujourd’hui sont souvent les bourreaux de demain. Tant pis !  Il y a même eu une sérieuse proposition des soviétiques (Soviet-Export Films) séduits peut-être par la dernière phrase du bouquin (qui parlait d’un espoir qui, avec le soleil, se lèverait  bientôt à l’est !),  pour faire une adaptation cinématographique du Sorcier aux yeux bleus qui devait être tournée en Sibérie, mais le projet a finalement  échoué. Je l’ai beaucoup regretté car cela m’aurait beaucoup amusé.

 

- Vos romans sont toujours remarquablement documentés, entraînant le lecteur dans la vie quotidienne des héros. Avez-vous une méthode de travail particulière ?

- Non. Pas vraiment. Je ne suis pas un homme de bibliothèque. Je lis au préalable ce qui me paraît essentiel sur le sujet. Je laisse ensuite aller mon imagination et je contrôle a posteriori. La plupart du temps, comme dirait un de mes amis de Neufchâtel, «c’est tout bon ». Si cela ne l’est pas, je rectifie, mais je n’écris jamais en me référant sans cesse à  une pile de documents. Toukaram, et les deux autres volumes du Signe de Rome, ont servi pendant longtemps dans plusieurs  collèges pour initier les élèves au monde romain. J’en ai été très heureux. J’aurais aimé qu’il en soit également ainsi pour la civilisation égyptienne avec la nouvelle version du Dieu du Nil que j’ai terminée il n’y a pas très longtemps, mais l’éditeur qui détient les droits de la première version en a décidé autrement et cette nouvelle  version ne verra probablement jamais le jour. Elle est pourtant nettement différente de la première, meilleure et mieux écrite selon ceux qui l’ont lue et surtout beaucoup plus précise et riche au plan historique puisqu’elle intègre tout ce que l’on a appris depuis 40 ans sur la vie et la mort du jeune pharaon.

Un de mes  premiers soucis, lorsque j’écris un roman historique, est de ne pas porter de jugement de valeur sur la société que j’ai choisi de faire revivre et de pas faire cet énorme contre-sens historique, devenu pourtant monnaie courante aujourd’hui, qui consiste à juger les sociétés  du passé à l’aune de la morale du présent. Beaucoup de gens prennent connaissance de l’histoire au travers des œuvres de fiction. C’est une des raisons pour lesquelles je considère qu’un roman historique ne peut, sous le prétexte d’être un roman, prendre de libertés avec l’histoire, ou la distordre,  sans le signaler très clairement au lecteur. L’imagination, dans ce type d’ouvrage, ne doit y avoir de place que dans les interstices et les lacunes de notre connaissance du passé. Elle peut avoir, par contre, toute sa place dès qu’il s’agit de personnages inventés dans la mesure où ils n’interfèrent pas directement avec des faits connus et sont d’emblée présentés comme tels. C’est d’un savant mélange entre ces exigences et ces libertés que naissent les plus belles réussites en la matière.


 

- Avez-vous d’autres projets d’écriture en cours ?

- J’en ai eu trois que j’ai fini par abandonner l’un après l’autre pour des raisons différentes. Le premier concernait les Guaranis, un peuple amérindien du Paraguay et du nord-est de l’Argentine, pays que j’ai maintes fois parcouru. Le second portait sur le Chemin des Larmes, ces quelques 1700 kms de route que durent parcourir vers l’exil les Cherokees spoliés de leur terre par les colons européens et sur laquelle 4 à 8000 indiens sur les 17 000 que comptait la tribu trouvèrent la mort. Le troisième avait pour ambition de faire revivre la civilisation khmère au temps de la construction de la fabuleuse cité d’Angkor Tom. J’ai en effet passé pas mal de temps au Cambodge où je me suis rendu une bonne douzaine de fois, le plus souvent dans le cadre d’une petite ONG médicale que j’y avais créée avant la fin de la guerre civile. Je crois assez bien connaître l’histoire de ce pays. En fait, tous ces romans avortés, avec ceux qui ne l’ont pas été, faisaient partie d’un projet très ambitieux qui aurait dû se terminer par un dernier livre  établissant  une sorte de filiation dans le temps et dans l’espace entre mes différents héros. J’ajoute, pour être tout à fait complet sur ce sujet, avoir même un temps caressé le projet d’écrire à ma manière une version pour la jeunesse de l’Anneau des Niebelungen en essayant de mettre en relief l’extraordinaire puissance, l’universalité et la modernité du mythe que nous conte cette saga. Siegfried, dans la légende, n’a que 15 ans, et on peut imaginer que Brunnehilde n’en a guère plus. Tous deux, pour moi,  sont moins des héros guerriers et conquérants que des victimes sacrificielles offertes aux Normes du Temps pour que naisse un autre monde censé être meilleur que le précédent. Si l’on donnait leur âge véritable aux protagonistes de ce drame- mais cela est impossible - on résoudrait en grande partie le problème des opéras de Wagner qui est celui de passer sans arrêt du sublime, par leur musique, au grotesque, quand ce n’est au sordide, par leurs mises en scène ainsi que par l’âge et la corpulence des chanteurs. Mais je me laisse aller sur un sujet hors sujet… puisque mes responsabilités professionnelles ne m’ont pas laissé le loisir de me lancer dans l’aventure des Niebelungen, et que j’ai arrêté d’écrire des romans pour la jeunesse en 1972, consacrant dès lors mon activité « littéraire » et même cinématographique à la réalisation de films et  à la rédaction d’articles et de livres médico-scientifiques.

