Jean-Louis FONCINE

En guise d'hommage !

Michel Bonvalet

Déjà quatre mois que notre ami nous a quitté !

Il est de nombreuses façons de rendre hommage à ceux qui sont partis vers un monde meilleur et qu'on affectionnait tout particulièrement... élever un monument...faire dire des messes si on est croyant...aligner des discours dithyrambiques en ressassant les mérites du défunt...ou plus simplement parler de celui qui a tant compté.

J'ai opté pour cette dernière solution plus en rapport avec la modestie naturelle de cet écrivain.

Ainsi que le soulignait notre rédacteur'chef (Alain Jamot) dans un message :" Si Pierre Lamoureux a quitté ce monde après une vie bien remplie, Jean-Louis Foncine demeure à jamais bien vivant par ses écrits et par les joies qu'il nous a données au travers de ceux-ci (et qu'il donnera encore à tous ceux qui le découvriront).

Rappeler sa biographie serait bien orgueilleux d'autant qu'il l'a déjà fait lui-même avec beaucoup de talent dans les deux tomes de ses souvenirs de jeunesse et de guerre:
Un si
long orage

    longorage

On peut trouver en outre sur le site des Amis de Signe de Piste  http://www.signe-de-piste.com  tout ce qu'on désire connaître de cet auteur prestigieux qui, avec Serge Dalens et Pierre Joubert, a contribué au lancement et au grand succès de la collection qu'il a dirigé pendant de nombreuses années.
Alors pourquoi cet article ?

Pour parler tout simplement de Jean-Louis Foncine comme on aurait pu le faire, entre amis, après la veillée, autour du feu de bois. Pour dire tout ce qu'il nous a apporté et tout l'espoir qu'il a pu faire naître dans les cœurs de plusieurs générations de jeunes et moins jeunes lecteurs, scouts ou non.

Son œuvre, on pourra la retrouver dans cet amalgame non exhaustif de couvertures diverses qui résume mieux sa carrière qu'un long discours. Ne s'y trouvent ni ses traductions, ni ses participations aux différentes La Fusée (7 en tout) et encore moins ses interventions auprès d'autres auteurs moins chevronnés bien que talentueux.

              couvertures  

On a souvent comparé Jean-Louis Foncine  (il l'avait dit lui-même) comme auteur de
La bande des Ayacks à Louis Pergaud auteur de La guerre des boutons  (dont furent tirés deux films : La guerre des gosses de Jacques Daroy en 1936 et la guerre des boutons d'Yves Robert en 1961) .

La bande des Ayacks fit l'objet d'un téléfilm, discutable, dans les années 60. Si les deux livres traitent de bandes d'enfants, c'est la leur seul point de comparaison. La situation, le style jeune et imagé s'y prête mais c'est oublier que le roman d'aventure de Foncine  n'est que prétexte à mettre en avant les qualités du scoutisme (ses héros adultes sont scouts ou presque pour ce qui concerne monsieur Angeli) et celles d'une bande de jeunes anarchistes qui refusent les lois rigides des adultes. A noter toutefois qu'ils sont eux-mêmes organisés suivant une hiérarchie qui fait appel à la force, comme dans les meutes.
Le plus fort est le chef, il est également le plus malin, et il mène sa troupe au combat en dépit des faiblesses humaines qu'il peut rencontrer: jalousie, dissensions, trahisons etc...
Il s'agit pas, dans ce roman,  d'une guerre de bandes rivales mais bien de la révolte d'enfants naïfs face à la veulerie intéressée des grandes personnes. Une véritable parabole traitée avec humour.

D'autres auteurs s'y sont essayés avec plus ou moins de succès, mais n'ont jamais égalé le succès de ce Clochemerle Franc-comtois dépeint par Jean-louis Foncine et illustré par son complice de jeunesse Pierre Joubert.

Il excellait dans les descriptions et les histoires de son Pays Perdu et les nouvelles qu'il fit paraître dans Le Foulard de Sang  nous fascinent par l'humour ou l'émotion profonde qui s'en dégagent.

Quoi de plus savoureux que les aventures de Grenouille, de la 1ère Les Halles (ancienne troupe de Joubert) avec le code d'honneur des Cadavers ?
Émouvantes ces histoires d'enfance au temps ou les gosses jouaient encore aux indiens dans les bois et non sur une console (Les lingots d'or de la rivière du vent).
Des nouvelles comme La timbale d'Argent ou le sacrifice (où il nous conte la vraie fin tragique de son cousin Furet) m'ont tirées les larmes des yeux.

Quant au Foulard de Sang, il a fait vibrer et fait vibrer encore de nombreux jeunes scouts . Il exalte à la récompense suprême ceux qui se sont distingués par leur bravoure ou leur abnégation...Une sorte de Légion d'Honneur pour ados !

Sur le plan  grand jeu mystérieux, on a pas encore fait mieux que Le Relais de la Chance au Roy  et La Forêt qui n'en finit pas où il a su mêler avec une grande habileté l'histoire de France, le jeu, la vie scoute et le suspense. Quel enfant ou quel adolescent n'a pas été tenté, après lecture, de revivre les mêmes aventures en camp ou en explo de patrouille?
Saurait-on demeurer impassible à la lecture des Forts et des Purs ou du Glaive de Cologne, romans d'après guerre sur fond de paix entre les deux ennemis pour créer l'Europe d'aujourd'hui?

A la lecture des différents romans de Jean-Louis Foncine, on est frappé par leur diversité de ton et de style qui varient suivant le sujet traité. Un idée préside à l'ensemble, donner la parole à la jeunesse pour faire oublier les erreurs des adultes.

On notera que sa connaissance des jeunes et son expérience du scoutisme rendent ses dialogues vivants et bien réels, ce qui n'est pas toujours le cas chez des auteurs souvent emphatiques pour mieux transmettre leurs idées .

On a cru déceler chez lui une profonde admiration pour le peuple allemand...pas pour l'envahisseur nazi, mais pour le peuple courageux qui se reconstruisait sur un passé dont il avait honte.

