En hommage

à

Pierre LABAT

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Il était un de ces auteurs flamboyants qui ont marqué de leur empreinte la collection Signe de Piste avec  quatre romans seulement. Tous des succès !

Il était Avocat, Ecrivain, Plongeur sous-marin, Raider-Scout (parmi les premiers) et avant tout un meneur d’hommes qui croyait  en sa mission de Scout.

Il est mort dans des conditions dramatiques voilà 60 ans.

Christian Floquet, en documentaliste averti , a réuni des articles, des témoignages, des lettres et des documents photographiques exclusifs pour nous offrir la biographie la plus complète que nous ayons connu sur cet auteur d’exception.  

Un très grand hommage à l’auteur de Conrad qui entretînt avec Georges Ferney, son mentor et ami, une correspondance suivie.

Si le texte est parfois très technique, il ravira les amateurs de plongée sous-marine qui redécouvriront l’évolution de celle-ci  avec la troupe de Pierre Labat et grâce au Commandant Cousteau.

Une vie d’aventures et de scoutisme résumée en quelques pages passionnantes. Un bel hommage !

Michel Bonvalet (Mic)
  

Avant-Propos

A l’heure où on s’apprête à célébrer le soixantième anniversaire de la disparition du romancier de renom que fut Pierre Labat, (1926-1955) et où la collection Signe de Piste semble vouloir renouer avec ce qui jadis avait fait son succès, c’est-à-dire la publication de romans scouts,  en rééditant son inoubliable « Manteau Blanc » , le site de Jeux de Piste se devait d’honorer la mémoire de cet auteur mythique que l’on croyait  presque oublié.

Pierre Labat était un personnage hors du commun, habité par l’aventure, dont on ne sait que peu de choses. C’est pourquoi nous avons choisi d’évoquer en premier lieu, un de ses ouvrages, devenu dès sa sortie en librairie, un roman emblématique de la collection Signe de Piste et du Scoutisme. Il s’agit bien-sûr de « Deux Rubans Noirs ».

Ce récit, qui fut le premier roman Raider et que certains considèrent comme le chef œuvre de Pierre Labat, fait assurément partie, si l’on en croit ses chiffres de vente, des best-sellers de la collection. Son titre donnera d’ailleurs, quelques années plus tard, naissance, aux éditions Alsatia, d’une collection satellite de romans destinés aux ados. 

Bien entendu au cours de cet hommage, nous évoquerons  les autres romans de Pierre Labat, mais également bien des aspects de ce personnage fascinant.

Afin d’étayer notre récit. Nous avons choisi de l’agrémenter par différents rédactionnels, issus de la plume du romancier, parus autrefois dans la presse et aujourd’hui oubliés de tous. Nous dévoilons aussi, pour l’occasion, certains documents, visuels et textuels, provenant d’archives privées  qui jusque-là, étaient restées inédits ou dans l’ombre.

Pour que cet hommage soit vraiment complet, nous l’avons enrichi de témoignages collectés auprès de quelques anciens, qui ont accepté de nous livrer leurs souvenirs à propos de ce pionnier qui fut leur chef. Car jadis, ils faisaient partie des jeunes scouts constituant la troupe de Pierre Labat.

Christian Floquet

 

Avertissement :

Les textes et les visuels qui constituent cet article sont soumis à des droits d’auteurs et ne sauraient être reproduits, totalement ou partiellement, sans autorisations préalables.

 

 

I - L’histoire de la rédaction du tout premier roman scout-raider… 

 

Lettre manuscrite de Pierre Labat, adressée à son confrère et ami Georges Ferney dans laquelle il évoque la rédaction de son troisième opus, qu’il intitule provisoirement « Raider-Scout ».

NB : à l’origine, le second récit de Pierre Labat, que les lecteurs connaissent sous le titre du « Manteau Blanc », s’intitulait à l’origine « Le jeu des Templiers ». Ce titre sera repris quelques temps plus tard, par son confrère Jean-Claude Alain.

Ci-dessus :

Pierre Labat fut sans aucun doute l’un des tout premiers chefs de troupes raiders. En effet, il évoque, ci-dessous dans l’une de ses innombrables lettres adressées à son ami Ferney sa participation au printemps 1949, au tout premier cours de cette branche du scoutisme. Il est donc vraisemblable de penser, que Pierre Labat passa avec brio les épreuves, et que, très peu de temps après, il fut investi « Chef de Troupe Raider ». (On remarque sur ce cliché, que Pierre Labat, porte sur sa tenue, sa décoration militaire, la Croix de Guerre avec étoile de bronze, qu’il avait obtenue à tout juste 18 ans, pour ses qualités de courage).  

 

   

Ci-dessus :

Dans le verso de cette missive, Pierre Labat évoque une correction d’épreuves avant leur mise sous presse. Il s’agit de celles de son second opus « Le Manteau Blanc », qui paraitra en librairie quelques mois plus tard. On y apprend également, que parmi les nombreuses activités artistiques de Georges Ferney, ce dernier était aussi à cette époque, animateur sur les ondes radiophoniques. 

Contrairement aux deux premiers romans de Pierre Labat commencés après-guerre en Allemagne, la rédaction du manuscrit « Raider-Scout » sera entamée en France au début 1949 et achevée au début de l’été 1950.  Très rapidement il le présenta au comité de lecture de la collection « Signe de Piste ».

II - L’analyse du manuscrit de « Raider-Scout » par Serge Dalens

 

Ci-dessus : Feuillet de l’analyse de manuscrit, rédigée par Serge Dalens.

 

1 – LE FAIT RAIDER ET SA REPERCUTION SUR LA LITTERATURE SCOUTE.

« Le nouvel ouvrage de M. Pierre LABAT revêt une exceptionnelle importance. S'il se présente en effet sous la forme d'un roman destiné à la Collection SIGNE DE PISTE, il donne une orientation nouvelle – et capitale, au Scoutisme. Nous savons tous que celui-ci est un Mouvement, qui doit, comme tel, se transformer ou périr. Ces transformations sont tantôt lentes, perceptibles aux seuls initiés, tantôt soudaines et brutales. L'institution des " Raiders " appartient à cette seconde catégorie. Aussi, aujourd'hui encore, à l'intérieur même du Mouvement, la plupart des garçons ignorent-ils presque tout des Raiders. Les Règlements de l'Association ne peuvent d'ailleurs leur en offrir qu'une image incomplète, parce que théorique et sans vie. Rares sont ceux qui ont eu le privilège de rencontrer ces scouts au béret vert, de contempler l'insigne - de métal qu'ils portent sur la poitrine.

Issues de la première série, numérotées au verso et frappées à environ 500 exemplaires.

 

Plus rares encore sont ceux qui connaissent en même temps que les nouvelles activités de ces garçons, l'esprit dans lequel ils les pratiquent. Il n'est évidemment pas question d'entreprendre ici une étude des répercussions probables de l'institution des Raiders sur le développement du Scoutisme, mais celles-ci seront certainement considérables. C’est la raison pour laquelle  il n’est pas indifférent que le premier paraisse aux Editions ALSATIA, à condition bien entendu, qu'il soit choisi avec un soin tout particulier. Il y a quelques années, le Quartier Général des Scouts de France s'était ému de voir les garçons choisir leurs modèles, non point dans les ouvrages officiels, mais parmi les héros de la Collection SIGNE DE PISTE. Le premier Raider qui leur sera proposé en exemple, consacrera donc pour longtemps à leurs yeux, un nouveau type de scout, susceptible de faire pâlir tous ses devanciers. Il ne s'agit cependant point d'une révolution, d'un bouleversement des valeurs, d'un remplacement pur et simple. Il s'agit essentiellement d'une amélioration de la qualité profonde du scout, d'un retour au vieux principe du service dur et viril, qui avait fait la première fortune du Scoutisme. Ce n'est pas un inconnu qui entre en scène, c'est le scout de toujours, mais les yeux ouverts sur un siècle qu'il est temps de prendre au sérieux.

Il n'y a ni coupure ni rupture, il y a rajeunissement, retour à ce but essentiel du Scoutisme, le service, qui, depuis bien longtemps paraissait avoir été perdu de vue. Parallèlement, sur le plan de la vie intérieure, les valeurs spirituelles les plus classiques reprennent le pas sur cette espèce d'intellectualisme qui a placé le Mouvement en état de moindre résistance au cours des dernières années.

Il serait donc désastreux que le premier roman Raider déformât si peu que ce fut, l'image du vrai Scout I950. Si notre âge et notre expérience nous permettent de faire le point et de jeter les ponts nécessaires, si nous savons que ERIC et CHRISTIAN, tels qu'ils apparaissent dans LA MORT D'ERIC, sont bel et bien des Raiders avant la lettre, le jeune lecteur, lui, ne s'en doute pas, et mettra, si l'on n'y prend garde, longtemps à s'en apercevoir.

C'est pourquoi nous tenons à dire sans réticence aucune, le bien que nous pensons de l'œuvre de M. Pierre LABAT, parce qu'elle répond à toutes les exigences formulées plus haut, et constitue en même temps un roman d'une rare qualité. L'esprit Raider imprègne chacune de ses pages, mais la densité de l'action, la sobriété du style, et la puissance d'évocation de l'auteur, font de cette histoire l'une des plus attachantes qui soit. Elle pourrait à la rigueur être éditée telle que, sans modifications, ni changements, – et les améliorations que nous proposerons dans un instant, pour souhaitables qu'elles nous paraissent, n’affecteront guère que la forme, et relèveront presque toujours du strict domaine littéraire.

Ci-dessus : Les jeunes Raiders de la troupe de Pierre Labat – la 3ème Tarbes / 13ème Raider.

 

2 – THEME DE L'OUVRAGE.

Etienne a 16 ans. Il vit en occupation à Berlin, avec son père, officier d'active. Son seul ami est Lucien, garçon dont la valeur morale semble se situer largement au-dessous du médiocre. Etienne se cherche, partagé entre les plaisirs trop faciles et le désir de ne pas être inutile. Il a été scout – mais l'étincelle n'a pas jailli. Et il se débat contre ses scrupules et sa solitude. Son père part en mission pour la France. Il utilise le Pont Aérien. C'est l'hiver, le trajet s'annonce comme particulièrement difficile...

... En zone française d'occupation, le Chef d'une Troupe Raider est prié de participer avec ses scouts aux recherches d'un avion qui s'est vraisemblablement abattu en pleine forêt, dans un lieu particulièrement difficile d'accès. Etienne se présente au moment où les garçons attendent le camion militaire qui les conduira à pied d'œuvre : son père était à bord de l'avion et il veut participer aux recherches. Il arrive de BERLIN, il a été repoussé par tout le monde, car personne parmi les officiels n'a voulu prendre la responsabilité de l'emmener. A son tour le Chef va refuser de s'en encombrer, mais il cède à la prière de Jacques, chef de Patrouille Raider qui le prend dans son équipage. Commence alors le récit des recherches, à travers les arbres, la montagne et la neige, le froid terrible et la terre hostile. Jacques révèle Etienne à lui-même... Mais l'avion n'est pas découvert, et le Chef abandonnant la partie, veut rentrer à sa base.

Pris d'une sorte de pressentiment, persuadé de la présence de l'avion dans un creux demeuré inexploré, Jacques tente vainement, d'obtenir du Chef que l'on s’y rende. Celui-ci ne veut pas exposer plus longtemps ses garçons à bout de forces. Mais la nuit précédant leur départ, Jacques qui ne peut dormir, cède à un appel irrésistible, va seul vers l’endroit où il est sûr de retrouver l'avion, et le découvre. Tous les occupants sont morts. Au moment de regagner le cantonnement, il s'aperçoit avec épouvante qu'il s'est trompé d’appareil et a emporté  un sitomètre à la place d’une la boussole. Il ne peut rejoindre les autres, car la neige tombe et a recouvert ses traces.

... On le découvrira à l'aube – déjà glacé. Et le père d'Etienne n'était pas dans cet avion, mais dans le suivant...

Jacques a tenu la promesse faite à Etienne le premier jour : celle de rechercher son père jusqu'au bout, de ne rien négliger pour cela. Et il le lui a peut-être rendu " car Dieu se rit des dates, du temps et de la logique des hommes ". Il a en tous cas rendu à son père un autre Etienne, un Etienne qui part en emportant l'insigne de Jacques, avec son béret vert aux deux rubans noirs.

 


 

3 – DISCUSSION DU THEME. REACTIONS PROBABLES DES JEUNES LECTEURS.

Nous écrivions plus haut que cette œuvre  pourrait à la rigueur être éditée telle que sans modifications ni retouches. C'est qu'il ne s'y trouve pour ainsi dire, aucune fausse note. L'auteur s'est attaqué à tous les problèmes essentiels et les a résolus avec un égal bonheur. Ses Raiders ne sont pas des êtres exceptionnels, préservés du péché et choisis avec un soin particulier. Ils ne sont devenus de vrais scouts que par leurs efforts constants, soutenus par la grâce de Dieu et une vie religieuse intense. Le Scoutisme n'est pas un monde hermétique, à l'entrée duquel on a dépouillé le vieil homme une fois pour toutes, une sorte de Paradis préservé du péché originel – mais un navire qui peine et lutte dans la tempête. Les problèmes du bien et du mal, du courage et de la peur, du sacrifice et de l'abandon, y revêtent la même importance qu'ailleurs, plus grande peut-être, et si le sacrifice l'emporte, c'est parce qu'il est le dernier maillon d'une chaîne péniblement forgée au long des jours. Mais l'auteur n'enrobe point ce don de soi dans une exaltation trompeuse. Il ne pare point la mort de ces couleurs suaves, dont a tant abusé la littérature dite pour la jeunesse. Point de mirages, ni de miroirs aux alouettes. Le simple combat contre la vie et contre soi-même, le simple combat que chacun doit livrer, qu'il soit baptisé ou non, scout ou non, raider ou non.

 

Le Scoutisme n'est pas la panacée universelle, la méthode d'éducation idéale à l'usage de tous les adolescents – il n'est qu'un des moyens de livrer ce combat avec quelques chances supplémentaires d'en sortir victorieux, – mais il ne saurait épargner les larmes, les souffrances, les chutes, et parfois la mort, toujours redoutable et haïssable.   

Ce qui donne peut-être sa plus grande force à l'ouvrage, ce qui lui confère un rare caractère d'authenticité, c'est sa simplicité. Tout y est net, limpide, sans reculs et sans détours. C'est un langage dépouillé, en parfaite harmonie avec le récit et la vie difficile qui s'offre aux garçons d'aujourd'hui.

Aussi sommes-nous certains de l'accueil enthousiaste qui sera fait à l'ouvrage. Il y aura toujours une catégorie d'éducateurs et de parents (nous n'osons parler des jeunes eux-mêmes) qui préférera la faiblesse à la force, la lâcheté au courage, l'abandon au sacrifice. Nous n'y pouvons absolument rien, et si nous voulons donner à la génération montante quelques chances de vivre, il faut en même temps leur en procurer les moyens. RAIDER-SCOUT ne doit pas être réservés aux ainés, mais mis entre toutes les mains dès la quatorzième année. Nous avons par ailleurs le devoir d'insister pour que ce manuscrit ne séjourne pas plusieurs mois dans un coffre " en attendant son tour ", mais soit immédiatement publié de façon à être très largement diffusé, sinon pour la rentrée, du moins pour Noël : on ne prive pas les gens de pain, sous prétexte que le menu, déjà fixé n'en comporte point.

4 – AMELIORATIONS SOUHAITABLES.

Avant de les aborder plus en détail, nous tenons à donner notre avis sur la question de l'illustration de l'ouvrage. M. Pierre LABAT a proposé, nous dit-on des photographies de sa propre troupe, photographies qui offriraient l'avantage de renforcer encore l'authenticité du récit.

Ci-dessus :

Clichés issus des archives personnelles de Pierre Labat. Ces instantanés furent réalisés afin de relater visuellement dans son ouvrage les différentes activités de sa troupe.

 

Nous déconseillons absolument ce procédé. D'abord parce que ce serait un précédent fâcheux pour la Collection, ensuite et surtout parce que a photo inanimée, donne une impression de documentaire et parle bien moins que le dessin à l'imagination. Or les illustrations de cet ouvrage doivent être tantôt techniques, tantôt largement évocatrices. C'est pourquoi il nous parait désirable, pour ne pas dire nécessaire, de les confier à M. Pierre JOUBERT, en lui remettant dès que possible un exemplaire du manuscrit.

En ce qui concerne le titre, il est pensons-nous provisoire, car trop technique ou documentaire. Nous proposerions pour notre part, à titre d'exemple bien entendu, " LES RUBANS NOIRS ".

NB : Pierre Labat fournira, à Pierre Joubert nombres de clichés représentant les jeunes membres de sa troupe de Raiders. Et le graphiste va s’en inspirer pour réaliser les illustrations de cet ouvrage devenu « Deux Rubans Noirs ». Ainsi le dessin qui orne la couverture de ce récit fut exécuté à partir d’une photographie, vraisemblablement prise par Georges Ferney, représentant un certain Claude Detroux, nous confiera son neveu Jacques Verdier, qui lui aussi est un ancien de la troupe de Pierre Labat. L’ouvrage de ce dernier sortira en librairie au printemps 1951. Mais dès le début de cette année-là, alors que le roman est encore sous presse, la revue « Scout » va publier en feuilleton, avec l’autorisation des dirigeants d’Alsatia, des extraits du roman, accompagnés de magnifiques illustrations, elles aussi réalisés par Pierre Joubert. (Pour nos amis collectionneurs : Les numéros 256 à 260 inclus).

Quelques illustrations, créées par Pierre Joubert, pour faire vivre la fiction de Pierre Labat.

Couverture de l’édition originale, parue au printemps 1951, sous le n° 44.

 

Ceci dit, nous conseillerons à l'auteur une présentation quelque peu différente, destinée à rétablir un équilibre actuellement assez instable, entre les différentes parties de son œuvre. En bref, nous lui proposons le découpage suivant.

1° - Journal d’Etienne.

2° - Pont-Aérien (Récit).

3° - Lettre de François B…, Chef de Troupe Raider, au père (et peut-être à la mère) de Jacques.

4° - L’expédition de Terre-Neuve (Récit).

5° - Journal d’Etienne.

 

Nous croyons cette formule plus heureuse que celle adoptée par M. Pierre LABAT parce qu'elle hache moins souvent le fil du récit, et donne au lecteur une vue d'ensemble beaucoup plus nette. De même, elle nous parait offrir une plus grande harmonie. 

 

 

1° - Journal d 'Etienne. Il correspondrait à la partie intitulée BERLIN, et aurait l'avantage de ne créer aucune équivoque, puisqu'en fin de compte c'est Etienne qui parle tout au long de ces pages. (Bien entendu la phrase de Valéry s'applique à l'ouvrage tout entier, et pas seulement à cette première partie.)

 

Mais à notre avis, il faudrait raccourcir très sensiblement le texte actuel, qui devrait être débarrassé de tout ce qui n'est pas nécessaire à l'action, de tout ce qui ne contribue pas à poser le problème Etienne. C'est ainsi qu'il conviendrait notamment de supprimer l'épisode du conte d'Andersen, celui des deux sœurs enterrées dans la cave, celui du Conseiller Aulique, celui enfin du découpage de l'arbre à Frohnau qui freinent et n'ajoutent rien. Par ailleurs il est inutile de diviser ce journal en chapitres, de simples dates constituant des points de repère très suffisants.

 

                  - Rudi. L'idée est excellente, mais pourrait être exploitée de façon plus habile. D'abord si Etienne connaît l'âge de ce garçon, il peut difficilement ignorer son nom. Ou bien il doit rapidement tout apprendre de lui, ou bien ne rien oser demander, et dans ce cas, ne connaître son âge et son nom véritable qu'après sa mort. Par ailleurs, il est bon que Rudi disparaisse avant toute intervention d'Etienne. Mais nous croyons qu'il faut rendre cet épisode à la fois moins statique et plus dramatique, en montrant Etienne allant jusqu'à sa porte et reculant à la dernière seconde, laissant passer quelques jours et revenant trop tard, par exemple immédiatement avant ou après sa mort. Nous notons pour mémoire le passage où il est indiqué que " le mur est trop mince, entre le 17 et le 19..." (p. 10) ce qui est peut-être peu vraisemblable, puisqu'il s'agit du logement d'un officier supérieur d'Etat-Major. Et nous demandons la surpression du paragraphe "... Il vaut mieux que Rudi soit mort avant Noël..." (p. 36), qui est faible et n'apporte rien de neuf au lecteur.

                 - Belette Rageuse. Ces pages posent tout d'abord une question de principe (pp. 20 et suiv.) Le lecteur ne verra-t-il pas là une opposition voulue entre le Scoutisme tel qu'il est encore pratiqué dans la plupart des Troupes et celui des Raiders ? Ne verra-t-il pas là une attaque ouverte contre la règle d'hier ? Nous ne le croyons pas. C'est en effet à une caricature de Scoutisme, que M. LABAT s'est attaqué, à une déformation d'autant plus dangereuse que ses conséquences ont failli être plus graves. Il lui suffira donc d'ajouter une phrase destinée à éviter toute confusion dans l'esprit du lecteur. Mais nous sommes résolument partisans du maintien de cet épisode, qui perdrait toute sa force et toute sa raison d'être s'il subissait une inopportune édulcoration. Par contre, nous pensons qu'il ne faut pas le raconter en une seule fois. Quitte à allonger le laps de temps dans lequel s'inscrira le journal, l'expérience de la première troupe scoute doit être vécue au présent, comme celle de Rudi. Il s'en dégagera une force beaucoup plus grande – et servi par l'équivoque, Lucien pourra connaitre un triomphe provisoire.

                - Enfin quelques remarques concernant la forme.

(p. 18) Les combattants de 40 avaient-ils vraiment des " gibernes " ? Nous ne nous en souvenons pas. Mais le terme fait archaïque, bizarrement vieillot.

Pourquoi ne pas employer le mot "cartouchières" ?

"... encore à l'âge où d'autres pensent à des chahuts de potache..."

(p. 19) - Attention, ce n'est plus Etienne qui parle, c'est M. Pierre LABAT.

De même le mot "servir" peut-il venir spontanément sous la plume d'Etienne ?  (p. 20)

"... Je n'ai plus de volonté. Elle s'est dissoute dans tout ce brouillard et toute cette neige". (p. 24) C'est une jolie phrase – mais qui semble appartenir davantage à la littérature qu'au journal d'Etienne.

" ... Il me semblait soudain..." (p. 29) Pourquoi parler au passé ?

 

2° - Pont Aérien. Cette partie semble ne devoir subir aucune modification. Peut-être est-il seulement désirable d'appuyer un peu plus sur l'hésitation du Colonel, lorsqu'il s'adresse au chauffeur :

 " Vous direz à mon fils Etienne... non, rien! " (P.42) Il doit alors ébaucher un geste trahissant le sentiment qui l'anime. En d'autres termes, le jeu de scène doit être plus appuyé.

Pierre Labat au premier plan au centre,  assis en tailleur, au milieu des jeunes raiders de sa troupe.

 

3° - Lettre de François B... Chef de Troupe Raider, au père de Jacques.

(Notons entre parenthèse, qu'il est préférable de donner des noms entiers aux personnages, ainsi qu’aux régions traversées. Cela semble moins impersonnel et plus véridique : le lecteur n'aime pas avoir l'impression qu'on lui cache volontairement quelque chose). C’est là que pourraient se situer les modifications les plus importantes. Le texte actuel fait alterner la confession du Chef (nous ne trouvons pas d'autre mot...) et son récit, et comme l'alternance n'est pas régulière, il en résulte un déséquilibre assez fâcheux.

Là n'est d'ailleurs pas l'essentiel. Ce qui est à notre avis plus grave, c'est l'espèce d'infériorité dans laquelle le Chef se trouve ainsi placé. On a un peu l'impression qu'il n'a pas fait tout son devoir, et que si Jacques est mort, c'est en partie de sa faute. Or, cela, il faut l'éviter à tout prix. Non que le Chef Raider soit par définition impeccable et tabou. Mais il faut que celui-ci ayant charge d'âmes, apparaisse dans l'ouvrage comme parfaitement raisonnable, que l'expédition au ravin semble à priori superflue, et surtout inutilement dangereuse : – que le Chef ne s'offre pas de lui-même au jugement des autres ( pp. 54, 55, 140 et suivantes "... J'ai trahi l'âme de la Troupe... Je me suis délibérément trompé...")

Enfin, du strict point de vue littéraire (il ne faut pas perdre de vue que cet ouvrage est un roman), il n'est jamais bon pour l'auteur de monter lui-même sur la scène, et le paraître révéler au lecteur la façon dont le livre a été construit, de lui indiquer les documents dont il s'est servi, les conversations qu’il a entendues, les lettres qu'il a reçues, etc.

... En bref nous nous trouvons devant une relation de l'expédition, interrompue à intervalles plus ou moins réguliers, par les examens de consciences du chroniqueur, qui se défend d'être un romancier (p. 108), aurait quand même bien voulu écrire un grand livre sur les Raiders (p. 68), et malgré tout en fait un. Le procédé employé va à l'encontre du but recherché ; au lieu de faire plus " vrai ", on fait plus " fabriqué " moins complet, et moins fort. Il est rarement bon de mélanger les genres. On peut le faire au cinéma, parfois au théâtre, presque jamais en littérature.

Nous proposons donc à M. Pierre LABAT de regrouper dans une lettre adressée par le Chef au père de Jacques, ce que nous nous permettrons d'intituler " la partie pensée de l'expédition ", c'est-à-dire en gros, les commentaires du chroniqueur. Evidemment, la lettre devrait être composée, dosée avec un soin minutieux, car ce serait le morceau capital de l'œuvre également destiné à éclairer peu à peu la suite du récit, sans que la mort de Jacques pressentie, mais non confirmée, soit un fait acquis. Elle présenterait toutefois le double avantage de former un tout cohérent, et, se trouvant adressée à une personne dénommée, d'enclave la pensée du Chef dans un cadre précis, sans la faire déborder sur le lecteur, qui, nous le répétons, doit être spectateur, témoin, mais non participant. Nous précisons bien qu'il n'est pas question de supprimer quoi que ce soit, mais seulement de regrouper autrement ce qui existe déjà.

4° - L'Expédition Terre-Neuve. Cette lettre aux parents de Jacques permettrait un récit ininterrompu, à la fois plus rapide et plus dense, sans aucune de ces failles, de ces " trous " volontaires ou non, qu’évoque le chroniqueur. Par ailleurs, si le Journal d'Etienne nous paraissait trop long, le récit de l'Expédition Terre-Neuve nous semble manifestement trop court. Il faut l'allonger croyons nous, dans deux directions. D'abord le récit de l'expédition elle-même devrait être plus long, plus fertile en péripéties ou incidents courants et contre-courants. On pourrait même penser, à un moment donné, que l'avion a été ou va être incessamment retrouvé...

Ensuite (et surtout), la fin de Jacques est beaucoup trop brève. Il faut que le garçon se défende contre la mort. Il faut qu'il la sache à peu près inexorable, mais qu'il accomplisse son devoir jusqu'au bout, c'est-à-dire qu'il lutte jusqu'à complet épuisement – parce qu'il a le devoir de tout faire, de tout tenter, pour conserver sa propre vie. Il n'est bien entendu pas question de pincer davantage la corde sensible, seulement d'ajouter deux ou trois pages, sobres, dépouillées, et à peu près uniquement descriptives, le combat du Raider contre les éléments.

Sur un autre plan, la séparation de la lettre et du récit, permettraient d'aérer un peu plus celui-ci, en détendant une ou deux fois l'atmosphère par un sourire, une note amusante ou une légère touche de poésie : même en haute montagne, les alpinistes s'arrêtent pour reprendre haleine.

De plus, il y aurait lieu de donner quelques indications supplémentaires sur la nature du quadrilatère confié aux scouts : on se le représente assez mal, et il importe que le lecteur ait une idée aussi exacte que possible de la configuration du terrain.

Enfin quelques remarques concernant la forme.

Les jeunes Raiders de la troupe de Pierre Labat lors d’un camp.

"... Quand, à défaut du grand livre sur les Scouts Raiders, que j'avais rêvé d'écrire..." (p. 54) – Non et non. C'est un procédé de débutant. Voir ci-dessus.

Il faut expliquer beaucoup plus longuement et complètement ce qu'est " l’équipage " par rapport à la " patrouille " (pp. 59 et suiv. 96 et suiv.)

L'échange de vues entre le Chef et son Assistant, avant leur combat de judo, gagnerait à être plus simple, plus scout, soins ésotériques. On a tout à coup l'impression de tomber dans un autre monde (pp. 66, 67) – et il serait peut-être (nous disons peut-être) préférable de supprimer la phrase concernant la sabre japonais (p. 7l), car il en naît une impression étrange, pénible même, pour le non initié. ("... le Japonais, ce Boche de l'Asie..." disait un professeur d'histoire. Et le mot de " nazi " aurait fâcheusement tendance à revenir sur certaines lèvres).

La tragédie d'Arnhem... (p. 119). –  II faudrait expliquer en note, pour les plus jeunes et ceux qui ont la mémoire trop courte, en quoi elle a consisté.

5° - Journal d'Etienne. Cette dernière partie nous parait très désirable, tant pour l'équilibre du livre qui s'achèverait comme il a commencé, que pour l'étude du caractère d’Etienne. Elle serait très brève et comporterait deux ou trois pages, pas davantage, évidemment aussi sobres que possible, mais qui régleraient le problème Lucien. Il n'est pas nécessaire que Lucien se convertisse, mais il faut, pensons-nous qu’Etienne se dise : " Ce que Jacques a fait pour moi, j’essayerai de le rendre à d'autres. Maintenant, c'est moi qui porte Lucien..." Car Lucien a une âme et ne doit pas être abandonné. Dans un roman scout, un personnage ne peut pas être seulement une occasion de péchés.

5 – CONCLUSION.

Nous avons cru devoir faire une analyse très complète du manuscrit  de M. Pierre LABAT, en raison de sa qualité et du profond retentissement auquel il est appelé. Nous nous mettons à sa disposition pour lui fournir de vive voix ou par écrit toutes précisions complémentaires, – et répétons notre souhait de voir paraîtra cet ouvrage aussi vite que possible. »

Serge DALENS – Le 20 août 1950.

 

 

NB : Suite à l’analyse du manuscrit faite par Serge Dalens, celui-ci en rédigera également son résumé qui depuis des décennies figure sur les pages de rabat de la jaquette de « Deux Rubans Noirs ». Quant au titre initial qu’avait donné Pierre Labat à son roman. « Raider-Scout » il sera lui aussi repris quelques années plus tard par Michel Menu pour son célèbre manuel publié mi-1955. 

 

III - « Deux Rubans Noirs » au fils du temps…

A la fin de l’année 1961 l’ouvrage de Pierre Labat « Deux rubans Noirs » est réédité dans la collection Signe de Piste. A cette occasion  Pierre Joubert, réalise une gouache pour cette nouvelle jaquette dite « tournante ».

Jaquette tournante réalisée par Pierre Joubert  pour la réédition de 1961 dans la collection « Signe de Piste ».

 

Toutefois il faudra attendre pratiquement un demi-siècle pour voir ce roman sortir de l’ombre et reprendre une nouvelle fois le chemin des librairies. En effet, c’est en 2000 qu’Alain Gout, à l’époque éditeur, remettra à son catalogue cet ouvrage, qui reparaîtra sous sa forme initiale, tel qui fut édité en 1951. Une seule modification sera toutefois apportée en page de garde lors de cette réédition, car pour agrémenter cette nouvelle parution  Jean-Louis Foncine rédigera un court texte d’introduction
 
 

 

Réédité en 2000 par Alain Gout, dans la collection « Coureurs d’Aventure » sous le n° 8

 

Mais le titre « Deux Rubans Noirs » résonne également dans l’esprit de certains avec littérature de jeunesse. En effet, le titre du roman de Pierre Labat, va donner naissance au Signe de Piste, à une nouvelle collection d’ouvrages destinés aux ainés.

La collection « Rubans Noirs » créée par Dalens et Foncine en 1957, recèle à son catalogue pratiquement une soixantaine de titres publiés dont quelques chef-d'œuvre qui ont fait la gloire de la collection  Rubans Noirs  et  Signe de Piste tels que Manfred, Les enfants de Budapest, l’Outsider, Minh de la rivière Thaï, Le Chant des Abîmes ou l’Etoile de pourpre pour n’en citer que quelques-uns.

 

 

Ci-dessus :

Logo dessiné par Pierre Joubert pour la collection « Rubans Noirs ».

 

 

 IV - Les activités des jeunes Raiders de la troupe de Pierre Labat…

 

1 - Pierre Labat raconte pour « Scout » les premières activités subaquatiques de sa troupe.

I — COMMENT CONSTRUIRE UN CANOT PNEUMATIQUE ?

Le canot est monoplace. Il a, par rapport aux canots en vente dans le commerce, l'avantage d'un prix  de revient modique (de 500 à 1.000 francs) et d'une solidité à toute épreuve. Ce canot est cependant  assez lourd, difficile à transporter, et surtout d’un maniement délicat, particulièrement en raid de nuit (ancre flottante nécessaire pour gouverner correctement, chavirage menaçant en raison du centre de gravité placé très haut).

En résumé, engin à ne pas mettre n’importe où, entre les mains de n’importe qui, mais, pour le Raider, engin rêvé pour l’opération de nuit sur rivière inconnue où l’on risque de talonner, un fragile canot de 8.000 francs ne pouvant évidemment pas être risqué dans une telle opération.

A)     Construction du canot proprement dit.

a)      Prendre une grosse chambre à air de camion (très usagée, cela n’a pas d’importance), l’ovaliser en l’introduisant dans un collier de large et forte toile  (assez large pour ne pas « étrangler » la chambre à air en pinçant le caoutchouc. (fig. 1)

 

b)      Prendre une toile de tente américaine (ou un morceau de bâche). Rabattre deux des angles vers le centre et former, par des coutures successives, une sorte de poche occupant un peu plus de la moitié de la longueur de la toile de tente. Introduire dans cette poche un des bouts de la chambre à air ovalisée (le collier de toile est alors situé entre la chambre à air et la limite de la poche). La partie empochée constitue l’arrière du canot. Pour l’avant, rabattre la toile en la plissant judicieusement. L’ensemble sera maintenu en place par des anneaux cousus à la toile de bâche, aux endroits des plis, anneaux dans lesquels passera un petit filin, ou mieux un élastique dont les deux bouts seront attachés l’un à l’autre par un mousqueton (démontage facile quand l’ensemble est mouillé). Un banc de bois sera fixé au milieu du canot (au niveau du collier de toile, à la limite de la poche constituée par la partie cousue de la bâche). L’ensemble est ainsi rapidement montable  et démontable.

