En hommage à Pierre LABAT
XXXX Il était un de ces auteurs flamboyants qui ont marqué de leur empreinte la collection Signe de Piste avec quatre romans seulement. Tous des succès !
Il était Avocat, Ecrivain, Plongeur sous-marin, Raider-Scout
(parmi les premiers) et avant tout un meneur d’hommes qui croyait en sa mission de Scout.
Il est mort dans des conditions dramatiques voilà 60 ans.
Christian Floquet, en documentaliste averti , a réuni des
articles, des témoignages, des lettres et des documents photographiques
exclusifs pour nous offrir la biographie la plus complète que nous ayons connu
sur cet auteur d’exception. Un très
grand hommage à l’auteur de Conrad qui entretînt avec Georges Ferney, son
mentor et ami, une correspondance suivie.
Si le texte est parfois très technique, il ravira les
amateurs de plongée sous-marine qui redécouvriront l’évolution de celle-ci avec la troupe de Pierre Labat et grâce au
Commandant Cousteau.
Une vie d’aventures et de scoutisme résumée en quelques
pages passionnantes. Un bel hommage !
Michel Bonvalet (Mic)
Avant-Propos
A l’heure où on s’apprête à célébrer le soixantième anniversaire de la disparition
du romancier de renom que fut Pierre Labat, (1926-1955) et où la collection
Signe de Piste semble vouloir renouer avec ce qui jadis avait fait son succès,
c’est-à-dire la publication de romans scouts,
en rééditant son inoubliable « Manteau Blanc » , le site de Jeux
de Piste se devait d’honorer la mémoire de cet auteur mythique que l’on
croyait presque oublié.
Pierre Labat était un personnage hors du commun, habité par l’aventure,
dont on ne sait que peu de choses. C’est pourquoi nous avons choisi d’évoquer en
premier lieu, un de ses ouvrages, devenu dès sa sortie en librairie, un roman
emblématique de la collection Signe de Piste et du Scoutisme. Il s’agit
bien-sûr de « Deux Rubans Noirs ».
Ce récit, qui fut le premier roman Raider et que certains considèrent
comme le chef œuvre de Pierre Labat, fait assurément partie, si l’on en croit
ses chiffres de vente, des best-sellers de la collection. Son titre donnera
d’ailleurs, quelques années plus tard, naissance, aux éditions Alsatia, d’une
collection satellite de romans destinés aux ados.
Bien entendu au cours de cet hommage, nous évoquerons les autres romans de Pierre Labat, mais
également bien des aspects de ce personnage fascinant.
Afin d’étayer notre récit. Nous avons choisi de l’agrémenter par
différents rédactionnels, issus de la plume du romancier, parus autrefois dans
la presse et aujourd’hui oubliés de tous. Nous dévoilons aussi, pour
l’occasion, certains documents, visuels et textuels, provenant d’archives
privées qui jusque-là, étaient restées
inédits ou dans l’ombre.
Pour que cet hommage soit vraiment complet, nous l’avons enrichi de
témoignages collectés auprès de quelques anciens, qui ont accepté de nous
livrer leurs souvenirs à propos de ce pionnier qui fut leur chef. Car jadis,
ils faisaient partie des jeunes scouts constituant la troupe de Pierre Labat.
Christian Floquet
Avertissement :
Les textes et les
visuels qui constituent cet article sont soumis à des droits d’auteurs et ne
sauraient être reproduits, totalement ou partiellement, sans autorisations
préalables.
I - L’histoire de la rédaction du tout
premier roman scout-raider…
Lettre
manuscrite de
Pierre Labat, adressée à son confrère et ami Georges Ferney dans
laquelle il évoque la rédaction de son troisième opus, qu’il intitule
provisoirement
« Raider-Scout ».
NB : à l’origine, le second récit de Pierre
Labat, que les lecteurs connaissent sous le titre du « Manteau
Blanc », s’intitulait à l’origine « Le jeu des Templiers ». Ce
titre sera repris quelques temps plus tard, par son confrère Jean-Claude Alain.