Né à l'est de l'hexagone, parlant la langue de Goethe et étant demeuré plusieurs années prisonnier itinérant de l'autre côté du Rhin, il a su apprécier nos cousins Germains et ce pays mystérieux. Il y a en Forêt Noire d'autres Pays Perdus qui ont du l'inspirer.

De son passage important dans l'organisation du scoutisme, il fut rédacteur en chef de la revue Scout, il a conservé le souci de transmettre les grands principes: amour de la famille, de la patrie, de la nature, de la paix, du prochain... De grands sentiments forts comme l'amitié qu'on retrouve tout au long de ses écrits.

Nous devons également à Jean-Louis Foncine cet ouvrage de référence, illustré d'aquarelles de Pierre Joubert, Scouts du monde entier qui narre l'aventure du scoutisme depuis Baden-Powel jusqu'au Raiders de 1955.


                                  scoutsmonde


C'est avec Le Jeu sans frontières que Jean-Louis Foncine entame une collaboration littéraire avec Serge Dalens.
De ce premier roman  réussi, qui nous entraîne à travers l'Europe,  naîtra  plus tard une association à la Boileau et Narcejac.
Ce polar scout dont la trame est l'enlèvement d'une jeune vedette de cinéma rencontre le succès et donne aux auteurs l'envie de mener l'expérience plus loin.

Pourtant il leur faudra près de vingt ans pour recommencer en créant un jeune et sympathique détective en culottes courtes Michel Mercadier dit Mik, le chat-tigre.

Alternant l'écriture des différents épisodes, faisant parfois appel à l'aide extérieure, sous le pseudo de Mik Fondal,  Foncine et Dalens vont faire paraître 13 aventures policières en 24 ans, le dernier écrit l'ayant été par Foncine  après le décès de Dalens. Ils ont tous rencontré un succès mérité auprès des jeunes lecteurs.

Le sérieux de Dalens étant compensé par la fantaisie de Foncine, les romans nous promènent de Versailles à la Franche-Comté en passant par la Bretagne et les vignobles bourguignons.

Le détective est entouré de nombreux personnages secondaires qui donnent du piquant à ses aventures : Tonton Mercadier juge d'instruction à Versailles, ses cinq filles toutes plus dynamiques les une que les autres (et un peu amoureuses de leur cousin), le commissaire Fortier qui assure l'officialisation des interventions de Mik, la Guêpe qui ne laisse pas le jeune homme indifférent, le Mitou devenu son ami comme Nicolas Fortier ou les galapiats de Champotte etc...

Chaque épisode tient en haleine le lecteur tout en demeurant dans l'esprit de jeunesse et de gaieté d'un polar pour ados.
C'est une série à part dans la liste des Signe de Piste, presque une parenthèse de décontraction cérébrale au milieu de sujets plus sérieux.

Jusqu'à ses derniers mois, Jean-louis Foncine, en dépit de son grand âge, de ses problèmes de vue et de la maladie de son épouse décédée quelques mois avant lui, soutiendra  les efforts de tous ceux, jeunes ou moins jeunes, qui étaient attachés à la collection, à sa survie, ou pour le moins à la réédition des textes les plus significatifs de l'esprit SdP.

Il continuera à participer à de longues et fatigantes séances de signatures au cours de salons pour aider de son mieux les éditeurs ayant reprit le flambeau et tout particulièrement son ami Alain Gout, qu'il ne manquait pas de recommander aux admirateurs qui le contactaient.


Avec quelques fans, il y a deux ans, nous avions imaginé redonner vie, pour s'amuser, à quelques héros des romans SdP sous couvert d'une nouvelle enquête du Chat-tigre. Mik Fondal avait donné son accord de principe.

Notre but était d'imaginer faire revivre de nos jours héros ou héritiers de ceux-ci en  leur faisant vivre une aventure digne de leurs auteurs.

Une fois écrite, nous n'avons pas su nous entendre entre auteurs pour assurer la diffusion de ce pastiche. Vous pourrez trouver en annexe un chapitre tiré du livre avec un court résumé de l'ensemble. Ce chapitre a été écrit en l'honneur de Foncine et des Ayacks puisque l'action s'en déroule à Malaïac.

Si ce chapitre vous plaît et si vous avez envie d'en savoir plus, faites le nous savoir par mail sur ce site.

C'était notre façon, bien modeste, d'avoir l'impression de participer à cette formidable aventure que fut celle de la collection.

De même que, grâce à Chritia, voisine Franc-comtoise, nous avons eu le bonheur de vous proposer l'ultime interview de Jean-Louis Foncine au mois d'août 2004, nous aimerions que ceux qui souhaitent nous parler de cet auteur nous communique leurs textes, photos ou souvenirs qui viendront s'ajouter à celui-ci en un dernier hommage.

Indépendamment du livre d'or que les amis de Signe de piste ont ouvert et qui demeure un hommage respectueux envers l'auteur que nous aimons tous.

Nul doute que Pierre Lamoureux sera sensible à l'amitié des lecteurs de Jean-louis Foncine.

                                                                                                                    à suivre...

©2005 Michel Bonvalet



ANNEXE

Cybermik
(titre provisoire)  ou le bracelet de vermeil 2

Résumé des chapitres. Mik et Alain (fils adoptif de Christian) enquêtent sur le vol d'un deuxième bracelet de vermeil disparu au cours d'une vente aux enchères dans le château de Nampilly.
Quelques preuves matérielles orientent leur enquête vers Gali de Malaïac. Aidés de Juliette (la Guêpe) fiancée de Mik et de Christine (fille de Michel de Villecherron) les jeunes gens décident de se rendre au Pays Perdu.


Chapitre 8 : La forêt sauvage (chaque chapitre porte le nom d'un livre de la collection)



Bien que Champotte ne soit pas tant éloigné du Pays perdu où Malaïac dressait fièrement les ruines de son château, Mik n’avait jamais poussé jusqu’à là. Pourtant sa curiosité légendaire aurait du l’inciter à découvrir la région qui avait fait l’objet d’une mini-révolution quelques décennies auparavant.