 

Figure n° 1 : schéma de construction d’une chambre ovalisée.

                   Figure n°2 : schéma de la réalisation d’un canot et son ancre.

 

 

B)      Aménagements supplémentaires.

On à intérêt, quand le pilote est un « poids lourd », à glisser à l’intérieur de la première chambre une deuxième chambre à air plus petite (chambre auto).Théoriquement, cela n’augmente pas le volume immergé, et par conséquent la flottabilité n’est pas modifiée. Mais la flottabilité au début d’un raid est une chose, et la flottabilité à la fin d’un raid (quand vous aurez chaviré cinq ou six fois) est une chose très différente. En fin de raid, quand le canot est plein, cette deuxième bouée intérieure, alors immergée, est d’un grand secours.

D’autre part, quand la profondeur est suffisante, un deuxième montage est possible. La petite chambre à air est alors montée, non plus exactement à l’intérieur de la grande, mais au-dessus, l’ensemble étant « empoché » comme précédemment.

Le volume flottant est alors, dès le départ, plus important.

 

C)      Equipement.

a)      Une ancre flottante (sorte de petit parachute maintenu par un fil de fer galvanisé en position d’ouverture, et suspendu au bout de 1m.50 de bon filin). Le tout accroché à l’arrière.

b)      Des coffres étanches métalliques, placés sous le siège, assez grands pour contenir un jeu complet de vêtements de rechange. En plus des vêtements, allumettes, boussole, papier, crayon, etc…

En cas de raid de nuit prolongé, il est recommandé d’enduire son corps de graisse (graisse animale ou végétale, pas de graisse minérale). C’est très efficace contre le froid. Pour l’éclairage, le mieux est de prendre un boitier étanche en caoutchouc embouti. L’extrémité, formant ventouse, peut-être fixée sur le fond. (En vente à la « Hutte » : 120 fr.) Ne Jamais lancer un canot seul en raid de nuit, mais toujours par équipages de deux ou trois.

2 — COMMENT CONSTRUIRE UN SCAPHANDRE

Figure n° 3 : schéma de la construction d’un scaphandre.

La première idée de celui qui veut construire un scaphandre pour explorer les fonds marins est de relier son masque à l’air libre par un tuyau de caoutchouc dont l’extrémité est maintenue en surface par un gros flotteur. Un tel système n’est malheureusement pas praticable au-delà d’une très faible profondeur. En effet, il correspondrait à faire respirer par le plongeur de l’air à la pression atmosphérique, alors que sur le masque et sur les poumons s’exerce une pression égale à la pression atmosphérique augmentée de la pression correspondant à la hauteur d’eau qui sépare le plongeur de la surface. D’où un déséquilibre de pression qui provoque les conséquences suivantes : le masque se plaque sur le visage, la différence de pression étrangle le tuyau et comprime les poumons en position d’expiration. Est-ce à dire qu’il faille renoncer à construire un engin ne comportant ni bouteille d’oxygène, ni régénérateur d’air par potasse, ni aucun des dispositifs spéciaux et complexes employés à bord des appareils de la marine ? Pas du tout. Le scaphandre que nous vous proposons est à la portée de toutes les patrouilles. Il vous permettra de faire tranquillement et sans vous presser les brelages sous-marins de vos ponts et de vos plongeoirs. Ce scaphandre se compose essentiellement d’un masque (un masque à gaz en caoutchouc fera très bien l’affaire), d’une bouillotte de caoutchouc telle que vous en trouverez dans toutes les pharmacies, de quelques mètres de tuyau d’arrosage petit format, et d’une bonne pompe à main d’auto (une pompe de vélo a un débit insuffisant). Maintenant, regardez le plan : Deux tubes métalliques creux sont fixés à la bouillotte au moyen de contre écrous. Pour fixer les écrous intérieurs, il est d’ailleurs nécessaire de découper le haut de la bouillote et de le recoller ensuite. Au moyen de ces deux tubes, sur lesquels viennent se brancher des tuyaux caoutchoutés souples, vous reliez la bouillote, que nous appellerons maintenant « soufflet respiratoire », d’une part à la pompe d’eau (tuyau de 3 ou 4 mètres), d’autre part au masque (tuyau de 30 cm).

Ci-dessus :

Pierre Labat et la pompe à air.

Aucune soupape n’est interposée sur le tuyau masque-soufflet. Une soupape est interposée sur le tuyau pompe-soufflet, soupape permettant, bien entendu, l’arrivée de l’air dans le soufflet et interdisant au contraire la remontée de l’air du soufflet dans la pompe. Dans le montage que nous avons adopté, et qui nous donne pleine satisfaction, le tuyau venant de la pompe vient se visser sur le soufflet par l’intermédiaire d’un joint de masque. Nous nous sommes donc contentés de laisser la soupape de masque qui existait déjà en cet endroit. La soupape d’évacuation du masque est soigneusement bloquée. Ceci est très important. En effet, si l’air, une fois respiré, était immédiatement renvoyé dans l’eau ambiante, la pompe d’auto ne débiterait jamais suffisamment pour alimenter la respiration. Heureusement, il ne faut pas s’imaginer que l’air, une fois respiré, est irrespirable. Quoique moins riche en oxygène et légèrement chargé en gaz carbonique, cet air peut encore très bien resservir. Ici, la soupape d’évacuation du masque étant bloquée et le circuit masque-soufflet étant, comme nous l’avons mentionné plus haut, libre de toute soupape, l’air, une fois respiré, revient dans le soufflet respiratoire, où il est seulement brassé et mélangé à une certaine quantité d’air frais qui, propulsé par la pompe, vient d’arriver par l’autre tuyau. La pompe « aère » ainsi le soufflet respiratoire, qui se gonfle et se dégonfle automatiquement, le surplus de l’air s’en allant par les bords du masque quand la pression intérieure du soufflet devient trop forte. 

 

Ci-dessus :

Le coin de la patrouille des Chamois à Tarbes. Au mur, un canot pneumatique, une bouée et des masques sous-marins. Les deux scouts présentent leur scaphandre à pompe et soufflet respiratoire.

Avec un engin de ce genre, les inconvénients que nous avons signalés plus haut, quant à la différence des pressions n’existent pas. Le plongeur, en effet, respire l’air du soufflet. Cet air est très sensiblement à la pression de l’eau (puisque le soufflet est souple). Le Plongeur respire donc sans aucune difficulté de l’air à la même pression que celle qui s’exerce sur ses poumons. Naturellement, des semelles de plomb sont nécessaires, car le soufflet fait bouée et tend à ramener le plongeur à la surface. (De toute façon, ces semelles doivent être étudiées pour pouvoir être larguées immédiatement en cas « d’incident technique ».) 

 

Pierre LABAT – pour « Scout » juin 1950

 

 

 
 

NB : Dans le courrier ci-dessus datant de février 1951, adressé à Georges Ferney, on découvre sous la plume de Pierre Labat l’existence d’un documentaire sur les Scouts-Raider réalisé par Ferney durant l’été 1950, avec pour acteurs les jeunes membres de la troupe Tarbaise de Pierre Labat. Précisons que ce genre de créations cinématographiques, étaient alors destinées à la location, lors de fêtes de groupes. On remarque également dans cette lettre, que Pierre Labat questionne son ami Georges, au sujet d’un matériel permettant des prises de vues sous-marine.

2 – En 1952 la presse locale relate les activités de la troupe de Pierre Labat…

UN AVOCAT DE TARBES A LA TETE DES 20 SCOUTS AUX BERETS VERT DE LA TROUPE JEANNE D’ARC

apprend le judo, les gymkhanas à moto… et va chercher en Méditerranée des épaves sous 40 mètres de fond

Entre ses délibérations au Palais de Justice et ses innombrables activités extra-professionnelles. Maître Pierre Labat, s’il n’est pas député, est pourtant l’avocat de Tarbes le plus occupé : nous sommes prêts à le parier.

Rencontrez-le dans la rue : plutôt qu'un homme de Loi, on le prendrait volontiers pour quelque jeune athlète, en pleine réalisation. Regard éveillé dans une physionomie étrangement sereine, allure discrète mais dégagée.

Jamais ses soucis professionnels — et Dieu sait s'il les prend à cœur ! — n'ont pu altérer ce perpétuel optimisme, cette singulière confiance en la vie qu'il vous communique d'un seul de ses regards. C'est bon d’avoir un avocat aussi sûr et tranquille lorsque quelques ennuis vous amène à réclamer son appui...

...C'est également bon, disent ses garçons, de pouvoir compter dans la vie sur un chef aussi généreux.

Ses garçons ? Oui, malgré son jeune âge, il en a une vingtaine, figurez-vous !

Ils sont vingt fils spirituels qu'il a adoptés et qui l'ont adopté, cela dans le giron de La 3e Troupe des Scouts de France de Tarbes.

Aigles et Chamois 15 mètres sous l’eau !

… Ce n'est pas une troupe comme les autres, il faut dire. C'est une troupe RAIDER profondément spécialisée. Profondément ? C'est bien le cas, comme vous allez voir...

Troupe RAIDER, cela ne vous dira probablement pas grand-chose... et cela d'autant plus que de l'avis de Me Labat on n'a surtout dit et écrit là-dessus que d'énormes bêtises, il faut donc expliquer que les troupes de cette appartenance sont d'ailleurs de formation relativement récente. Elles sont spécialisées dans des activités physiques et sportives qui sortent carrément de l'ordinaire et qui ne sont précisément pas le fait de garçons timides ou chétifs : moto, judo, et le reste dans le même goût.

 

L’instant enivrant

Cette scène a été photographiée cet été près de Banyuls où la troupe de Tarbes resta huit jours en compagnie d’un clan E. D. F. (Eclaireurs de France). Le chef LABAT va plonger muni du seul appareil de la troupe. Il prend garde à ne pas glisser, avec ses longues palmes sur la rocaille du bord. Derrière lui, un scout de Baden déroule le long et précieux tuyau qui amène l’air jusqu’à quinze mètres de profondeurs.

On en compte une cinquantaine en France, mais il n'exista qu'une seule troupe RAIDER dans toute la région : c'est la Troupe « Jeanne d'Arc » de Tarbes, et c'est Pierre Labat qui la fonda, voici bientôt deux ans.

A vrai dire, il ne l'a pas fondée.  Il a plutôt transformé la 3e Tarbes de l'époque et l'a spécialisée comme l'on sait. Précisons en passant qu'il ne reste plus que deux troupes de Scouts de France à Tarbes. La première est une troupe normale, comme l'avait strictement définie le regretté « B. P. ». La seconde est cette fameuse troupe Raider, version hypertrophiés du scoutisme, si l'on peut dire, mais qui n'entame en rien l'idéal de générosité et de dévouement de règle chez tous les Scouts du monde.

Celle-ci compte à l'heure actuelle une vingtaine de jeunes tarbais répartis en trois patrouilles : Aigles, Chamois et Ecureuils. Mais alors que les Ecureuils limitent leur activité à la technique Raider proprement dite (moto, judo, etc...), les Aigles et les Chamois, eux, ont trouvé une spécialité dans la spécialité comme il existe parfois un Etat dans l'Etat. Ils se sont lancés dans les recherches sous-marines. Et cela, contrairement à ce que leur nom laisse à supposer. Car enfin, des Aigles à longues plumes et des Chamois aux sabots légers... nager sous l'eau, comme ça !...

 

Sous l'eau comme sur des roulettes

Au début, cela n'alla pas tout seul. On n'a pas idée de bouleverser de la sorte la vie d'un garçon de 15 ans ! Pensez, le pauvre petit, avec des palmes aux pieds et de l'oxygène par un tuyau, lui qui s'enrhume si facilement ! Aussi bien toutes les mamans sont-elles les mêmes : on parvient toujours à les convaincre.

Mais il va de soi que le consentement de la maman ne suffit pas. Un sérieux examen médical est d'abord à subir, l'accoutumance au sévère entraînement est ensuite à acquérir. Et la sélection s'opère ainsi tout naturellement, entre Ecureuils, Aigles et Chamois.

Toutes ces précautions prises, il en résulte que depuis deux ans que la troupe fonctionne, on ne se souvient pas d'avoir enregistré le moindre drame, et cela malgré les débuts assez héroïques dont nous parlerons tout à l'heure. A ces débuts, d'ailleurs, on enregistra quelques « décrochages » d'anciens de la classique 3e Tarbes, décrochages vite compensés par des recrues nouvelles venues de Tarbes comme des environs.

A Tarbes même, le recrutement s'effectue d'une manière très large, sans vaine distinction : les garçons viennent indistinctement du Lycée, de l'Ecole Professionnelle ou de Jeanne d'Arc. Les réunions sont bi hebdomadaires et se tiennent dans un local de l'Ecole Jeanne d'Arc. On s'y rend souvent en uniforme, lequel se singularise au sein de la gent scoute par Ie béret, de couleur verte. Vert d'eau, naturellement...

Une bonne partie de ces réunions — où ne sont pas oubliées les pratiques intrinsèques du scoutisme — est consacrée à l'entraînement général. Rien de mieux pour éduquer les réflexes du « boy » et de l'apprenti-nageur qu'une bonne séance de judo ou un gymkhana à motocyclette ! Les judokas de l'U.A.7. ne seraient sûrement pas tranquilles si l'idée venait aux scouts de la troupe Raider de les défier en une quelconque occasion. Et votre serviteur à plus forte raison...

Enfin, il y a l'entraînement nautique, comme on peut s'en douter. En hiver, il s'effectue tous !es quinze jours à la piscine couverte de Bagnères, avec palmes et masque léger. Et lorsque les beaux jours reviennent qui permettent l'entraînement en plein air, on alterne entre le Lac de Lourdes et !a piscine Nelly.

Et c'est ainsi à force d'un entraînement rationnel que ces jeunes garçons arrivent à nager sous l'eau comme sur des roulettes.

Un A. B. C. fort indigeste

 Venons-en à leurs aventures sous-marines, à ces merveilleuses sorties dont le seul souvenir ou la seule perspective rend leur regard vif-argent et leur jeu-sacré plus irréductible. Dieu ! qu'ils  s'en sont dons payés et enivrés, de ces mirifiques et étranges investigations d'où l'en rentre saoul de fatigue et d'une joie si secrète ! Et comme ils comptent bien ne pas en rester là, ces garçons pleins de vie, qui dépensent aussi généreusement leurs forces que leur dévouement aux mille causes quotidiennes !...

Actuellement, ils ont à la troupe un appareil modèle Narguilé  entièrement perfectionné par eux, qui permet de rester 20 minutes sous l'eau à une profondeur de 15 mètres. Mais la version améliorée de ce même appareil leur permettra bientôt de descendre jusqu’à 40 mètres.

Et vous parlez d'une ivresse !

 

Quatre gars de la troupe

La joie de vivre et l’amitié toute simple, on les découvre au bord des mers. N’est-ce pas ce que semble indiquer cette radieuse photo ?... Ces quatre garçons appartiennent à la troupe Jeanne d’Arc de Tarbes. De Gauche à droite : Marc Henry, Maître Labat, Yves Thollot, Philippe de Guillebon. 

 

Surtout lorsqu'on songe à ces premiers débuts où l'on était obligé de graisser et ensuite de nettoyer à l'essence le tuyau qui amenait l'air. Pour un bol d'air. On avait gratuitement droit soit à un cube de saindoux, soit à un dé à coudre d'essence, et pour ça, il faisait diablement en vouloir ! Sans compter qu'on devait obligatoirement descendre la tête en bas et les pieds en haut ; qu'il fallait respecter un certain nombre de paliers pour remonter à la surface, etc... Pour la commodité de l'opération, on vous remercie bien. A l'époque, pourtant, tout le monde voulait sa part d'amusement, tant il est vrai qu'il faut bien avoir quinze ans et un cœur « gros comme ça » pour s'essayer à de telles entreprises.

Maintenant, c'est presque du « gâteau », avec cet appareil Narguilé dont on peut détailler les premières commodités (?) sur la photo.

La Méditerranée et son immensité…

P. LABAT va y plonger de nouveau, mais cette fois, il est muni d’un appareil autonome COMMEINHES (type G.C. 47) amené par le clan E. D. F. C’est le rêve des Scouts de Tarbes, que de posséder bientôt un appareil analogue, qui fournit l’oxygène lui-même et supprime le tuyau encombrant !

Et que sera-ce lorsque  à !a fin de l'hiver (que l'on consacre à la construction), on pourra descendre à 40 mètres sans autre inconvénient, armé de surcroît d'une boîte photo, d'une combinaison étanche contre le froid, d'un projecteur étanche pour la plongée de nuit, etc... Tous projets à réaliser avant l'été prochain ?

Avec tout ça, on vous le dit cher lecteur, il sera aussi facile d’aller cueillir des pâquerettes à 40 mètres sous l'eau que de lire le compte-rendu de l'opération effondré dans un hamac.

Seulement, comme dirait Bourvil, le lire c'est bien, le faire c'est mieux.

Huit jours à Banyuls

L'été dernier, la Troupe Jeanne d'Arc de Tarbes a fait un beau voyage. Elle a passé huit jours du côté de Banyuls. « — Pour nous, affirment volontiers les scouts tarbais, rien ne vaut la Méditerranée ! ».

Comme on les comprend, n'est-ce pas ? A Banyuls, ils se sont joints à un clan E. D. F. (Eclaireurs de France), comme eux spécialisé, mais qui était équipé d'un magnifique appareil autonome Commeinhes qui les aurait fait verdir de jalousie si les aimables éclaireurs ne leur en avait point fait profiter.

Avec cet appareil moderne et qui produit l'oxygène lui-même sans besoin de l'interminable tuyau (Cf. photo), les scouts Tarbais s'en sont donnés à cœur  joie. Pour la première fois, le jeune Marc Henry a pu descendre à 25 mètres, un autre garçon de 16 ans à 23 mètres. Et il faut savoir ce que cette découverte peut vous procurer de satisfaction...

Le coin a plu. On y reviendra. L'été prochain.

Cette fois-ci, muni du grand matériel que l’on sait, on ira au large de Marseille ou de Toulon établir un camp merveilleux. Et l’on pourra mettre à réalisation le grand projet qui tient tant au cœur des garçons : la passionnante prospection des veilles épaves de la Méditerranée !

Voilà pour ceux, car il en existe encore, qui ont tendance à considérer les scouts comme des gringalets que l’on a retirés de force des jupes de maman. Ils sont en tous les cas une vingtaine à Tarbes qui se sont chargés de prouver tout à fait le contraire. Vous ne trouvez pas ?...

 « L’Eclair des Pyrénées».

NB : On découvre ci-dessus, que Pierre Labat fut lié, par le scoutisme et par sa passion de la plongée sous-marine, aux Eclaireurs de France du clan « Claude Sommer » dirigé par son ami André Galerne.  Figure emblématique du scoutisme et du monde subaquatique. Toutefois ouvrons une petite parenthèse concernant le camp de Banyuls, car un fait, hélas dramatique, n’est pas évoqué ci-dessus. En effet, peu de temps avant, toujours à Banyuls. Il y eu un accident de plongée, qui couta la vie à l’un des jeunes plongeurs de la troupe d’André Galerne. Le malheureux se nommait Alain Justome. Pierre Labat qui le connaissait ne l’oubliera pas, et va lui dédier quelques temps plus tard son récit « Le Merveilleux Royaume ».

Pour en savoir plus :

Sur André Galerne : http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Galerne

Sur le clan Claude Sommer : http://pierregraves.blogspot.fr/2012/01/le-clan-en-photos.html

Sur les circonstances de la disparition du jeune Alain Justome :

http://plongeur-radin.com/fr/histoire-plongeurs-scouts-france/4012-plongeur-alain-justome-clan-claude-sommer.html

Au début de l’été 1952 Pierre Labat et ses compagnons relatent

Pour les jeunes lecteurs du magazine « Scout », leurs plongées sous-marines.

Par-dessous la surface

On n'entre pas directement dans la mer. Entre l'air et l'eau vibre une lame d'acier. Ce que les hommes appellent la surface est aussi un plafond : miroir au-dessus, moire en dessous. Rien ne se déchire au passage. Seules quelques bulles marquent une brève trace et derrière le plongeur la frontière se referme. Mais, le seuil franchi, il convient de se retourner lentement et de lever la tête : cette plaque scintillante, c'est la lisière entre les deux mondes, aussi nette dans celui-ci que dans l'autre. Derrière le miroir, le ciel est fait d'eau.

Cette lumière partout répandue, cette « pure et profonde substance » est-ce bien de l'eau ? Tant de fine clarté ne s'apparente ni à la vague verte et frangée d'écume, ni à cet élément glauque et résistant que le nageur frappe à coups rythmés. Pour le plongeur bien lesté, une fois la surface franchie, toute pesanteur est abolie, toute résistance cède : une mollesse aérienne le porte. Ici, le monde est douceur Du front aux orteils, il n'est pas un point du corps qui ne puisse trouver son repos. Plaisir de s'étendre. Allongement parfait. Souplesse horizontale. Un rêve très lent monte des profondeurs. Muré dans le silence et la solitude, le plongeur commence un monologue intérieur au centre d'une paix inespérée.

Philippe DIOLE – 1952

 

Il est un monde étrange

Enfin le « Sagitta », embarcation du laboratoire Arago, arrive à l'endroit que nous avons repéré la veille. On repêche le flotteur et il est solidement amarré. André m'aide à capeler le lourd moulin, un Cousteau bi-bouteille. La ceinture lestée, deux kilos de plomb, le bathymètre de poignet, les palmes et enfin la lunette...

J'avale l'embout buccal et me laisse glisser le long du bordage. L'air arrive bien, sans difficulté, du détendeur fixé sur les bouteilles chargées à 200 kg. Je lève le pouce en l'air pour signaler que tout va bien à ceux de la surface et je plonge le long du filin qui s'enfonce dans le bleu. Mes oreilles me font mal, je déglutis. Un coup d'œil au bathymètre = 6 mètres ; un craquement soudain dans mes oreilles, la douleur disparaît. La pression plaque la lunette sur mon visage, je souffle dedans avec le nez pour l'équilibrer. Je continue à descendre doucement... 15 mètres. Je me retourne, tout est bleu autour de moi, la surface a disparu. Seul lien avec elle, le filin de l'ancre s'enfonce devant moi. Le fond est invisible, l'air arrive doucement à chacune de mes aspirations, tout va bien. Soudain devant moi apparaît un voile gris. Quelques battements de palmes, le fond surgit. Une plaine de zootères ondule comme une chevelure à mon passage.

Une vague de froid me saisit. Quelques poissons défilent : des castagnoles avec leur queue noire et des saupes stupides qui broutent des algues vertes ; elles ne se détournent même pas à mon approche. Une vallée au fond sablonneux, tapissée de gorgones aux grands éventails- mauves (en séchant, ils deviendront blancs), s'ouvre devant moi.

 

25 mètres. Léger, affranchi de toute pesanteur, je « vole » au milieu de ce décor de rêve, cueillant au passage les plus belles des gorgones... Des holothuries, gros boudins visqueux, se traînent sur le fond de sable, des boules d'algues verdâtres, ressemblant à des éponges, gisent dans des creux de rochers et de grandes étoiles de mer vertes ou rouges sont collées sur des rochers ; des girelles serpentent aux milieux des gorgones, chatoyantes avec leur belle couleur bleue, mais le rouge de leur corps s'est déjà terni.

Mais l'air soudain se raréfie, mes bouteilles sont vides; j'ouvre le robinet de réserve, placé à gauche, à bonne portée de la main ; aussitôt la respiration redevient facile, mais il faut remonter. A regret, chargé d'une moisson de fleurs vivantes, je retourne vers la surface.

De nouveau le grand vide bleu tout autour de moi; les bulles qui montent en cascades scintillantes. L'air s'échappe de ma lunette et passe devant mes oreilles ; puis je vois la coque blanche de la barque. Je crève le voile à proximité et je m'agrippe au bordage, on me hisse à l'intérieur du bateau.

Le court voyage au royaume de Neptune a déjà pris fin.

Marc HENRY – S.P. du Chamois, 14 ans. 3e Tarbes, Raider.

Ci-dessus

Près de Fréjus, l’entrée de la cathédrale sous-marine « Notre-Dame » située à vingt mètres de profondeur.

 

Plongée sous-marine

Qu'il me soit permis de remercier ici les membres du clan Eclaireur de France « Claude Sommer », et tout spécialement leur chef André Galerne, pour l'aide matérielle considérable qu'ils ont apporté à notre jeune troupe sous-marine, tandis que leur expérience parfaite de la plongée en mer nous évitait sûrement bien des bévues et peut-être bien des accidents.

Vivre sous les eaux ! Rêve vieux comme l'homme. Depuis Aristote et Végèce, jusqu'au professeur Piccard en passant par Fulton, Descartes et sir Francis Bacon de Verulam, des centaines de savants, de penseurs et de pionniers ont passionnément cherché la (ou les) solution du problème.

Ce problème est aujourd'hui résolu et dans ces dix dernières années, l'Homme a vu s'ouvrir devant lui les portes du merveilleux royaume. Dure conquête ou le courage, l'ingéniosité, la persévérance et ce grain d'inconscience folle qui est le sel de la terre, finirent par triompher.

La mer est à notre portée. Pourtant encore, combien de préventions et d'idées fausses ! Pour combien encore, le mot « scaphandre » n'évoque-t-il qu'un attirail Incommode et périlleux avec un casque de cuivre semblable à celui du capitaine Nemo !

Faisons le point de la question. Mais tout d'abord, rappelons, si tu le veux bien, quelques notions nécessaires.

LA PRESSION : Tu sais que la pression qui s'exerce sur notre corps (pression atmosphérique de 1 kg par cm2 à l'air libre) augmente très rapidement sous l'eau, très sensiblement de 1 kg/cm2 par 10 mètres de profondeur. Ce dernier chiffre est d'ailleurs évident, une colonne d'eau de 1 cm2 de base et de 10 mètres de hauteurs, faisant exactement 1 litre c'est-à-dire 1 kg...

 

La pression sera donc de 1 kg/cm2 à la surface, 2 kg/cm2 à 10 mètres de profondeur, 3 kg/cm2 à 20 mètres, 6 kg/cm2 à 50 mètres, etc.

Aussi, le premier danger auquel on pense est un danger d'écrasement. On a longtemps cru que les scaphandriers ne pouvaient résister à « l'effroyable pression des abîmes » (!) qu'en raison de « la force exceptionnelle de leur constitution ». Constitution robuste, en vérité, que celle d'un homme qui serait capable de supporter 210 tonnes! (C'est la pression à 60 mètres multipliée par la surface du corps.)

Apprenti plongeur, rassure-toi, il y a sous l'eau bien des façons de mourir, mais on ne peut pas mourir écrasé.

La vérité est que tout notre corps est perméable et l'intérieur de nos poumons est baigné, imprégné de l'air que nous respirons. Il y a donc équilibre parfait. En surface : 1 kilo à l'extérieur, 1 kilo à l'intérieur. A 10 mètres d'immersion : 2 kilos à l'extérieur, mais aussi 2 kilos à l'intérieur, et ainsi de suite. Maurice Fargue, l'héroïque quartier-maître du Groupe de Recherches sous-marines est mort à 120 mètres, mais il n'est pas mort écrasé. Son corps était cependant plongé dans une eau à une pression treize fois plus forte que la pression atmosphérique. Il n'y a donc pas danger d'écrasement, mais seulement possibilité d'accidents physiologiques découlant indirectement de la pression.

Il sera toutefois nécessaire, pour que cet équilibre de pression soit maintenu entre l'intérieur des poumons et l'extérieur du corps, que l'appareil, quel qu'il soit, donne automatiquement au plongeur de l'air à la pression correspondant à la profondeur. Ceci est valable pour absolument tous les appareils de plongée. C'est cette règle absolue qui explique l'inefficacité de la classique « réalisation » rencontrée dans certains ouvrages prétendus sérieux : un masque relié à la surface par un tuyau, lui-même soutenu par un flotteur. Avec un tel appareil, en effet, le plongeur exposé à une pression de 1 kg. 500 à 2 kg. devrait aspirer de l'air à 1 kg. seulement.

LE « POIDS SOUS L'EAU ». — Certains croient qu'il est nécessaire de se lester beaucoup pour descendre très profondément. C'est une erreur grossière. L'eau n'étant pas compressible, le poids du volume d'eau déplacé reste à peu près constant. La poussée d'Archimède n'augmente pas au fur et à mesure qu'on s'enfonce. Il n'y a pas d'état d'équilibre entre deux eaux. La flottabilité aurait plutôt tendance à diminuer. En effet, si l'eau, pratiquement, est incompressible, certaines cavités de notre corps le sont, notamment l'abdomen. C'est ainsi qu'il n'est pas rare de démarrer avec une ceinture lestée bien sanglée et de la sentir, à vingt mètres, descendre sur les hanches. Nous diminuons donc légèrement de volume en nous enfonçant. Donc, nous coulons de mieux en mieux.

Ceci dit, et sous réserve des accidents physiologiques et des précautions correspondantes, le problème se ramène donc à équiper le plongeur d'un appareil qui lui fournisse durant le temps nécessaire de l'air pur à la pression correspondant à chaque instant à la profondeur dudit plongeur.

Dans un premier chapitre, nous dirons quelques mots des aspects physiologiques de la question. Ce n'est pas tout, en effet, d'avoir un appareil capable de fournir de l'air à 10 kilos de pression. Encore faut-il savoir comment se comporte l'homme quand il respire de l'air à 10 kilos de pression

Pour ce qui est de la question si vaste, si variée et si intéressante de accidents, nous traiterons des accidents particuliers à un genre d'appareil dan l'alinéa réservé à cet appareil.

PROBLEMES TECHNIQUES ACCESSOIRES

I. La propulsion. — Elle sera aisée grâce aux grandes palmes de caoutchouc dont tu ne pourras plus te passer quand tu sauras bien t'en servir (Naturellement, si tu plonges en casque léger, devant rester vertical, tu ne prendras pas de palmes, mais des sandales ou des souliers de bain ne seront pas de trop, dans un monde pavé d'oursins épineux et de rochers coupants. L'usage des palmes te rendra la disponibilité de tes deux bras, libres dès lors de tenir, sinon le fusil (car la chasse avec scaphandre est interdite en France), tout au moins la boite photo ou... le filet à provisions si tu t'intéresses à la faune fixée.

II. La protection contre le froid. — Pour plonger longtemps ou dans de eaux froides, il est nécessaire de s'isoler de l'eau. Il existe pour cela de combinaisons étanches -de différents modèles. Sous l'influence de la pression, ces combinaisons ont tendance à « se plaquer » sur le corps du plongeur. A partir de dix mètres, le plaquage d'une combinaison ordinaire provoque une gêne, puis, au fur et à mesure que l'on s'enfonce, des douleurs Insupportables, plis et fronces de caoutchouc durci enfoncé en coin au creux des chairs. Aussi l'on utilise soit des combinaisons à volume constant (gonflées artificiellement pour éviter l'écrasement du caoutchouc sur la peau), soit, plus simplement, des combinaisons de caoutchouc mousse. L'air soutenu dans les alvéoles du caoutchouc empêche toute douleur et constitue contre le froid une protection supplémentaire.

J'ai eu l'occasion de plonger revêtu des deux modèles actuellement fabriqués en France, la combinaison « Tarzan » et le vêtement « Dumas » (mis au point par Frédéric Dumas, le compagnon du commandant Cousteau), et je puis t'assurer que le caoutchouc mousse à même la peau assure une protection extrêmement efficace.

Ci-dessus :

 Pierre Labat, en 1952, durant une cueillette de corail par 40 mètres de fond.

 

Les appareils de plongée

BREVET EXPLORATEUR NAUTIQUE

1° Avoir effectué l'exploration complète d'un petit cours d'eau ou d'une partie d'un fleuve, ou d'un secteur marin en observant le sol : la flore, la faune, etc. En rapporter un compte rendu avec photos, croquis, etc.

 

LES APPAREILS DE PLONGEE. — Deux procédés peuvent être employés.

« On peut respirer toujours le même air en épurant chimiquement le gaz carbonique à l'aide de chaux sodée ou de potasse, et, en régénérant le mélange en oxygène. Ce genre d'appareil est dit « à circuit fermé. »

Dans un autre genre d'appareil dit « à circuit ouvert » l'air sitôt respiré est expiré dans l'eau ambiante. L'aspiration suivante est prélevée soit sur une réserve autonome (bouteilles haute-pression) soit par l'intermédiaire d'un tuyau sur une source d'air comprimé située en surface (pompes, batterie de bouteilles, compresseur).

I. Les appareils à circuit fermé. — Le plongeur respire l'air d'un sac souple appelé « sac respiratoire » ou « faux poumon ». Une cartouche de chaux sodée, est interposée entre la bouche et le faux poumon. Cette cartouche filtrante intercepte le gaz carbonique expiré. Sur le sac, est également branchée une petite bouteille d'oxygène haute-pression avec un doseur d'oxygène qui assure en principe une exacte régénération de l'air appauvri.

À première vue, cette solution semble le plus rationnelle. Pourtant, ces appareils présentent d'assez graves inconvénients.

1. — L'oxygène respiré au-delà de 2 kilos de pression, devient toxique. Ceci interdit pratiquement l'utilisation de ces appareils au-delà de 12 mètres de profondeur, sauf pour des pointes fugitives et exceptionnelles.

 

2. — D'autre part, une cartouche filtrante peut-être fragile et susceptible de mal remplir son office. D'où risque d'asphyxie au gaz carbonique.