Ci-dessus :
Pierre
Labat fut sans aucun
doute l’un des tout premiers chefs de troupes raiders. En effet, il
évoque,
ci-dessous dans l’une de ses innombrables lettres adressées à son ami
Ferney sa participation au printemps 1949, au tout premier cours de
cette branche du
scoutisme. Il est donc vraisemblable de penser, que Pierre Labat passa
avec
brio les épreuves, et que, très peu de temps après, il fut investi
« Chef
de Troupe Raider ». (On remarque sur ce cliché, que Pierre Labat,
porte
sur sa tenue, sa décoration militaire, la Croix de Guerre avec étoile
de
bronze, qu’il avait obtenue à tout juste 18 ans, pour ses qualités de
courage).
Ci-dessus :
Dans le verso de cette
missive, Pierre Labat évoque une correction d’épreuves avant leur mise sous
presse. Il s’agit de celles de son second opus « Le Manteau Blanc »,
qui paraitra en librairie quelques mois plus tard. On y apprend également, que
parmi les nombreuses activités artistiques de Georges Ferney, ce dernier était
aussi à cette époque, animateur sur les ondes radiophoniques.
Contrairement aux deux premiers romans de Pierre Labat
commencés après-guerre en Allemagne, la rédaction du manuscrit
« Raider-Scout » sera entamée en France au début 1949 et achevée
au début de l’été 1950. Très rapidement il
le présenta au comité de lecture de la collection « Signe de Piste ».
II - L’analyse du
manuscrit de « Raider-Scout » par Serge Dalens
Ci-dessus :
Feuillet de l’analyse de manuscrit, rédigée par Serge Dalens.
1 – LE FAIT RAIDER
ET SA REPERCUTION SUR LA LITTERATURE SCOUTE.
« Le nouvel ouvrage de M.
Pierre LABAT revêt une exceptionnelle importance. S'il se présente en effet
sous la forme d'un roman destiné à la Collection SIGNE DE PISTE, il donne une
orientation nouvelle – et capitale, au Scoutisme. Nous savons tous que celui-ci
est un Mouvement, qui doit, comme tel, se transformer ou périr. Ces
transformations sont tantôt lentes, perceptibles aux seuls initiés, tantôt
soudaines et brutales. L'institution des " Raiders " appartient à
cette seconde catégorie. Aussi, aujourd'hui encore, à l'intérieur même du Mouvement,
la plupart des garçons ignorent-ils presque tout des Raiders. Les Règlements de
l'Association ne peuvent d'ailleurs leur en offrir qu'une image incomplète,
parce que théorique et sans vie. Rares sont ceux qui ont eu le privilège de
rencontrer ces scouts au béret vert, de contempler l'insigne - de métal qu'ils
portent sur la poitrine.
Issues de la première
série, numérotées au verso et frappées à environ 500 exemplaires.
Plus rares encore sont ceux qui
connaissent en même temps que les nouvelles activités de ces garçons, l'esprit
dans lequel ils les pratiquent. Il n'est évidemment pas question d'entreprendre
ici une étude des répercussions probables de l'institution des Raiders sur le
développement du Scoutisme, mais celles-ci seront certainement considérables.
C’est la raison pour laquelle il n’est
pas indifférent que le premier paraisse aux Editions ALSATIA, à condition bien
entendu, qu'il soit choisi avec un soin tout particulier. Il y a quelques
années, le Quartier Général des Scouts de France s'était ému de voir les
garçons choisir leurs modèles, non point dans les ouvrages officiels, mais
parmi les héros de la Collection SIGNE DE PISTE. Le premier Raider qui leur
sera proposé en exemple, consacrera donc pour longtemps à leurs yeux, un
nouveau type de scout, susceptible de faire pâlir tous ses devanciers. Il ne
s'agit cependant point d'une révolution, d'un bouleversement des valeurs, d'un
remplacement pur et simple. Il s'agit essentiellement d'une amélioration de la
qualité profonde du scout, d'un retour au vieux principe du service dur et
viril, qui avait fait la première fortune du Scoutisme. Ce n'est pas un inconnu
qui entre en scène, c'est le scout de toujours, mais les yeux ouverts sur un
siècle qu'il est temps de prendre au sérieux.