Tonton Léon lui avait vaguement parlé de la révolte des petits francs-comtois dont deux chroniqueurs locaux s’étaient fait l’écho en son temps.

Bien sûr, depuis longtemps, monsieur Barré avait quitté Berrul Soir pour un quotidien national où il avait fait une brillante carrière tout en poursuivant sa mission auprès de la fédération du scoutisme. N’était-il pas devenu, pendant quelques années, commissaire national ? Quant au sémillant Monsieur Angéli, il avait abandonné son poste au Phare du Pays Perdu afin de se consacrer à l’écriture, avec Jean-Louis Foncine, de romans destinés aux jeunes pour une collection célèbre. Il était aussi responsable de nombreux ouvrages sur le tourisme local.

Tout cela, c’était du passé bien sûr, mais n’était-ce pas le passé qui amenait la joyeuse équipe sur les traces de ses glorieux aînés ?

Le soleil venait de s’élever au-dessus des forêts, le gros bourg semblait s’étirer paresseusement le long d’une petite rivière argentée, comme somnolent à l’heure de la sieste.

La petite Panda fit un tête-à-queue bruyant avant de stopper net sur le parking de la place de l’hôtel de ville juste en face de la statue d’Onésime Tabarin, glorieux bouilleur de rimes, enfant de la petite ville.

Juliette eut un regard de côté, reflet du peu de bien qu’elle pensait de la manière audacieuse dont Mik avait fait preuve pour se garer façon Taxi II.
A l’arrière, Christine et Alain, endormis depuis quelques dizaines de kilomètres, épaule contre épaule, furent projetés violemment en bas de leur siège, rêves interrompus et cheveux en bataille.

-    Malaïac ! Tout le monde descend ! ironisa le Chat-Tigre en serrant son frein à main.

Le réveil brutal avait rendu Alain d’humeur bougonne. Il murmura :

-    Malaïac ! Malaïac ! …C’est ailleurs que j’ai mal maintenant ! … 'spèce de brute !

Mik éluda cet élan de mauvaise humeur matinale en se fendant de son plus beau sourire enjôleur. Celui-là même qu’il savait utiliser quand il voulait obtenir ce que d’emblée on lui refusait. Tonton Léon, les cousines et même Juliette, s’y étaient maintes fois laissé prendre.

Ses yeux noisette pétillaient comme habités par une pluie d’étoiles. Le souffle de l’aventure, qui agitait les feuilles des platanes de la place, le rendait d’humeur plutôt guillerette.

Il désigna d’un geste ample l’hôtel des Voyageurs (anciennement hôtel du Grand Maréchal) qui faisait angle avec la rue principale de Malaïac. C’est dans cet établissement que Paul Barré, vêtu en étrange voyageur, avait secoué les pauvres Malaïacois terrorisés… Mais c’était une autre histoire… et une aventure d’autrefois !

-    Allons donc mettre notre stratégie au point devant un bon bol de chocolat et des croissants ! lança-t-il à la cantonade.

-    Enfin une initiative de génie ! approuva Alain qui se remettait difficilement de son réveil en sursaut.

Les filles, mieux organisées, avaient déjà remis de l’ordre dans les affaires sérieusement bousculées par l’impétueux coup de frein.
Juliette ajouta :

-    On en profitera pour faire un brin de toilette…Parce qu’une heure sur ces petites routes forestières…ça décoiffe !

Le petit groupe fit une entrée remarquée dans la grande salle du café-hôtel. A cette heure matinale, seuls quelques consommateurs poursuivaient leur nuit, les yeux bouffis de sommeil, devant une sorte de café-lavasse servi par un barman, aussi chauve que moustachu, qui officiait avec des gestes d’automate.

Malaïac ne regorgeait pas de lève-tôt. Ils prirent place à une table en coin de terrasse, avec vue sur la place. Tandis que les filles s’éclipsaient quelques instants, les garçons détendirent un peu leurs muscles engourdis par le trajet.
Quand tout le monde fut de nouveau réuni, ne voyant personne venir, Alain prit l’initiative de se rendre au comptoir pour passer sa commande que répéta pensivement le moustachu en tablier.

-    Quatre chocolats au lait avec des croissants ? Pour le chocolat, ça ira… pour les croissants, j’en ai pas ! J’peux vous faire des tartines beurrées ! Si vous t’nez aux croissants, y’a la pâtisserie un peu plus bas qui doit être ouverte, chez Loulou Charpevel, "Au roi du triple chou”, anciennement Lunardel, ça s’appelle…Vous y trouverez sûrement vot’ bonheur !

Aucun des jeunes voyageurs ne se sentant le courage de courir jusqu’à la pâtisserie, ils se contentèrent de pain frais, beurré à souhait, qu’ils dévorèrent à pleines dents et sans regrets. Une fois la troupe rassasiée, le moral remonta de plusieurs degrés. Mik prit la parole :

-    A présent que nous voilà dans l’antre du voleur de bracelet, il est temps de réfléchir à la façon dont nous allons agir sur le terrain ! Nous sommes peut-être dans la gueule du loup si, comme je le pense, ce Gali dont nous a parlé Régis est aussi dangereux qu’il le dit ! En tout cas, lui semblait en avoir une sainte trouille !

-    Comment allons-nous le retrouver ? Et une fois qu’on tiendra le bonhomme, si on y arrive, qu’est-ce qu’on va lui faire ? Il n’a pas commis de délit que je sache ?

Christine exprimait ainsi la crainte des autres. Retrouver un coupable après une enquête, c’était amusant. Un bon prétexte pour passer quelques jours de vacances ensemble. Mais coupable de quoi ? Et pour quoi en faire ? Juliette et Alain approuvèrent d’un signe de tête la remarque de la jeune Villecherron. Le Chat-Tigre coupa court aux hésitations de ses amis.