3. — Une sorte de combinaison des deux accidents peut même se produire : Intoxiqué par l'oxygène, l'organisme ne réagit pas dès le début à la présence du gaz carbonique. Il ne se produit ni l'accélération du rythme respiratoire, ni l'agitation extérieure qui sont les symptômes habituels d'un début d'asphyxie au CO2. Et la syncope est là ! Sans signes précurseurs. C'est ce que les frogmen appellent le shallow water blockout !

Malgré tout, ces appareils présentent d'indéniables avantages. Légers, peu encombrants, généralement dotés d'une autonomie intéressante, ils sont également peu coûteux.

Le fait qu'ils n'émettent pas de bulles les a fait utiliser pendant la guerre par les nageurs de combat (pas de repérage possible depuis la surface). Leur légèreté et leur faible encombrement les ont fait retenir comme appareils de sauvetage à bord des sous-marins (Davis anglais également en service dans la marine française — Zung américain — Draeger allemand).

Actuellement, je ne connais que deux appareils de ce principe susceptibles d'être vendus aux simples particuliers : le Pirelli italien et le Draeger allemand (deux modèles : le « Delphin » et le 138) :

a) L'autorespiratore subacqueo sportive Pirelli. — Dans cet appareil, le sac est sanglé sur la poitrine du nageur, la bouteille est située sous le sac. Le visage est couvert d'un masque à vitre circulaire maintenu solidement en place par une sorte de serre-tête. Un embout buccal, à l'intérieur du masque est serré entre dents et gencives. Un dispositif ingénieux permet au plongeur, quand il manœuvre à fleur d'eau, de respirer à l'aide d'un tube respiratoire très analogue à ceux utilisés pour la pêche sous-marine, pendant tout ce temps, il peut ainsi surveiller le fond sans user sa réserve d'oxygène. La simple manœuvre d'une manette située sous le menton branche le sac respiratoire et obture le respirateur (qui dispose d'ailleurs, en sus, d'une obturation automatique en cas de plongée accidentelle). Le nageur peut alors piquer et descendre jusqu'à douze mètres. L'autonomie est de l'ordre de quarante-cinq minutes.

b) Le Draeger-sport tauchgerät « Delphin ». — Ici, le sac respiratoire se trouve dans le dos du nageur, la bouteille par devant, au bas d'une sorte de « bavette ». La respiration se fait par un embout buccal classique, le nez et les yeux demeurant protégés par une lunette de pêche sous-marine. C'est avec cet appareil qu'est équipée la deuxième expédition de l'intrépide Autrichien Hans Hass. Le 138 est une version agrandie du « Draeger-Delphin ».

Si tu viens à plonger sur un appareil à circuit fermé, quel qu'il soit, n'oublie jamais la limite de douze mètres et, même en deçà, sois prudent.

II. Les appareils à circuit ouvert. — Ici, l'air une fois respiré étant aussitôt rejeté dans l'eau, où il s'échappe sous forme de bulles, une source d'alimentation en air est nécessaire. Cette source d'alimentation pourra se trouver fixée sur le corps même du plongeur, sous la forme d'une, deux ou trois bouteilles à haute pression. Nous aurons alors affaire, comme dans le cas du circuit fermé, à un appareil autonome.

La source d'alimentation pourra aussi se trouver en surface, sous la forme d'une pompe, d'un compresseur ou d'une batterie de bouteilles. Le plongeur sera alors tributaire d'un tuyau plus ou moins long. En revanche, il jouira d'une durée de plongée beaucoup plus importante.

Etudions d'abord les appareils autonomes.

A. Les appareils autonomes. — Ils pourront être de deux sortes (encore une subdivision!), à débit continu ou à débit « à la demande ». Je m'explique...

Le scaphandre Le Prieur, dont tu as sûrement entendu parler, est un appareil à débit continu. Dans le masque largement vitré qui recouvre tout le visage, l'air afflue de façon continue depuis une grosse bouteille sanglée sur la poitrine du nageur, qui règle lui-même, grâce à une sorte de robinet, la quantité d'air qui lui semble nécessaire.

Naturellement, tu comprends bien que, avec un tel système, beaucoup d'air est inutilement perdu. En effet, si, à l'aspiration, presque tout l'air est introduit dans les poumons, à l'expiration les bords du masque s'écartent, l'air s'enfuit dans l'eau en gracieuses bulles. Mais, pendant ce temps, la bouteille continue à débiter et tout l'air débité durant cette période s'en va dans l'eau sans avoir servi à la respiration du plongeur. Aussi, les performances demeurent limitées. Mais un tel système présente en quelque sorte l'avantage de son inconvénient. Très simple, il est, de ce fait, très sûr. La sécurité d'un appareil à débit continu comme, par exemple, le scaphandre Le Prieur, est absolue. Et c'est quand même quelque chose !

D'ingénieux chercheurs, voulant économiser leur air pour plonger plus longtemps et plus profond, ont été conduits à adopter une autre solution : l'appareil muni d'un détendeur « à la demande ».

Dans ces appareils, le plongeur aspire, par l'intermédiaire d'un tuyau annelé souple, l'air d'une boite dont une face est articulée ou souple (membrane armée). Par son aspiration, le plongeur crée une dépression dans la boite, la membrane souple s'affaisse, ce faisant elle actionne le pointeau d'arrivée d'air et libère la bouffée d'air exactement nécessaire au plongeur. Dès que l'aspiration cesse, la boîte se gonfle, le pointeau se referme, la bouteille ne débite plus. Ainsi, tout l'air des bouteilles passe dans les poumons du plongeur avant d'être expiré dans l'eau ambiante.

Deux appareils français, construits sur ce principe, sont actuellement en service : le Commeinhes GC 47 (version d'eau douce GC 42) et le Cousteau-Gagnan.

I. Le Commeinhes GC 47. — En 1943, au large de Marseille, l'inventeur Georges Commeinhes plongeait à 53 mètres avec son appareil et remontait en deux minutes. Ce record bouleversait à l'époque toutes les notions admises en matière de plongée sous-marine, surtout en ce qui concerne les précautions à prendre à la remontée. Georges Commeinhes devait tomber moins de deux ans plus tard, tué dans son char lors de la libération de Strasbourg.

Le GC 47 existe en version bi et tri-bouteilles. C'est un appareil à masque complet. Le masque est garni sur son pourtour d'un petit bourrelet gonflable destiné à lui permettre de s'adapter à tous les visages. L'air arrive par la gauche et ressort au niveau de la tempe droite par une petite soupape. Un « balayage » constant évite ainsi la formation de buée sur la vitre unique. Les bouteilles doivent être utilisées l'une après l'autre. On les « ouvre » grâce à des molettes chromées à portée de main du plongeur. On ne doit naturellement ouvrir la deuxième bouteille qu'après avoir complètement épuisé la première bouteille et l'avoir refermée.

Un manomètre, fixé à la ceinture, permet de connaître à chaque instant la pression restante. Un sifflet avertisseur audible dans l'eau prévient d'ailleurs le plongeur « distrait » quand la pression tombe à 40 kg. Les bouteilles sont en acier spécial au nickel-chrome, de 4 dm3 chacune. Elles peuvent être remplies à 150 kg de pression.

II. Le Cousteau-Gagnan. L'éloge de cet appareil n'est plus à faire. Adopté par le Club Alpin Sous-Marin, la Marine Nationale, plusieurs organisations de sauvetage, il unit à une facilité de maniement remarquable une sécurité absolue. A la différence de ce qui se produit sur le « Commeinhes », l'arrivée de l'air a lieu par l'intermédiaire d'un embout buccal, serré entre dents et gencives, le nez et les yeux demeurant protégés par une excellente lunette Squale-Lux. L'air est expédié par une soupape « bec de canard », composée de deux feuilles de caoutchouc collées l'une contre l'autre. Détendeur et soupape se trouvent dans le dos du plongeur, juste au-dessus des bouteilles sanglées dans le dos comme un sac de montagne. Détendeur à la demande et soupape se trouvent emprisonnés sous le même capot et reliés à l'embout buccal par deux longs-tuyaux annelés disposés en collier. Les bouteilles — quand il y en a deux ou trois — débitent toutes ensemble. Mais un très ingénieux dispositif de réserve obture l'arrivée d'air quand la pression tombe en-deçà de 25 kg. Le plongeur, ouvrant un petit robinet situé à la base d'une bouteille, libère alors l'air qui lui reste. Ainsi prévenu, il sait que sa provision touche à sa fin et qu'il doit regagner la surface. Les bouteilles sont en alliage spécial. D'une contenance de 5 litres, elles peuvent être chargées à 200 kg de pression. Naturellement, l'autonomie varie selon le rythme respiratoire du plongeur et aussi selon la profondeur. A vingt mètres (3 Kg/cm2), une aspiration prélève dans les bouteilles trois fois plus d'air qu'à la surface. A 30 mètres de fond, un appareil tri-bouteilles possédera une autonomie d'environ 40 minutes (mais il faudra tenir compte du palier de décompression).

Examinons maintenant la dernière catégorie d'appareils de plongée.

B. Les appareils à circuit ouvert alimenté en air depuis la surface. — Dans l'ordre chronologique, ils vinrent les premiers. Scaphandre à casque, classique évocation de l'homme malhabile dans son habit boursouflé, empanaché de bulles sous le volumineux casque de cuivre aux hublots protégés par des grilles. Il est difficile de concevoir un appareil plus simple dans son principe : un casque vissé sur une collerette reposant sur les épaules, un habit caoutchouté complet enrobant tout le corps — sauf les mains nues, fermé par des bourrelets au niveau des poignets et pincé entre la collerette et le casque pour assurer une parfaite étanchéité. Par l'intermédiaire d'un tuyau renforcé, une pompe, un compresseur ou une batterie de bouteilles aèrent le casque et l'intérieur de l'habit, tandis que l'air en excédent s'enfuit sur le côté du casque par une soupape.

Mais l'appareil est dangereux car, aux accidents physiologiques viennent ici s'ajouter de terribles accidents physiques.

ACCIDENTS A CRAINDRE

a)  «  Le coup de ventouse ». — Si le plongeur descend trop rapidement — si, par exemple, il fait une chute depuis une épave — la pompe n'aura pas le temps de contrebattre l'augmentation soudaine de la pression extérieure. L’habit se plaquera, la chute deviendra de plus en plus rapide en raison de la diminution de volume. Finalement, le corps écrasé par l'habit sera aspiré dans le casque comme dans une gigantesque ventouse, l'accident pouvant aller Jusqu'à l* rupture des vertèbres cervicales !

b) « La remontée en ballon ». —C’est le phénomène exactement inverse. Si un plongeur laisse, par mégarde, se gonfler son habit, il va soudain s’envoler vers la surface. Remontant, son habit va se dilater, comme se dilate une bulle qui se hâte vers la lumière. Se dilatant, le scaphandrier va remonter de plus en plus vite, bibendum grotesque qui vient crever la surface dans une mousse de bulles comprimées. Cette remontée rapide est terrible pour l'organisme du plongeur.

Un appareil que nous avons longtemps utilisé mais que je te déconseille très vivement est le casque léger, dérivé  du précédent. C'est, si tu veux, exactement le même engin, l'habit en moins.

Imagine une caisse de tôle, éclairée d’un hublot sur le devant et reposant, couverte vers le bas, sur les épaules du plongeur. Suspendus à des crochets, deux poids de fonte, l'un devant, l'autre derrière, permettent l’immersion. L'aération a lieu bien entendu par tuyau et pompe. Au sommet du casque se trouve une soupape de non-retour. L’air en surplus s'échappe par le bord inférieur du casque. Naturellement, il faut rester bien vertical sinon la cloche risquerait de se retourner. En piscine, c'est tout à fait facile. Mais en mer, dans des chaos auprès desquels celui Gavarni est un agréable entassement de petits cailloux, le problème prend tout  de suite une allure extrêmement déplaisante. Wiillam Beebe, le grand ichtyologue américain, utilisait un appareil de ce genre, et aussi le docteur Hans Bass pour sa première expédition (Pas pour la seconde!).

Nous avons baptisé notre casque « Concession  à perpétuité » et à aucun moment nous n'avons eu véritablement envie de le débaptiser. Maintenant, nous utilisons cet appareil comme abat-jour dans le bar de notre base.  A mon sens, c'est encore la meilleure utilisation que l'on puisse en faire.

Enfin, mentionnons pour finir un appareil à tuyau dérivé du Cousteau. C'est le « Cousteau Narguilé ». Le détendeur, à la demande, reste seul fixé sur les épaules du nageur, relié par un tuyau de 30 mètres, au manodétendeur de surface branché sur une ou plusieurs bouteilles. Toutes les qualités du Cousteau autonome se retrouvent dans cet appareil.

ET MAINTENANT, DU POINT DE VUE MATERIEL,

 QUELLES SONT NOS POSSIBILITES, A NOUS, LES SCOUTS ?

La plongée sur appareil autonome à bouteilles apparaît comme, devant, malheureusement, rester réservée a de très rares privilégiés (en raison de son prix de revient élevé ; amortissement des appareils, frais de recharge des bouteilles pour de nombreuses plongées),

Ces appareils à circuit fermé sont à peine moins chers mais aucun d'entre eux n'est, à ma connaissance, fabriqué en France. D'autre part, leurs possibilités sont limitées par d'impératives raisons de sécurité.

Le casque léger est un appareil économique sans doute, mais difficile à manier, très Incommode, dangereux même ailleurs qu'en piscine.

Pour l'Instant, je te conseille donc de bien t'entraîner à la plongée libre (avec un masque, un tube respiratoire et une paire de palmes), tout en restant évidemment à l'affût des occasions possibles de plonger sur appareil autonome en compagnie de moniteurs avertis (stages, etc.).

Le moment n'est peut-être pas loin où nous placerons entre tes mains un appareil facile à manier, économique et sûr.

Que tout cela, ne t'effraie pas ! Comme tu peux le déduire de ce qui précède, les accidents ne sauraient guère menacer ceux qui gardent la mesure et observent les élémentaires précautions.

En serait-il autrement que le jeu vaudrait bien que l'on acceptât quelques risques, rançon qui ne serait qu'équitable au regard d'un si rare privilège. Mais la mer est accueillante et douce pour qui, cessant de lutter, et se laissant recouvrir par elle, accepte de lui livrer son corps tout entier.

Acte de foi qui force le Miracle.

Délivré de ta pesanteur originelle, devenu plus et mieux qu'un homme, tu connais alors, sous l'opaque écran de la surface, le plus merveilleux des royaumes, et des années de plongée,  toute une vie ne saurait en épuiser la connaissance, en atténuer la nouveauté.

Merveilleux royaume, merveilleux et périlleux quand même, comme la forêt des Niebelungen ou le château du Graal.

Et maintenant, comme lors des anciens sacres, Je te souhaite « la prudence du serpent », et parce qu’il n’est pas bon d'être seulement prudent, « le courage du lion ».

Du fond du cœur, bonne plongée !

PIERRE LABAT

Rédactionnels parus en deux épisodes dans le magazine « Scout » n° 272 & 273 du 05 mai & 05 juin 1952 

 

NB. : A la lecture de cet article, il apparait clairement que Pierre Labat fut, dès le début des années 50, lié de très près à différentes personnalités du monde subaquatique.  En effet, on le remarque au début où Labat commence par remercier son ami André Galerne, avec lequel il vient tout-juste d’effectuer un camp scout à Banyuls-sur mer  qui fut l’occasion pour leurs  troupes scoutes  respectives de nombreuses  plongées sous-marines. On constate également que, par amitié, son camarade Philippe Diolé rédigea pour cette publication un avant-propos. Enfin pour illustrer cette parution c’est encore un ami de Pierre Labat, le célèbre photographe Henri Broussard, qui fournira les clichés qui viendront animer cette parution. (A noter : on retrouvera certains de ces instantanés quelques temps plus tard dans l’ouvrage de Philippe Diolé « l’aventure sous-marine » paru en 1953 aux éditions Albin Michel). Enfin,  Pierre Labat réalisa quelques croquis explicatifs qu’il  légenda, afin illustrer cette même publication où on découvre qu’un de ses jeune scout rédigea lui aussi un petit rédactionnel pour l’occasion.

V - Le manuscrit du « Merveilleux Royaume » voit le jour en 1952

 

NB : Dans ce courrier de juillet 1952, Pierre Labat écrit qu’il a terminé la rédaction de son récit « Le Merveilleux Royaume », qu’il vient de soumettre à Melle Gilleron, alias « Tante Mad » directrice d’Alsatia, et qu’il compte très prochainement, demander au Commandant Jacques-Yves Cousteau de préfacer celui-ci.

 

Cette même année 1952, le second roman de Pierre Labat « Le Manteau Blanc », est traduit en Allemand, par Adolf Hechelmann, (également auteur Signe de Piste, à qui l’on doit « le Voyage du Roi Sigurd » paru en 1958 sous le n° 111)  qui parait dans la collection « Super - Bucher » sous le n° 51.

Parallèlement à ses parutions d’ouvrages, Pierre Labat va, tout au long du début des années 50 et jusqu’à sa disparition, évoquer à plusieurs reprises, dans les revues du mouvement, les exploits de sa troupe tarbaise. En effet, nombre de rédactionnels issus de sa plume fertile vont voir le jour. (Voir sa bibliographie ci-après).

Ci-dessus : Quelques un des clichés qui ont animé jadis, les rédactionnels de Pierre Labat.


 

 

Ci-dessus : Pierre Labat fin 1952, coiffé de son « Bâchi » de Scout Marin.

 

" Il y a trois sortes d'hommes, les vivants, les morts et ceux qui vont sous la mer ".

                                                                                                                     Pierre Labat  - Le Merveilleux Royaume
 

 

En cette fin d’année 1952, débute l’une des toutes premières missions d’explorations sous-marine de l’équipe du Commandant Jacques-Yves Cousteau, celle-ci va se dérouler au large de Marseille, au pied d’un petit récif rocheux appelé « Grand Congloué » où par plus de 40 mètres de profondeur se trouve échoué au fond de la mer une galère Grecque vieille de plus de 2 000 ans. Cette épave datant de l’antiquité, recèle dans sa cargaison engloutie un trésor inestimable. En effet, ce sont des milliers d’amphores, de pièces de vaisselle et poteries datant de 200 ans avant J-C que l’équipe de la Calypso entreprend alors de remonter à la surface. Cette mission va durer trois longues années et donnera lieu à un des innombrables films relatant les exploits de l’équipe Cousteau. La réalisation cinématographique en couleurs, qui relate en image cette fameuse mission d’archéologie sous-marine est d’une durée d’environ  24 mn  et s’intitule « La Galère Engloutie » avec derrière l’œilleton  de la caméra Jacques Ertaud et Louis Malle.  Elle sortira sur les écrans à la fin de l’année 1956. Mais revenons à cette mission où, comme le relate le Commandant Cousteau dans la préface du « Merveilleux Royaume », Pierre Labat, dès la fin 1952, va évidemment faire partie des20 plongeurs de cette mission subaquatique d’un sauvetage peu ordinaire qui présentait un certain nombre de risques et de difficultés techniques. En effet,  cette  précieuse cargaison engloutie sous les flots lors du naufrage de la galère  était emprisonnée dans la vase depuis des siècles. Il fallait donc avant de pouvoir s’en emparer, la dégager le plus délicatement possible sans la briser.

Alors l’ingénieux Pierre Labat va avoir une idée qui est peut-être être à l’origine de la technique employée pour le dévasement comme l’évoque l’excellent  site internet « passion calypso » où à propos de la mission du « Grand Congloué » est mentionné que Labat eut l’idée d’insuffler de l’air pour dévaser la cargaison engloutie, et la faire remonter à la surface. Toutefois cette technique échoua, mais c’est peut-être cette idée qui  fut à l’origine du dévasement des amphores à l’aide d’un gigantesque aspirateur sous-marin. 

 

Ci-dessus :1 – L’embarcation légendaire du Commandant Jacques-Yves Cousteau « La Calypso ». 2 – L’ile du « Grand Congloué » vu depuis le hublot de « La Calypso ». 3 – L’aspirateur sous-marin utilisé par l’équipe de plongeurs pour dévaser la précieuse cargaison antique. 

Pour en savoir plus :  http://www.passion-calypso.com/mission-du-grand-congloue/

En 1953, entre deux plongées sous-marines, les Scouts de Pierre Labat, vêtus à la façon de jeunes pages de l’antiquité, inventorient, durant les vacances de Pâques, le précieux butin  qui va fait route vers les Musées Marseillais.

 

Ci-dessus :

A gauche : La page de couverture du programme de la conférence faite à Paris par le Commandant Cousteau au sujet des fouilles sous-marines réalisées au Grand Congloué.  Cette conférence s’est déroulée le 27 mai 1953 à la salle Pleyel.

A droite : Une des pages intérieures de ce programme où les membres de cette mission sont nommés. On y retrouve André Galerne et Pierre Labat, ainsi que  Philippe de Guillebon jeune plongeur de la troupe Tarbaise.

 

 

VI - En 1953, La plongée devient l’activité principale de la troupe

 

« Le Château Périlleux, la rivière d'Ondine, la forêt de Brocéliande, mes 16 ans, comme les tiens sans doute, les cherchèrent longtemps sur la terre des hommes. Parfois naissait le miracle, au centre d'un bois touffu, au détour d'un chemin débouchant soudain sur des tourelles d'ardoises surmontées de girouettes fabuleuses, au coude d'un ruisseau où trempaient des chevelures végétales... Et durant quelques secondes j'étais, à mon gré, le prince, l'enchanteur ou le chevalier. Mais tout aussitôt, un détail, un bruit lointain, une odeur familière suffisaient à briser le charme, à détruire l'efficacité du sortilège, à changer la rivière en affluent, le bois en lieu communal, le château en monument historique.

Je sais maintenant que le Merveilleux Royaume existe, mais c'est loin des hommes, sous la mer. Pour affronter ses génies, résister un peu longtemps au froid qui le baigne, il suffit d'un haubert de caoutchouc et d'un appareil tout juste aussi compliqué que le Manteau magique d'Alberich ou l'anneau des Nibelungen ! Un assemblage subtil de tubulures et de clapets est venu se brancher sur mes organes de respiration : tubulures irriguées au rythme de mes bronches, clapets palpitants au rythme de mon diaphragme. Toute une vivante partie de moi-même est faite de métal et de caoutchouc. Débarrassé de la pesanteur qui m'enchaînait à la terre, je glisse entre deux eaux avec une lenteur de rêve. A chacune de mes aspirations, le détendeur automatique, fixé au sommet des bouteilles haute-pression que je porte sur mon dos, libère en sifflant la bouffée d'air qui m'est exactement nécessaire. Poumons pleins, je prolonge l'instant. Plus je garderai cet air dans mes alvéoles pulmonaires, plus je retarderai la nécessité de l'aspiration suivante, moins vite les bouteilles seront épuisées, et moins vite je serai contraint de regagner, ma provision d'air tarie, le monde aérien des hommes.

Expiration... Par une légère soupape fixée sous le même capot que le détendeur, l'air s'échappe en gargouillant à travers les couches d'eau. Comme le seigneur du Conte de Grimm je fabrique ainsi, rien qu'en respirant, des animaux éphémères, un peuple de fausses méduses qui se hâtent en direction de la surface et vont exploser, en une multitude de petites bulles, lumineuse poussière de diamant. Pour quelques minutes encore, la vitre du masque de pêche sous-marine, qui couvre mon nez et mes yeux, s'ouvre sur un aquarium sans limite, un aquarium où toutes les rencontres sont possibles : énormes gorgones en éventail, semblables à des fougères pétrifiées, colonies d'animalcules qui peuvent se permettre de vivre immobiles, constamment baignées par la mer nourricière, troupeaux de poissons qui se dispersent. Au-dessus de moi, la surface n'est plus visible, brume bleue où danse un essaim de petites castagnoles à queue fourchue, couleur de nuit.

Droit devant, un petit poulpe surpris se délove et décolle de la paroi. II remplit son siphon, puis le vide brusquement, progressant « à réaction », par une série de propulsions souples, tentacules rabattus en arrière ondulant comme une chevelure. Ma main tendue l'effleure, il se fâche, s'étale, jette son encre, retourne se réfugier dans une faille des rochers. Tant pis, quelques-uns sont plus aimables et ne répugnent pas à des contacts moins fugitifs.

 

SOUS LA MENACE DE LA NARCOSE

 

Trente-cinq mètres au bathymètre (indicateur de profondeur) fixé sur mon poignet. Toujours les immenses gorgones, bleues ou vertes, dans la lumière des profondeurs. Je n'ignore pas que les ramener au jour, ou projeter sur elles un éclairage artificiel, ferait apparaître leurs véritables teintes, bordeaux ou lie de vin.

*

SCAPHANDRE "A LA DEMANDE "

Quand le plongeur aspire dans l'embout buccal E, une dépression se crée dans la chambre close C, la membrane souple m s'affaisse, le levier I pivotant autour du point fixe A. Le clapet n s'ouvre, l'air de la bouteille haute pression B, préalablement détendu par le détendeur haute pression D, afflue dans la chambre C et de là, dans l'embout buccal. Dès que l'aspiration cesse, la chambre C se « gonfle », la membrane m se relève, le clapet n se ferme. L'expiration s'effectue par la soupape S abritée sous le même capot que le dispositif de détente.

 

De même sur la paroi. Il faudrait emporter un phare étanche et faire bondir hors du bleu-vert la féerie cachée des couleurs violentes.

Cinquante mètres. Me voilà parvenu au bas de la falaise, des éboulis croulent vers le large et la profondeur.

Tout seul il serait imprudent d'aller plus loin. Au-delà de quarante mètres, au-delà de cinq kilos de pression, l'azote contenu dans l'air des bouteilles se fixe dans les tissus, provoquant une dangereuse euphorie, une insidieuse narcose qui vous ôte jusqu'au désir de regagner la surface. Et le plongeur, tout sens de la direction aboli, se prend à nager au cœur de l'eau pesante. Renonçant à remonter rapidement vers les zones d'eau lumineuse, il plane à l'horizontal ou même risque de s'enfoncer plus bas encore, indifférent, jusqu'au black-out définitif.

Descendre jusque vers soixante-dix mètres exige d'aller très vite, de se laisser couler poumons vidés sans faire d'effort et de remonter sans attendre que la narcose ait fait son œuvre.

Pour plonger plus bas encore, il serait nécessaire de remplacer, dans les bouteilles, l'azote de l'air, gaz lourd, par un gaz plus léger, hélium ou hydrogène, moins enclin à se fixer dans les tissus de l'organisme. Car l'air du Bon Dieu est fait pour la surface. La vie aux profondeurs exigerait d'autres cocktails ! Pourtant les cachalots, qui respirent aussi l'air du Bon Dieu, plongent jusqu'à deux cents, trois cents mètres... et ils remontent. Cela s'explique peut-être par le fait que le cachalot n'emmagasine pas une réserve d'air respirable avant la plongée, mais plutôt une réserve de sang oxygéné. Ainsi toute leur économie respiratoire se déroule préalablement en surface, sans risque de narcose. Solution évidemment très élégante !

Alerte ! Soudain l'air se tarit dans l'embout de caoutchouc moulé, que je tiens solidement coincé entre mes dents et mes gencives. Chaque aspiration devient dure, fin de bouteilles. Sans hâte, ma main droite agrippe le robinet chromé du dispositif de réserve, le tourne. Les 20 derniers kilos de pression, artificiellement bloqués, sont ainsi rendus disponibles.

*

SCAPHANDRE POUR NAGEUR DE COMBAT

Le plongeur respire l'oxygène contenu dans le sac souple S, cet oxygène est débarrassé du gaz carbonique par la cartouche filtrante radiale F. Une bouteille Haute Pression B, contenant de l'oxygène, permet de remplir le sac, soit par un léger débit continu, soit à la demande par la manœuvre d'une gâchette G. Un robinet R permet de coupler le masque, soit sur le sac rempli d'oxygène, soit sur l'air libre quand le nageur de combat nage à la surface. Au-delà de 13 mètres, ces appareils sont dangereux.

 

De quoi largement rejoindre la surface, en m'arrêtant même en route dans les derniers mètres, pour me « décomprimer » progressivement, précaution nécessaire afin d'éviter que l'azote dissous en excès dans le sang par les fortes pressions des profondeurs ne se libère trop brusquement en bulles mousseuses qui seraient susceptibles de provoquer des démangeaisons, des cloques, des crampes par lésions dans les tissus, voire la mort par embolie.

Trois minutes d'arrêt à trois mètres me garantiront de tout risque. Je remonte lentement le long de la paroi rocheuse de la falaise sous-marine. Mes bulles me précèdent et je les suis à regret. Insensiblement les teintes se modifient, le spectre s'enrichit, la couleur uniformément bleutée des quarante mètres cède la place à des verts-émeraude, des jaunes safranés.

Scintillements, couronne mousseuse de brisants contre le mur de rochers. Vue d'en dessous, la surface ressemble à une nappe de cellophane chiffonnée.

Mon « palier de décompression » terminé, je crève la surface. La houle m'empoigne et me balance à nouveau après le calme figé des profondeurs. J'entends des cris sur les rochers. Mes compagnons m'appellent, prêts à me tendre la main pour me hisser avec mon lourd attirail sur la terre des hommes.

Près de l'île Riou, au large de Marseille, par vingt-cinq mètres de fond s'élève un donjon magnifique. Sous lui, s'ouvre une arche, un porche de cathédrale tapissé de gorgones somptueuses, de fruits merveilleux qui se rétractent quand on les touche, de fleurs magiques dont les corolles se ferment à l'approche du vol lourd de l'Homme. Des essaims de poissons tourbillonnent autour, inlassablement. C'est sous cette arche, j'en suis sûr, que passaient les cortèges enchantés de ma petite enfance, le départ de Cendrillon pour le Bal ou le mariage de la Belle au Bois Dormant.

Plus bas, indolent chevalier sous son armure de porcelaine, le homard bleu rêve dans la pénombre de sa grotte.

 

UNE EPAVE SURGIT AU FOND DE LA MER

Plonger au large exige une âme, sinon plus courageuse car le courage n'a rien à y voir, du moins plus habituée. C'est toujours émouvant quand, moteur stoppé, la barque mouille au-dessus de l'objectif. Pour déterminer très exactement notre position, nous prenons des enseignures : le fortin doit nous apparaître dans l'ensellement du petit col, le pylône doit être tangent au phare. Au-dessous de nous, les châteaux et les mâtures du Saumur s'élèvent, caressés par le vent des lents courants sous-marins.

« L’air s’échappe en gargouillant à travers les couches d’eau, lumineuse poussière de diamant qui se hâte en direction de la surface ; cependant qu’au-dessous de moi la chaine et le filin d’ancrage plongent à pic, vertigineusement, dans la brume bleue des profondeurs… »

 

Empêtré dans les palmes fixées aux pieds, les épaules sciées par le lourd « bi-bouteille » ou « tri-bouteille », l'on se met à l'eau tant bien que mal. Ici, plus de points de repère ; seul le filin d'ancrage plonge vertigineux dans la brume bleue. Lors des premières plongées, nous avions besoin de ce guide pour rejoindre les profondeurs et nos mains, blêmissantes au fur et à mesure que la lumière se modifiait, progressaient mètre par mètre le long du chanvre vibrant au rythme de la houle, tout là-haut en surface. Mais aujourd'hui une cinquantaine d'expériences semblables nous font considérer avec dédain cette main-courante.

Piqué a mort dans le brouillard. Légère douleur à l'oreille. Comme en montagne ou en avion, lorsqu'on descend très vite, il faut déglutir pour mettre l'oreille médiane en équilibre avec l'oreille externe et supprimer ainsi la différence de pression qui pèse sur le tympan.

Vingt-cinq mètres. La surface a disparu : la seule déglutition devenant inefficace, je souffle dans mon masque pour gonfler l'oreille médiane. Aussitôt des éclats vert-jade polluent ta vitre. Léger saignement de nez. Rupture de quelques capillaires. C'est un accident fréquent mais dénué de toute gravité. Ici, à trente mètres, les rayons rouges ne passant plus, le sang coule vert !

J'accélère encore ma descente. Du bleu, un banc de méduses qui dérivent, translucides...

Aspirations. Presque pas d'expirations. L'air aspiré sert à combler la différence de pression qui passe en moins d'une minute d'une atmosphère à quatre atmosphères.

Une forme indécise surgit du fond : l'épave... Cornières cisaillées, bastingages épaissis par les dépôts sous-marins. C'est la plage arrière du Saumur, gros cargo de cent cinquante mètres de long, torpillé en 1943. Les Italo-Allemands ne sont plus là, qui armaient le navire lors de son torpillage. Les langoustes les ont remplacés. Elles grouillent parmi les tôles éclatées aux dentelures agressives. L'une d'elles jaillit droit devant, d'un coup de godille de sa spatule caudale.

« Ces amphores deux fois millénaires, échappées des entrailles d’un navire grec naufragé, vont connaître à nouveau le contact de la main de l’homme… » — L’un des plongeurs est armé d’un levier, l’autre d’un appareil spécial pour la photographie sous-marine. 

 

Plus loin, dorment d'autres épaves : l'espagnol Saint-Lucien, l'Alice-Rebert, ex-bananier au pont jonché d'équipements militaires; ou bien de simples barques de pêcheurs, filets encore tendus, au travers desquels se jouent, rassurés, les poissons. Plus loin, d'autres coques encore, bois pourrissant ou métal rongé, à l'entrée des passes fréquentées, aux carrefours des grandes routes maritimes, cimetières sous-marins où, comme les éléphants, les bateaux se rassemblent pour mourir, paquebots, corvettes, vaisseaux de ligne, inidentifiables, siècles et pavillons fraternellement confondus, tous solennels et silencieux comme le Hollandais Volant.

LORSQUE L'HOMME NE REMONTE POINT…

Toute conquête veut qu'on la paye. Non point seulement par de l'argent, du temps, des efforts, mais aussi par des vies humaines. Presque toujours, certes, l'homme s'échappe. Cobaye volontaire, glissant son corps fragile dans des régions marines encore inexplorées, ou bien essayant un nouvel appareil, un dispositif inédit, il finit par ressurgir à la lumière, un peu de sang au fond du masque, un grand sourire figé de froid sur le visage. Et pendant que ses compagnons le déshabillent de son attirail, il rêve, l'âme encore occupée de ce qu'il a vu ou ressenti sous la mer, tandis qu'il guettait avec une attention égale le comportement de son scaphandre, le rythme de son cœur et le fonctionnement plus ou moins facile de son cerveau déjà troublé par l'ivresse des grandes profondeurs.