Il n'y a ni coupure ni rupture,
il y a rajeunissement, retour à ce but essentiel du Scoutisme, le service, qui,
depuis bien longtemps paraissait avoir été perdu de vue. Parallèlement, sur le
plan de la vie intérieure, les valeurs spirituelles les plus classiques reprennent
le pas sur cette espèce d'intellectualisme qui a placé le Mouvement en état de
moindre résistance au cours des dernières années.
Il serait donc désastreux que le
premier roman Raider déformât si peu que ce fut, l'image du vrai Scout I950. Si
notre âge et notre expérience nous permettent de faire le point et de jeter les
ponts nécessaires, si nous savons que ERIC et CHRISTIAN, tels qu'ils
apparaissent dans LA MORT D'ERIC, sont bel et bien des Raiders avant la lettre,
le jeune lecteur, lui, ne s'en doute pas, et mettra, si l'on n'y prend garde,
longtemps à s'en apercevoir.
C'est pourquoi nous tenons à dire
sans réticence aucune, le bien que nous pensons de l'œuvre de M. Pierre LABAT,
parce qu'elle répond à toutes les exigences formulées plus haut, et constitue
en même temps un roman d'une rare qualité. L'esprit Raider imprègne chacune de
ses pages, mais la densité de l'action, la sobriété du style, et la puissance
d'évocation de l'auteur, font de cette histoire l'une des plus attachantes qui
soit. Elle pourrait à la rigueur être éditée telle que, sans modifications,
ni changements, – et les améliorations que nous proposerons dans un instant,
pour souhaitables qu'elles nous paraissent, n’affecteront guère que la forme,
et relèveront presque toujours du strict domaine littéraire.
Ci-dessus : Les
jeunes Raiders de la troupe de Pierre Labat – la 3ème Tarbes /
13ème Raider.
2 – THEME DE
L'OUVRAGE.
Etienne a 16 ans. Il vit en occupation
à Berlin, avec son père, officier d'active. Son seul ami est Lucien, garçon dont
la valeur morale semble se situer largement au-dessous du médiocre. Etienne se
cherche, partagé entre les plaisirs trop faciles et le désir de ne pas être
inutile. Il a été scout – mais l'étincelle n'a pas jailli. Et il se débat
contre ses scrupules et sa solitude. Son père part en mission pour la France.
Il utilise le Pont Aérien. C'est l'hiver, le trajet s'annonce comme
particulièrement difficile...
... En zone française
d'occupation, le Chef d'une Troupe Raider est prié de participer avec ses scouts
aux recherches d'un avion qui s'est vraisemblablement abattu en pleine forêt,
dans un lieu particulièrement difficile d'accès. Etienne se présente au moment
où les garçons attendent le camion militaire qui les conduira à pied
d'œuvre : son père était à bord de l'avion et il veut participer aux
recherches. Il arrive de BERLIN, il a été repoussé par tout le monde, car
personne parmi les officiels n'a voulu prendre la responsabilité de l'emmener.
A son tour le Chef va refuser de s'en encombrer, mais il cède à la prière de
Jacques, chef de Patrouille Raider qui le prend dans son équipage. Commence
alors le récit des recherches, à travers les arbres, la montagne et la neige,
le froid terrible et la terre hostile. Jacques révèle Etienne à lui-même...
Mais l'avion n'est pas découvert, et le Chef abandonnant la partie, veut
rentrer à sa base.