-    J’y ai pensé ! Aussi, si on retrouve le dénommé Gali il ne faudra pas l’attaquer de front ! Il faut d’abord être certain qu’il est bien le commanditaire du vol et en connaître la vraie raison. Sa motivation réelle ! A-t-il des liens avec la famille de Boyrouvre des Ouches ? Est-il impliqué dans la vengeance diabolique représentée par le bracelet de vermeil ? Si tel est le cas, ne perdons pas de vue que cette menace vise les Villecherron dont tu es ici la digne représentante, Christine ! … Alors prudence…

-    Crois-tu que ce soit dangereux à ce point ?

Alain s’empressa de répondre.

-    Il n’y a pas si longtemps, on comptait les morts dans les deux familles concernées…

-    Tout de même, on est au 21ème siècle…Il y a prescription !

-    Possible mais pas sûr ! C’est bientôt le mois d’août…Autant y réfléchir à deux fois !

Mik approuva la prudence de son adjoint occasionnel.
Il repensait à ce que lui avait confié Grenouille   l’ancien chef de bande des Cadaver converti au scoutisme à la 1ère les Halles : "Méfie-toi Mik ! Quand il s’agit d’une affaire d’honneur, c’est pas comme un grand jeu ! Les gars d’en face, ils vont donner tout ce qu’ils ont dans le bide ! Leur bracelet, c’est un symbole… comme un drapeau ! Ils n’auront de cesse de le récupérer coûte que coûte. Tu sais Mik, une société qui perd ses symboles, c’est la cata…C’est comme une outre qui perd son eau…Elle finit par se dessécher. Alors ton gars Gali et ses copains, y z’ont sûr’ment pas envie de se dessécher !”
Un poète, Grenouille, doublé d’un philosophe !
Il reprit la parole.

-    Notre tactique, c’est de faire savoir par tous les moyens à ce Gali qu’on le recherche, l’amener à se découvrir…à venir vers nous pour savoir ce qu’on lui veut !

-    Dangereux ça, Mik !

-    Dangereux, oui, mais efficace si on veut rapidement connaître l’adversaire. Si on rate, au contraire, il va disparaître, se planquer…ça prouvera qu’il est le vrai coupable. Mais si c’est le chef que nous a décrit Régis, il va monter au feu… par curiosité et surtout par fierté !

-    Comme tu y vas !

-    Il voudra savoir qui on est, ce qu’on veut vraiment… Croyez-moi, c’est le meilleur moyen d’enquêter ! Avant de venir, j’ai étudié la ville. Elle n'est pas bien grande mais on ne peut pas interroger tout le monde. Il faut viser les points stratégiques. Nous formerons deux équipes. Les filles vous irez au château… enfin ce qu’il en reste… pour savoir si, par hasard, on y connaît la famille Boyrouvre…Doit bien y avoir un garde ou un concierge qui fait visiter les lieux ? Alain et moi, on va faire la mairie, l’église… Y a bien un curé qui connaît ses paroissiens, j’espère ? Nous partirons vers dix heures quand tout sera ouvert… En attendant, on va se balader dans la ville et interroger quelques commerçants en parlant de Gali comme d’un vieux copain qu’on a perdu de vue. Les filles faites les boulangeries, les pharmacies… Nous, on se réserve les quelques troquets du coin !

On se retrouve vers midi à l’hôtel de la Poste pour déjeuner. J’y ai réservé deux chambres pour ce soir… On aura besoin d’un bon lit. Demain on campera dans les environs si nécessaire… Si on n’a pas de nouveau ! N’hésitez pas à vous faire remarquer. Si vous êtes repérées, on décidera de la conduite à tenir !


*
*   *


Ce qui avait été dit fut fait immédiatement. Les filles et les garçons s’éparpillèrent en direction des commerçants ouverts à la recherche d’informations sur ce Gali dont ils ignoraient jusqu’au véritable nom de famille.

Les premières visites furent des échecs pour chacun d’entre eux. Les autochtones se montrèrent tout de suite méfiants envers de jeunes parisiens en vacances posant trop de questions insidieuses.
Christine, en dépit de ses origines provinciales, fut mise dans le même sac à sa grande surprise. Trop décontractée, habillée avec trop de recherche, pour des gens du Pays perdu.

Sitôt que l’une des deux filles prononçait le nom de Gali, les visages se fermaient tandis que les gens secouaient négativement la tête.

-    Gali ? …Gali ? Non ! j’vois pas ! Pourtant j’habite ici depuis toujours… Pensez, c’est mon père Louis Charpevel qui a repris la pâtisserie Lunardel ! C’est dire… Vous êtes sûr du prénom ? Gali… c’est pas un nom chrétien ça ?

-    Comment vous dites qu’y s’appelle ? Et son nom de famille ? Ah ! Vous savez pas ? Gali ? Ça n’me dit rien !

-    Inconnu au bataillon ! Pourtant avec un nom pareil j’aurais remarqué… dame !

-    Mais où c’est-y qu’vous l’avez connu vous dites ? Orléans ? J’connais point d’gars d’chez nous qui vont dans ce coin !

De la rue des tanneurs à la rue des métiers, de la rue du marteau à la rue de l’arquebuse, les réponses étaient identiquement ironiques, comme si on se méfiait de ces petites parigotes à la recherche du mâle perdu.

De leur côté, les garçons faisaient également chou blanc et même triplechoux blancs puisqu’ils avaient visité les trois cafés ouverts sans autre succès.
Pourtant au “Raisin frais”, le patron avait semblé prêter une oreille attentive à leur histoire. Il avait appelé son fils, un jeune homme de dix huit/vingt ans.

-    Eh Buck ! Viens voir ! Tu le connaîtrais pas le gars que ces messieurs recherchent ?

Le dénommé Buck, vêtu d’un pantalon de treillis et d’une chemise kaki, tous deux probablement issus d’un stock de l’armée, apparut derrière le comptoir comme par enchantement. En guise de couvre-chef, il portait un vieux calot bleu orné de pin’s. Il ressemblait à un de ces anciens combattants arborant fièrement les médailles gagnées au front. Il répondit vivement :

-    Comment vous dites ? Gali ? Non, ça ne me dit rien. Qu’est-ce que vous lui voulez ?

Mik se racla la gorge avant de mentir.