Mais il est arrivé aussi que l'homme ne remontât point...

Descendant le long d'un filin, le Quartier-maître de la Marine Nationale Maurice Fargues devait, pour témoigner de la profondeur atteinte, signer des ardoises échelonnées le long de ce filin. Maurice Fargues tardant à remonter, ses compagnons angoissés le hissèrent jusqu'à l'air libre. La narcose de l'azote l'avait foudroyé. L'ardoise indiquant la profondeur de 120 mètres avait été atteinte et signée.

En 1945, Arne Zetterström, un jeune ingénieur suédois, imagina, pour éviter la narcose de l'azote, de plonger en utilisant au-delà de 40 mètres un mélange respiratoire de 96 parties d'hydrogène pour 4 parties d'oxygène. La tentative se déroula conformément aux plans établis. Les poumons gonflés de son mélange léger,

Arne Zetterström descendit jusqu'à 160 mètres. Expérience totalement réussie, il n’était plus qu'à 20 mètres de la surface quand, à la suite d'un accident mécanique, le treuil le redescendit brutalement de plusieurs mètres. Sous l'accroissement brutal de pression, l'habit caoutchouté se plaqua, la tête fut aspirée dans le casque de cuivre, classique accident des scaphandriers à casque, dénommé  «squeeze » ou « coup de ventouse ». Enfin remonté sur le pont du navire, Zetterström mourut sans avoir repris connaissance.

En 1948, l'Anglais William Bollard atteignit 163 mètres en remplaçant l'azote de l'air, non plus par de l'hydrogène comme Arne Zetterström, mais par de l'hélium. Lui, remonta vivant.

Ainsi la plongée sous-marine comme l'aviation compte déjà ses héros et ses martyrs.

Pendant les années de guerre, les militaires, à des fins différentes, avaient effectué d'autres tentatives. Il ne s'agissait pas pour eux de descendre aussi profondément.

Ce tapis négligemment roulé est le treuil d’un navire englouti et sa chaine d’ancre, le tout feutré par des dépôts sous-marins lentement accumulés... Regardez la main gauche du plongeur : elle  tourne le robinet de sécurité au bas du bi-bouteille, pour libérer la réserve des vingt derniers kilos de pression d’air.

 

Mais en revanche, les appareils utilisés devaient ne dégager aucune bulle indiscrète susceptible de trahir en surface la présence du nageur de combat. De là, l'emploi de scaphandres dits « à circuit fermé », où le plongeur respire toujours le même oxygène pur enfermé dans un « faux poumon » de caoutchouc, cet oxygène étant à chaque expiration débarrassé de son gaz carbonique par une cartouche filtrante de chaux sodée. (Voir notice n° 2.) Guidés par leurs boussoles lumineuses, <« frog-men » alliés, et « nuatatori » italiens se ruèrent à l'attaque. La nuit, le froid, les filets immergés, les grenades sous-marines lâchées par intervalles par les navires de garde, n'étaient peut-être pas leurs plus dangereux ennemis. Respiré sous pression, l'oxygène pur provoquait des syncopes, d'autres fois l'eau de mer se glissait à l'intérieur de la cartouche chimique, une liqueur corrosive refluant soudain dans la bouche du « nageur de combat ». Pourtant, malgré les barrages protecteurs à l'intérieur de l'« inviolable » Gibraltar, des navires sautèrent...  Si la magnifique histoire des « hommes-grenouilles » t'intéresse, lis le livre passionnant du Commandant Ouvaroff « Torpilles Humaines », aux éditions des « Deux Sirènes ». Tu y trouveras de splendides exemples de détermination et de courage individuels. A quelque nationalité qu'ils appartiennent, ces hommes sont tous frères par leur cran et leur esprit de sacrifice.

N'OUBLIE JAMAIS QUE TU N'ES PAS CHEZ TOI

J'aurais voulu te parler de tant de choses encore ! Mais que valent des récits auprès de la réalité ? Si tu as envie de connaître le Merveilleux Royaume des profondeurs, commence par te procurer un livre extrêmement complet tout en restant très clair, livre indispensable à qui veut pratiquer la plongée un peu plus profondément qu'en piscine : « La plongée en scaphandre », par Cousteau-Dumas-Tailliez (aux éditions Elzévir). Tu y trouveras tous les renseignements nécessaires.

Je voudrais seulement, avant de te quitter, te recommander à la fois la confiance et la prudence.

Confiance car malgré ses apparences quelque peu impressionnantes, la plongée sous-marine, à condition d'être pratiquée sérieusement et dans de raisonnables limites, avec un scaphandre Cousteau, est le sport le moins dangereux qui soit, moins dangereux certes que le ski, la moto ou la haute montagne. Sais-tu que des milliers de plongées ont été effectuées sur appareil Cousteau au club alpin sous-marin, sans que l'on ait eu à déplorer un seul accident ?

Prudence pourtant. Je ne veux pas parler, bien sûr, d'imaginaires périls dus à la présence de menaçants monstres marins. Sous l'eau, point de menace pour celui qui ne menace pas. Je me souviens de ce congre qui se glissa un jour hors du goulot de l'amphore où j'avais déjà engagé ma main ; quelques secondes son corps sinueux se frotta contre mon poignet et mon avant-bras, puis le congre s'écarta, dragon bienveillant qui m'abandonnait son trésor.

Mais n'oublie jamais cependant que tu n'es pas chez toi, tu es dans un monde, non pas hostile, mais indifférent, de cette suprême indifférence des choses et qui peut t'asphyxier en quelques secondes, sans que même un remous vienne troubler la surface, un monde qui n'est plus le tien, un monde où tu pénètres furtivement, un peu comme des proscrits reviennent à l'orée du paradis qu'ils ont perdu.

Chaque plongée est un acte de foi, chaque retour une victoire.

Il y a quelques heures à peine, grâce à l'appui bienveillant et efficace du Commandant J. Y. Cousteau, inventeur du magnifique appareil qui porte son nom, et par cela même, véritable créateur de la plongée profonde en scaphandre autonome, j'avais la joie de pouvoir amener un jeune chef de patrouille scout, âgé de seize ans, sur l'épave d'un vaisseau grec coulé il y a 2 300 ans, au large de Marseille.

Jardin des Mers pour Neptune de seize ans. Pelouse, allée, buisson… Difficile de se croire à 6 mètres de profondeurs !... Ce jeune veinard est le fils du photographe, lequel, à toutes fins utiles vous communique le temps de pose : 1/50e à F. 4,5 — Kodak plus X, 13 heures en août. Soleil, eau claire, appareil Foca.

 

Il ne m'appartient pas de te parler aujourd'hui des fouilles inlassablement poursuivies à bord de cette épave par le Commandant Cousteau et toute l'équipe du navire océanographique Calypso. C'est un sujet qui appartient au Commandant et à lui seul. Mais tandis que par quarante mètres de fond j'actionnais la dévaseuse aspiratrice, mon regard allait sans cesse de ce jeune garçon qui représentait l'avenir, à ces amphores oblongues deux fois millénaires, ces amphores qui après plus de vingt siècles d'immobilité connaissaient à nouveau le contact des mains de l'homme. Il ne s'agissait plus seulement cette fois de rêves ou d'évasions, de contes et d'enchantements. Sans cesse, partout et toujours, inlassablement, l'Homme cherchera la trace de l'Homme.

Le long de la paroi rocheuse, lentement, nous ascensionnâmes. Sous un surplomb, nos bulles s'immobilisèrent, posant parmi les algues d'immobiles flaques de mercure. Une langouste rousse nous lorgnait, méfiante. Nageant l'un derrière l'autre, nous regagnâmes l'échelle. Chassées à la longue du surplomb par les remous de la houle, nos bulles de tout à l'heure remontaient encore vers nous, comme si quelque invisible et mystérieux plongeur se fût attardé au pied du tombant.

Emergeant à l'air libre, nous retrouvâmes le bruit et le vent. Dépouillés de nos collants de caoutchouc mousse, nous parlions trop vite et trop fort, en claquant un peu des dents. Puis nous pénétrâmes dans le local de plonge où le soleil artificiel d'une grosse lampe infra-rouge rendit à nos corps la chaleur perdue, quarante mètres plus bas, au niveau de l'épave.

Nous avions encore au fond des yeux les images du film prodigieux, au fond de nous-mêmes le plaisir des gestes qui eurent un sens, le goût de la mission remplie.

Nous aurions seulement voulu que d'autres viennent s'abreuver à la source de notre joie. » 

Pierre LABAT

Récit publié en 1953 dans le n° 1 de « La Fusée » où il parut à l’origine agrémenté des clichés ci-dessus, fournis par ses amis Henri Broussard et Dimitri Rebikoff du « Club Alpin Sous-Marin ». Il est aussi très vraisemblable que Pierre Labat ait à nouveau fourni les deux croquis explicatifs qui accompagnent cette publication.

 

Cette même année 1953, Pierre Labat rédigera également pour la revue « le chef » un article à la demande des dirigeants du mouvement Scout. Ce rédactionnel est destiné aux aînés, Pierre Labat, qui est devenu plongeur aguerri, écrit pour informer ses frères chef Scouts, des précautions à prendre lorsqu’ils feront faire de la plongée sous-marine aux jeunes membres de leurs troupes respectives.   

Pour lire cet article :

 http://plongeur-radin.com/fr/monde-de-la-plongee-sous-marine/4230-la-plongee-sous-marine-par-pierre-labat.html

 
 

Lettre de Georges Ferney, adressée à Pierre Labat…

NB : Dans ce courrier on constate qu’avant que naisse le quatrième ouvrage de Pierre Labat, dans la version que les lecteurs du Signe de Piste connaissent aujourd’hui, il y eu au préalable bien des négociations avec les dirigeants de la collection… On remarque également dans cette lettre que Georges Ferney ne manquait pas d’un certain humour…

 

VII - L’été 1953 à Toulon, dans le berceau de la plongée sous-marine

 

Comme l’avait prédit Pierre Labat, les clichés réalisés lors du tournage du film vont animer les publications de plusieurs rédactionnels, dans la presse de jeunesse.

 

 

1 - Pierre Labat raconte le bivouac estival pour « Scout »…

 

Ci-dessus :

L’arrivée à Toulon de la troupe de jeunes scouts marins de Pierre Labat.

Entraînement aux profondeurs

« Lieu de camp : Le terrain prévu pour l'implantation est une pinède située tout près du petit port de Saint-Elme, mais à l'intérieur de l'enceinte militaire. Il n'est pas possible d'y faire du feu, non plus, bien entendu, que d'y tailler du bois. Toutefois, les pieux et bambous que nous avons pris la précaution d'amener et les nombreuses planches trouvées de-ci de-là aux abords du fort, et récupérées avec autorisation, permettent de créer les installations minimum : un autel, un mât, une « salle à manger ».

La Troupe étant nourrie à l'ordinaire de la marine, le fait de ne pouvoir allumer de feu ne pose aucun problème. Cependant, en vue de pouvoir réchauffer certains plats en cas de retour tardif d'une patrouille partie en mer, nous installons après autorisation un réchaud de camping-gaz sur un emplacement dégagé. Un extincteur, une pelle, un balai métallique anti feu (prêtés par la marine) restent en permanence auprès du réchaud.

En plus du Père Aumônier et du Chef de Troupe, le personnel d'encadrement comprend quatre assistants de 17 à 18 ans. Les garçons sont au nombre de 19, répartis en trois patrouilles : Ecureuils, Chamois, Requins. L'âge des garçons varie entre 11 et 17 ans.

Le camp : II serait vain et passablement fastidieux de chercher à retracer l'histoire de ces quatorze jours de camp. En effet, cela ne se présentait pas du tout comme une aventure avec péripéties et rebondissements inattendus, mais sous la forme d'une existence calme, réglée, absolument dépourvue d'imprévu, où les manœuvres de recharge des bouteilles, les raids en canots, les plongées à vingt mètres pour le film, aux « Deux Frères » ou à Cap-Sicié, les entraînements Masque et Palmes à Fabregas ou à Saint-Elme, revenaient avec une régularité d'horloge.

Chaque jour, une Patrouille était « d'honneur » (couleurs, service Messe, services divers, à table, etc., propreté du camp). Une Patrouille « d'entraînement » (techniques des accompagnements, décapelages du masque sous l'eau, exercices divers à faible profondeur); une Patrouille de plongée profonde au large.

Vingt minutes avant le départ du remorqueur qui devait nous ramener à Marseille, nous décidâmes de filmer au moins une des épaves coulées dans le port même du Frioul. Nos vêtements déjà embarqués, nous rejoignîmes ensuite directement à la nage, scaphandre sur le dos, le remorqueur qui allait appareiller.

Une dernière aventure nous attendait au débarquement, au Vieux-Port. Le « capitaine » d'un bateau de plaisance ayant laissé tomber depuis le quai son trousseau de clés, nous demanda d'aller le repêcher. Malgré d'activés recherches sur le fond infiniment varié du Vieux-Port, nous ne retrouvâmes pas le trousseau de clés du « capitaine ». Bon prince, il nous paya quand même à boire… »

Pierre LABAT.

Rédactionnel issu de la plume de Pierre Labat, paru dans « Scout ».

 

 

2 - Dans une interview, Georges Ferney relate le tournage du « Merveilleux Royaume », premier film subaquatique issu d’une fiction.

 

 

SOUVENIRS DE VACANCES DE LA PREMIERE TROUPE SCOUTE SOUS-MARINE

« A 60 mètres de fond, nous avons sonné… La cloche de bord d’une épave ! »

Le narguilé Cousteau sur les épaules, le garçon entame la découverte du sol sous-marin. L’air comprimé dans la bouteille parvient jusqu’à sa bouche et ressort à l’endroit précisé, sur notre photographie, par les petites bulles blanches.

Un choc brutal crève l'eau glauque, tendue comme une peau d'âne dans la fraîcheur de l'aube. Avec la belle assurance d'un scaphandrier, le garçon disparaît prestement et silencieusement sous l'eau. Au soleil naissant sur l'horizon rosé, se profilent la rade de Toulon et le rocher des Deux-Frères.

L'équipe de surface — cinq gars accroupis sur les roches plates — surveille la descente de François. La silhouette de ce plongeur de 15 ans tient plus du « martien » que d'un garçon en camping : masque, palmes aux pieds, détendeur, bathymètre bracelet. L'appareil — « Donald » — qui l'aidera à respirer sous l'eau, à explorer le monde merveilleux, a été entièrement construit par la patrouille : un masque à gaz tchécoslovaque aspire le visage comme une sangsue, une bouillotte en caoutchouc ballotte contre le torse, un long tuyau, mince comme un serpent, relie le plongeur au « plancher des vaches » ; une pompe à bicyclette lui fournit l'air nécessaire à une respiration normale !...

Deux mètres sous les eaux : grâce à ses pieds palmés, François s'enfonce, gagne les abîmes sous-marins. L'aventure est là, calme, sourde, mais terriblement présente. Le temps des grands jeux et des trésors à découvrir est passé ; mais le garçon se trouve brutalement face à face avec cette nature que bien des adultes ignoreront toujours : la faune des mers.

 

Trois mètres sous les eaux. Cinq mètres. Les couleurs, d'un seul coup de baguette magique, se métamorphosent : le maillot de bain rouge de François devient subitement vert ! Tout prend une teinte bleu vert. Des bancs serrés de petits poissons semblent planer... Silence complet. François relève la tête : au-dessus — très loin, lui semble-t-il — quelques rayons de soleil percent des tonnes d'eau. Pierre Labat et Georges Ferney ont lancé la première troupe scoute de plongée sous-marine. Et ils ont pu ainsi raconter, photographier et filmer le plus beau des spectacles du monde, par 70 mètres de fond.

 

Armé du narguilé Cousteau, Ferney s’apprête à plonger et à gagner les 70 mètres de fond. On distingue très nettement la combinaison de caoutchouc mousse, qui le préservera des fonds sous-marins.

 

DES APPAREILS DE PLONGÉE FABRIQUÉS PAR LES GARÇONS !

— Nous avons mené une aventure fantastique, me confie le cinéaste de la troupe, Georges Ferney, au cours d'un camp de quinze jours, dont l'activité essentielle était la plongée sous-marine. Trente garçons : l'âge variait entre 12 et 17 ans.

— Vos équipements ?

— Le chef du camp, Pierre Labat, connaissait le commandant Cousteau, le célèbre explorateur sous-marin, qui eut la gentillesse de mettre quelques-uns de ses appareils à notre disposition : le narguilé Cousteau autonome. Mais fréquemment, les garçons plongeaient avec des appareils qu'ils avaient eux-mêmes construits durant l'hiver.

Voici «  Donald » l’appareil de plongée construit par les Scouts : un masque à gaz tchécoslovaque, une bouillote, un long « macaroni ».

 

« Donald » fut le premier de ces appareils. Dans le second, le plongeur avait la tête entièrement enfermée dans une sorte de caisse étanche et, de ce fait, son visage n'avait aucun contact avec l'eau.

Les garçons y avaient installé un téléphone, mais qui présentait un inconvénient : on pouvait parler de la surface au fond de la mer, mais absolument pas communiquer du fond vers la surface ! Il se joua, à cause de ce manque de perfectionnement, un petit drame : un garçon, à dix mètres, ne reçut soudain plus d'air.

Il cria dans le téléphone : « Pompez ! Pompez vite ! » Et l'équipe de surface, qui n'entendait strictement rien, répétait, insouciante : « Observe bien les oursins, les couleurs ! As-tu repéré des cigales de mer? ». On parvint heureusement à remonter le plongeur, avant qu'un malheur ne fût arrivé !

— Quels dangers présentent les plongées sous-marines ?

— Aucun, car le camp était soumis à une discipline féroce. Quatre patrouilles : deux au camp, deux sur la mer, et jamais plus de quatre ou cinq garçons en plongée. Les autres assuraient la surveillance, épiant les moindres tressaillements du filin-signal de détresse.

Le second appareil construit également par les garçons dans lequel ils avaient installé un téléphone.

 

— Les garçons ont-ils subi un entraînement physique particulier ?

— Auparavant, non. Voici l'initiation d'un nouveau plongeur : équipement solide, narguilé, embout buccal. La première plongée ne dépassera pas 5 mètres de profondeur et le « nouveau » sera accompagné de deux plongeurs chevronnés. On met le garçon à l'eau (on est souvent obligé de l'y pousser, parce que, fin prêt, il se sent une horrible... frousse !) et généralement il gigote, se débat comme un beau diable, déplace son masque, « boit » et remonte, bien décidé à ne plus remettre ses palmes dans l'élément liquide ! Il accepte cependant, le lendemain, la seconde plongée (cinq ou six minutes) et le plus souvent en ressort... conquis.

— A qui appartient le record de plongée ?

— Au Commandant Cousteau : 100 mètres de fond. Les garçons du camp plongèrent à 40, 50, 60 mètres.

" J'AI SENTI DEUX POIGNARDS S'ENFONCER DANS MES TYMPANS... "

C'est à 70 m que Georges Ferney réalise son film sous-marin sonore et en couleurs : « Le Merveilleux Royaume ».

Equipé avec narguilé Cousteau, lunettes Squale, embout buccal, « macaroni » de 80 mètres et bouteilles d'air en surface, il plonge, caméra et appareil photo emprisonnés dans des boîtes étanches, piquant des pointes à 80 mètres de profondeur.

— Dès que la descente commence, me raconte-t-il, le plongeur perd la notion de temps : il ignore depuis combien de minutes il explore sous la mer... et se soucie peu de remonter ! Perte également du sens de la verticale et de l'équilibre : à cinq mètres de la surface, j'aurais été bien incapable de dire si je me trouvais la tête vers le fond, ou vers le soleil. J'ai eu soudain l'impression étrange de visiter une autre planète, en même temps que mon corps devenait ultraléger.

— Pour descendre à cette profondeur, où l'eau doit être aux environs de quatre degrés, n'avez-vous pas recouvert votre corps d'une couche de graisse ?

— Non : j'avais pris la précaution d'enfiler une combinaison qui englobait mon torse, mon ventre et mes bras : sans être étanche, cette écorce de caoutchouc mousse me protégeait du froid, en conservant sur ma peau une légère couche de chaleur et par conséquent d'eau tiède.

Trente mètres. Armé de sa caméra étanche, — à terre elle pèse trente kg, sous l’eau le cinéaste la tient facilement d’une main Georges Ferney s’est fait surprendre, à son tour… par le photographe.

 

« D'un seul coup, je sentis deux poignards s'enfoncer dans mes tympans et cela me causa une vive douleur : le phénomène était simplement dû à la pression de l'eau. Au fur et à mesure que le corps s'enfonce, que la profondeur augmente, la pression augmente. C'est pourquoi le plongeur doit habituer son corps, ses oreilles et ses poumons aux différents stades de plongée. Il doit permettre au corps de devenir familier avec chaque nouvelle pression et rester en palier pendant plusieurs minutes. « Les objets m’apparaissent tous bleu vert et très proches de moi. A partir d'une certaine distance, les rayons rouges du soleil ne peuvent plus percer la mer : c'est ainsi que Pierre Labat a un jour saigné du nez, par trente mètres, et les gouttes de son sang, collées à la vitre de son masque, lui apparaissaient du plus beau vert émeraude ! Le phénomène de réfraction fausse l'appréciation des distances sous l'eau : vous apercevez un garçon pratiquement à la portée de votre main, alors qu'il se trouve à six mètres de vous !

— Quelles sensations avez-vous éprouvées ?

— J'ai éprouvé, à partir d'un certain moment, l'impression d'être... un poisson, parmi ceux qui tournaient gentiment autour de moi ! L'impression de me retrouver dans mon élément : d'ailleurs, au bout de quelques minutes — et cela se produit chez tous les plongeurs — j'ai eu l'envie intolérable de me débarrasser de mon embout, de mon casque, de ma combinaison ! « Je vous disais qu'à quelques mètres de la surface, on perd le sens de la verticale sans s'en apercevoir ; vous comprendrez quelle maîtrise de soi doit posséder le plongeur, puisque à 70 mètres, la lumière n'arrive plus de la surface, mais du fond !

Cette perte d'orientation est dangereuse : on a vu des plongeurs vouloir remonter à la surface, foncer vers la lumière et... heurter leur crâne sur le sable !

PREMIÈRE RENCONTRE AVEC UNE PIEUVRE

— Quelles ont été vos « relations » avec les poissons et autres habitants de la mer ?

— Très amicales. Les poissons considèrent le plongeur avec curiosité, sans se soucier du danger qu'ils risquent, en copains. Ils ne sont absolument pas méchants, viennent rendre visite à cette créature blanche qu'ils n'ont jamais vue, reniflent et regagnent leurs « nids ». « ...C'était la cinquième fois que je plongeais, et la seconde que je pointais vers 70 mètres. Il y avait à peine quelques minutes que je battais des palmes, lorsque j'aperçus, sous un rocher sombre... des yeux jaunes de chouette qui me fixaient, immobiles.

— Les hiboux marins n'existent pas !

— Je me suis arrêté, j'ai attendu quelques secondes, et lentement une longue chose noire, imprécise, qui ressemblait à une lanière, s'est déroulée vers moi, a contourné mes épaules, et est venu me caresser le visage : c'était tout simplement une pieuvre !

—Dangereuse ?

— Dès que j'ai saisi mon « Foca » pour fixer sur la pellicule ma rencontre, la pieuvre a pris peur, et s'est enfuie !...

Quelques secondes encore, puis les clapotis disparaîtront, ce sera la découverte silencieuse et gigantesque du merveilleux royaume sous-marin.

 

Et Ferney avoue malgré tout sa peur. Cependant, il reste. Il recommence, patrouillant avec les garçons, dans les fonds sous-marins, avide de nouveautés, de nouvelles sensations. Il veut rester. Il en possède le courage, et à chaque nouvelle plongée, ce sont de nouvelles découvertes.

— Savez-vous comment je suis devenu l'ami des crabes ? J'étais descendu, cette fois, à quarante mètres et je décidai, pour filmer, de m'allonger sur le dos, à même le sable du fond, après avoir pris la précaution de déposer une pierre plate sur mon estomac, afin de ne pas remonter à la surface ! Cinq minutes plus tard : les crabes me passaient sur la poitrine, stationnaient quelques secondes et se rendant compte que la chaleur humaine de mon corps ne leur convenait pas, redescendaient dans leurs trous!

« Couverts des coups de soleil de juillet, mes mollets pelaient : je sentis soudain des petits suçons m'effleurer. C'étaient des dorades qui happaient et avalaient ces petites peaux mortes, certainement à leur goût!

 « Par quarante mètres de fond, conclut Ferney, le plongeur ne possède aucune crainte, aucune répulsion pour tout ce qui touche le monde marin.

...COMME LA CLOCHE D'UN VAISSEAU-FANTOME

40, 50, 60 mètres... Une poignée de garçons, véritables hommes-volants, ont plané au-dessus du cimetière des bateaux. Ensouillés sur le sable et la vase, si les vieilles carcasses dégingandées et pourries pouvaient raconter leur récit et leurs exploits... Le Saumur, au cap Bear, le Liban, près de l'île Maire, le Dalton, coulé la nuit de Noël, en 1903, au large du phare du Planier, le Tozeur, déradé en 1936, près de l'île Ratonneau...

— On connaît la situation approximative de l'épave, grâce aux instructions nautiques, m'explique Georges Ferney, mais une plongée de repère s'impose, évidemment. Brutalement, au moment où vous êtes en train de sourire aux merlans, l'épave surgit, telle une cathédrale, gigantesque et noire, droite sur ses cales, semble-t-il... Vous devinez la masse sombre qui se poursuit sous les eaux, les formes du bateau endormi, le pont arrière, les coursives, la cheminée légèrement sur le flanc. Et grouillant autour du monstre sans vie : les dorades, les sarrans à la tête si curieusement imprimée de caractères japonais, les anémones, les crevettes qui s'enfuient dans un crépitement de mitrailleuse...

— Avez-vous exploré l'intérieur d'une épave ?

— Oui, le Tozeur et le Tromblon. Ce dernier, cuirassé à éperon, torpillé en 1916. Nous naviguions, sur les coursives, disparaissions, ressortions par les écoutilles. A l'intérieur, le silence complet, parfois heurté du choc d'une « bouteille » contre un hublot d'acier rouillé. Le vide sombre ; tourmenté par des essaims de petits poissons noirs, ou par l'effilochement de minuscules pieuvres. La barre et le compas, encore debout, couverts d'algues et d'oursins. Le spectacle est Impressionnant : il devient lugubre, triste, lorsqu'un des garçons fait soudain sonner, à 60 mètres de fond, la cloche du bord : un petit son mât, étranglé, qui parvient à nos oreilles, sourd, glacé comme la cloche d'un vaisseau-fantôme...

*

Telle une symphonie qui éclate et scande le triomphe, les garçons aquatiques remontent à grands coups de palmes vers la lumière, dans un crépitement de minuscules bulles d'air, semblables à des chevelures de diamants.

On dirait d’étranges ballets de « Martiens »– s’ils existent – libérés de toute apesanteur. Ce sont tout simplement deux garçons de la première troupe scoute sous-marine, en plongée à dix mètres.

 

C'est le retour vers les hommes, l'adieu provisoire au monde sous-marin. L'antique carcasse rongée de l'épave s'estompe, disparaît sous le vert opaque des tonnes d'eau salée. Le soleil éclabousse la surface. Le maillot de François redevient rouge vermillon. On distingue très nettement le «macaroni» d'alimentation qui le relie à la barque.

Une tête qui émerge des vaguelettes, un pouce victorieux qui se dresse vers le ciel : « Comme ça ! ». Et, cachés sous la vitre épaisse du masque, deux  yeux qui rigolent de bonheur, qui réalisent mal ce nouveau visage de l'aventure qu'ils viennent de découvrir.

Les voix claquent comme des voiles dans l'embrun et le vent :

— Paré ?

— Paré !

Et un nouveau garçon plonge vers ce que Pierre Labat et ses hommes de quinze ans appellent le Merveilleux Royaume.

 

Le journal de Tintin n° 276 

VIII - « Le Merveilleux Royaume » en librairies et sur les écrans

 

NB : Dans un autre de ses échanges épistolaires, Pierre Labat mentionne que « le Merveilleux Royaume » est incontestablement l’ouvrage qui lui tenait le plus à cœur.

 

 

 « L’AVENTURE SOUS LA MER »

Commentaire pour le film

« Le Merveilleux Royaume »

Voix off Pierre Labat

 

Ci-dessus : Les feuillets qui constituent le commentaire du film « le Merveilleux Royaume » et la copie 16 mm.

 

« La Rivière Mystérieuse, la Forêt Enchantée ou la Grotte du Dragon, combien de jeunes aventuriers les ont vainement cherché dans un monde moderne où le moindre sentier est parsemé de pompes à essence... Tout cela existe, pourtant, non dans une contrée lointaine et inaccessible non dans les astres ou une quelconque fusée nous emmènera peut-être un jour, mais chez nous, à notre portée, à nos pieds.

De notre terre appauvrie, où le moindre arpent, balisé et cadastré, est devenu l'objet d'âpres querelles, plus des trois quarts demeurent en friche, inexplorés, inconnus, et cependant c’est dans cette portion du globe que la vie foisonne avec le plus d'intensité. Là, s'ouvrent des vallées profondes recouvertes de végétation luxuriante, des plaines immenses aux horizons sans fin parcourues par les plus étranges des créatures. Là, dorment des trésors auprès desquels les inventions fantastiques des conteurs de légendes pâlissent de pauvreté. Là, les spectacles les plus inouïs, les formes les plus inattendues, les couleurs les plus rares, s'offrent aux yeux émerveillés…

Ce pays de mystère et de rêve, sa découverte, chacun de nous peut y accéder sans peine, chacun peut lui ravir ses richesses sans remords, jouir de sa beauté sans inquiétude. C'est une contrée dont la conquête n'est que pacifique, dont la colonisation ne frustrera jamais nulle peuplade. Ce royaume est de ce monde mais il n'est pas le royaume des hommes noirs, jaunes ou blancs : c'est le royaume sous la mer...

*

Pour pénétrer et séjourner sous la mer, on connaît, depuis 1855 environ, le classique scaphandre à casque,  qui fut inventé et perfectionné sous le Second Empire par Siebe, Rouquayrol, Cabirol et Denayrouze.

L'engin est lourd, coûteux à l'achat, compliqué dans son utilisation. Seul, un professionnel peut s'en servir sans danger. En outre, il est conçu pour permettre au scaphandrier de marcher au fond de la mer, d'y prendre appui, afin d'exécuter telle besogne précise. C'est un équipement de travail excellent. Ce n'est pas un appareil d'exploration, encore moins de tourisme.

 

Depuis une vingtaine d'années environ, grâce aux recherches de Le Prieur, de Cousteau et Gagnan, l'explorateur sous-marin dispose d'un autre équipement : un scaphandre autonome léger, relativement peu coûteux à l'achat et d'un emploi aisé. Revêtu de cet appareil, le scaphandrier flotte sous les eaux sans pesanteur aucune. Il peut se déplacer dans tous les sens, évoluer à sa guise, stationner à mi-hauteur au flanc d'une falaise, nager en surface s'il est besoin.

Le scaphandre autonome Cousteau-Gagnan se compose d'un masque, englobant uniquement les yeux et le nez, masque analogue à celui qu'utilisent les chasseurs sous-marins, ou même certains baigneurs. Sur le dos, fixées à la manière d'un sac tyrolien, une ou plusieurs bouteilles métalliques contenant de l'air comprimé à 150 ou 200 Kg de pression environ. A la sortie de ces bouteilles, un détendeur spécial, placé au niveau des omoplates du scaphandrier, détendeur qui a été conçu pour délivrer l’air des bouteilles à la pression exacte qu'exerce l'eau au niveau où il se trouve. Cet air est débité dans un tuyau de caoutchouc terminé par un embout que le plongeur serre entre les dents.

L'air est aspiré uniquement par la bouche et rejeté de la même manière. Il est ensuite évacué au moyen d'une soupape et se disperse en bulles qui se hâtent vers la surface.

Une variante de cet équipement existe sous le nom de Narguilé : Là, le plongeur n'emporte pas sa réserve d'air. Les bouteilles demeurent à terre ou à bord d'une embarcation. Elles peuvent alors être beaucoup plus volumineuses et assurer un séjour sous l'eau plus prolongé. Un long tuyau de caoutchouc relie le plongeur à ses bouteilles, mais le détendeur demeure toujours fixé sur le dos du scaphandrier. C'est un petit appareil de la grosseur d'un réveille-matin : il n'est ni lourd, ni encombrant. Le narguilé, bien entendu, est un excellent appareil de plongée d'un fonctionnement très sûr. Mais il n'est pas autonome puisque le plongeur demeure relié à la barque ou à la terre par le tuyau d'amenée d'air.

Il existe encore d'autres équipements où les bouteilles sont remplacées par des pompes à bras, qu'on actionne à terre ou dans la barque. Enfin, une autre catégorie d'engins sous-marins comporte, non plus des bouteilles d'air, mais des réserves d'oxygène pur. Ce sont les appareils (Davis, Pirelli) dits : à circuit fermé, d'un emploi délicat. Ils permettent des plongées très prolongées, à profondeur relativement faible. Leur usage est uniquement militaire.

Ce serait une erreur de croire que la plongée sous-marine est un exercice uniquement réservé à des adultes plus ou moins athlétiques. Si des poumons et un cœur en excellent état sont nécessaires au plongeur, par contre il n'est pas d'âge requis, ni de musculature exceptionnelle indispensable. Il n'est même pas obligatoire de savoir nager, surtout si l'on utilise le Narguilé.

L'an dernier, nous avons plongé chaque jour, durant une quinzaine, en compagnie d'un groupement de jeunes dont la plongée sous-marine constitue l'activité essentielle. Ces garçons étaient âgés de 12 à 18 ans. Il y eut plus de cent plongées effectuées sans le moindre incident.