 

La retraite aujourd’hui me laisse un peu plus de temps. Après la réécriture du Dieu du Nil,  je souhaiterais la mettre à profit pour réécrire le Bal d’hiver et faire quelques retouches sur Toukaram pour lequel, à l’origine, il n’avait pas été prévu de suite,  afin de mieux adapter l’intrigue du premier volume à celles des volumes suivants. Mais, compte tenu des risques de ne pas trouver d’éditeur ou de retomber dans la mésaventure de la réécriture du Dieu du Nil, j’hésite à me mettre au travail. Peut-être ne devrai-je pas, mais j’ai  toujours été, en matière de littérature de jeunesse, un auteur gâté puisque je n’ai écrit mes bouquins, sauf le Bal d’Hiver, que contrat signé en poche. On ne peut demander à un bébé élevé au caviar de raffoler des rutabagas !

 

 - For de votre expérience d’auteur, quel conseil donneriez-vous à un auteur souhaitant écrire des romans s’adressant à la jeunesse actuelle ?-

- Comme je viens de le dire, je n’écris plus de roman pour la jeunesse depuis longtemps et n’ai aucun contact, de par mon métier, avec le monde des pré-adolescents avec lequel je pense du reste avoir cessé d’être en phase. Je ne partage pas en effet leur goût pour les manches à balai volants, les baguettes magiques,  la sorcellerie, le merveilleux de pacotille et les « heroic fantasies » à l’américaine ou à la japonaise dont ils semblent si friands. Je crains donc d’être incapable d’écrire pour eux, dans le contexte présent, une histoire  capable de leur plaire et de les détourner de leurs robots. Comment pourrais-je donc dans ce cas avoir la prétention de donner des conseils à un jeune auteur ? Tout au plus pourrais-je lui dire que, pour moi, un bon livre pour la jeunesse, contrairement à ce que l’on pense habituellement, est un livre sans parti pris moralisateur et idéologique, où le non écrit  doit avoir autant d’importance que l’écrit. Tout en restant simple, un tel livre  surtout ne doit jamais être simpliste, ce qui implique qu’il soit écrit de manière à offrir plusieurs degrés de lecture et aborde des thèmes ayant une résonnance universelle, à la fois ancrés dans le temps et hors du temps, pour raconter une histoire capable de  laisser dans la bouche de celui qui en tourne la dernière page, comme certains vins savent si bien le faire après la dernière gorgée, un arrière-goût ineffable  dont le jeune lecteur se souviendra bien après que n’ait sonné pour lui l’heure des responsabilités, des déceptions, des choix, donc des renoncements de l’âge adulte. Etre adulte en effet, c’est non seulement perdre sa capacité d’indignation, mais surtout ne plus accepter d’écouter pleurer sur ses rêves l’enfant qui n’en finit pas d’agoniser en chacun de nous.

Ambition démesurée, prétention ridicule et mission impossible  me direz-vous ? Certainement. Raison de plus, cher collègue, pour s’y essayer dès aujourd’ hui.

 

Bibliographie de Jean-François PAYS :

Le Bal d'Hiver 1958
Le Rendez-vous de Casablanca 1961
Le Sorcier aux yeux bleus 1972/1978
La Montagne Interdite 1972/1979
Toukaram, taureau sauvage 1973
La dernière charge 1973
Marcus Imperator 1974
Hier, la Liberté 1976
Le Dieu du Nil 1976

©Michel Bonvalet 2013