-    On veut lui parler ! On a un ami commun, Régis, qui nous a chargés de venir le saluer si on passait dans le coin… Et comme on est en vacances à Champotte… On s’est dit que c’était l’occasion !

Buck haussa les épaules.

-    Ben c’est raté pour ici ! Vous êtes où ? Si jamais j’en entendais parler par des copains?

-    Pour cette nuit, à l’hôtel de la Poste ! Si jamais vous rencontrez quelqu’un qui le connaît, dites-lui bien que c’est de la part de Régis.

-    J’y manquerai pas ! Salut !

Le jeune homme s’éclipsa aussi soudainement qu’il était apparu.
En sortant de l’auberge Alain et Mik l’aperçurent au loin qui tournait dans la rue des Tanneurs.

-    Bingo ! fit Mik. Si celui-ci ne file pas tout raconter à notre chef de bande… Je renonce à mon statut d’enquêteur !

-    Tu crois ? Il avait pourtant l’air sincère !

-    Oui ! Autant qu’un âne qui recule… Enfin… Je me trompe probablement, mais c’est un premier pas qui semble positif ! Allons retrouver les filles, elles auront peut-être eu plus de succès que nous !


*
*   *


Buck arrêta la vieille Mob à l’entrée de l’exploitation. On entendait la scie à ruban tourner à plein régime avec un sifflement aigu qui vrillait les tympans. Il aperçut l’ouvrier en bleu de travail qui guidait les troncs à la découpe, les oreilles protégées par un casque anti-bruit en forme d’écouteurs.
Au-dessus du porche par lequel il pénétra dans la cour, une pancarte était à peine lisible, sa peinture effacée par les intempéries. On pouvait toutefois y lire : “Scierie Ferret-Galinois et fils”.

Après avoir rapidement garé l’engin motorisé ancestral que lui avait prêté le fils Charpevel pour avaler au plus vite les trois kilomètres qui séparaient l’exploitation forestière de la ville, il se dirigea vers la maison blanchie par la sciure, au centre de la cour.

Il gravit les marches et ouvrit une porte vitrée surmontée d’un panonceau “Administration”.

Là, dans une petite pièce, derrière un bureau de fer, siégeait un homme d’une vingtaine d’années en conversation téléphonique animée avec un client.
Buck lui fit un signe de la main avant de ressortir dans la cour, où il patienta, assis sur le perron en haut des marches.

Sa communication terminée, le fils Galinois, Gali pour ceux qui l’avaient connu plus jeune, sortit à son tour. Il serra la main de son fidèle lieutenant. Blond aux yeux clairs, durs, le garçon avait les cheveux mi-longs coiffés à la diable. Ses lèvres étaient minces, son menton autoritaire. Redouté de ses collaborateurs mais admiré et aimé par ceux qu’il honorait de son amitié, le jeune homme inspirait le respect par un charisme évident. Parfois son visage grave s’illuminait d’un sourire enfantin qui lui attirait toutes les sympathies.
Il supportait, depuis le décès de son père, la charge de directeur associé de l’entreprise familiale et souvent ces lourdes responsabilités l’emportaient sur sa bonne humeur.

C’était le cas aujourd’hui. Il apostropha Buck.

-    Tu sais que je n’aime pas être distrait dans mon travail… à moins que tu n’aies des raisons qui en valent la peine ! Qu’est-ce qui se passe ?

Le fils du cabaretier se cabra.

-    Elles valent la peine, crois-moi ! A moins que tu n’aies renoncé à récupérer ton bracelet ?

Le visage de Gali se durcit.

-    Tu veux dire ?

-    Eh bien… On a reçu la visite de deux gars, ce matin, au Raisin frais… deux jeunes… nos âges à peu près… Ils te cherchent et clament partout qu’ils viennent de la part d’un certain Régis qui les aurait chargés d’une commission à ton intention ? Ça m’a semblé bizarre parce que le seul Régis que je connaisse, c’est le môme de Dole qui a passé ses vacances avec nous l’an dernier…Tu t’en souviens, il était sans arrêt derrière nous ?

-    Oui ! Je sais, bien sûr ! C’est sans doute de lui qu’il s’agit mais ce n’est pas lui qui les a téléguidés vers nous… J’en suis sûr ! Dis-moi Buck…C’est les vacances scolaires, tu vas pouvoir récupérer la plus grande partie de la bande. Tu vas les mettre sur le coup… dès maintenant… Avec discrétion bien sur !

L’homme en treillis prit un air entendu.

-    Y’a pas plus discrets que les Ayacks… Sinon à quoi ça servirait qu’on les entraîne à vivre à l’indienne !

-    Oui ! Oui ! Mais là, c’est sérieux ! Je veux être tenu au courant de leurs moindres déplacements… Utilise mon portable, je te le confie… Et en cas de danger, si nécessaire, on intervient manu militari !

-    Comme au grand jeu ?

-    Comme au grand jeu ! Silence ! Discrétion et efficacité ! Je compte sur toi ! Je viendrai vous rejoindre à la grange… Réunion ce soir vers 20 heures. Bon ! Sur ce… j’ai du boulot… Excuse-moi, mais l’oncle n’est plus de première jeunesse et le personnel a besoin de directives… Salut !

-    Salut chef !

Buck fit un rapide signe de la main en direction de Gali, comme un salut scout sommairement exécuté. Il récupéra la vieille Mobylette qui pétarada en passant devant la R5 rouge que Gali utilisait habituellement et fonça à travers bois en direction de Malaïac.


*
*   *


Demeuré seul, de retour dans son bureau, Gali semblait distrait, pensif.
Qui étaient ces deux jeunes, Mik et Alain, qui venaient
jusqu’à lui ? Il était averti de leur venue. Il relut une nouvelle fois la lettre de Régis qu’il avait sortie d’un tiroir.

-    Des flics ? Un peu jeunes quand même ! Des journalistes ? Bof ! Des enquêteurs privés à la solde des Villecherron… Probable ! Si c’était le cas, ils allaient voir de quel bois on se chauffe chez les Ayacks !

Depuis son enfance, perpétuant une tradition locale datant de son grand-père Gali (ce surnom venait de la communale en abréviation de leur nom de famille), il s’occupait de la petite troupe des enfants de Malaïac.