NB : Les jeunes lecteurs du « Merveilleux Royaume »  connaissent bien entendu un autre cliché représentant Pierre Labat remontant des profondeurs, le visage encore à demi immergé et le pouce levé. Car celui-ci est reproduit en page 176 de son ouvrage. Cet instantané fut pris par son ami Paul Pergola. Mais quelques instants plus tard  c’est Georges Ferney qui fixa sur la pellicule son confère et ami Pierre Labat.

*

L'embarcation nous a amené au largue et, en dépit du ressac, nous nous sommes amarrés à un roc isolé, hanté par les seuls oiseaux de mer.

A nos pieds, une eau sombre clapote doucement. Par la carte marine, nous savons que de brusques dénivellations existent là. Il ne sera pas nécessaire de nous éloigner beaucoup de notre base provisoire pour trouver des fonds intéressants et même l’épave d’un cargo qui sombra contre cette roche il y a une vingtaine d'années.

En maillot de bain, nous nous équipons rapidement. Notre "tri-bouteilles" qui pèse une trentaine de kg, parait bien lourd... Tout à l'heure, dans l'eau, il ne pèsera plus rien, en vertu de ce bon vieux principe d'Archimède, que je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler.

Lavons soigneusement notre masque pour éviter la condensation. Chaussons des palmes de nage et ceignons nos reins d'une ceinture lestée de plomb. Pour que notre poids total corresponde exactement à celui du volume d'eau déplacé, il est en effet nécessaire de nous alourdir encore. Nous voilà enfin prêts.

Pour nous mettre à l’eau, nous pouvons soit descendre par l'échelle fixée au flanc de la barque, soit, si nous sommes à terre, partir du rocher, ce qui est parfois acrobatique. Mais, quelle que soit la méthode, nous nous apercevons tout de suite que, loin de couler, nous avons une tendance fâcheuse à flotter à peine immergé, entre deux eaux.

Expirons, par la bouche, l'air contenu dans nos poumons et donnons quelques vigoureux coups de palmes. La descente s'amorce, aussitôt une douleur assez brève se fait sentir dans les oreilles. Premier effet de la pression ; pourtant nous ne sommes encore qu'à trois ou quatre mètres et la surface apparaît toute proche au-dessous, comme un ciel bleuâtre, délicatement pommelé d'argent. Aspirons un bon coup, toujours par la bouche. Notre descente est aussitôt freinée. Profitons-en pour déglutir farouchement afin d'équilibrer au plus tôt la pression de l'air dans notre oreille interne avec la pression extérieure exercée par l'eau sur nos tympans. En quelques secondes, les douleurs d'oreille se calment nous allons pouvoir continuer notre descente que nous poursuivrons ainsi par paliers successifs.

A quelle profondeur pourrons-nous aller ?... Cela dépend, évidemment, de notre entraînement. Une dizaine de mètres seront atteints, dès les débuts, avec facilité. Vingt ou trente mètres seront accessibles un peu plus tard. Au-delà, une certaine éducation du plongeur est nécessaire. Mais notre appareil, lui, permet d'aller beaucoup plus bas, à 60, 80 ou même 100 mètres pour les plongeurs de grande classe. N'oublions pas, toutefois que le Premier-Maitre Fargues est mort pour avoir plongé à 120 mètres de profondeur.

Vers 20 mètres, nous rencontrons nos premiers poissons de taille appréciable. Ce sont des daurades et des merlans. Loin de fuir, ils évoluent autour de nous sans aucune crainte, folâtrent dans nos bulles dont ils paraissent apprécier la chatouilleuse caresse. Parfois, le plongeur rencontrera une pieuvre ou une murène, animaux réputés dangereux, mais qui sont à la vérité surtout craintifs et se hâtent de fuir vers quelque inaccessible trou de rocher.

Sitôt la surface traversée, nous avons assisté à une curieuse transformation des couleurs. Notre maillot, qui était d’un beau rouge vif, est devenu dès les premiers mètres, du noir le plus sombre. A vingt mètres, notre corps est verdâtre et l'horizon qui nous entoure uniformément bleuté. Horizon limité, du reste : nous avons l'impression de flotter sans aucune pesanteur dans une sorte de brouillard plus ou moins opaque, parcouru par des ombres. A dix mètres de nous, le contour des rochers est imprécis. Etendons nous en pleine eau avec une impression totale de repos.

Au-dessous, il y a parait-il une faille rocheuse profonde de plusieurs centaines de mètres. Survolons sans crainte, à lents coups de palmes, cet abîme noir d'où monte une eau glacée. A droite, s'ouvre une vallée sinueuse, assez semblable à une vallée terrestre, toute velue de végétation marine et animée par le lent cheminement des bancs de saupes ou le vol lourd des raies pastenagues, assez semblables à des modernes "ailes volantes".

Cette vallée va nous conduire à l'épave, but de notre plongée. Bien que nous connaissions exactement l'emplacement de cette épave, elle demeure néanmoins difficile à repérer car la visibilité est limitée et la végétation, en revêtant la coque, lui a donné l'apparence d'un quelconque amas rocheux.

Pourtant, nous distinguons tout à coup une paroi inclinée dont la régularité décèle l'origine humaine. Trente mètres au bathymètre de poignet, petit appareil qui nous indique notre profondeur. C'est bien là. Lentement, nous suivons la rambarde, survolons le pont du navire incliné à 45 degrés. On distingue encore, dans une sorte de clair de lune, un bossoir dégarni, une manche à air chevelue d'algues. Certains plongeurs ont réussi, parait-il à "piquer" un coup sur la cloche du bord.... Réveil d'outre-tombe d'un vaisseau fantôme...

Nous pourrions pénétrer à l'intérieur de ce navire mort, retrouver dans le désordre du mobilier brisé un peu de l'histoire de ce naufrage. Mais nous avons résolu, aujourd'hui de plonger au plus bas, jusqu'aux hélices. Sautons la rambarde et piquons vers les profondeurs.

Quarante, quarante-cinq, cinquante, cinquante-deux mètres... Les hélices reposent sur la roche, à peine encastrées... Près d'une pale tordue dort une grosse araignée de mer...

Nous nous sentons envahis par une bizarre ivresse... A peu près celle que procure l'abus des boissons fortes... C’est le même optimisme, la même sensation que rien n'est impossible, mais avec, en moins, les gargouillements d'estomac...

C'est la narcose des profondeurs, phénomène assez mystérieux dû à l'absorption d'air à une pression, ici, de 5 kgs 200, soit une pression égale à celle qui règne dans un pneu de poids lourd...

Il faut remonter, d'autant que la provision contenue dans nos bouteilles ne va pas tarder à s'épuiser. Mais remonter sans hâte et surtout respecter scrupuleusement le "palier" de 15 à 20 minutes qu'il nous faut faire à cinq mètres sous la barque pour nous "décomprimer" progressivement.

Et nous nous retrouverons à terre un peu grelottant... Mais nous rapportons l'impression d'avoir vécu de longues minutes loin de notre planète, d'avoir forcé les portes d'un royaume interdit, d'avoir, pour un temps, échappé au monde des hommes ».

PIERRE LABAT & Georges FERNEY – Janvier 1954

NB : Ceux qui ont connu et approché Pierre Labat se souviennent certainement du timbre de sa voix qui était assez grave et dotée d'un léger accent du midi Pyrénées. Bien entendu dans le film ses commentaires sont entremêlés d’un fond musical.

C’est  la musique classique qu’aimait tant Pierre Labat qui vient agrémenter ses propos. Elle est jouée par le père de son ami Paul Pergola, qui était organiste Paris, à la paroisse de Saint-Germain l’Auxerrois, où avant-guerre son jeune  fils fut Scout dans le quartier des Halles. Il y connut d’ailleurs, deux figures incontournables du Signe de Piste, qui ne sont autres que Pierre Joubert et Jean-Louis Foncine.

Quant  au film lui-même, il fut projeté à différentes reprises, et il fut  même question, lors de sa sortie sur les écrans, d’en présenter une version longue au festival de Cannes (ainsi que l’évoque Pierre Labat dans sa lettre ci-dessus).

Mais à notre connaissance l’affaire en est restée là. 




Un jeune tarbais Pierre Labat vient d’écrire un maître-livre sur

Le Premier Groupe de Plongée « Scouts de France »

Le Commandant Cousteau a tenu à préfacer

« Le Merveilleux Royaume »

 

 

Au moment où le monde, stupéfait, vient d’apprendre que deux français l’ingénieur Willm et commandant Houot, sont descendus au large de Dakar, a 4.050 mètres, à bord d’un bathyscaphe, version améliorée du F.N.R.S. 2 du professeur Piccard, un livre paraît « Le Merveilleux Royaume » qui est l’un des plus étonnant ouvrages jamais écrits sur la fascination qu’exerce la mer et la connaissance que des hommes intrépides veulent en avoir.

NB : A droite sur le visuel ci-dessus, on découvre la dédicace faite par Pierre Labat à l’attention de Monsieur Frédéric Dumas, équipier légendaire du Commandant Jacques-Yves Cousteau a bord de « La Calypso».

 

Ce livre, un pyrénéen l'a signé : Pierre Labat— un moins de trente ans — qui a laissé un si bon souvenir lors d'un bref passage dans le Barreau tarbais et qui est actuellement attaché au service du Contentieux de l'A. T. S.

Plongeur sous-marin émérite, animateur de la troupe des Scouts de France de Tarbes, initiateur de scouts sélectionnés pour les plongées, en scaphandre autonome, Pierre Labat a eu l'honneur de participer à l'une des passionnantes missions menées à bien l'an passé par le commandant Jacques Yves Cousteau et son équipe, à bord de « la Calypso »,

Nous laisserons à la préface qu'à écrite le commandant Cousteau pour « Le Merveilleux Royaume » le soin d'en souligner l'atmosphère si prenante et d'en dégager la leçon d'intrépidité et de dépassement de soi.

« Labat est un de ces hommes qui ont à remplir la plus belle mission »

NB : Le récit de Pierre Labat, « le Merveilleux Royaume » fut le premier Signe de Piste illustré de photographies. Certaines d’entre elles sont dues au Commandant Jacques-Yves Cousteau lui-même.

 

« Au mois de juillet, la Calypso amarrée dans l'arsenal de Toulon se préparait à entreprendre les laborieuses fouilles d'archéologie sous-marine de l'îlot du Grand Congloué, au large de Marseille.

 Notre nouvelle expédition, se proposait de récupérer l'ensemble de la cargaison d'un navire marchand grec coulé par quarante mètres de fond, au troisième siècle avant Jésus-Christ, et même d'en remonter la coque elle-même.

L'entreprise était considérable, et ne pouvait être envisagée sans de nombreux concours désintéressés.

Pierre Labat vint à bord me proposer son temps ainsi que celui de plusieurs de ses camarades scouts. Je plongeai mon regard dans ses yeux décidés, cherchant à peser l'homme que je n'avais rencontré qu'une fois auparavant. Qui était au juste ce Chef de Troupe, qui chaque année entraînait une trentaine de garçons vers la mer, prenant sur soi de les initier à la plongée en scaphandre autonome?

Quel but personnel s'était-il donné en venant à nous, quel intérêt trouverait-il à se dévouer à la moins rentable des aventures ?

« Comme pour répondre à ces questions que je n'avais pas osé poser encore, Labat me remit avec un imperceptible sourire le manuscrit du « Merveilleux Royaume ». Je l’avais à peine parcouru que j'étais fixé et l'avenir de nos relations devait mieux encore confirmer et préciser mon impression.

Labat est un de ces hommes qui ont à remplir la plus belle mission : celle d'éblouir la jeunesse en l'entraînant à la conquête des splendeurs de la Nature, de lui dévoiler les joies profondes de l’effort et même du risque gratuit, car le bonheur ou tout simplement l'équilibre de l'âme ne sauraient se satisfaire de la seule lutte pour une vie décente. Les héros tombés sur les flancs de l'Everest ou mutilés par l'Annapurnia, les Fargues ou Servanti morts en plongées profondes sont l'expression même d'une civilisation qui exige bien plus que le pain de chaque jour.

Pierre Labat et Raymond Kientzy ont passé avec nous leur réveillon de Nouvel An sur un îlot rocheux battu par la mer. A minuit, ils ont plongé dans l'eau noire et froide pour remonter de l'épave profonde une amphore qui est un symbole de notre Foi ».

 

« Le Merveilleux Royaume » est aussi un film en couleurs qui sera présenté aux Tarbais le 31 mars

Cette amphore, aux lignes harmonieuses, nous l'avons vue dans le studio de Pierre Labat, studio dans lequel des maquettes de navires, de magnifiques agrandissements de photos sous-marines créent une ambiance qu'on s'attend vraiment plus à trouver dans un paisible appartement bordant les Allées du Général Leclerc.

Négligeant pour un instant de nous parler de son livre, Pierre Labat nous indique que les Tarbais auront l'occasion de voir, au cours d'un gala exceptionnel le 31 mars au « Paris »  le film réalisé par le Premier Groupe de Plongée « Scouts de France ». Ce film en couleurs sonore et parlant d'une durée de 35 minutes évoquera les étranges et multiples activités d'une troupe sous-marine, rendra familiers les appareils  dont elle se sert, montrera les phases des plongées, l'extraordinaire variété des fonds marins et la non moins grande diversité de la faune sous-marine,

A ce film, dont les images sont de Georges Ferney et dont il a écrit le commentaire Pierre Labat a donné le même titre qu'à son livre « Le Merveilleux Royaume ».

« Comme les acteurs improvisés que vous verrez évoluer dans le film, les personnages du livre sont de chair et d'os », nous a dit Pierre Labat.

 

« Un monde aussi secret que la plus lointaine des planètes »

« Jeune, déclare l'auteur dans la bande qui enclot son livre, je te conduis dans un monde aussi secret que la plus lointaine des planètes. Un monde où tu évolueras délivré de toute pesanteur, où tu joindras deux cimes rocheuses d'un long plané, survolant d'un coup de palmes les failles  profondes où gîtent mille créatures étranges, à peine devinées...

 « Le Merveilleux Royaume » que nous venons de parcourir d'un trait est un livre à nul autre pareil. La belle et chaude camaraderie qui unit tes plongeurs scouts rassemblés par la révélation d'une commune vocation sous-marine, l'histoire de leurs tentatives, de leurs défaites, de leurs triomphes, la description parfois hallucinante des fonds sous-marins et des épaves, le récit de l'ultime plongée à 70 mètres, qui achève le livre ont inspiré à Pierre Labat des pages dans lesquelles sourd constamment une rare et intense émotion humaine.

« On s'en rendra d'ailleurs compte en lisant ci-dessous les trois pages qui terminent le livre dédié à tous ceux qui sont morts pour avoir trop aimé le Merveilleux Royaume ».

*

 

Pierre Labat raconte…

« Et maintenant, toi qui viens de tourner le dernier feuillet de ce roman qui n'en est pas tout à fait un, toi qui rêves sans doute, toi qui peut-être fais des projets, n'oublie pas. La mer reste la Mer, et la mort reste la Mort.

Pour tous ceux dont tu peux avoir la responsabilité.

Pour toi aussi.

Le livre était fini quand nous attendîmes en vain l'un d'entre nous. Il avait suffi d'une mer brusquement réveillée, d'un retard de quelques secondes pour l'exécution d'une évolution, d'une perte de contact dans l'eau troublée soudain, vers la fin de la patrouille, à l'instant où les bouteilles presque vides limitent l'autonomie.

Nous replongeâmes avec le sentiment que chaque seconde tuait. Puis le Chef regardé sa montre, se passa la main sur le front et dit :

— Maintenant c'est fini. Il ne peut plus avoir d'air.

La colonne de bulles s'était tarie pour toujours.

Nous continuâmes à chercher sous l'écran des brisants, à travers la brume vivante faite des particules en suspension que les lames soulevaient.

Le soir, quand tout l'air des bouteilles fut épuisé, nous nous arrêtâmes.

Je trouvais que le prix était lourd, j'imaginais que peut-être toi aussi un jour, ayant à ton tour voulu connaître le Merveilleux Royaume, tu dériverais doucement vers le fond, masque arraché, poumons pleins d'eau et bras en croix.

Et je regrettais d'avoir écrit.

Puis, comme il restait quelques minutes avant le dîner du soir, le Chef donna l'ordre à l'un d'entre nous de prendre un masque léger et d'aller dans la crique, au pied du laboratoire, vérifier le fonctionnement de la boîte caméra à surpression automatique. Et je compris que tout continuait que nous resterions fidèles à celui qui n'était pas remonté, et que c'était très bien ainsi.

En vérité, cela, ne vaut-il pas que l'on risque sa vie ?

D'un côté, quelques photos, quelques mètres de film. De l'autre, de l'argent, du temps, des forces, et surtout des cadavres de jeunes hommes qui jalonnent toujours les chemins des entreprises désintéressées.

C'est l'Honneur et la Grandeur de l'Homme, de tenter de telles expériences malgré le déséquilibre apparent de la balance. Le jour où sur le point d'entreprendre une action, nous nous demanderions chaque fois : « Est-ce que c'est rentable ? A quoi ça sert ? », Ce jour-là tout notre sens social, tout notre esprit communautaire, toute notre rationnelle organisation économique, n'empêcheraient pas notre civilisation de n'être plus d'une association d'animaux débrouillards, castors, fourmis, termites à peine évolués. Nous ne serions plus des Hommes, nous aurions trahi.

Le lendemain, de la mort en plongée de notre compagnon, sur la jetée du petit port, un groupe de badauds s'étonna que nous n'ayons point pour autant cessés nos descentes sous la mer. Ils ne comprenaient pas et cela les troublait de ne pas comprendre. Un imperméable jeté sur mon uniforme, mêlé à la foule, j'écoutais. Un vieux pêcheur leva les deux mains, et dit :

— Que voulez-vous ? C'est leur idée…

Sur cette phrase qui consacrait le mystère, bien plus qu'elle ne l'expliquait, ils se séparèrent. Et moi je tournais dans ma tête la phrase du vieux pêcheur et je songeais à notre ami qui avait risqué de mourir et qui était mort, « parce que c'était son idée ».

En vérité, cela ne vaut-il pas que l'on risque sa vie ?

Oui certes, même aujourd'hui, surtout aujourd'hui, j'en suis sûr, et je voudrais, garçon, te faire goûter à sa certitude. Sans conteste, la conquête mérite que tu te hasardes. A la seule condition toutefois de mettre le maximum de chances de ton côté, de mesurer avec une parcimonie minutieuse la part du danger à laisser au vaques, à la brume glauque, à la mer pesante. Car l'Aventure n'est pas dans la mort mais dans le combat, et la mort même ne peut avoir un sens que si l'on a tout fait pour la vaincre.

Jeune, je voudrais te parler comme à un homme. J'ai renoncé à placer dans ce roman quelques scènes trop brutales, certaines descriptions trop cruelles. Par égard pour toi d'abord, certainement aussi parce qu'il est de multiples aventures vraies qui peuvent sans inconvénient s'intégrer dans une intrigue romancée et d'autres au contraire qu'il serait sacrilège de transposer car elles appartiennent à des morts, non point des morts de roman tranquillement décédés au terme d'une agonie littéraire, mais des morts véritables, tirés de l'eau après des heures de recherches, livides et souillés de sable, et péniblement déshabillés de tout leur attirail de caoutchouc et de métal oxydé.

C'est une drôle de chose, sais-tu, de placer dans sa bouche l'embout d'un appareil en se disant que trois jours avant, un autre est mort, cet embout coincé entre les agents. C'est pour t'éviter pareille expérience que je te mets en garde.

Après tes premières plongées réussies, tu t'imagineras tout posséder au center d’un univers accueillant et facile.

Méfie-toi toujours.

C'est au moment où tout semble allez le mieux que l'incident te guette, un incident qui peut en quelques secondes se transformer en accident...

N’oublie pas que tu es dans un monde sinon hostile, tout au moins  indifférent, de cette suprême indifférence des choses, et qui peut t'asphyxier en quelques secondes, sans que même un remous vienne troubler la surface.

Tout cela non pour te décourager, mais pour te préparer. Non pour te repousser, mais pour te prémunir, non pour diminuer ton désir, mais pour l'augmenter.

Avant de ceindre ton front de la couronne du masque, de vêtir ton dos du pesant appareil qui va t'ouvrir les portes du Merveilleux Royaume, selon la formule des anciens Sacres, je te souhaiterai volontiers « le courage du lion » peut-être, mais aussi la « prudence du serpent »...

Et maintenant, un grand sourire tout juste un peu forcé.

O.K. pouce en l’air !

Du fond du cœur,  bonne plongée ! »

Pierre Labat

« Le Merveilleux Royaume » est édité par les Editions Alsatia Paris qui ont déjà publié deux romans « Conrad », « Le Manteau Blanc » et le récit « Deux Rubans Noirs », signés de Pierre Labat.

 « l’Eclair des Pyrénées ».

NB : Signalons que peu de temps avant la présentation à Tarbes en mars 1954 du film « Le Merveilleux Royaume », un ami de Pierre Labat,  Jacques Ertaud, pionnier en matière de cinéma sous-marin, spéléologue, et premier cinéaste de l’équipe Cousteau, s’était rendu lui aussi, dans cette même ville du midi Pyrénées, pour présenter plusieurs œuvres cinématographiques dont une filmée durant la première mission de « La Calypso » en Mer Rouge. Bien  entendu, Pierre Labat était présent dans l’assistance lors de cette présentation

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Pour en savoir plus :

Sur Jacques Ertaud : http://plongeur-radin.com/fr/plongeurs-historiques-francais-culture-plongee/4017-jacques-ertaud-1924-1995.html

Et sur sa présence à Tarbes : http://plongeur-radin.com/fr/monde-de-la-plongee-sous-marine/4022-jacques-ertaud-cineaste-des-abimes-a-l-imperial-le-18-fevrier-.html

 

NB : Le film « Le Merveilleux Royaume » fut projeté à différentes reprises, au cours des années 50, à notre connaissance il y eut aussi une projection en avant-première, au Ministère de la Marine.

 

Ci-dessus :

Un programme d’une fête de groupe des années 50 organisée par le Groupe Scout Charcot à l'occasion de laquelle fut projeté le film.

 

IX - Les projets de Pierre Labat, après « Le Merveilleux Royaume »

    

N B : Après la sortie du livre et du film « Le Merveilleux Royaume », Pierre Labat reprendra sa plume afin de rédiger deux autres ouvrages. Mais hélas le temps lui est compté et ces manuscrits resteront inédits. Pour ce qui est du premier, qu’il évoque ci-dessus dans l’une de ses nombreuses correspondances avec Georges Ferney,  il avait pour titre provisoire « Carnet de Plongée ». Il s’agissait d’un  manuel de plongée-sous-marine entremêlé de ses propres aventures subaquatiques que Pierre Labat destinait aux jeunes novices et dont il avait entamé la rédaction fin 1954. Quant au second, Il s’agit d’un roman rédigé peu de temps avant sa disparition et intitulé « Le Chevalier et la Mort ». Celui-ci lui fut inspiré par une célèbre gravure du même nom. Car Pierre Labat était aussi un grand amateur d’art. 

 

NB : Ce courrier de la main de Pierre Labat sera le dernier échange épistolaire Labat/Ferney. Certains anciens Scouts de la troupe de Pierre Labat se souviennent de ces deux manuscrits et quelques-uns ont eu la chance de pouvoir les lire.

Mais hélas, nous n’en avons pas retrouvé trace à ce jour. 

 

 

Dans le n° 313 de la revue « Le Chef », on découvre en page 53, dans la rubrique intitulée  « Formation et Perfectionnement des Chefs Scouts Marins » ces quelques lignes : « Un stage initiation aux techniques sous-marine (plongée utilisation des appareils respiratoires etc…) aura lieu au mois d’août du 8 au 20, à Fort Saint-Elme près de Toulon, sous la responsabilité de Pierre LABAT et avec l’aide de la Marine Nationale ». A l’occasion de ce camp, qui sera d’ailleurs le dernier pour la 3ème Tarbes à se dérouler à cet endroit, certains des Scouts de sa troupe Tarbaise seront présents. Pierre Labat les énumère dans l’un de ses échanges épistolaire avec FERNEY, ils se prénomment : Marc, Jean-Claude, Julien, Serge, Jean-Paul… Il les avait inscrit, afin qu’ils effectuent, en sa compagnie, un stage d’initiation pré-militaire de nageurs de combat.

 

 

 

X - L’ultime plongée sous-marine du mardi 16 aout 1955

Ci-dessus :

On distingue au premier plan, debout à l’intérieur de l’embarcation,  Pierre Labat qui s’apprête à larguer les amarres pour se rendre à proximité du rocher dit des « Deux Frères », que l’on aperçoit au large, afin d’effectuer l’une de ses innombrables plongées sous-marine.  

 

N B : Concernant les circonstances exactes de l’accident de plongée sous-marine qui coûta la vie à Pierre Labat, la thèse, d’un incident cardiaque dû à une trop grande fatigue est sans doute la plus vraisemblable. A-t-il été victime d’un malaise, ce n’est pas impossible. A l’époque la médecine et sa technique n’était pas la même qu’aujourd’hui et l’on croira à un manque de respect de sa part des paliers de décompression. Une fois revenu à la surface, Pierre Labat fut placé à la hâte dans le caisson de décompression du GERS (Groupe d’Études et de Recherches Sous-marines) et quelques moments plus tard il succomba.   

 « Plongeant sur une épave de la rade, il s'est retrouvé sans air à 30m de profondeur. Très entraîné, il est remonté sans larguer sa ceinture de plomb et sans lâcher la caméra qu'il avait emportée pour réaliser un film avec ses scouts. Arrivé en surface, il a crié « Aidez-moi, je m'évanouis ». Ou quelque chose d'approchant. Les jeunes ont sauté à l'eau et l'ont récupéré, peut-être à un ou deux mètres d'immersion, Ayant perdu connaissance, il a dû avaler de l'eau, même en faible quantité. A ce moment passe un bateau d'entraînement de plongeurs de la Marine qui récupère Pierre évanoui. A bord, le réflexe premier est de conclure à l'accident de décompression, ce qui n'était pas le cas vu son très court séjour au fond. Mais, croyant bien faire, on le « recomprime » dans un caisson monoplace et le transporte en urgence au GERS au (grand) caisson de traitement. Nous sommes présents à ce moment avec mes amis. Pierre est mis dans le grand caisson, mais il est trop tard il est devenu, par l'effet d'une trop grande bonne volonté, « un noyé sous pression » Accident qui ne pardonne pas, surtout à cette époque. Au milieu de la nuit, le capitaine de frégate Chauvin, « Pacha » du GERS, qui nous estime et qui connaît nos liens d'amitié avec Pierre, nous appelle au Caisson. « Les gars, nous dit-il, vous pouvez venir voir votre ami, il est en train de mourir... ». A travers le hublot, nous regardons chacun à notre tour les derniers instants de Pierre Labat. Il vient de décéder pour avoir voulu trop bien connaître son Merveilleux Royaume ».
Témoignage de Bernard Cabrejas et Gérard Loridon rapporté par Georges Imbert, tous trois plongeurs au Gers.
(Texte reproduit en 2012 in : « Mémoires du scoutisme tarbais »).

 

Les Funérailles de Pierre Labat – Le 22 Août 1955 à Tarbes

La presse locale, nationale, spécialisée, de jeunesse, professionnelle et scoute va ouvrir ses colonnes. Et la triste disparition de Pierre Labat va faire les gros titres de leurs publications.

Les obsèques de Me Pierre Labat

Lundi matin, à la Cathédrale, ont eu lieu les obsèques de Me Pierre Labat en présence d'une affluence considérable.  Le catafalque dressé devant l'hôtel disparaissait sous un amoncellement de magnifiques gerbes de fleurs. On remarquait des délégations de Scout, de l'A.T.S., du Corps Franc Pommiès. Le barreau de Tarbes était largement représenté. Dans le chœur avaient pris place une vingtaine de prêtres. La messe de requiem a été dite par le R.P. Recour aumônier des scouts et l'absoute donnée par M. l'archiprêtre Rivière. A l'issue de la cérémonie religieuse M. le Bâtonnier Caussade a rendu un témoignage ému à la mémoire du disparu.

Ci-dessus

Me Pierre Labat vêtu en robe d’avocat (cliché : Studio Alpy -Tarbes).

 

DISCOURS DE MONSIEUR LE BATONNIER JEAN CAUSSADE

« L'Ordre des Avocats s'incline douloureusement devant la tombe de Pierre Labat, qui a porté avec fierté. La robe noire, qu' a honoré, plusieurs années, son jeune talent. « Visage net, regard franc avec une pointe de joueuse surprise », tel m'apparut Labat, comme dans « Conrad » il parlait lui-même de ses scouts, le jour de sa première visite chez l'aîné que j'étais. La Croix de guerre sur son veston faisait mentir sa figure d'enfant, en révélant aussi son courage tranquille. Le Barreau de Tarbes, qu'il a traversé avec la rapidité et l'éclat d'une, étoile fulgurante, l'avait accueilli dans le sentiment qu'il s'enrichissait vraiment d'une personnalité hors-série, comme allait être son destin, il borda la barre difficile avec l'autorité et la prestance d'un Bâtonnier chevronné. A la Cour, me disait ces jours-ci (car nous parlions souvent de lui, bien qu'il nous eût quitté} le Bâtonnier Causette qui fut son patron et son ami, lorsque pour la première fois, s'éleva cette voix inoubliable qui révélait sa flamme et sa pureté, les Conseillers, ravis par cet adolescent prestigieux, écoutèrent gravement ses débuts prometteurs. Car ils étaient conquis par l'élégance du verbe et la pertinence de la logique. C'est qu'il -plaidait avec la conviction d'une haute mission dont il savait l'importance et parfois le danger et, par scrupule, comme par liberté, aucun de ses plaidoyers ne lui parût ordinaire et chacun lui donnait le même trouble de conscience, la même anxiété, en Justice de Paix comme devant la Cour d'Assises, où la chaleur de son timbre faisait merveille. Quand il se levait dans le prétoire, chaque geste, chaque attitude décelait son pouvoir. Et sa voix où frémit toujours l'accent de la Bigarre s'affermissait vite, les mots s'ordonnaient au gré de l'inspiration dans un équilibre élégant et harmonieux, C'était un artiste de la parole et du droit qui n'oubliait pas cependant les exigences au combat, car il croisait le fer comme un chevalier. Personne n'a mieux éprouvé l'émotion, la noblesse et les vertus d'une procession, qui devait s'élever, selon lui, à la hauteur du sacerdoce. Et lorsque, en 1950, il prononça devant les avocats-stagiaires, à cette conférence où il était si assidu, l'éloge de l'indépendance et du courage du Barreau, dans tous les siècles et sous tous les régimes, lors, que déferlent les passions des hommes et les révolutions populaires, les auditeurs, ses confrères subjugués par l'éclat d'une langue, où parlait Bossuet, et par l'intrépidité de ses observations magistrales, manifestèrent leur visible orgueil de voir porter notre toge par Pierre Labat. Ce jour-là, dans une fresque historique, où il citait Berryer, Malesherbes et De Sèze, après Démosthène et Cicéron, il se résumait admirablement, en se définissant lui-même sans le savoir, dans une phase dont hélas sa mort donne tout le sens : « l'avocat professe un métier, oui, mais par-delà la profession, il y a le sacerdoce, la vocation. Il faut savoir se hisser jusqu'à ces hauts lieux où souffle l'esprit, même s'il faut porter le témoignage du sang ». Dans ce regard ardent qui était le reflet de l'âme, on sentait intensément chez Pierre Labat cette soif de se hausser sur les cimes dangereuses, où la mission doit s'accomplir, quel que soit le péril. Ses écrits témoignaient d'une vocation innée de conducteur de la jeunesse, de chef de file de la jeune génération. Il parcourait l'Europe d'un pas assuré, pour essayer de forger un maillon de l'immense chaîne de solidarité, de sécurité et de paix que l'esprit chrétien, résumant l'humanisme de l'Occident et sa mission, tresse avec courage dans l'époque d'égoïsme et de fer de l'âge atomique. Labat dédiait ainsi l'un de ses premiers livres : « A tous ceux qui, un soir de Juillet, entre Coblence et Mayence et Trêves, crurent vraiment à l'espoir, tous ces scouts qui voyaient dans ce Rhin ensanglanté par la férocité des hommes, le lien futur de deux civilisations. Son message aura été celui de cette jeunesse, dont la foi intrépide balayera bien les obstacles des vils intérêts et des passions absurdes. Comme il était heureux de nous en entretenir avec l'enthousiasme conquérant de ses convictions ferventes ! C'est le rêve de poête que Pierre Labat, poursuivi comme celui de son oncle Jules Laforgue, mort, si je ne m'abuse à 27 ans, disciple de Verlaine et de Mallarmé qui l'a conduit vers cette méditerranée, où tout est poésie, douceur, couleur et espoir. Qu'il était fier de porter l'uniforme de Pierre Loti, écrivain et marin comme lui, et de donner à notre flotte française l'exemple sportif des descentes sous-marines, dans l'équipe célèbre du Commandant Cousteau, qui était avec lui l'admirateur du « Merveilleux Royaume » sans cesse prospecté, peut-être hélas en abdiquant toute prudence, sûr aussi que la mer n'est que le miroir du Ciel et que la témérité ouvre les portes du grand royaume, puisque, comme l'a écrit Labat — et c'est pour nous, ses amis, son testament et sa leçon — « II faut savoir se hisser jusqu'à ces haut lieux où souffle l'esprit ». Car pour lui, et malgré Henri de Régnier, le vrai sage n'est pas celui qui fonde sur le sable, mais celui qui, selon Antoine de Saint-Exupéry, son auteur préféré, tombé en plein ciel de gloire, espère et croit. Cher ami, dans votre vie qui a la clarté des soirs d'été en méditerranée, vous avez cru à l'éternité, je vous assure de l'éternité de notre souvenir pieux. A votre famille, l'ordre des avocats, et tous les amis expriment leurs condoléances, parce que notre cœur  est vraiment angoissé et parce que notre douleur à l'intensité qu'avait pour Labat notre affection ».

« L’Eclair des Pyrénées ».

