Michel Tournier
nous a quitté le 18 janvier 2016 dans sa 92ème année. De nombreux
hommages lui ont été rendus dans la presse, à la radio et à la
télévision.
Nous nous devions de nous souvenir de ce brillant romancier de la jeunesse, qui est l'auteur d'un album magnifique illustré par Pierre Joubert et édité en 1988 par Signe de Piste éditions.
Alain Gout nous conte ci-dessous l'histoire de sa rencontre avec Michel Tournier et de leur collaboration à la réalisation de cet album, qu'on peut encore se procurer sur internet et chez les bouquinistes.
Angus
est un conte, épisode de la légende des siècles : Jacques, jeune
adolescent, doit venger ses parents d'un géant monstrueux, Tiphaine,
qui a violé sa mère dans sa jeunesse. Il ignore qu'il est le fruit de
ce viol et va donc combattre celui qui est son père et ainsi perdre son
enfance.
Les illustrations de Pierre Joubert sont exceptionnelles.
Un bref rappel de la biographie de Michel Tournier:
Né le 19 décembre 1924 à Paris 9ème, décédé le 18 janvier 2016 à Choisel.
Auteur
de plusieurs romans
dont Le Roi des Aulnes,
couronné par le prix Goncourt en
1970, il est un conteur et un romancier pour la jeunesse avec
des œuvres comme Vendredi ou la vie sauvage,
réécriture de son premier roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique.
Germaniste accompli
et philosophe de
formation, Michel Tournier renonce à l'enseignement et s'occupe de
traductions et d'émissions à la radio puis à la télévision avant
de publier à 42 ans son premier roman Vendredi
ou les Limbes du Pacifique en 1967 qui
ouvre trois décennies consacrées à la littérature. Il a bâti en
neuf romans publiés
de 1967 à 1996 et en quelques recueils de nouvelles une
œuvre originale qui fait de lui l'un des écrivains français
marquants du dernier tiers du xxe siècle. Voir sa bibliographie en fin d'article
Comment
« Angus » est arrivé chez ''Signe de Piste''
En
mémoire à Michel Tournier,
et
à l'occasion de son décès survenu le 18 janvier 2016
On
ne m'a jamais demandé comment un auteur aussi prestigieux que Michel
Tournier était arrivé chez l'éditeur de Signe de Piste.
C'était
en 1987, à l'époque de ''Signe de Piste Editions''. (L'éditeur,
juridiquement, se nommait Editions Universitaires, qui faisait partie
d'un groupe plus important : Begedis, lui-même racheté par un
poids-lourd de l'édition : Média Participations. L'éditeur,
donc, était ''Signe de Piste Editions'', ce qui ne veut pas dire
qu'« Angus » ait été publié dans la collection Signe
de Piste comme on a pu le lire dans Le Figaro, dans l'article rendant
hommage à l'écrivain).
Je
me trouvais à mon bureau quand le téléphone a sonné :
« Bonjour,
vous êtes Alain Gout, l'éditeur de Pierre Joubert ?
Oui.
Michel
Tournier à l'appareil. Voilà, je suis un grand admirateur de
Pierre Joubert qui m'a donné votre numéro J'ai écrit un conte
moyenâgeux inspiré de « L'Aigle du casque » de Victor
Hugo, et je rêve que ce texte soit illustré par Pierre Joubert.
Pensez-vous que cela soit possible !
J'étais
un peu soufflé (surtout d'avoir Tournier au téléphone, que
j'admirais beaucoup), je n'ai pas réfléchi, l'inspiration a été
aussi subite que... culottée et je lui ai répondu aussi sec :
Vous
tombez bien, et ça me paraît tout à fait possible car je rêve
depuis longtemps d'éditer un texte de vous, mais comme vous êtes
édité par Gallimard Jeunesse je ne savais trop comment vous le
proposer.
Il
a éclaté de rire, car c'était vraiment un peu gonflé vu la taille
de Signe de Piste par rapport au géant (et génial), Gallimard
Jeunesse. Et en terme de ventes nous ne pesions pas lourd.
Il
m'a simplement répondu :
« Et
bien c'est d'accord.
A
vrai dire, je m'attendais un peu à cette réponse... »
Pas
moi, mais je ne lui ai pas dit. J'étais sur un petit nuage.
Et
puis il s'est aussitôt transformé en auteur-homme d'affaire très
avisé :
«
Simplement, il y aura une condition : vous réaliserez l'édition
au format album avec les illustrations de Joubert, je ne vous
demanderai pas d'à-valoir mais un pourcentage de x %, et je
garderai les droits pour une édition au format poche en Folio
Junior. Eventuellement avec couverture Joubert, mais pas plus. J'ai
ma traductrice pour la version allemande, si vous arriviez à vendre
les droits sur cet album. Je la paierai et discuterai avec elle. Même
chose en anglais . Est-ce que cela vous va ?»
Voilà,
c'était réglé, en moins de trois minutes.
Le
lendemain, je recevais le texte, étonnant et superbe, avec, comme
toujours chez Tournier, derrière la fable, une profonde méditation
philosophique sur l'Homme.
Un
peu plus tard, je me suis rendu chez lui, dans son ''presbytère'' de
Choiseul. J'y ai découvert un homme d'une extrême simplicité, mais
qui abandonnait difficilement la parole : il avait tant à dire,
et sur une infinité de sujet. D'une culture immense, mais qui ne
s'étalait pas, il donnait surtout l'impression, bien au-delà de ses
connaissances littéraires, qu'il avait passé sa vie à penser et
méditer sur la condition humaine.
Et
il avait beaucoup à dire sur Joubert et l'adolescence. C'est de cet
échange et des suivants qu'est sorti son texte : « Pierre
Joubert, un maître de l'esthétique moderne »
paru dans « Les Chemins de l'Aventure » en 1987, donc un
an avant « Angus ». Parce qu'il le portait en lui depuis
longtemps et qu'il était peut-être à l'origine de son désir
d'être illustré par Joubert. Et parce qu'il fallait le temps à
Joubert, de réaliser les grandes planches de son album.
Voilà.
C'est peu de choses, mais je pensais que ça valait la peine d'être
conté.
Alain
Gout
31
janvier 2016
Quelques unes des magnifiques illustrations de Pierre Joubert pour ANGUS
Ci-dessous le texte signé par Michel Tournier figurant dans Les Chemins de l'Aventure édité à l'occasion du cinquantième anniversaire de la collection Signe de Piste
Bibliographie (issue de Wikipedia) à laquelle il manque Angus (1988)