N’ayant pas eu accès au scoutisme et ayant échoué en essayant de créer une ou plusieurs patrouilles libres, la petite bourgade étant trop isolée du monde, la famille Galinois avait perpétué au fil des années la fameuse bande des Ayacks, les enfants succédant aux parents. Une sorte de troupe affiliée à aucun mouvement ni à aucune fédération.

Le chef, réélu chaque année, dirigeait les activités hebdomadaires et organisait les jeux, les sorties et les camps dans les environs au moment des grandes vacances. La réélection ne posait jamais de problème puisque la majorité était toute dévouée à Gali et à son état-major. La nature n’avait plus de secret pour les jeunes forestiers, formés à l’indienne, par Gali et Buck, jeunes adultes vigilants.

Cette histoire de bracelet le tracassait. Pourquoi avait-il fallu qu’il surfe sur Internet, le jour ou il avait reçu son nouvel ordinateur ? Par réflexe curieux il avait tapé : “de Villecherron” et le moteur de recherche s’était mis en branle. Après l’arbre généalogique des Villecherron, une visite aux manoirs et un tour des propriétés, il était tombé sur cette vente aux enchères.

C’est alors que son serment lui était revenu en mémoire.
En compagnie de son père, il avait assisté, enfant, aux derniers instants de son grand-père paternel, le Galinois, qui avait créé les Ayacks et tant obtenu pour le bien-être des jeunes de sa ville, après une mini révolution.
Doucement, avec difficulté, pépé Galinois leur avait parlé de la vengeance des Jansen et des Boyrouvre envers les d’Ancourt et les Villecherron. Une vieille histoire du temps où leurs propres ancêtres servaient la famille de Boyrouvre des Ouches… Régisseurs… Intendants… Presque de la famille !
Et puis étaient arrivées les années républicaines. Le marquis avait perdu sa fortune mais conservé sa tête. La famille, puis les héritiers avaient dû restreindre leur train de vie… et les Galinois avaient dû chercher du travail ailleurs !

Ils étaient demeurés dans leur région et avaient participé, chaque centenaire, à la vengeance tragique. Pour rappeler cette date fatidique, le marquis, chef du clan, portait un bracelet de vermeil, identique à celui des Jansen. Le grand-père leur en avait confié une fidèle reproduction en dessin sur papier, car le bracelet avait disparu !

A la mort du dernier marquis de Boyrouvre, lequel n’avait pas laissé de descendance, il avait cherché à récupérer le bracelet, en vain ! Celui-ci avait déjà été vendu avec tous les biens du marquis.

Le vieil homme agonisant avait demandé à son fils, en présence du jeune Gali, de tenter de retrouver le bracelet perdu afin d’être prêt à transmettre la mission pour 2036 à ses propres descendants. Ils avaient juré. Le vieux était parti l’âme en paix !

Le temps avait passé, son père décédé dans un accident lui avait laissé une part d'associé avec son oncle dans la scierie familiale. Au fil des années, il avait oublié cette promesse… et le bracelet.

Il avait fallu ce test sur un moteur de recherche Internet pour découvrir que les propres ennemis de Boyrouvre étaient propriétaires du bracelet et s’en débarrassaient. Il n’avait eu aucun doute, il avait conservé le croquis et l’avait comparé avec la photo scannée sur le web.

Il avait pris la décision de récupérer ce qu’il considérait comme son bien de droit, volé sans doute au marquis. Il était certainement, à présent, le seul à en connaître la signification.

Et puis Régis était passé par là. Ils avaient bavardé avant de découvrir la proximité entre le centre où il tentait de se refaire une santé morale et le château de Nampilly. Fier d’être pris comme confident par son chef, l’adolescent avait juré à son tour de récupérer le précieux bijou. Mais il avait raté son coup !

La lettre de Régis citait nommément les jeunes gens qui étaient venus l’interroger à Chaumont.

Mais le bracelet était perdu !
Il fallait agir. Gali savait où était son devoir !


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*   *


Christine et Juliette jouaient les touristes. Nez en l’air, carnet de notes à la main, il ne leur manquait qu’un bon vieux Kodak en bandoulière.

Quand elles approchèrent du château qui dominait le bourg de son donjon majestueux, elles s’aperçurent qu’elles faisaient fausse route. D’une part, hors la grande tour, la bâtisse était quasiment en ruines, d’autre part, il n’était pas question de visiter des murs aussi vétustes sans danger.

Par bonheur, au pied du mur d’enceinte en forme d’éboulis, une pancarte indiquait que “le château ne faisant plus l’objet de visites, toute information historique pourra être obtenue auprès de l’Office du Tourisme, place de l’Hôtel de Ville.”

Elles profitèrent de l’occasion pour admirer les restes du manoir dans lequel la population malaïacoise avait, avant la guerre, cherché vainement le trésor du Maréchal Duc de Randans, premier châtelain du lieu. A présent qu’elles se trouvaient sur le théâtre même des opérations, elles appréciaient d’autant plus la scène décrite par Jean-Louis Foncine dans son livre culte.

Elles décidèrent donc de se rendre à l’office du tourisme.
Celui-ci se trouvait être une petite baraque extérieure à la mairie dans laquelle une employée temporaire (l’office fermait ses portes dès septembre pour ne les rouvrir qu’au printemps) distribuait des plans de la ville et quelques informations sur les curiosités locales.

Elle vendait également, en plaquette de luxe, les recueils de poèmes d’Onésime Tabarin et de quelques-uns uns de ses disciples rimailleurs.

Christine entra tout de suite dans le vif du sujet en demandant s’il existait un mémoire sur le château en ruine.

-    Bien évidemment Mademoiselle, Monsieur de Boyrouvre, le dernier propriétaire du castel, avait rédigé, avant son décès, une étude sur l’évolution de la propriété depuis sa construction au Moyen-âge jusqu’à l’acquisition par un Prince nordique qui en fit don à son ancêtre Eudes de Boyrouvre des Ouches.