NB : Pierre Labat avait commencé sa carrière d’avocat, en ouvrant à Tarbes son propre cabinet. On lui connait plusieurs plaidoiries aux Assises, puis lassé de défendre « la veuve et l’orphelin ». Il entra au début de l’année 1953, aux services du contentieux de l’Arsenal Tarbais, comme juriste d’entreprise.  

  

Pierre Labat repose au cimetière tarbais de la Sède, sa sépulture, toujours fleurie, est aisément reconnaissable car elle est ornée d’une croix potencée rouge à fleur de lys, symbole du Scoutisme.

 

Ci-dessus :

Discours de l’oraison funèbre prononcée par un Père Aumônier, lors des obsèques de Pierre Labat.

 

XI - Parutions en librairie après la disparition de Pierre Labat

En 1956, alors que Pierre Labat n’est plus, parait outre-manche,  aux éditions Odhams Press « The Marvellous Kingdom ».  Version anglaise, traduite par Maurice Michael, du « Merveilleux Royaume ». Toutefois, si l’on y retrouve la préface, rédigée à l’origine par le Commandant Jacques-Yves Cousteau, cette version fut entièrement ré-illustrée par de nouveaux clichés et dotée d'une nouvelle couverture qui n'est pas de Pierre Joubert. Par contre tous les instantannés qui figurent à l'intérieur sont de Georges Ferney.

  

 

Puis au début de l’année 1961, le premier roman Pierre Labat « Conrad » est réédité et retrouve les rayonnages des librairies. Mais c’est une nouvelle version, entièrement ré-illustrée par Pierre Joubert,  qui est proposée aux lecteurs. Ceux-ci pouvaient découvrir, en introduction, un court texte faisant mention du père de Pierre Labat, ancien officier de l’Armée Française.

Puis quelques mois plus tard, toujours en 1961, ce sera au tour de « Deux Rubans Noirs », de reprendre le chemin des librairies. 

 

 

Nous ne pouvions pas évoquer Pierre Labat et la collection Signe de Piste, sans mentionner Pierre-André Bernard, qui fut l’un des Scouts Marins de sa troupe tarbaise et auquel il avait transmit le goût de la littérature. En effet, quelques années après la disparition de son ancien chef, Pierre-André Bernard fera son entrée dans la collection Signe de Piste en publiant « Le Bachi »  qui sortira en 1959, sous le n° 133. Dans cet ouvrage, les  lecteurs pouvaient découvrir sur les pages de rabat de la jaquette comment était née l’idée de ce récit. Et l’auteur dédia son premier roman à son chef de troupe « A la mémoire de Pierre Labat qui fut mon chef et ami, et qui trouva la mort en nous ouvrant la porte de son Merveilleux Royaume au fond des mers ».  

Il nous faut également signaler que très récemment, vient de reparaître sous sa forme initiale aux éditions Delahaye dans la collection Signe de Piste, l’inoubliable roman de Pierre Labat « Le Manteau Blanc ». Voilà donc une réédition qui vient à point nommé pour célébrer, comme il se doit le soixantième anniversaire de la disparition de  l’auteur. 

http://www.jeuxdepiste.com/lectures_pour_tous/lemanteaublanc.html

 

 

 

XII - Présentation et analyse de l’œuvre littéraire de Pierre Labat

Pierre Labat nous a laissé en héritage quatre romans, qui constituent, une œuvre littéraire inoubliable et qui ont fait de lui l’un des plus grands auteurs de la collection Signe de Piste.

 

1 - Présentation des ouvrages de Pierre Labat

Conrad : publié en 1949 

Juste après la seconde guerre mondiale, les relations sont tendues entre Français et Allemands, le ressentiment redoutable, et la paix précaire. Ce roman, dont l’aventure est située en forêt noire placée sous occupation française, met en scène une amitié entre scouts au-delà des différences qui les séparent irrémédiablement. C’est un jeu de masques qui tombent, une intrigue d’espionnage et de sociétés secrètes, opposant trois équipes de scouts à un groupe d’Allemands nostalgiques du grand Reich. L’ennemi est-il parmi eux…. ?

 

Le manteau blanc : publié en 1950, écrit en 1948 à Baden Baden, préfacé par monseigneur Robert Picard de la Vaquerie, Aumonier – inspecteur des troupes d’occupation en Allemagne et en Autriche.

1947 : La Terre Sainte est sous les bombes, le partage du territoire suite au départ des anglais, donne lieu à de violents affrontements. Le peuple juif qui a été victime de la shoah (6 millions de morts dans les camps de concentration) revendique des terres  en Palestine, et prive de leurs droits de nombreux réfugiés arabes. Les lieux saints sont en péril, n’y aura-t-il donc pas des âmes courageuses pour aller les défendre, comme 8 siècles plus tôt, les croisés Chevaliers du Temple surent donner leur vie pour cet idéal ?

 

Deux rubans noirs : publié en 1951.

L’intrigue est située à Berlin, ville allemande sous occupation française, américaine, anglaise, lors du blocus imposé par les Soviétiques, avec la mise en place d’un pont aérien par les alliés du bloc de l’Ouest. Un avion s’écrase, les recherches sont lancées, y participent des Scouts de France Raiders qui ont l’expérience des terrains difficiles. Iront – ils au bout de leur engagement pour l’amitié ? Au prix de combien de sacrifices ?

 

Le merveilleux royaume : publié en 1953, préfacé par le capitaine de corvette Jacques Yves Cousteau

Les descriptions du monde sous-marin sont érudites, pour tout dire on dirait du Cousteau, le rappel qu'il fait de l'aventure vécue avec ses copains scouts est vertigineux, de la passion qui les animait, des risques encourus, des systèmes de respiration qu'ils se sont inventés, par exemple au moyen d'une bouillotte reliée à une pompe de scaphandrier et remplissant d'air une caisse en bois. Mais en plus, il y a cette description d'une troupe raider de Scouts Marins, spécialisés dans la plongée, avec leur force d'âme et la puissance de leur foi, dans l'amitié au service de l'aventure,  à une époque où les Scouts éclairaient tous les champs du possible, ouvrant la France aux fameuses trente glorieuses. Serez – vous de cette confrérie des pionniers de l’imaginaire ?

 


2 - Analyse de l’œuvre littéraire de Pierre Labat

 

  LA GUERRE est un élément transversal de ses romans, même s’ils s’adressent aux jeunes lecteurs. Notre auteur a été marqué par ses années de lutte armée, il reçut la croix de guerre. On ressent de façon constante dans ses écrits « ce sentiment très net d’être suspendu en équilibre instable entre la mort et la vie » (P.148 in le merveilleux royaume), mut par une émotion située entre « crainte et espoir » (P.134 ibid.), qui amène à se surpasser.

                « Je n’aime pas les sceptiques, les disponibles, j’aime tous les aventuriers du monde, tous les réprouvés, tous ceux qui, une fois, regardèrent leur idéal en face, qui en ont eu le regard brûlé, et qui maintenant foncent dans leur éblouissement incapables de plus rien voir d’autre. » (In Deux rubans noirs P.27). Etre scout c’est se sentir vivant !! Pierre Labat décrit « des jeunes vieillis trop vite » (P.39) qui ressemblent à des adolescents martyrisés (P.21), « impassibles devant la misère des autres » (P.30) ; à qui il va opposer « les vainqueurs, la race des apôtres et des héros » (ibid. P.23) à qui il suppose que  le destin fournirait à ceux qui le désirent l’occasion de montrer ce dont ils sont capables (P.24).

Les descriptions sont précises, elles sentent d’autant plus l’authenticité qu’on les retrouve dans les propos de ceux qui vécurent l’effondrement de la ligne Maginot par exemple. Les récits de destruction de tourelles de fort par la Faust – patronne allemande me faisaient encore trembler lorsque j’écoutais mon grand –père lorrain il y a 30 ans seulement.  Ici dans Conrad, (P.19) le chef scout « raconte des histoires de croquis panoramiques, puis bien vite, observatoires, emplacement de mitrailleuses, canons antichars, parfois il s’arrêtait les yeux dans le vague, caressant les cartes sans les voir ».

                Ce constat d’une jeunesse marquée par la guerre est dans les quatre livres, c’est le creuset dans lequel l’auteur va puiser pour expliquer son idéal. Dans Deux rubans noirs (P. 60), au sujet de l’héroïsme des scouts raiders : « vous ne croyez plus à rien mais justement à cause de cela vous vous sentez prêts à tout croire. De votre enfance, le monde a tout pris, même les illusions, et c’est pourquoi votre adolescence donnera au monde tout ce que le monde épuisé lui demandera. »

Il expose ainsi le programme que nous allons suivre au fil des quatre aventures lorsqu’il évoque la nécessité de s’imprégner de l’idéal chevaleresque des templiers :   « Ressusciter le passé qu’à seule fin de forger un présent plus aventureux encore ».    (In le Manteau blanc P.83)   Histoire de ne pas subir le poids des nouvelles venant de Palestine, avec « les tirs intenses de mortiers et d’armes automatiques » (P.53) en constant arrière –plan.  « La destruction de saint Jean d’Acre en 1291 par les Sarrazins se superposait au bombardement de 1948. » (P. 61.)

 

SOIF DE NATURE  (P.52 in Deux rubans noirs,) « Une civilisation peut aussi mourir d’elle- même, d’une maladie, d’une désintégration, d’un avilissement interne, faute d’un renouvellement, d’une élite qui la soutienne, d’une jeunesse… c’est peut-être là la pire des morts pour une civilisation. » A cette inquiétude héritée de la période de guerre, Pierre Labat va opposer une vision optimiste, une soif de grands espaces, de nature vierge loin de la saleté des villes.

Dans Conrad (P.21 et 25), les scouts sont impatients de partir en weekend ski « la neige sera plus blanche là-haut. Ils se regardèrent et se sourirent, heureux de se rencontrer dans leur désir d’évasion et de propreté ». C’est dans Le merveilleux royaume que s’exprime le mieux  le besoin de fuir ce qui se rattache à la guerre, en plongeant littéralement dans l’océan naturel. Au passé s’oppose une envie d’innover, d’essayer de nouveaux dispositifs (P.134), avec une fascination pour le progrès, le sentiment que rien n’est impossible.

La beauté, la pureté de la mer est l’espace de la passion commune (P.49), alors que l’eau du port est souillée par l’huile de moteur des bateaux, les déchets en tous genres, la plage marquée par les blockhaus (P.84), symboles de sang et de destruction, et la terre synonyme d’ennui mortel, incarné par des jeux de pistes peu inspirés. (P.16) La description de la flore et de la faune marine sont comme un avant-goût de ce que seront celles de Cousteau dans ses documentaires.

Cette croyance en les bienfaits de la nature était très en vogue après-guerre. Ainsi en ce qui concerne l’architecture du Lycée climatique d’Argelès Gazost résolument ouverte, pour accueillir les enfants tuberculeux qui avaient besoin du thermalisme.

La mer est comme une possibilité de rédemption, « il faut disparaitre ou bien retrouver le chemin de la découverte et de l’Aventure, en pointe, en éclaireur… » (P. 177), un lieu de prise de risque. « A parler franc, j’ai peur que nous n’ayons un trop vif penchant pour les samouraïs, les templiers, les torpilles humaines ou les jeunes garçons de Lacédémone, essayant de gagner le prix du courage devant l’autel de la gracieuse déesse Artémis ».

 

Pierre Labat avait PEUR DE LA MORT, il ne la souhaitait pas du tout pour lui-même. « L’attraction du bleu du fond de la mer est la plus forte » (P.98 in  Le merveilleux royaume), pourtant on est loin du film de Besson.

A huit reprises, l’auteur nous met en garde contre les dangers de l’aventure, comme s’il avait trouvé l’objet de sa passion, donnant sens à toute sa vie. Le risque de mourir est évoqué par la narcose (P.135), la frousse (P.118) et (P. 143) « j’eus peur », une mise en garde (P. 234), les récits des accidents de plongée : de Georges (P.55), de Claude (P. 116), du héros François (alias Pierre Labat) (P. 158), sauvé par le copain Alain qui va dépasser ses limites pour le ramener.

 

(P. 119) « Menacés des mêmes risques, nous étions confiés les uns aux autres, responsables les uns des autres, étroitement unis pour notre rêve et pour notre sauvegarde ». Un goût du risque plus fort que les châtiments corporels (P. 53 -54), « parce qu’il y a des choses qui échappent aux grandes personnes et qui leur échappent totalement » (Conrad P. 104), ce qui frappe le lecteur, c’est l’extrême liberté des jeunes eu égard aux prises de risque qu’ils effectuent, avec l’exaltation de la confiance qu’ils peuvent avoir entre eux. Dans Deux rubans noirs (P.99) nous est donnée la définition d’un chef de patrouille raider « donner sa flotte quand ils ont soif et son cœur quand ils n’en ont pas, porter la fatigue des faibles, éclairer ceux qui sont dans le noir, espérer pour six, vouloir pour dix, et commander, oui parfaitement. Puis le soir, quand tous se taisent, parler pour eux au Seigneur. »

Dans Conrad (P. 89) « D’un bout à l’autre, en bon chef qui ne laisse rien au hasard, il avait conduit le jeu à sa guise », et (P. 141)  «  René regarda les cinq paires d’yeux, tous tournés vers lui, et il sut ce que c’est que d’être un chef ». L’auteur insiste pour nous faire comprendre, à l’instar de ce qu’avait affirmé Baden Powell, que les jeunes peuvent prendre des responsabilités, et que ça ne dépend absolument pas du nombre de portables en leur possession mais bien de leur capacité à se faire confiance et à faire œuvre commune.

Dans Le Manteau blanc il est fait deux fois référence au psaume Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum (voyez comme il est bon, comme il est doux d’habiter tous ensemble). (P.93) « Pourtant le soir, dans les stalles de la chapelle, les différences disparaissaient et tous d’un même cœur, depuis le commandeur de Paris, l’améthyste au doigt, jusqu’au plus humble des frères servants encore tout crotté des humbles tâches quotidiennes, nous entonnions le psaume ». Cette idée de communauté d’intention, qui se construit malgré le risque et la peur, est magnifiquement illustrée dans le film des hommes et des dieux  et nous conduit à évoquer l’amitié  qui unit les héros dans les livres de l’auteur.

 

           L’AMITIE est un des thèmes majeurs de l’œuvre, elle est liée au sacrifice ultime.

François (alias Conrad) et Pierre,  Baudouin et Jean -marie, Etienne et Jacques, François et Georges, sont les binômes sans lesquels aucune des quatre aventures n’aurait pu être écrites.

Ainsi, dans Conrad (P. 119) Pierre prie pour son ami « Combattre quelqu’un et prier pour lui ! Quelle chose étrange ! Mais aussi quelle joie s’il sauvait l’âme de François. Etre apôtre c’était mieux que d’être détective ».  (P. 184) « Sans même se servir du glaive et par son seul rayonnement, saint Georges avait vaincu le démon. La croix potencée avait fait douter Conrad de la croix gammée. » (P. 201) « Toutes mes roueries furent vaines à cause de votre franchise, toutes mes habiletés inutiles à cause de votre simplicité. Etait-ce l’âme pure que Conrad avait couru « l’ultime aventure » ? Il fut tout de suite rassuré. Il n’eut pour cela qu’à relire la phrase : – puisse Dieu me laisser le temps de réparer le mal que j’ai pu faire. Et Pierre sourit à travers ses larmes car il comprit, au souvenir de son ami mort, que leur amitié était ressuscitée. »

L’amitié est totale, elle engage les scouts à aller jusqu’au bout, comme dans Deux rubans noirs. (P.173) « Il l’avait bien dit à Etienne – Ce jour-là j’ai pris conscience de mon âme immortelle… Il en était sûr. Il ne s’était pas trompé…. Pourvu qu’Etienne l’ait cru et n’oublie pas. Mais aujourd’hui la séparation n’est plus comme lors du combat, passagère, accidentelle, fugitive. Elle se fait lente, sans retour, totale, comme pour une éternité. Et pour Jacques plus rien, absolument plus rien, n’a d’importance. Mon âme, mon Dieu. Toi et Moi. »

 

 

C’est Jean-Marie qui meurt dans Le Manteau blanc (P.190), « Il semble au Sénéchal qu’il est déraciné par la douleur, que le monde où il se trouve n’est plus le même, et qu’il sera désormais étranger à ce monde irrémédiablement ». C’est la seule fois que Pierre Labat écrit quelque chose de la pensée et de la tristesse du monde adulte à l’occasion du décès d’un de ses personnages.

Quant à la victime sacrificielle du merveilleux royaume, seul des quatre romans sans mort d’un protagoniste, comme s’il en avait toujours eu l’intuition, c’est l’auteur lui – même deux ans après la parution du livre en 1955.

 

LES SCOUTS DE FRANCE RAIDERS: de 1949 à 1957.    Créés par Michel Menu, commissaire général des Scouts de France.

Pierre Labat avait fondé une troupe de scouts marins raiders, spécialisés dans la plongée sous-marine. Il était animé par le désir de vivre toujours plus son idéal scout. Le mot raider, « homme de raid », est d'origine anglaise comme scout. En 1951, s'appuyant sur les « raiders », Michel Menu et son équipe lancent également la création des patrouilles libres. On demande aux raiders de créer des patrouilles dans des zones rurales, des banlieues isolées, là où l’existence d’une troupe semble impossible. Ce fut là une vraie réussite (méconnue néanmoins), peut-être la forme de « scoutisme missionnaire » la plus aboutie de toute l'histoire du scoutisme français, sans doute due à l’excellence des spécialisations techniques, acquises par ces scouts au service des populations civiles. Dans ce mot, raider, il y a l'Esprit d'Aventure, c'est celui qui part sans regarder en arrière et donne sans compter. Il y a l'Esprit de Pauvreté, riche du silence des raids, le raider n'a pas besoin de biens matériels. Il y a l'Esprit de Joie, une joie dans le Christ, acquise par la méditation, la prière et les retraites. Il y a l'Esprit de Service. Chaque raider se considère en mission, être un chef c'est se mettre au service des autres. A l’exemple du Christ, qui "n’est pas venu pour être servi, mais pour servir " (Matthieu 20, 28), le raider fait don de lui pour servir les autres.

 

L’insigne raider : une croix scoute entourée d'une bouée portée par des ailes. La croix rappelle le Christ et la promesse scoute, la bouée rappelle l'esprit de service spécifique au raider et les ailes montrent que le raider doit voler au secours de ceux qui en ont besoin. « Les ailes le portent, la croix le guide et le service l'attend ». Dans Deux rubans noirs (P. 63) : « cet insigne vous oblige à tout risquer pour secourir ceux qui souffrent et qui sont dans la détresse ».

Le béret vert : quand Michel Menu a créé les raiders, il a voulu s'inspirer de tous les nouveaux aventuriers de l'époque pour faire rêver les jeunes: les parachutistes, les commandos Kieffer, les raiders de Wingate... C'est pourquoi il a choisi le béret vert en symbole fort du goût de l'aventure. (Deux rubans noirs P. 59) : « Raider type : athlétique, bon skieur, excellent nageur, et ceinture verte de judo. Non pas seulement parce que très fort en technique, capable de se servir d’une planchette et d’une alidade, ou de construire lui – même un petit poste radio. Raider type avant tout par son esprit, avec une conscience aigüe de la misère du monde. Tout jeune encore à Brest pendant la guerre, il (Jacques) avait connu les bombardements, la mort, le sang et les ruines. » « Les vieilles formules vous paraissent vides, les rites surannés et les petits jeux puérils vous irritent dans une civilisation à l’agonie, où tous les gestes devraient servir. » (P. 60 ibid.) « Vous voulez une âme qui soit à la mesure de votre siècle périlleux » ? Alors bienvenue au weekend :

 

L’Amitié pour l’Aventure.

             LA SPIRITUALITE DE PIERRE LABAT :

Le Manteau blanc P. 20 : « Chaque jour voit se rétrécir le temple, c’est-à-dire la terre où Dieu habite parmi nous ».

(P. 19) : « Sobriété, simplicité, image de l’âme que nous devons nous construire, de notre temple intérieur loin de toute futilité, de tout pharisianisme. (…) Ainsi notre esprit doit se garder inaccessible, loin de toute vulgarité, et si nous devons aller au pécheur, ce n’est point au pécheur de venir à nous ».

 Le concile Vatican II n’interviendra qu’en 1965 pour ouvrir résolument l’Eglise au monde, les Scouts et Guides de France feront le choix audacieux d’aller proposer l’Evangile à des jeunes qui n’y sont pas forcément sensibles. Cette ouverture, par les camps plein vent des années 90, est un écho à ce qu’on trouve écrit par Pierre Labat en page 73 : « Il fut un temps où je combattais mon prochain si sa religion n’était pas proche de la mienne, mais maintenant mon cœur tolère toute forme » (citation de l’auteur du philosophe arabe Muhji- al- din- ibn – arabi). (P. 86) : « Ce que nous proposons c’est redonner au monde l’envie de voir régner la paix en terre sainte, et bien plus que de voir le temple rebâti, ce que nous voulons par-dessus tout, c’est que chacun apporte une pierre pour la reconstruction du Temple. » (P. 155) : « Rappelez-vous notre signe secret (…) Nous étendons toujours les trois doigts de la main droite, puisque nous sommes scouts, mais de notre petit doigt nous recouvrons le pouce, afin de montrer que le petit nombre que nous sommes doit protéger la multitude et agir sur elle. »

 L‘auteur avait bien conscience des changements qui s’annonçaient et dans le merveilleux royaume il exalte les splendeurs de la création comme saint François d’Assise l’aurait fait (P. 16) : « Il faut suivre la vallée des spirographes. Justement ils sont sortis, semblables à des palmiers magiques. Tronc brunâtre, la tige protectrice qu’ils ont secrétée les fixe au rocher, tandis que leurs branchies ondulent au sommet, comme un bouquet de longues feuilles mauves. Certains se cachent brusquement à notre approche, cimier fragile éclipsé soudain à l’intérieur du tube dont l’extrémité se referme, lèvres pincées sur leur secret. » 

Et lors de la contemplation des ébats du poulpe, il écrit non sans humour page 152 : « Au retour de sa plongée, Georges mi-figue, mi-raisin cita les pères de l’Eglise : - D’après saint Thomas, l’amour serait un appétit d’unité… ».

 

Les textes les plus marquants de Pierre Labat 

La prise de saint Jean d’Acre : in « Le Manteau Blanc » : 1ère partie – chapitre III « Lecture du manuscrit de Baudoin – quatrième soirée ». 

 

L’initiation des chevaliers du temple : in « Le Manteau Blanc » : 1ère partie – chapitre III « Lecture du manuscrit de Baudoin – sixième soirée ».

 

 

L’initiation des routiers Scouts de France : in « Le Manteau Blanc » : 1ère partie – chapitre III « Lecture du manuscrit de Baudoin – sixième soirée ».

                                               « Déjà dans la nuit, résonnait le vieux chant :

                                                            C’est la Route des Paladins,

                                                                    Route guerrière ;

                                                           Elle a vu la marche des Saints

                                                                   Vers la lumière,

                                                          Et leurs pas sont encore empreints

                                                                  Dans sa vieille poussière.

                                                         Si ton cœur parfois s’est ému

                                                                  Pour de grands rêves,

                                                        Si tu veux les fières vertus

                                                                 Qui nous soulèvent

                                                       Bien loin des sentiers rabattus…

                                             Le reste se perdit dans le silence retombé ».

                                                           (Extrait du « Manteau Banc »)

 

Le testament de l’auteur :

 ET MAINTENANT, toi qui viens de tourner le dernier feuillet de ce roman qui n'en est pas tout à fait un, toi qui rêves sans doute, toi qui peut-être lais des projets, n'oublie pas.

      La mer reste la Mer, et la mort reste la Mort.

      Pour tous ceux dont tu peux avoir la responsabilité.

      Pour toi aussi.

Le livre était fini quand nous attendîmes en vain l'un d'entre nous. Il avait suffi d'une mer brusquement réveillée, d'un retard de quelques secondes pour l'exécution d'une évolution, d'une perte de contact dans l'eau troublée soudain, vers la fin de la patrouille, à l'instant où les bouteilles presque vides limitent l'autonomie.

Nous replongeâmes avec le sentiment que chaque seconde tuait. Puis le Chef regarda sa montre, se passa la main sur le front et dit :

— Maintenant c'est fini. II ne peut plus avoir d'air

La colonne de bulles s'était tarie pour toujours.

Nous continuâmes à chercher sous l'écran des brisants, à travers la brume vivante faite des particules en suspension que les lames soulevaient.

Le soir, quand tout l'air des bouteilles fut épuisé, nous nous arrêtâmes.

Je trouvais que le prix était lourd, j'imaginais que peut-être toi aussi un jour, ayant à ton tour voulu connaître le Merveilleux Royaume, tu dériverais doucement vers le fond, masque arraché, poumons pleins d'eau et bras en croix.

Et je regrettais d'avoir écrit.

Puis, comme il restait quelques minutes avant le dîner du soir, le Chef donna l'ordre à l'un d'entre nous de prendre un masque léger et d'aller dans la crique, au pied du laboratoire, vérifier le fonctionnement de la boîte caméra à surpression automatique. Et je compris que tout continuait, que nous resterions fidèles à celui qui n'était pas remonté, et que c'était très bien ainsi.

EN VÉRITÉ, CELA NE VAUT-IL PAS QUE L'ON RISQUE SA VIE ?

D'un côté, quelques photos, quelques mètres de film. De l'autre, de l'argent, du temps, des forces, et surtout des cadavres de jeunes hommes qui jalonnent toujours les chemins des entreprises désintéressées.

C'est l'Honneur et la Grandeur de l'Homme, de tenter de telles expériences malgré le déséquilibre apparent de la balance. Le jour où sur le point d'entreprendre une action, nous nous demanderions chaque fois : « Est-ce que c'est rentable ? A quoi ça sert ? », ce jour-là, tout notre sens social, tout notre esprit communautaire, toute notre rationnelle organisation économique, n'empêcheraient pas notre civilisation de n'être plus qu'une association d'animaux débrouillards, castors, fourmis, termites à peine évolués.

Nous ne serions plus des Hommes, nous aurions trahi. Le lendemain de la mort en plongée de notre compagnon, sur la jetée du petit port, un groupe de badauds s'étonna que nous n'ayons point pour autant cessé nos descentes sous la mer Ils ne comprenaient pas et cela les troublait de ne pas comprendre. Un imperméable jeté sur mon uniforme, mêlé à la foule, j'écoutais. Un vieux pêcheur leva les deux mains, et dit :

— Que voulez-vous ? C'est leur idée...    

Sur cette phrase qui consacrait le mystère, bien plus qu'elle ne l'expliquait, ils se séparèrent. Et moi je tournais dans ma tête la phrase du vieux pêcheur et je songeais à notre ami qui avait risqué de mourir et qui était mort, « parce que c'était son idée ».

EN VÉRITÉ, CELA NE VAUT-IL PAS QUE L'ON RISQUE SA VIE ?

Oui certes, même aujourd'hui, surtout aujourd'hui, j'en suis sûr, et je voudrais, garçon, te faire goûter à ma certitude. Sans conteste, la conquête mérite que tu te hasardes.

A la seule condition toutefois de mettre le maximum de chances de ton côté, de mesurer avec une parcimonie minutieuse la part du danger à laisser aux vagues, à la brume glauque, à la mer pesante.

Car l'Aventure n'est pas la mort mais dans le combat, et la mort même ne peut avoir un sens que si l'on a tout fait pour la vaincre.

Je voudrais te parler comme à un homme. J'ai renoncé à placer dans ce roman quelques scènes trop brutales, certaines descriptions trop cruelles. Par égard pour toi d'abord, certainement aussi parce qu'il est de multiples aventures vraies qui peuvent sans inconvénient s'intégrer dans une intrigue romancée et d'autres au contraire qu'il serait sacrilège de transposer car elles appartiennent à des morts, non point des morts de roman tranquillement décédés au terme d'une agonie littéraire, mais des morts véritables, tirés de l'eau après des heures de recherche, livides et souillés de sable, et péniblement déshabillés de tout leur attirail de caoutchouc et de métal oxydé.

C'est une drôle de chose, sais-tu, de placer dans sa bouche l'embout d'un appareil en se disant que trois jours avant, un autre est mort, cet embout coincé entre les dents. C'est pour t'éviter pareille expérience que je te mets en garde.

Après tes premières plongées réussies, tu t'imagineras tout posséder au centre d'un univers accueillant et facile.

Méfie-toi toujours.

C'est au moment où tout semble aller le mieux que l'incident te guette, un incident qui peut en quelques secondes se transformer en accident...

N'oublie pas que tu es dans un monde sinon hostile, tout au moins indifférent, de cette suprême indifférence des choses, et qui peut t'asphyxier en quelques secondes, sans que même un remous vienne troubler la surface.

Tout cela non pour te décourager, mais pour te préparer.

Non pour te repousser, mais pour te prémunir, non pour diminuer ton désir, mais pour l'augmenter

Avant de ceindre ton front de la couronne du masque, de vêtir ton dos du pesant appareil qui va t'ouvrir les portes du Merveilleux Royaume, selon la formule des anciens

Sacres, je te souhaiterai volontiers « le courage du lion » peut-être, mais aussi la « prudence du serpent »...

Et maintenant, un grand sourire tout juste un peu forcé.

O. K. pouce en l'air !

Du fond du cœur, bonne plongée !

Pierre Labat : in « Le Merveilleux  Royaume » - pages 234 à 236.

 

Cette analyse de l’œuvre littéraire de Pierre Labat à était rédigée par :

Jean-Mathias Sarda

Membre du personnel d’encadrement de l’actuelle troupe Tarbaise des « SGDF de la 3ème Pierre Labat ». 

(Le texte ci-dessus fut publié dans « Mémoires du scoutisme tarbais – essais de chronique du scoutisme à Tarbes de la libération à nos jours ». Ouvrage collectif réalisé en 2012 à l’occasion du 30ème anniversaire du groupe).

Ci-dessus :

 L’insigne créé en 2012, à l’occasion du 30ème anniversaire du groupe SGDG de la 3ème Pierre Labat de Tarbes

 

XIII - Qui étiez-vous Pierre Labat ?

Comme l’avait si justement fait remarquer Gérard Loridon lorsqu’il évoqua son ami plongeur dans son ouvrage  « Des Pionniers subaquatiques oubliés… », jusqu’ici, il était très difficile de trouver une fiche biographique exhaustive concernant Pierre Labat. Alors pour y remédier, et avec l’accord de l’Amicale des Nageurs de Combat. Nous publions ce texte biographie, issu de la plume de son secrétaire, ce dernier nous retrace en détails, et avec brio, le parcours peu banal de Pierre Labat. 

C.F.

Ci-dessus :

Pierre Labat vu par Igor Arnstam pour « La Fusée »

 

Pierre Labat est né en 31 mai 1926 à Tarbes dans les Hautes-Pyrénées, il est fils de Paul Labat, (1) officier supérieur de l’armée d’occupation en Allemagne. Orphelin par sa mère (2) qu’il perdit très jeune, Pierre est également  neveu du poète Jules Laforgue. Brillant élève, du lycée Théophile Gautier de Tarbes, il prépare Polytechnique depuis deux ans quand les Alliés débarquent en France. Le 20 août 1944. Comme de nombreux jeunes, Pierre refusera d’aller au S.T.O. et s'engage, pour la durée de la guerre, dans le Corps Franc Pommiès (Corps franc pyrénéen fondé en novembre 1942 par André Pommiès, capitaine d'infanterie et grand spécialiste du contre-espionnage. Ce groupe opère dans la région Sud-ouest, en 1944, les effectifs s'élèvent à près de 9 000 hommes).

Après avoir traversé la France, Pierre Labat et ses camarades du Corps Franc sont intégrés dans le dispositif de la 1ère Armée du général de Lattre de Tassigny. Devenus soldats de l'armée régulière au sein du 49ème régiment d'infanterie (Premier Régiment français à occuper Berlin où par ailleurs, il défile le 8 mai 1945 avec les forces alliées). Fin 1944, ils sont reversés à la 3eme division d'Infanterie Algérienne (La 3ème DIA, avec 4 citations à l'ordre de l'armée entre 1943 et 1945, est la division française la plus décorée de la seconde guerre mondiale). Pierre, observateur d'une section de mortiers, va participer aux opérations de la campagne des Vosges puis, à celle d'Alsace, la garde du Rhin, le franchissement du Rhin à Spire et la marche sur Stuttgart. Il reçoit la Croix de Guerre avec étoile de bronze pour ses qualités de courage. Suite à une gelure des pieds survenue durant la campagne d'Alsace il est déclaré inapte au service dans l'infanterie. Le 16 avril 1945, il rejoint le 24ème Régiment d'Artillerie Divisionnaire. Reconstitué en Avril 1945 comme régiment d'Artillerie, il est employé sur la frontière franco-italienne puis transféré dans le pays de Bade dans le sud de l'Allemagne en Octobre 1945. Le glorieux étendard du régiment dissout se trouve dorénavant sous la garde du 35ème Régiment d'Artillerie Parachutiste de Tarbes au Quartier Soult. (Coïncidence, la famille Labat est originaire de la ville de Tarbes, rue Soult). Nommé brigadier-chef le 1er juillet 1945, il rallie l'école des cadres du centre d'instruction de l'artillerie de Nîmes, puis en septembre, il rejoint Bordeaux pour suivre les cours du Centre de Préparation à l'Ecole Navale (CPEN). En juillet 1946, Pierre est au quartier général des Troupes d'Occupation en Allemagne (TOA) à Baden-Baden. Le 10 août 1949, à la suite d'une réorganisation administrative de la zone française d'occupation, les Troupes d'Occupation en Allemagne, créées dès la capitulation de 1945, cessent d'exister. Elles prennent le nom de Forces Françaises en Allemagne (FFA), et pour la Marine, Force Maritime du Rhin en Allemagne de l'Ouest jusqu'en 1993.

Le 30 juillet 1946, Pierre Labat est démobilisé. Il change d'orientation et embrasse la carrière d'avocat (Je cite « il étonna ses confrères et même les vieux magistrats par l'étendue de ses connaissances juridiques, la richesse de sa culture générale et ses dons d'orateur »), tout en préparant un brevet de pilote.

 

Ci-dessus :

En 1947 à Baden-Baden, Pierre Labat (au centre) présente les jeunes membres de sa troupe scoute au Général François Sevez  (1891-1948) Commandant Supérieur des troupes Françaises d’occupation en Allemagne.

 

Très fortement impliqué dans le scoutisme, il crée à Baden-Baden en 1947, un ordre de chevalerie scout (3) longuement évoqué dans son roman "le manteau blanc". Passionné de plongée il fonde en 1952 une unité de scouts marin qui fut « le premier groupe de plongée sous-marine des Scouts de France ». Ecrivain de renom, romancier de la collection « Signe de Piste » dans les années 50, Pierre publie plusieurs romans dédiés scoutisme et à la plongée, avec entre autres, "Conrad" en 1949. D'autre part, il est un excellent dessinateur.

Dans les camps d'été au fort de Saint-Elme à Saint-Mandrier organisés avec le concours de la Marine, il conçoit avec sa troupe, des scaphandres ou des appareils respiratoires, à bouteilles ou à narguilé, au moyen de masques à gaz, de bouillotes et de matériel de récupération. La troupe qui passe du stade artisanal à une activité plus « professionnelle » bénéficie de l'aide technique du clan Sommer et de son chef André Galerne (4) (André aujourd'hui décédé est le pionnier de la plongée civile professionnelle et président d'honneur l'association « Scaph 50 ». Avec son ancien groupe de jeunes résistants, il crée, une coopérative spécialisée dans travaux sous-marins «SGTMF» qui deviendra la célèbre « SOGETRAM » en 1952, la première société française de travaux sous-marins professionnels).

Dès la fin 1952, Pierre Labat participe avec son ami Galerne, aux premières expéditions de Cousteau à bord de «La Calypso». Pierre reste quelques mois aux côtés du Commandant Cousteau, au tout début de la plongée en scaphandre autonome. Il plonge notamment sur l'épave du « Grand-Congloué » à Marseille où son camarade l'ex-commando plongeur Jean Servant!, un ancien du cours expérimental d'Arzew a trouvé la mort. En 1953, Pierre publie un ouvrage relatant ses plongées avec Cousteau : « Merveilleux Royaume ». Cet ouvrage sera adapté dans un film réalisé par Georges Ferney, et tourné à bord de « La Calypso », c'est le premier film sous-marin issu d’une fiction. 

Quartier-maître de 2ème classe de spécialité Equipage, immatriculé 3415T44, Pierre est reversé dans la Réserve de l'Armée de Mer (la Marine Nationale aujourd'hui) à compter du 19 mars 1953. Après trois longues périodes de réserves au Corps Amphibie de la Marine (CAM), Pierre est admis à suivre le 7ème Cours de Nageur de Combat de début 1955, dirigé alors par Guy Cluzel NC N° 31 et Rémy Fouchaux NC N° 9, maître des cours. Il est breveté NC n° 91 le 9 mai 1955.

Bricoleur passionné, inventeur de la bombe collante (la première charge NC), Pierre rêve de mettre au point, bien avant l'oxygers, un nouvel appareil respiratoire à oxygène pur et à circuit fermé, à partir d'une bouillote et d'une bouteille de « Davis ».

Ci-dessus :

Pierre Labat vêtu en nageur de combat, avec en main sa fameuse bombe collante. 

Le 7 août 1955, il effectue sa dernière période de réserve et bientôt sa dernière plongée. Pierre Labat décède le 16 août 1955 au cours d'une plongée profonde d'entraînement du commando Hubert sur « l’Arroyo » le long du site des deux frères près de Toulon.

Signe prémonitoire il a écrit en épilogue de son livre dédié à la plongée « En vérité toute conquête veut qu'on la paye, chaque plongée est un acte de foi, cela ne vaut-il pas que l'on risque sa vie » il parlait bien sûr de la plongée.

A ce jour, une plaque commémorative est toujours scellée sur le rocher nord des deux frères. Le 7ème groupe de scouts marins des Scouts d’Europe de Strasbourg et le 3ème groupe des Scouts et Guides de France de Tarbes portent le nom de Pierre Labat.

Hommage écrit par le Commandant Cousteau:

«Labat est un de ces hommes qui ont à remplir la plus belle des missions celle d'éblouir la jeunesse en l'entraînant à la conquête des splendeurs de la nature, de lui dévoiler les joies profondes de l'effort et même du risque gratuit, car le bonheur et tout simplement l'équilibre de l'âme ne sauraient se satisfaire de la seule lutte pour une vie décente. Les héros tombés sur les flancs de l'Everest ou mutilés par l'Annapurna, les Fargues ou Servent ! morts en plongée profonde, sont l'expression même d'une civilisation qui exige bien plus que le pain de chaque jour ».

Si au hasard d'une promenade en bateau le courant vous porte jusqu'aux « Deux Frères », au large du Cap Sicié, vous pourrez apercevoir sur le rocher Nord, une plaque commémorative au nom de Pierre Labat. C'est là qu'il a perdu la vie, au cours d'une plongée profonde au commando Hubert.

Denis Gorce et Alain Brecqueville

de l’Amicale des Nageurs de Combat

1 : Paul Labat fut vraisemblablement démobilisé en même temps que son fils unique Pierre. Et ils regagnèrent tout deux leur bonne ville de Tarbes. Puis à l’automne 1949, Paul quitte la maison familiale de Tarbes, pour aller s’installer dans une petite localité voisine nommée Momère, où il vécut jusqu’à sa disparition au tout début des années 80. C’est sans doute ce qui, chez certains crée parfois la confusion, qui pensent que son fils Pierre Labat serait né à Momère.  

2 : Madame Labat, la mère de Pierre, née Gabrielle Durand, fut la première épouse de son père. Elle est disparue alors que son jeune fils n’était encore qu’un enfant. Ce sera sa grand-mère maternelle qui élèvera le jeune Pierre.

3 : Hormis cet ordre de chevalerie scout, signalons qu’en mai 1953, Pierre Labat sera fait par S.A.R. le Prince Xavier de Bourbon Parme, « Chevalier de l’Ordre Equestre du Saint Sépulcre de Jérusalem ».

4 : Aux vues des nombreux échanges épistolaires Labat/Ferney, et d’après nos renseignements, ce serait André Galerne qui présenta Pierre Labat, au Commandant Jacques-Yves Cousteau.

    

NB : Rédactionnel paru en janvier 2014, dans la revue de l’Amicale des Nageurs de Combat intitulée « Haute Protection ».

 

 

 

La plaque scellée sur le rocher des « Deux Frères »

 

Pierre Labat, comme tant d’autres, fait aujourd’hui partie des pionniers mais aussi des martyrs de la plongée sous-marine.

Et pour que les générations futures n’oublient pas ceux qui sont morts pour avoir trop aimé le merveilleux royaume sous la mer, on peut apercevoir au large du cap Sicié, sur la face nord du rocher des « Deux Frères », une plaque commémorative qui rappelle qu’à cet endroit, le 16 août 1955, Pierre Labat perdit la vie, au cours d’une plongée sous-marine particulièrement hardie.  

 

XIV - Les témoignages de ses amis et anciens Scouts de sa troupe

Ci-dessus : Pierre Labat

NB : Sur ce cliché pris à Baden-Baden avant son retour à Tarbes, on distingue au ceinturon que porte Pierre Labat un passant représentant une Croix de Malte tel qu’évoqué et décrit dans son roman « Le Manteau Blanc » pages 147.  

 

On remarquera parmi les témoignages qui suivent  que Pierre Labat a transmis à certains membres de sa troupe son amour de la mer et sa passion des fonds marins. Certains d’entre eux deviendront  moniteurs de plongée sous-marine, navigateurs, officiers de marine ou explorateurs des grandes profondeurs en bathyscaphe.

Ci-dessous : Extrait d’un message que nous avons reçu, expédié par un ancien membre de la troupe de Pierre Labat :

 « Je me suis longuement entretenu au téléphone avec Philippe de Guillebon qui a connu Pierre de 1946 à 1949 puis en 1951 et pour une plongée au Grand Congloué en 1953.

Il m'a parlé d'un camp au château de Castelnau à Beynac auquel il a participé avec les frères Nouvel, Jean et Maurice, qui devraient être une mine de renseignements puisque leur sœur était fiancée avec Pierre... L'ordre de " Notre Dame du Temple" fondé par Pierre. Il possède les livres de Pierre dédicacés, Philippe étant sans doute le héros du « Manteau Blanc » !

Voilà donc, en vrac, quelques souvenirs de Philippe. Il m'a cité des noms comme : Amaury de Rességuier, Yves Thollot, Michel Arbogast, Jean-François Cohade, Jean Knobel… »

 

Témoignage de M. Philippe de Guillebon, ancien C.P. de la patrouille des Chamois de la 3ème Tarbes.

Nous avons recueilli le témoignage de Philippe de Guillebon,  qui fut l’un des compagnons Scout de Pierre Labat dans sa troupe de Scouts Marins de Tarbes en 1949.

Nous vous livrons ci-dessous ses souvenirs ainsi que la vision personnelle qu’il avait de son chef :

     Pierre Labat était un chef un peu sévère mais c’était très exaltant car il nous proposait toujours des aventures à la limite de nos possibilités. Il nous faisait entièrement confiance et savait que nous saurions nous débrouiller et trouver les solutions aux problèmes que nous pourrions rencontrer. Il nous  avait  formés  pour cela. C’était très motivant.

  

     J’ai quitté la troupe à la fin de 1949 pour aller vivre au Mans (Sarthe) où j’ai rejoint la 7ème qui était une troupe marine, mais en 1951, je suis revenu à Tarbes participer au camp d’été avec Pierre et Jean-Noël Nouvel comme assistant, c’était toujours sympathique de retrouver tous les copains.

Parlait-il de ses romans ?

     Pierre était un conteur né, c’était un plaisir de l’écouter.  Lors des veillées il nous lisait les dernières pages qu’il avait écrites comme celles du « Manteau Blanc » dont l’histoire prenait corps au fur et à mesure que nous vivions l’aventure en direct durant nos grands jeux.

 

     C’était un type tout à fait hors du commun. Non seulement nous sentions les histoires qui ont servi de bases à ses romans mais bien souvent nous les avions vécues. C’est vrai pour « Conrad » comme pour « Le Manteau Blanc » ainsi que pour mes camarades qui, par la suite ont participé aux camps de plongée sous-marine au large de Toulon et dont Pierre s’est inspiré pour rédiger « Le Merveilleux Royaume »

Ci-dessus :

A gauche : Philippe de Guillebon, à Beynac sur les bords de la Dordogne. On distingue sur ce cliché qu’il porte lui aussi à son ceinturon, le passant de l’ordre de chevalerie, fondé par son chef de troupe.

A droite : la dédicace rédigée à attention de Philippe de Guillebon par Pierre Labat, sur la page de grade du roman « Le Manteau Blanc », où il l’assimile à Baudoin, le héros de son roman.

L’avez-vous connu adolescent ? Quel genre de garçon était-il ?

     Hélas, je ne connais personne qui l’ait connu dans son adolescence, mais son caractère était plutôt rêveur et romantique, entraîneur sans nul doute. Il avait une grande part de romantisme puisqu’il rêvait que la jeunesse puisse délivrer les Lieux Saints.

 

      En ce qui concerne la période « allemande » de Pierre, c’est-à-dire celle des années 45 à 48, lorsqu’il vivait Outre-Rhin et qu’il faisait partie des troupes d’occupation, il est à peu près certain que plusieurs jeunes scouts de sa troupe l’ont inspiré pour créer les personnages de son roman « Conrad ».  Lorsque Pierre évoque « Michou », il est fort probable que celui-ci soit calqué sur mon ami Michel, lui aussi fils d’officier de l’armée d’occupation, qui fit partie de la troupe que Pierre dirigeait à Baden-Baden. Bien entendu Michel, alias « Michou », serait certainement l’un des rares à pouvoir parler de Pierre à cette époque.

 

Souvenez-vous Georges Ferney, a écrit en 1955 dans « La Fusée – n° 3 », que les romans de Pierre Labat n’étaient pas que des fictions, en voici un témoignage.

 http://www.signe-de-piste.com/PBCPPlayer.asp?ID=988197

De gauche à droite : Michel Arbogast, qui inspira à Pierre Labat le personnage de Michou dans « Conrad ». Jean-Noël Nouvel, qui lui sera le Jacques de « Deux Rubans Noirs ». Pierre Labat, chef de troupe de la 3ème Tarbes. Abbé d’Argouge, aumônier de la 3ème Tarbes, et Philippe de Guillebon, qui inspira à Pierre Labat, son jeune héros pour la rédaction de son roman « le Manteau Blanc ».

 

Parlez-nous de son aventure avec Cousteau ?

     Pierre a plongé plusieurs fois avec l’équipe du Commandant Cousteau, notamment en 1953, lors des fouilles sous-marines d’une épave datant de la Grèce antique, échouée au large de Marseille.

 

     Je suis allé sur l’île du grand Congloué en compagnie de Pierre et de quelques-uns de mes camarades de la troupe durant les congés scolaires de Pâques 1953. Nous y sommes restés une quinzaine de jours pour effectuer avec l’équipe du Commandant Cousteau des fouilles sous-marines par 40 mètres de profondeur.  Evidemment de nos jours, il existe des clubs de plongée un peu partout, mais à l’époque il n’était pas possible de se procurer des bouteilles dans le commerce, seule la Marine Nationale et Cousteau en possédaient. Ce qui est certain c’est que, grâce à Pierre et à cette expérience,  j’ai eu la passion de la mer et de ses profondeurs, que  je n’ai jamais cessé d’explorer ensuite.

 

Ci-dessus :

Grâce au Commandant Jacques-Yves Cousteau et à Pierre Labat, le jeune scout marin et plongeur, Philippe de Guillebon, passe ses vacances de Pâques 1953 sur l’îlot du grand Congloué, en compagnie de certains membres de l’équipe de « La Calypso ». Comme Jacques Ertaud, dit « Jacky », Raymond Kientzy, dit « Canoé », Henri Goiran dit « Rikey »… Et comme nous le montre ce cliché, le dimanche 05 avril (jour de Pâques) de cette année-là, ils sont vêtus tel qu’on l’était, il y a plusieurs millénaires, dans la Grèce antique, et tous festoient, dans de la vaisselle grecque, vieille de plus de deux mille ans. Tout de même… quel souvenir inoubliable ! 

 

     Dans la troupe de Pierre, Jean Nouvel et moi étions chefs de patrouille, lui CP des Ecureuils et moi celui des Chamois. Bien que concurrents, nous nous entendions très bien. Yves Thollot *, qui était mon second de patrouille, est devenu officier de Marine et a fini sa carrière, je crois, au grade de Capitaine de vaisseau.

(*La mémoire joue parfois des tours, rectification d’Yves Thollot après avoir lu cet entretien :
… ma carrière s’est déroulée essentiellement dans l’Armée de terre (dans l’Artillerie de montagne) et non dans la Marin, et terminée avec le grade de Colonel et non de Capitaine de vaisseau, avant de quitter l’Armée et de prendre une situation dans le civil ! )

Pierre Labat était passionné par les Chevaliers du Temple. Etait-il membre d’un ordre de chevalerie ?

     Pierre avait créé un ordre de chevalerie qui avait pour nom « Notre Dame du Temple » dont il était le grand Maître,  mais il était aussi en contact avec des membres de l’Ordre de Malte. Je me souviens qu’il a évoqué cela en nous disant un jour qu’il avait, par le passé, écrit à certains membres de l’Ordre, car une personnalité venait d’être assassinée quelques temps auparavant (le Comte Bernadotte).  Il me semble qu’il ait même envisagé de publier certains de ses échanges épistolaires dans son romain « Le Manteau Blanc ».

 Avez-vous partagé avec lui quelques-unes de ses autres passions ?

       Personnellement,  j’ai connu l’orateur car j’ai eu la chance d’assister, au palais de justice, à quelques-unes de ses plaidoiries pour des affaires mineures, mais il lui arrivait aussi de plaider aux Assises.

Je me demande comment il arrivait à mener tout ça à bien et trouver le temps nécessaire pour écrire des livres, organiser les sorties le week-end ou durant les vacances scolaires et réussir à mener sa carrière d’avocat ?

 

     Quant à la plongée sous-marine, que beaucoup de gens pratiquent de nos jours, ils n’étaient que quelques-uns à cette époque. C’était assurément des pionniers.

Saviez-vous que Pierre Labat avait un talent de dessinateur et qu’il avait réalisé quelques illustrations pour accompagner ses manuscrits ?

     Oui,  je me souviens que Pierre dessinait, il avait réalisé dans notre local scout plusieurs grandes fresques. C’était un véritable touche à tout de talent.

Avez-vous quelques souvenirs de l’un de ses amis Paul Pergola ?

     Oui bien sûr, Paul Pergola était un officier du 35ème Régiment d’Artillerie Légère, des parachutistes, basés à Tarbes et c’était aussi l’un de nos chefs scouts. C’est d’ailleurs lui qui m’a enseigné le morse, nous habitions à 3 km l’un de l’autre, et le soir, depuis la fenêtre de nos chambres (lui à la caserne) nous passions nos soirées à nous envoyer des messages en morse à l’aide d’une pile électrique.

Le père de Paul Pergola était musicien ?

     Oui, en effet, je m’en souviens très bien car un jour avec mon camarade Yves Thollot, nous sommes « montés » à Paris accompagnés de Paul Pergola, et nous nous sommes rendus à l’église St-Germain l’Auxerrois où il avait organisé un concert au cours duquel son père, organiste, devait jouer en particulier un morceau de Jean-Sébastien Bach. Ce fût aussi pour mon camarade et moi l’occasion de faire connaissance de toute la famille de notre ami Paul Pergola. Quelques années plus tard il devait mourir au champ d’honneur, victime d’une embuscade, aux premières heures du conflit franco-algérien.

 

     A la troupe, nous l’aimions tous beaucoup, c’était quelqu’un de très attentionné. Par exemple, lorsqu’avait lieu nos fêtes de groupes et qu’à cette occasion nous présentions des petits spectacles, Paul Pergola invitait toujours des troupes des Guides ou Jeannettes des environs et pour chacune d’elles, il prévoyait un petit bouquet de fleurs remis par un jeune scout.

Saviez-vous que c’était le père de Paul Pergola qui interprète à l’orgue la musique du film « Le Merveilleux Royaume » ?

     Non je ne le savais pas, mais cela me semble normal car ce film, dont j’ai beaucoup entendu parler, fut réalisé avec « les moyens du bord ». Il est évident que les amis et connaissances ont apporté leurs contributions et leurs compétences à sa réalisation.

Savez-vous comment il a connu les Editions Signe de Piste ?

     Je ne saurai pas vous dire comment, mais peu de temps après le retour de Pierre à Tarbes et son arrivée à la troupe, son premier roman « Conrad » a été publié. Si mes souvenirs sont exacts, c’était au printemps 1949, puis très vite il rédigea « Le Manteau Blanc » dans lequel il a retranscrit quelques-uns de ses courriers avec des membres de l’Ordre de Malte.

 

     Je pense qu’il aurait aimé nous faire faire, à nous les jeunes, un pèlerinage en Terre Sainte, dont il parlait un peu comme une sorte de croisade de la jeunesse. C’était assez irréaliste mais très romanesque, d’ailleurs beaucoup de nos grands jeux allaient dans ce sens, ce qui n’était pas fait pour nous déplaire, bien au contraire.

 

     Et je me réjouis de voir qu’aujourd’hui, un hommage lui est rendu et que l’un des romans de Pierre soit réédité. Car Il demeure pour moi un ami, mais pas n’importe lequel, puisqu’il fut celui qui m’a transmis très jeune, le gout de la mer et de ces explorations sous-marines.

Pour en savoir plus sur Philippe de Guillebon et ses explorations sous-marines :

http://vimeo.com/33282572

http://mediathequedelamer.com/wp-content/uploads/biographie-philippe-de-guillebon_mediatheque-de-la-cite-de-la-mer.pdf

 

 

Les souvenirs de M. Julien Bertrand ancien membre de la 3ème  Tarbes.

 « J'étais scout à la 3ème  Tarbes,  troupe dirigée par Pierre Labat qui était un grand ami comme pour beaucoup de mes  co-équipiers.  Un meneur d'hommes qui faisait confiance aux adolescents enthousiastes mais il était adepte de la démocratie participative, comme on dirait maintenant. J'ai bien connu Marc Henry (1). C'était un grand technicien, très ingénieux, un véritable ingénieur en herbe. Un fana de la plongée sous-marine. Il avait des discussions très pointues avec Pierre sur les différents appareils de plongée.

Ci-dessus :

Le jeune Marc Henry remontant des profondeurs du merveilleux royaume sous la mer.

 

Sur l'histoire personnelle de Pierre et en particulier sur son adolescence et son engagement militaire je n'ai pas le moindre renseignement. Il était orphelin de mère mais je n'ai pas connaissance des conditions du décès de sa maman. Deux scouts et amis qui pourraient le mieux vous renseigner sont Jean Nouvel et Jean-Claude Vidallon. Jean Nouvel a quitté la troupe quand j'y rentrais, il a peu connu l'épopée sous-marine, mais a fait les camps de Dordogne.

Jean-Claude Vidallon était le second et a souvent plongé avec Pierre et en particulier lors de la plongée fatidique en 1955. Le père, Paul Labat, ancien militaire, aurait dit après la mort de Pierre, que les scouts lui avaient pris son fils.

Philippe de Guillebon est à contacter.

Sur ses exploits militaires il était très discret et ne parlait ni d'histoire, ni de politique. Il était Gaulliste ce qui était la moindre des choses à l'époque pour un ancien résistant. Il me semble qu'il faisait partie du service d'ordre du mouvement gaulliste; il était pompier volontaire car il aimait la notion de service.

Sur ses activités littéraires je n'ai pas le moindre tuyau.

Ci-dessous :

En 1950, la presse locale ne manque pas d’ouvrir ses colonnes pour relater les exploits des jeunes Scouts tarbais de la troupe de Pierre Labat, qui participe avec les pompiers volontaires de la ville, aux missions de sauvetage et aux entrainements.

Extrait de l’article ci-dessus :

 « … Les Scouts de France, dirigés par le brillant avocat qu’est Me Pierre Labat, participent à ces démonstrations pour acquérir les notions indispensables qui leur permettront d’obtenir le « badge » de pompier. Au cours du dernier incendie, qui éclata à l’arsenal, ces scouts passèrent à la pratique avec un zèle et un courage qui força l’admiration de tous. Et le tout jeune « coccinelle ne fut pas le moins ardent à la besogne! » 

    

En ce qui concerne la plongée je ne connais pas les circonstances de sa rencontre avec Cousteau et Jean-Claude Villadon doit pouvoir vous renseigner ; Nous plongions dans les grottes du Piémont pyrénéen et cette spéléo sous-marine m'excitait mais me faisait très peur.  Certains étaient plus courageux. Lors du congrès des rayons cosmiques en 1954 Pierre a essayé de franchir le siphon de la grotte de Médous près de Bagnères-de-Bigorre en compagnie de Georges Ledormeur (1867-1952) et de savants anglais astronomes. Nous étions dans les nuages et même au-delà des nuages, dans la stratosphère des émotions. Bien sûr nous sommes allés au-delà de I'espace ouvert au public dans des boyaux impossibles. Mais tout était possible à qui osait entreprendre. J'ai pu apprécier la décontraction des savants anglais qui plaisantaient faisant une escapade après leurs journées de calculs à l'observatoire du « Pic du Midi ». Puis survint le siphon, et Pierre disparut à la recherche du passage mystérieux.

Je suis allé avec d'autres scouts sur la Calypso et nous avons plongé sur une épave romaine au pied de l'île du Grand Congloué au large de Marseille. Trois camps à Toulon ont fait mon bonheur avec plongée sur l'arroyo où Pierre devait avoir son accident deux  ans plus tard. Comme chef, Pierre était entraînant et non directif car il faisait confiance. En dehors du sport il nous donnait une culture générale (Saint Ex), il ouvrait aux jeunes leur étendue intérieure, leur autonomie, et le royaume de la technique Non seulement un bon chef mais un grand bonhomme. Un vrai humaniste ».

Julien BERTRAND

Ancien de la troisième Tarbes.

Pour en savoir plus :

Sur Georges Ledormeur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Ledormeur

Sur la grotte de Médous : http://fr.wikipedia.org/wiki/Grottes_de_M%C3%A9dous

 

1 - Marc Henry fut l’un des Scouts de la troupe de Pierre Labat et fut, lui aussi, très proche de son chef de troupe. En effet, il figure sur nombre de clichés retraçant les différentes, aventures de la 3ème Tarbes, qu’elle soit raider puis scout marin. On trouve Marc Henry dès 1949, au camp de Beynac, puis quelques années plus tard il est l’un des jeunes acteurs du « Merveilleux Royaume ». Signalons qu’à l’âgé de 14 ans, Marc Henry fut le signataire d’un rédactionnel publié dans « Scout » sur la plongée sous-marine.  Cet article qu’il signa « Marc Henry  – S.P. (second de patrouille) du Chamois, 14 ans – 3ème Tarbes Raider ». S’intitule : « Il est un monde étrange », il est paru dans le n° 272 du 5 mai 1952. Nous l’avons intégré dans le texte plus haut, en mémoire de jeune Scout.

Les souvenirs de M. Jean-Claude Vidallon ancien membre de la 3ème Tarbes.

 « Je viens vers vous de la part de Julien Bertrand qui m'a conseillé de le faire. Il s'agit bien sûr de ce qui touche à Pierre Labat et Georges  Ferney.

Soyez remercié de ce que vous faites pour rassembler les souvenirs et les documents relatifs à cette petite « épopée ». Le film de Georges  Ferney m'intéresse beaucoup car j'y étais acteur comme nous tous et aussi parce que c'était une performance remarquable pour l'époque. Je crains hélas que les couleurs n'aient beaucoup pâli (c'est souvent le cas). Je figure également sur les photos qui illustrent le livre « Le Merveilleux Royaume » (avec la bouillote sur la poitrine et le pouce levé).

Vous cherchez des renseignements concernant Marc Henry…

Marc avait fait des études à Toulouse, et à l'époque nous étions très proches (je connaissais aussi très bien sa famille). Pour Marc, je situe sa disparition vers 1970-71. Il travaillait dans « de  la technique liée à l'univers sous-marin », du côté de Toulon. Un autre "compère" ancien tarbais était dans ce panorama, Jean-François Cohade, lui aussi revenu à « la mer » après un détour par des techniques agricoles (sa formation). J'étais resté assez ami avec Jean-François, qui nous relie à Marc, car j'ai fait grâce à lui une ultime plongée (je crois en compagnie aussi de Marc …) Jean-François avait monté une espèce « d'école de plongée ». Marc est mort dans un stupide accident d'avion (privé)  au retour d'un séjour professionnel en Italie.

J'ai apprécié les textes joints. Toutefois Je souhaiterai apporter quelques précisions, car  il y a un point qui m'a interpelé (deux en vérité) c'est ce qui concerne « la peur de la mort ». Pierre, avec qui j'étais très proche, m'avait dit beaucoup de choses sur sa vie « avant », même si nous étions tous très jeunes. Je vais dire « de mémoire» quelques points importants, en brossant rapidement un portrait  de Pierre tel que je l’ai connu, en oubliant momentanément « l’auteur ».

Adolescent, il avait « peur que la guerre ne se termine avant ses 18 ans, car il souhaitait s'engager ». Très brillant jeune bachelier, Il avait commencé des études (prépa à Bordeaux) pour entrer à « Navale », mais les « 18 ans arrivés » il a interrompu tout ça et s'est engagé. Dans ses faits d'armes il fut blessé et cela a réorienté toute la suite de sa vie. Par suite de ses  blessures, il n'avait plus « les aptitudes physiques nécessaires » (très strictes à l'époque) pour devenir officier dans la Royale. Il entreprend alors des études pour devenir avocat et devient par la suite (je crois), le plus jeune avocat du barreau de Tarbes. Il me disait souvent, avec beaucoup d'humour, que fruit des circonstances il était devenu « l'avocat des prostituées » ayant accepté un premier travail alimentaire et « séduit ces dames ».

Pierre avait une très solide formation de « scientifique » et il m'apportait très volontiers son aide quand je séchais trop sur quelques exercices de maths, même si j'étais plutôt brillant. Il était pour moi comme un grand frère et nous avions plaisir à chercher ensemble, parfois tard dans la nuit.

Il faut parler là de « Pierre inventeur », car notre aventure sous-marine n'aurait jamais eu la saveur qu'elle a eue sans les très brillantes inventions de Pierre. La photo (de moi) avec la bouillote sur la poitrine représentait la première version d'un scaphandre « semi-autonome » avec lequel nous avons fini par effectuer des centaines de plongées, en piscine ou en mer, voire dans les grottes ou les rivières, Pierre là en première ligne et chassant des noyés en compagnie des pompiers. C'est un point important, indirectement lié à son décès.

Ci-dessus :

Le jeune Jean-Claude Vidallon levant le pouce, alors qu’il est équipé de la fameuse bouillote, transformée en scaphandre autonome pour les besoins de la troupe de Pierre Labat.

 

Pierre avait conservé la nostalgie de la mer et il a tout fait pour revenir à ses rêves d'adolescent. Il y revient « sous l'eau » et nous entraîne avec lui n'hésitant pas à fonder à Tarbes une troupe de « scouts marins ». Les camps d'été sont devenus des occasions de découvrir la Méditerranée et de « plonger » avec « notre matériel home made » et les scaphandres prêtés par le GERS de l'arsenal de Toulon. Nous étions extrêmement privilégiés, même si tout ça avait un côté paramilitaire peu déguisé.

A partir de là, Pierre va plus loin, car il faut qu'il prenne sa revanche sur le destin. Il y avait à l'époque la fascination pour « l'épopée des nageurs de combats », encore très récente. Très habile avocat pour négocier tous les statuts spéciaux, Pierre finit par entrer au « Commando Hubert », à Saint-Mandrier. Il y fait des stages répétés et y apprend toutes les ficelles du métier de nageur de combat. Il envisage même d'intégrer définitivement la Marine par ce moyen, mais là il échoue, car il devient, simple quartier-maître ayant trop de stature, un peu encombrant.

On retrouve là Pierre « inventeur », avec la fameuse « ventouse », destinée à assurer l'arrimage des charges d'explosifs que les nageurs de combat accrochent gentiment aux navires ennemis. C'était « le gros problème » très mal résolu. Avec ça il soulevait l'immense table en chêne de sa salle à manger pour démonter l’efficience (redoutable) de son invention.

Dans la période qui a précédé sa mort, Pierre cherchait tant qu'il pouvait à « entrer dans la Marine Nationale », et il inquiétait beaucoup famille et fiancée.

Si la tragédie s'est nouée loin de Tarbes, elle a des racines tarbaises, car Pierre est arrivé en mauvaise santé au stage que nous assurions, ayant, m'avait-il dit, un peu trop « fait la nouba avec les pompiers », après une chasse au noyé devenue traditionnelle.



Ci-dessus :

Comme le relate cet article de presse, publié au début de l’année 1954 dans « la Nouvelle République », il arrivait parfois que Pierre Labat et ses jeunes Scout Tarbais, participent en tant que plongeurs, à des missions de secours.

Ce sont des histoires « pour adulte », qui nous ramènent à « la fascination de la mort » (et pas à la peur). Pierre avait écrit un dernier roman qui s'intitulait « le chevalier et la mort », au contenu l'éloignant définitivement de « Signe de Piste ». Le manuscrit avait été accepté par Gallimard mais Pierre est décédé avant la parution. J'ai pu lire ce manuscrit, qui était parmi les affaires de Pierre dans la tente que nous partagions (il y avait aussi Marc Henry, ou quelqu'un d'aussi proche, mais je crois que c’était Marc)  Il y avait au début du manuscrit une jolie reproduction d'une gravure de G. Doré éponyme.

Clairement « le chevalier et la mort » c'est toute l'histoire de Pierre, avec la guerre et les combats pour fil directeur, le plus  « Fascinant» beaucoup plus que tout autre chose.

J'ai longtemps cherché si « le chevalier et la mort » avait fini par être édité. Le bruit a couru que le père de Pierre avait fini par le publier en le cosignant et sous un autre titre. Voilà de quoi passionner ceux que tout ça peut motiver.

Merci encore de me donner l'occasion de retrouver ces souvenirs et de rendre hommage à un très grand ami ».

Jean-Claude VIDALLON

Ancien de la troisième Tarbes.

Post-Scriptum :

« Concernant le manuscrit que j'ai mentionné, je suis certain de :

1° - Le titre donné par Pierre au manuscrit que j'ai eu entre les mains était « le Chevalier et la Mort » (allusion à une gravure de G. Doré)

2° - L'acceptation d'éditer le livre par Gallimard (Pierre en était légitimement très fier et m'avait personnellement informé). Ce livre était une nouvelle orientation de l'auteur Pierre Labat, qui s’écartait très intentionnellement des « livres pour la jeunesse ».

J'ai eu par la suite très peu de contacts avec la famille de Pierre, sauf indirectement par Marc Henry, malheureusement décédé. D'après Marc, Paul Labat (le père de Pierre)  aurait repris et modifié le manuscrit et l'aurait fait édité sous un autre titre. Il m'avait aussi conseillé de ne pas chercher à en savoir plus.

Je suis peut-être la seule personne à avoir gardé le souvenir de ce dernier manuscrit, qui était très abouti, à l'exception peut-être encore de Marie-Henriette Nouvel, (sœur aînée de Jean qui à l’époque était cheftaine de la 3ème Tarbes et la fiancée à Pierre Labat) qui était nécessairement au courant.

J'ai parlé de tout ça à mon amis Julien Bertrand et nous avons admis qu’une « piste possible » était de « rechercher les héritiers de Paul Labat » qui ont peut-être trouvé des documents, voire le manuscrit, dans les affaires de Paul Labat.

Je réponds à votre question : Non, je ne crois pas que Pierre avait un pressentiment de sa mort, mais le titre de son dernier  manuscrit traduit, à mon sens, une fascination, peut-être presque banale à cette époque d’après-guerre, mais aussi sans doute lié à l’histoire de Pierre.