-    Mais comment se fait-il que Monsieur le Marquis ait laissé cette demeure à l’abandon ?

-    Hélas ! Monsieur des Ouches est décédé depuis plus de quarante ans, sans laisser d’héritier. L’ensemble de ses biens a été vendu aux enchères au profit d’œuvres caritatives comme il en avait exprimé le vœu. Le château est devenu propriété de la municipalité qui, peu encline à voir renaître les attributs de la noblesse locale, ne l’a pas entretenu pendant des années. Le budget d’une si petite ville ne permet pas la sauvegarde des chefs d’œuvres en péril… et la subvention de l’Etat est bien faible !

Juliette s’étonna.

-    Mais enfin, une telle ruine est dangereuse. Mieux vaudrait peut-être tout raser ?

La jeune employée municipale jeta un regard furtif autour d’elle pour être sûre de ne pas être espionnée, puis, sur le ton de la confidence.

-    Nous sommes quelques-uns uns à penser que ce serait la meilleure solution mais Monsieur le Maire ne veut rien entendre. Il espère encore trouver un mécène qui assurera la remise en état des murs !

Les jeunes filles remercièrent et prirent congé. Elles en savaient assez.
Ainsi c’était bien à Malaïac qu’il fallait chercher la source du vol. Et c’était probablement à Malaïac qu’Arnaud de Gillard avait acheté le bracelet avec un lot de bibelots.

-    Ohé ! Les vacancières ! La pêche a été bonne ?

Derrière elles venaient de surgir Michel et Alain, hilares.

-    …Parce que nous, on a ferré le gros poisson !


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Mik et Alain avaient commencé par la Mairie. Hélas, ni le maire ni ses adjoints n’étaient présents ce matin et l’unique employée de l’Etat civil s’était abritée derrière le secret professionnel.

Déçus mais pas découragés pour autant, les deux enquêteurs avaient traversé la place pour atteindre le parvis de l’église.

Dans l’édifice religieux, ils avaient dû parlementer longuement avec un bedeau bedonnant, avant qu’il accepte de les mener chez le curé qui se préparait pour célébrer une messe d’enterrement en fin de matinée. C’était un brave curé de campagne, comme on en rencontrait dans le temps. La modernité semblait n’avoir eu aucune prise sur lui. Rondouillard, jovial, il n’avait pu abandonner la soutane de sa jeunesse pour le costume citadin gris et austère. Ses joues couperosées et son nez violacé attestaient de son penchant pour le petit vin de messe, dont il usait… immodérément.

Il ne se fit pas prier pour répondre franchement aux questions des jeunes gens, ravi d’avoir un auditoire étranger aux vieilles filles qui hantaient son confessionnal.

-    Gali ? Bien sur que je le connais ! Comme je connaissais très bien son père… Oh ! Ce n’est pas parce qu’ils fréquentent trop mon Office… ça non ! Les Galinois, c’est comme cela qu’ils se nomment, ont toujours préféré la pêche à la truite dans la Loue ou courir les bois !… Pas des mécréants, non ! Je crois même qu’ils ont toujours eu foi en Dieu… ou plutôt en la nature et en l’homme. C’est une autre façon de croire. Dieu a créé la nature pour qu’elle distribue ses bienfaits… ça, c’est sûr, les Galinois et leurs coureurs des bois, ils en profitent des bienfaits de la nature, ils les dévorent…

-    Comment ça ?

-    Voyez-vous, jeunes gens, à Malaïac tout le monde leur est dévoué…depuis la révolte des Ayacks en 37 !

-    J’en ai entendu parler par mon oncle…mais c’est loin tout ça…

-    Des gosses qui imposent leurs vues aux adultes, c’était pas courant…Surtout en ce temps où l’éducation passait par les torgnoles et le martinet et non par les psychologues ! Il a fallu un Gali et sa bande pour mettre les choses au point…Même le sous-préfet et la police de l’époque se sont inclinés. Ça ne pouvait pas ne pas laisser de traces !

La voix du prêtre laissait percer son admiration pour le chemin accompli.

-    Mais c’est du passé tout ça, Monsieur le Curé !

-    Mon petit ! Dans notre province reculée et isolée du monde, le passé se confond avec le présent. Les Ayacks sont toujours en activité et Gali, le petit-fils du précédent, est toujours à leur tête. Simplement ils ne sont plus hors-la-loi… Quelle famille se plaindrait de savoir ses gosses occupés les mercredis et les dimanches, sur place, dans la région, et encadrés par des adultes efficaces ? Ils font même réviser ceux qui ont des difficultés scolaires, c’est dire ! Ils les pousseraient un peu plus vers l’église que je devrais multiplier mes messes dominicales !

-    Mais c’est d’un patronage dont vous nous parlez ! Pourquoi est-ce que personne ne nous en a rien dit ?

-    Parce que c’est de notre histoire qu'il s’agit ! Quoi que pense ou fasse Gali, en bien ou en mal, c’est notre affaire ! Les gens d’ici ne laisseraient jamais des étrangers s’en mêler ! Pardonnez ma franchise ! Ici la règle d’or c’est le silence ! On règle nos problèmes nous-mêmes !

Mik n’en croyait pas ses oreilles. Alain et lui se jetaient des coups d’œil entendus et surpris. Où était le voyou décrit par Régis dans ce portrait idyllique d’un animateur social ?
Il questionna le prêtre.

-    Pourquoi nous en parlez-vous alors ? N’êtes vous pas solidaires de vos ouailles ?

-    Comme vous y allez, cher Monsieur ! J’ai passé mon enfance ici avant de partir vers le séminaire. J’ai été moi-même un Ayack ! Du temps du père ! Je connais bien le jeune Gali. Il a des responsabilités importantes dans son travail mais il ne tremperait jamais dans une affaire louche… Je n’ai donc aucune raison de dissimuler son existence !

-    Mais qu’est-ce qu’il fait ? Où peut-on le trouver ?