A propos des « chantiers d'écriture » de Pierre, qui était débordant d'activité, un manuel dit « Carnet de plongée » ne m'étonne pas, mais c'est nécessairement autre chose.

Je n'ai moi-même aucune motivation autre que d'avoir cherché à restaurer au mieux des éléments, ce qu'a été notre vie à cette époque, associée à celle de Pierre, qui nous a tous considérablement marqués, positivement ».

JCV

 

 

Souvenirs de M. Jacques Verdier ancien membre de la 3ème  Tarbes.

« Pour parler à la troupe, j'avais à peine douze ans quand à l'automne 1952 je suis rentré à la 3ème Tarbes, après 3 années de louveteau et six mois de scout à la 2ème Tarbes (troupe "classique terrestre" rattachée à la Cathédrale). J'avais moins de 15 ans au moment de l'accident le 16 Août 1955.

Dans mon souvenir, cette période ou Pierre fut notre chef,  se décompose en deux axes principaux.

Les Raiders : il fallait aller au plus loin ; monter à la grande échelle des pompiers qui fait 12 mètres de haut! Apprendre le judo, faire des grands jeux de nuit, se baigner dans l'eau glacée, marcher à la boussole etc… tout ça à 12 ou 13 ans. Quelle exigence, mais quel plaisir !

La Plongée : il fallait s'entrainer sans cesse à la nage avec ou sans palmes, expérimenter en piscine des appareils plus ou moins bizarres etc... Et la récompense : le camp de Toulon !

Pour les plus jeunes c'était parfois dur, parfois limite - certains ont abandonné - mais quelle ambiance !

Les idées liées à la démarche « Raider », on les retrouve très précisément dans « Deux Rubans Noirs ». Et il en est de même dans  « Le Merveilleux Royaume" pour la plongée sous –marine. Car bien que romancées, elles sont basées sur nos activités et expériences subaquatique de 53/54.

Je crois me souvenir que peu de temps après mon arrivée à la troupe, celle-ci  est devenue très rapidement  marine et bien sûr Pierre en était le chef. Un chef exigeant, mais généreux et enthousiaste…  

Concernant les circonstances qui coûtèrent la vie à notre chef. D’après ce qu’on m’a dit, elles seraient dues à un malaise et à un surmenage, suivi d'une malencontreuse erreur des sauveteurs. Il est à noter que nous, les scouts, nous n'avons jamais rien su des causes de l'accident. Je m'en rappelle comme si c'était hier : Un soir du mois d'Août (le 17), j'étais à la maison (mes parents recevaient des amis). Un coup de téléphone arrive : Pierre a eu un accident. Il est décédé. Obsèques à la Cathédrale, tel jour, telle heure... préviens les autres… (C'était le fonctionnement normal de la chaine d'alerte mise au point par Pierre pour mobiliser la troupe)... J'étais abasourdi...

Puis, en 55/56 j'étais chef de patrouille des aigles (pas tellement scouts marin !).

Serge Vinches avait pris la succession de Pierre Labat à la direction de la troupe, et Julien Bertrand et Marc Henry étaient ses assistants. Jacques Lapoyade ne faisait déjà plus partie de l'équipe ; car il avait quitté Tarbes.

C'est Julien Bertrand qui bien des années plus tard m'a appris que Serge et Marc étaient décédés prématurément, l'un par noyade et l'autre d'un accident.

Marc Henry, que l'on peut voir, sur certaines photos qui animent le récit « Le Merveilleux Royaume », avait un petit frère prénommé Jean-Loup, qui faisait  également parti de la troupe mais au rayon huitième de pat…

Je mentionne pour l’anecdote, qu’en ce qui concerne la couverture du livre de Pierre « Deux rubans noirs » elle est pour ma famille et moi chargé d'émotions. Ma mère en particulier est très impressionnée par le dessin de couverture de P. Joubert, qui lui rappelle son petit frère, décédé très prématurément. Car c’est une photo représentant mon oncle, Claude qui fut lui aussi l’un des raiders de la 3ème Tarbes, qui servi de modèle à la réalisation du dessin de cette couverture et vraiment la ressemblance est troublante ! 

Ci-dessus :

Evoqué ci-après on découvre sur cet instantané de 1953, trois jeunes camarades de la troupe de Pierre Labat dite également du « premier groupe de plongée sous-marine des Scouts de France ». De gauche à droite : Jacques Verdier, Christian Lapoyade et Jean-Louis X.

 

Un très grand merci pour ce bel agrandissement, dont la qualité photographique et technique me laisse très admiratif. Je suis évidemment très touché par ce souvenir de 1953 au cap Sicié - le premier des 3 camps que j'y ai fait - et aussi par la présence de Christian Lapoyade (au centre du cliché ci-dessus)  malheureusement décédé comme me l'a écrit son frère Jacques mon ancien C.P., retrouvé grâce à vous. Je ne me rappelle pas du nom du troisième, à droite, mais son prénom était Jean-Pierre, mais hélas je ne sais pas ce qu'il est devenu!

Malgré  le peu d'informations que je vous ai fourni, j'espère néanmoins avoir été constructif.

Il ne me reste plus qu'à vous remercier vivement du travail de mémoire que vous avez entrepris pour faire paraître cet article, qui rend hommage à notre chef et qui le fait revivre ! ».

 

Jacques VERDIER

Ancien de la 3ème Tarbes.

 

Les souvenirs de M. Jacques Lapoyade Deschamps

ancien membre de la 3ème  Tarbes.

« Pierre était mon chef :

De 1952 à 1956, élève au Lycée de Tarbes,  j’ai fait partie de la troupe de Pierre Labat  avant de préparer l’école Navale à Paris.

Nous étions très fiers d’être devenus  le « Premier Groupe de Plongée Scouts de France », je lui dois pour une large part ma vocation de marin : Pierre Labat a été un guide à qui je voue une immense reconnaissance…

Sa disparition incroyable à l’occasion d’une plongée au large des «  Deux Frères » au cours d’une période de réserve nous a privés d’un être merveilleux, aussi bien dans l’action que dans la réflexion !

Les soirées dans son appartement au cours desquelles il nous lisait des passages de ses écrits ou bien de récits de chevalerie, de vaillance, et  de générosité. Des légendes germaniques où il était question du « pourvoyeur de morts », des contes un peu effrayants qui accompagnaient mon retour dans l’obscurité, à bicyclette, chez les parents, rue Nansouty.

Les jeudis consacrés à « l’entrainement plongée »  à la piscine thermale de Bagnères-de-Bigorre : aller et retour à bicyclette, heureusement le retour, en descente, souvent vent arrière était facile… Cet entrainement hivernal, préparant nos camps d’été s’est brusquement terminé quand une brave curiste profitant benoîtement de l’eau chaude de la piscine a reçu la bouteille d’un appareil de plongée sur le pied !

Les descentes de l’Adour en plein hiver sur un gros « Bombard » récupéré dans un surplus américain ; elles  n’étaient pas exemptes de risques : un dimanche après-midi, un virage mal négocié  a fait éclater notre embarcation, nous sommes tous tombés à l’eau et cela a valu à l’un d’entre nous, noyé, d’être récupéré grâce à son sac à dos qui voguait au gré des courants et de ne sortir de l’hôpital qu’après un jour en réanimation. 

L’exploration d’une résurgence dans les grottes de Médous avec un groupe de spéléologues italiens beaucoup trop audacieux : nous avions l’avantage d’utiliser un matériel de plongée peu encombrant, dénommé « le pieuvre » avec seul un détendeur dans le dos alimenté par un tuyau et de pompes comme dans Tintin. J’ai le souvenir horrible d’un boyau tellement étroit que l’on ne pouvait faire demi-tour, ce qui obligeait à revenir à reculons sans éclairage : l’horreur !

Et puis la récompense suprême : les camps d’été autour de Toulon, au fort Saint-Elme ou à Saint-Mandrier,  l’intendance étant assurée par la Marine… Nous pouvions nous consacrer à la plongée, aux veillées, aux marches, au tournage du film « Le Merveilleux Royaume » par Georges Ferney.

 

Ci-dessus :

Le jeune Jacques Lapoyade Deschamps, en 1953 lors du tournage du « Merveilleux Royaume »

 

 

Avec Pierre Labat on faisait à la Troupe l’apprentissage de la vie, on prenait des risques, c’est vrai, ce qui est moins  à la mode de nos jours…

C’était le début de l’aventure sous-marine, nous étions des pionniers avec nos pompes à air tripodes, nos bouteilles de récupération et nos détendeurs bricolés ! Mais, grâce à Pierre, nous aimions la mer qui manquait singulièrement à Tarbes …

Cet amour de la mer m’a toujours accompagné : La plongée sous-marine, les bateaux de guerre, les avions de patrouille maritime qui volent bien bas sur l’eau.

 Merci Pierre de m’avoir donné l’occasion d’une vie fort amusante : c’est vrai qu’avec la mer on ne s’ennuie jamais ! »

 Contre-amiral Jacques Lapoyade Deschamps

Ancien de la 3ème Tarbes.

 

Témoignage de M. Jean-Noël Nouvel, ancien C.P. de la patrouille Raider des Ecureuils de la 3ème Tarbes.

Nous avons recueilli le témoignage de Jean-Noël Nouvel,  qui fut l’un des compagnons Scout de Pierre Labat dans sa troupe de scouts marins de Tarbes en 1949.

Nous vous livrons ci-dessous ses souvenirs ainsi que la vision personnelle qu’il avait de son chef :

 

A quelle époque êtes-vous  devenu scout ?

-        C’était tout juste après-guerre, vers la fin 1945 ou au début de l’année 46. Mais, à Tarbes, il n'y avait plus de troupe à cette époque-là et c’est un Aumônier d’Agen qui y a fait renaître le Scoutisme. Mais ne me demandez pas son nom car je ne m’en souviens plus.

A cette époque, la 3ème  Tarbes n’était qu’une patrouille, et au fur et à mesure elle s’est peu à peu transformée en une véritable troupe digne de ce nom. Notre premier camp scout a eu lieu en 1947. Il s’est déroulé en Bretagne tout près du château de Kerjean dans le Finistère. Puis, juste après ce camp, nous nous sommes rendus au jamboree de Moisson où nous avons passé une dizaine de jours. C’était bien avant que Pierre n’arrive à la 3 ème Tarbes. 

Parlez-nous du « Manteau Blanc ». S’agit-il  aussi d’un grand jeu créé par Pierre Labat ? 

-         Oui, en effet. Il y avait eu, quelque temps avant l’arrivée de Pierre à la troupe, un grand jeu avec les scouts de Baden-Baden en Allemagne et Pierre nous en parlait avec beaucoup d’émotions. Mais nous n’avons pas vécu ça.              

Pierre Labat à Baden-Baden entouré de deux jeunes scouts qui vont lui inspirer les personnages de Frantz et Michou de son roman « Conrad ».

Couverture de l’édition originale réalisée par Igor Arnstam, pour le roman  publié en 1949 sous le n° 34 et la dédicace de Pierre Labat pour son ami Georges Ferney sur un exemplaire hors commerce numéroté constituant l’édition originale.

 

La vie de la troupe fut intense dès l’arrivée de Pierre à Tarbes car, dès lors, elle s’est préparée pour un camp qui s’est déroulé fin 1948, début 49 sur les bords de la Dordogne, à proximité du château de Beynac. Notre bivouac était installé sur une île. Avec Pierre, nous commencions déjà à faire des exercices de plongée, mais ce n’était pas encore des activités de plongée à proprement dire ; c’était des petits exercices où nous étions équipés d’un jerrican empli d’air pour traverser un bras de la Dordogne. Cet exercice consistait à plonger afin de traverser, mais sous un une nappe d’eau enflammée. C’était très spectaculaire mais sans grands risques pour les jeunes scouts que nous étions.

Camp sur les bords de la Dordogne entre Castelnau, et Beynac.

 

Y a-t-il eu des accidents ?

-         Non pas un seul. Tout s’est très bien déroulé. Et nous étions tous très heureux et très fiers de nos prouesses !

Nous avons entendu dire que Pierre a fondé à cette époque un Ordre de Chevalerie ?

-         Oui, mais je ne sais pas s’il faut l'appeler comme ça ? Mais c’est l’histoire du « Manteau Blanc » qui nous était racontée et dont nous reconstituions les épisodes lors de nos grands jeux où nous étions vêtus en costumes de Chevalier du Temple. D’ailleurs, je me souviens qu’à l’occasion d’un camp situé au pied du Château de Castelnau nous avions construit une catapulte en rondin de bois. Je me rappelle également que durant toutes les veillées du camp lorsque nous étions réunis autour du feu, nous lisions à haute voix des passages du « Manteau Blanc ». Pour ensuite réaliser certains jeux de nuit.

Pierre Labat, et ses jeunes chevaliers.

Connaissez-vous les activités de Pierre lorsqu’il était jeune scout ? Les évoquait-il parfois ?

-        Oui, Pierre a été scout avant de revenir s’installer définitivement à Tarbes, mais je ne peux pas vous en dire plus car je ne connais pas son parcours dans le scoutisme avant sa venue à la 3ème Tarbes.

Quels étaient les rapports et les liens d’amitié de Pierre avec Georges Ferney ? L’avez-vous rencontré ? Est-il venu ou a-t-il participé à certain camp ?

-        Oui, je me souviens de Georges Ferney car il est venu plusieurs fois nous rejoindre lors de camps, notamment en Dordogne. Je ne savais pas très bien qui il était exactement, mais je me rappelle très bien que nous avions avec lui, et Pierre bien entendu, de très longues discussions. Tous les deux étaient romanciers, et ces deux auteurs semblaient très amis.

Pouvez-vous évoquer ce que furent les Raiders à cette époque à Tarbes ?

-         C’est sur l’initiative de Michel Menu, qui à cette époque a lancé ce mouvement basé sur le service dans le scoutisme. C’est ainsi que la 3ème Tarbes fut l’une des premières troupes raiders de France. Car à cette époque elles étaient peu nombreuses. Alors Pierre nous a entrainés pour que la troupe devienne une troupe raider. Afin que les garçons puissent répondre à tous les besoins.

C’était très proche des activités militaires ?

-        Oui. A partir de là, Pierre nous a entrainé à diverses choses, comme faire de la moto ou du judo ; et l’on faisait régulièrement des exercices. Nous allions aussi nous exercer avec les pompiers. Bien sûr, nous n’avons jamais éteint d’incendies, mais l’important était pour nous d’être-prêts. Et il fallait voir l’énergie et l’investissement que Pierre y mettait !

Pouvez-vous nous parler de cette passion de Pierre Labat pour les Templiers ?

-        Cela vient incontestablement de son imagination fertile ! Nous avons eu d’ailleurs avec Pierre des cérémonies qui ressemblaient fort à un engagement. Une espèce d'initiation, si vous voulez. Où nous nous prêtions serment au respect des lois scoutes qui tout de même était le fond de l’affaire. Mais lors de ce « rituel », on nous remettait un passant de ceinturon sur lequel figurait une croix de Chevalier de l’Ordre du Temple, de couleur rouge.

Bien sûr, avec Pierre, nous étions très imprégnés de l’Ordre du Temple que nous retrouvons dans son livre « le Manteau blanc » et qui, pour nous, se traduisait par des grands jeux que Pierre mettait lui-même en scène évidemment.

Savez-vous comment Pierre Labat a rencontré le commandant Cousteau ?

-         Non, là je ne peux pas vous répondre car c’est à cette époque que j’ai quitté la troupe pour faire mes études. Donc, de ce fait je n’ai jamais été scout-marin et tout ce qui va concerner l’épopée de la 3ème Tarbes et toutes ses aventures subaquatiques, je n’étais déjà plus là. 

Pierre Labat semble avoir, auprès des anciens de sa troupe, marqué les esprits ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ? Auriez-vous quelques anecdotes qui permettraient de mieux comprendre l’esprit de Pierre Labat ?

-         Bien entendu. Il est certain que Pierre a, chez nous les anciens de la 3ème Tarbes, marqué les esprits. C’est indéniable. Chacun de nous lui porte encore, et cela malgré toutes ces années, une amitié fidèle. C’est simple, c’est un ami.

Quel type de chef était-il ?

-         Oh, c’est très difficile à dire. C’était quelqu’un qui cherchait à nous faire progresser, à nous grandir avec tout ce qu’il nous apprenait, et qui était toujours à l’écoute. Afin que nous devenions des bons parmi les bons.

Vous lisait-il des extraits de ses romans ?

-         Oui, bien entendu, notamment « le Manteau Blanc » dont il nous laissait des passages. D’ailleurs, à chaque veillée de nos camps de Dordogne nous nous réunissions autour d’un feu et Pierre entamait à haute voix la lecture d’un chapitre. Mais je ne me souviens plus s’il s’agissait du manuscrit, ou bien déjà du livre imprimé. 

Et pour la musique classique, car Pierre Labat, paraît-il, était très mélomane?

-        Oui en effet, Pierre était très féru de musique classique et grand amateur et grand connaisseur. Je me souviens que lorsque nous nous rendions chez lui, les morceaux des grands compositeurs passaient en boucle. C’était le fond sonore habituel. Notamment, vous vous en doutez, ce sont les cantates de Jean-Sébastien Bach que Pierre écoutait très fréquemment.

Quels étaient les rapports de Pierre Labat avec le mouvement scout ?

-        Je pense qu’ils étaient assez bons car notre troupe avait de fréquents contacts avec les autres troupes scoutes tarbaises ou avec celles de la région. Et il n’était pas extraordinaire qu'il nous annonce qu’il devait se rendre à X ou Y endroit pour rencontrer d’autres scouts.

Michel Menu est-t-il venu à Tarbes ?

-        Je n’ai pas souvenirs du passage de Michel Menu à Tarbes. Ce dont je me souviens précisément, c’est que Pierre s’est rendu à un stage de formation de chef Raider juste au moment où notre troupe s’est tournée vers les Raiders.

Nous avons remarqué que parfois Pierre Labat signait des rédactionnels dans les revues du mouvement comme faisant parti de la 1ère Tarbes. Mais votre troupe c’était bien la 3ème Tarbes ?

-         Oui,  notre troupe était bien la 3ème Tarbes de l’école Jeanne D’arc. Notre foulard était bleu clair bordé de bleu marine. Mais la 1ère Tarbes elle aussi existait : c’était la troupe de la paroisse Saint-Jean. Leur foulard était noir et blanc. Et la 2ème Tarbes a elle aussi existé : c’était la troupe qui était rattachée à la cathédrale. Je m’en souviens car j’en ai fait partie lorsque j’étais louveteau. Alors il est très possible que, par la suite, Pierre ait tenté de rassembler certaines troupes. Ce qui expliquerait pas mal de choses.

Vous étiez très lié avec Pierre Labat. Quel chef était-il ?

-         Oui, nous nous voyions très souvent, en effet. Il était fréquent que nous, les jeunes scouts de la troupe de la 3ème Tarbes, nous nous rendions chez notre chef. En principe, nos visites avaient lieu la plupart du temps le soir et cela pouvait se prolonger assez tard. Mais dans ces cas-là, Pierre se faisait un devoir de nous raccompagner. Il connaissait très bien ma famille. Tous mes frères et moi-même étions  bien sûr membres de la 3ème Tarbes, ma grande sœur également puis qu’elle fut l’une des cheftaines louveteaux de la troupe et qu’elle est devenue sa fiancée. Et Pierre avait d’excellents rapports avec mes parents.

De combien de jeunes adolescents était composée cette 3ème Tarbes ?

-        D'environ une vingtaine d’adolescents de 12 à 16/17 ans. Répartis en plusieurs patrouilles comme les chamois, les aigles et les écureuils dont j’étais le CP.

La patrouille des chamois de la 3ème Tarbes au grand complet.

Est-ce que le nom de Paul Pergola vous dit quelque chose ?

-        Oui bien sûr. Paul Pergola a été chef de troupe à Tarbes avant que Pierre Labat ne revienne d’Allemagne, à la fin des années 40, pour s’installer définitivement dans notre belle cité du Midi Pyrénées. D’ailleurs, c’est avec Paul Pergola, qui était un ancien parachutiste que j’ai appris le morse. Car ma patrouille était, lorsque j’étais raider, celle des transmissions et nous avions des téléphones. C’était un assez bon matériel qui provenait de l’armée.

-          Mais j’avais encore à cette époque-là, certaines épreuves à passer afin d’obtenir différents badges pour devenir 1ère classe. Et j’ai gardé le souvenir d’un homme extrêmement sympathique.

Paul Pergola ne faisait-il pas pour son plaisir un peu de photographie ?

-        Je ne m’en souviens pas, car la photographie n’était pas une des activités principales de la troupe. Et il est vrai qu’il existe très peu de clichés représentant de la troupe ou Pierre Labat.

Néanmoins Paul Pergola devait certainement faire un peu de photographie car il nous en a laissé un témoignage dans le dernier livre de Pierre. 

Savez-vous dans quelles circonstances, et pour quelles raisons Pierre Labat fut décoré de la croix de guerre alors qui avait tout juste 18 ans ?

-        Non je ne connais ni les circonstances ni les raisons qui font qu'il fut décoré si jeune de la croix de guerre. Mais vous savez, il débordait d'idées et de courage, alors pour moi il n’y a rien de très étonnant à cela.

Pierre Labat n’a-t-il pas fait un peu de politique ?

-        Nous savions que l’avocat allait parfois plaider des affaires au palais de justice, dont il ne semblait pas faire une histoire d’argent, car j’ai toujours pensé que cela était plus par dévouement qu’autre chose. Disons plus pour défendre la veuve et l’orphelin.

-        Maintenant, qu’il ait aussi pris la parole lors de meetings politiques, cela n’aurait rien d’étonnant car c’était un sacré orateur, et ses opinions étaient plutôt gaullistes.

Saviez-vous que Pierre Labat dessinait ?

-        Oui car il était très doué pour pas mal de choses. D’ailleurs je me souviens que dans notre local de la 3ème Tarbes, il avait dessiné sur les murs de grandes fresques, notamment une ou figurait un gigantesque chevalier. Car la chevalerie était pour lui, et par conséquent pour tous les membres de la troupe, très importante. D’ailleurs, nous avions comme devise : « soigner, prier, servir ».

 

Quelques illustrations réalisées par Pierre Labat

Le Château du Cahusac-Dennesturm, vu par Pierre Labat en 1949. Dessin réalisé à l’encre de Chine, signé en bas à gauche (format 24 X 32 cm).

 

 

 

Dessins à l’encre de Chine, créés afin d’illustrer son manuscrit « Conrad »

Dessins réalisés afin d’illustrer son manuscrit « Le Manteau Blanc »

 

 

Dans Le local de la troupe, qui se situe dans l’enceinte de l’école Jeanne d’Arc, les coins de chaque patrouille sont décorés par Pierre Labat, à gauche le coin des aigles, à droite le coin des écureuils  où l’on peut admirer une fresque murale, créée par le chef de troupe, représentant un chevalier de l’ordre du manteau blanc. 

 

Avez-vous participé à quelques explorations spéléologiques avec Pierre Labat ? 

-        Non, malheureusement, je n’ai pas eu la chance de participer avec lui à ces explorations spéléologiques. Mais je sais que lui en a fait car il était très ami avec certains grands noms du monde de la spéléologie comme Norbert Casteret, et d'autres.

Par contre, il était assez fréquent que les patrouilles de la troupe fassent des sorties de nuit à la boussole. Car être scout, dans la troupe de Pierre Labat, ce n’était pas vraiment des colonies de vacances !

Avez-vous eu l’occasion de voir Pierre Labat écrire ?

-        Non, jamais, car lorsqu’il se mettait à sa table de travail c’était plutôt lorsqu’il était seul la nuit. Pierre avait une réelle facilité d’écriture, car je lui connais, hormis ses romans, nombre de rédactionnels parus à l’époque dans les revues du mouvement.

 

Lors de vos sorties aquatiques avec Pierre Labat, au début lorsque vous évoluiez le long des rivières locales, qu’aviez-vous comme matériel ?

-        Au début la troupe disposait de trois canots qui étaient composés de vieilles chambres à air de tracteur légèrement allongées auxquelles, si mes souvenirs sont exacts, nous avions collé une toile étanche qui servait de fond à nos embarcations. Nos toutes premières sorties aquatiques ont consisté à apprendre à manœuvrer les canots sur l’Adour.

-        D’ailleurs, je me souviens qu’avant chaque sortie, qui était pour nous l’occasion de grands jeux, nous devions au préalable vérifier le matériel et pour ce faire, nous nous entraînions au local.

Avant chaque sortie, les  Scouts de Pierre Labat vérifient le matériel.

Mais ces activités n’étaient-t-elles pas un peu risquées ?

-        Oui elles l’étaient bien un peu car un jour alors que nous étions sur l’Adour et que nous faisions des exercices, à un endroit où il y a un peu de courant, l’un de nos canots s’est renversé et un de nos camarades, un jeune scout, s’est retrouvé à l’eau sous le canot. Le malheureux a d’ailleurs fait un malaise. Il avait beaucoup de mal à respirer et il s’est retrouvé dans le coma. Il a d’ailleurs fallu appeler les pompiers qui l’ont conduit à l’hôpital où il est resté quelques jours. Cet accident fut très traumatisant pour nous tous, et en particulier pour Pierre. Je me souviens qu’il était très ennuyé et très inquiet pour notre camarade car il le voyait mort et il se disait qu'il était responsable. Heureusement, cet accident fut sans grandes conséquences.  Quelques jours plus tard, notre jeune camarade allait beaucoup mieux. Mais Pierre a eu très peur, et c’est là qu’il a réellement pris conscience que ce qu’il nous faisait faire pouvait s’avérer dangereux. Mais il n’y a pas eu que des épisodes tristes. Nous chantions beaucoup.

 Ah bon ! Vous chantiez et vous chantiez quoi ? Des chants scouts ?

-        Oui comme tout bon scout qui se respecte. Pierre Labat, vous vous en doutez, nous avait appris des chansons scoutes dont une était spécialement « raider ». Cette chanson avait plusieurs couplets, mais l’un d’eux était spécialement dédié à la patrouille des « écureuils » qui était chargée des transmissions et dont j’étais le chef.

Cette chanson avait-elle été écrite par Pierre Labat ?

Probable, à moins que Pierre l’ait ramenée d’un de ses camps de formation de chef raider… 

Et vous vous en souvenez ?  Pourriez-vous nous interpréter ce fameux couplet dédié à votre ancienne patrouille des écureuils ?

                                         Ma troupe c’est la plus belle,

                                         Une troupe raider modèle…

                                         On ferait le tour de monde avec elle

                                         Viens avec nous mon gars et pourquoi pas ?

                                         La radio les téléphones

                                         Nous sommes toujours pareils

                                         Car s’il manquait un pylône

                               Nous prendrions notre CP. 

NB : Mr. Nouvel nous a interprété, une partie du chant  créé par Pierre Labat  pour sa troupe. Et que les jeunes  lecteurs de « Deux Rubans Noirs » purent découvrir dans son roman à la page 153.  

-          Voilà c’est un clin d’œil à la troupe des écureuils chargée des transmissions. Mais je ne me souviens plus de la suite hélas ! 

Vous avez évoqué tout à l’heure que Pierre Labat se serait inspiré de vous pour le personnage qui est le héros de son roman  « Deux rubans noirs ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

-          Oui, c’est ce que Pierre a inscrit sur la dédicace qu’il m’a faite sur ce livre. Car il semble en effet que je lui ai inspiré le « Jacques » de son roman. Mais je ne suis pas certain d’avoir mérité un pareil honneur.

 

Ci-dessus : Jean-Noël Nouvel en 1950.

Dédicace de Pierre Labat à son C. P. Raider, Jean-Noël Nouvel, alias Jacques dans le roman.

 

Merci beaucoup à MM. Philippe de Guillebon, Julien Bertrand, Jean-Claude Vidallon, Jacques Verdier, Jacques Lapoyade Deschamps et Jean-Noël Nouvel, de nous avoir fait part de ces souvenirs passionnants et de nous avoir accordé ces entretiens captivants  qui, nous l’espérons, permettront de découvrir ou redécouvrir Pierre Labat, avec son esprit chevaleresque et son goût immodéré de l’aventure.  

Propos recueillis par Christian Floquet

Ci-dessus :

Avant-guerre, Pierre Labat jeune adolescent.

On remarque qu’il porte à son revers l’insigne scout.


 

PIERRRE LABAT

Bibliographie des ouvrages :

-          CONRAD  (paru en 1949 dans Collection Signe de Piste sous le n° 34).

Réédité en 1961 dans cette même collection sous le n° 150

 

-          LE MANTEAU BLANC (paru en 1950 dans Collection Signe de Piste sous le n° 40).

Préface Mgr Picard de la Vaquerie.

Réédité en 2014 dans la collection Signe de Piste/Delahaye sous n° 30

 

-          DEUX RUBANS NOIRS (paru en 1951 dans Collection Signe de Piste sous le n° 44).

Réédité en 1961 dans cette même collection sous le même n°

Réédité en 2000 dans la collection Coureurs d’Aventures aux éditions Alain Gout sous le n° 8.

 

-          DER WEISSE MANDEL (paru en 1952 dans Collection Super-Bücher sous le n° 51).

Traduction Allemande du « Manteau Blanc »

 

-          LE MERVEILLEUX ROYAUME (paru en 1953 dans Collection Signe de Piste sous le n°60).

Préface de Cdt Jacques Yves Cousteau.

 

-          THE MARVELLOUS KINGDOM (paru en 1956 aux editions – Odhams -Press Ltd – London).

Traduction Anglaise du « Merveilleux Royaume»

 

 

Rédactionnels dans des périodiques :

 

-          « SCOUT - n° 243 » de septembre/octobre 1949  – Pages 18 « Un Sport Raider : Le Rallye aux Ballons ».

 

-          « SCOUT - n° 251 » de juin 1950 – Pages 10 & 11 « Pour Equiper un Patrouille Amphibie».

 

-          « SCOUT - n° 252 » de juillet/août 1950 – Pages 11 « Comment Construire une Torpille Humaine».

 

-          « SCOUT - n° 256 » du 05 janvier 1951 – Pages 11 & 12 « Deux  Rubans Noirs ».

 

-          « SCOUT - n° 257 » du 20 janvier 1951 – Pages 04 & 10 « Deux  Rubans Noirs – Suite ».

 

-          « SCOUT - n° 258 » du 05 février 1951 – Pages 05, 10 & 12 « Deux Rubans Noirs – Suite ».

 

-          « SCOUT - n° 259 » du 05 mars 1951 – Pages 12 & 13 « Deux Rubans Noirs – Suite».

 

-          « SCOUT - n° 260 » du 20 mars 1951 – Pages 05 & 06 « Deux Rubans Noirs – Suite et fin ».

 

-          « SCOUT - n° 263 » du 05 juin 1951 – Page 04 « Scoutisme – Cliché et commentaire ».

 

-          « SCOUT - n° 270 » du 05 mars 1952 – Page 13 « le Fond des Mers sera-t-il Français ? » & « Les Scouts se passent de Calypso ».

 

-          « SCOUT - n° 272 » du 05 mai 1952 – Page 5 « Plongée Sous-Marine » Page 7 « Les Appareils de Plongée ». A noter que figure également dans ce n° – Page  6 un rédactionnel signé Marc Henry, second de patrouille du Chamois de 3ème Tarbes Raider « Il est un Monde Etrange ».

 

-          « SCOUT- n° 273  » du 05 juin 1952  – Page 25 « Plongée Sous-Marine – suite et fin ».

 

-          « LE CHEF - n° 296  » de juillet/août 1953 – Pages  40  & 41 «  La Plongée Sous-Marine ».

 

-          « LA FUSEE - n° 1  » de 1953 – Pages 29 à 38 « Le Royaume sous la Mer ».

 

-           « SCOUT- n° 290  » du 05 mars 1954 – Pages 45, 46 & 47 « De Profundis » & « Entrainement aux Profondeurs ».

REMERCIEMENTS :

Christian Floquet témoigne sa gratitude à tous ceux qui se sont mobilisés, et qui lui ont permis de rendre cet hommage à Pierre LABAT. Comme notamment : M. Jean-Noël Nouvel, et son épouse Chantal, M. Pierre Montaut et son épouse Marie-Henriette, ainsi que tous les anciens Scouts de la troupe de Pierre Labat,  MM. Philippe de Guillebon,  Jacques Lapoyade Deschamps,  Jacques Verdier,  Jean-Claude Vidallon, Julien Bertrand, Yves Thollot, Jean Knobel, Michel Arbogast, Pierre et Maurice Nouvel, pour leur aide, leurs témoignages et leurs précieux documents. Sans oublier Mme Juliette Dumas-Tilquin, et MM. Antoine Chataignon, Pierre Graves, Gérard Loridon, Alain Gout, Olivier Schieber, Georges Koskas, Jean Grépinet, Pierre-André Bernard, Bruno Robert, Jean-Jacques Gauthé, ainsi que les membres des pages groupes facebook : « Plongée Vintage », « La Calypso une Légende  » et  « Nos écrivains et photographes du monde du silence » en particulier MM Franck Machu, Jacques Chabbert, Marc Langleur. Ainsi que ceux du groupe du « Commando Hubert » tout particulierMM Denis Gorce et  Alain Brecqueville.  Sans omettre, les membres de l’actuelle Troupe Tarbaise, des Guide et Scouts de France « Pierre Labat » qui, voilà quelques temps, avaient rendu hommage à celui dont elle porte le nom. En particulier MM. Bernard Préfol, Jean-Michel Quereilhac, Jean-Mathias Sarda, Rodolphe Lauzier… Et enfin, Le Musée Frédéric Dumas de La Seyne-sur-Mer, Le Service des archives des Guides et Scouts de France, Le Réseau Baden-Powell, l’Amicale des Nageurs de Combat, l’Association pour l’Histoire du Développement Subaquatique en France, et l’Association Scaph 50, ainsi que les animateurs des sites : Plongeur Radin, Scoutopédia, Passion Calypso, Scoutisme Patrimoine et Collections,Le Batracien, Signe de Piste, Ansfac, Carnet2Bord, et bien entendu le site de Jeux de Piste et son webmaster.

    

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