-    Je vous conseille de le voir en fin d’après midi car il sera plus disponible à moins que vous ne preniez rendez-vous ? Il dirige avec son oncle une petite scierie à quelques kilomètres d’ici en direction de Pesmes. Son numéro est dans l’annuaire… Mais si vous souhaitez lui faire une surprise…

-    Oui Monsieur le Curé, ce serait mieux ! Nous irons le voir dans la soirée…Merci de votre gentillesse !

La bouille rougeaude se fendit d’un sourire éclatant.

-    Vous serez toujours les bienvenus dans la maison du Seigneur !


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*   *


C’est devant quatre truites aux amandes et un petit blanc du Jura bien frais, que les quatre purent confronter les résultats de leurs premières investigations.

Les choses avançaient plus vite que prévu. Peut-être trop vite souligna Alain, d’une nature méfiante.

Il fut convenu que l’après-midi serait consacré à la détente et que vers 17 heures on se rendrait, en promenade, vers la scierie Galinois pour y rencontrer le garçon qui avait organisé le vol du bracelet.
Ayant pris possession des chambres réservées par le Chat-Tigre à l’hôtel de la Poste, ils décidèrent de s’accorder une courte sieste réparatrice avant d’aller se baigner dans le ruisseau qui s’enfonçait dans la forêt. Un gamin, questionné au hasard, leur indiqua un lieu proche où une plage était aménagée près d’une petite écluse qui formait un plan d’eau suffisant pour s’ébattre en toute tranquillité.

C’était une sorte de mini paradis que la nature, aidée de la main de l’homme, avait préservé à l’orée des bois profonds. Quelques vacanciers y exp
osaient leur chair dénudée aux bienfaisants rayons du soleil. Les peaux cuisaient, régulièrement rafraîchies par des plongées dans l’eau froide… même très froide, de la rivière.

Christine, Juliette, Alain et Mik trouvèrent un emplacement un peu ombragé, en lisière du bois, pour étaler leurs serviettes de bain. Puis ils entamèrent une mémorable partie de ballon sur le sable et dans l’eau, mi-volley, mi-water-polo.

Quelques gosses présents demandèrent à participer au jeu et bientôt ce fut toute une bande qui plongeait dans l’eau fraîche ou courait en s’ébrouant comme des jeunes chiens fous. Peu accoutumés à évoluer dans une onde d’aussi basse température, les citadins abandonnèrent bientôt pour se sécher au soleil en échangeant leurs impressions.

-    Brrrr ! Elle est bonne mais frisquette !

-    C’est bon ! Ça fouette le sang !

-    Tu sais Mik ! C’est peut-être un Pays perdu ce coin, mais c’est magnifique… Ce soleil, ces bois, ce torrent et cette petite ville si… romantique !

-    Tu as raison Christine… Tant qu’il restera encore des endroits préservés du tourisme de masse, il restera des gens heureux ! Je trouve même que Malaïac est plus représentatif de la beauté sauvage de la région que Champotte, qui n’est, somme toute, qu’un petit village !


Juliette était pensive. Allongée sur le ventre, elle laissait son regard errer sur le plan d’eau qui reflétait un rayon de soleil inondant d’une lumière vive la petite plage et les bois environnants.

-    C’est vrai que c’est beau ! Ça vaut bien la côte… Dites, les garçons, vous n’avez rien noté de spécial ?

Alain qui mâchonnait paresseusement un brin d’herbe, se redressa à demi.

-    Si ! Et Mik m’en a fait la remarque tout à l’heure… Les trois mômes qui ont joué avec nous ?

-    Oui ! Ils étaient à la terrasse du restaurant quand nous déjeunions. J’ai cru qu’ils
nous observaient !

-    Tu crois qu’ils nous suivraient ? S’étonna Christine.

Le Chat-Tigre approuva.

-    Bien observé ma Juliette ! Bien sûr qu’ils nous suivent. A mon avis c’est le résultat du départ précipité du gars Buck, ce matin quand son père l’a interrogé !

-    Mais qu’est ce qu’ils veulent ?

-    Probablement connaître nos intentions. Soyons patients !

-    Ils étaient bien sympas ces petits gars là !

L’heure passa en dissertation sur le climat, les excursions dans la région, les résultats du Bac… enfin en aimable bavardage fort éloigné du sujet qui les avait conduits ici. Quand le moment fut arrivé, le groupe des quatre, remis en forme, se dirigea vers la petite route de Pesmes qui menait en direction de la scierie et du château dit “de la folie” à plusieurs kilomètres de là.

Ils avançaient gaiement, chantonnant des refrains entraînants. Au bout d’une vingtaine de minutes, alors qu’ils approchaient du but, Alain donna un coup de coude à Michel. Ce dernier lui fit signe de garder le silence. Dans la forêt traversée par le chemin sur lequel
i
ls marquaient allègrement la cadence, des petits groupes de gosses semblaient les suivre et parfois les précéder tout en demeurant à une trentaine de mètres d’eux.

Mik murmura.

-    Je crois qu’on va bientôt en savoir plus sur les intentions de Gali !

L’arrivée de gamins, par 2 ou 3, qui se joignaient aux autres, rappelait Les oiseaux, ce film d’Hitchcock… Les corbeaux qui se posent un à un silencieusement sur les fils téléphoniques et les toits et qui finissent en nuée inquiétante.

Un peu en avant, la route entamait un virage et la végétation s’éclaircissait un peu. Christine, inquiète, avait jeté un bref coup d’œil en arrière. Une dizaine de garçons les suivaient à quelques mètres, silencieux sur leurs espadrilles. Elle en alerta le Chat-Tigre qui rétorqua.

-    Ça sent le piège ! Tenez-vous prêts… Nous sommes allés en plein dedans… Il faut laisser faire si nous voulons en savoir davantage !

Il n’eut pas le temps d’ajouter un mot de plus. Une immense clameur résonnait sous les ramures.

-    Aïac ! Aïac ! Aïac ! Aïac !

Telle une volée de moineaux envahissant un champ de blé, une vingtaine de gosses armés de cordes et de sacs de toiles s’abattirent sur les quatre aventuriers du “bracelet perdu”.


Michel Bonvalet 2003

                                                                                                                     à suivre...






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