Pris d'une sorte de
pressentiment, persuadé de la présence de l'avion dans un creux demeuré
inexploré, Jacques tente vainement, d'obtenir du Chef que l'on s’y rende.
Celui-ci ne veut pas exposer plus longtemps ses garçons à bout de forces. Mais
la nuit précédant leur départ, Jacques qui ne peut dormir, cède à un appel
irrésistible, va seul vers l’endroit où il est sûr de retrouver l'avion, et le
découvre. Tous les occupants sont morts. Au moment de regagner le cantonnement,
il s'aperçoit avec épouvante qu'il s'est trompé d’appareil et a emporté un sitomètre à la place d’une la boussole. Il
ne peut rejoindre les autres, car la neige tombe et a recouvert ses traces.
... On le découvrira à l'aube –
déjà glacé. Et le père d'Etienne n'était pas dans cet avion, mais dans le
suivant...
Jacques a tenu la promesse faite
à Etienne le premier jour : celle de rechercher son père jusqu'au bout, de
ne rien négliger pour cela. Et il le lui a peut-être rendu " car Dieu se
rit des dates, du temps et de la logique des hommes ". Il a en tous cas
rendu à son père un autre Etienne, un Etienne qui part en emportant l'insigne
de Jacques, avec son béret vert aux deux rubans noirs.
3 – DISCUSSION DU
THEME. REACTIONS PROBABLES DES JEUNES LECTEURS.
Nous écrivions plus haut que cette
œuvre pourrait à la rigueur être éditée
telle que sans modifications ni retouches. C'est qu'il ne s'y trouve pour ainsi
dire, aucune fausse note. L'auteur s'est attaqué à tous les problèmes
essentiels et les a résolus avec un égal bonheur. Ses Raiders ne sont pas des
êtres exceptionnels, préservés du péché et choisis avec un soin particulier.
Ils ne sont devenus de vrais scouts que par leurs efforts constants, soutenus
par la grâce de Dieu et une vie religieuse intense. Le Scoutisme n'est pas un
monde hermétique, à l'entrée duquel on a dépouillé le vieil homme une fois pour
toutes, une sorte de Paradis préservé du péché originel – mais un navire qui
peine et lutte dans la tempête. Les problèmes du bien et du mal, du courage et de
la peur, du sacrifice et de l'abandon, y revêtent la même importance
qu'ailleurs, plus grande peut-être, et si le sacrifice l'emporte, c'est parce
qu'il est le dernier maillon d'une chaîne péniblement forgée au long des jours.
Mais l'auteur n'enrobe point ce don de soi dans une exaltation trompeuse. Il ne
pare point la mort de ces couleurs suaves, dont a tant abusé la littérature
dite pour la jeunesse. Point de mirages, ni de miroirs aux alouettes. Le simple
combat contre la vie et contre soi-même, le simple combat que chacun doit
livrer, qu'il soit baptisé ou non, scout ou non, raider ou non.
Le Scoutisme n'est pas la panacée
universelle, la méthode d'éducation idéale à l'usage de tous les adolescents – il
n'est qu'un des moyens de livrer ce combat avec quelques chances supplémentaires
d'en sortir victorieux, – mais il ne saurait épargner les larmes, les
souffrances, les chutes, et parfois la mort, toujours redoutable et haïssable.
Ce qui donne peut-être sa plus
grande force à l'ouvrage, ce qui lui confère un rare caractère d'authenticité, c'est
sa simplicité. Tout y est net, limpide, sans reculs et sans détours. C'est un
langage dépouillé, en parfaite harmonie avec le récit et la vie difficile qui
s'offre aux garçons d'aujourd'hui.
Aussi sommes-nous certains de
l'accueil enthousiaste qui sera fait à l'ouvrage. Il y aura toujours une catégorie
d'éducateurs et de parents (nous n'osons parler des jeunes eux-mêmes) qui préférera
la faiblesse à la force, la lâcheté au courage, l'abandon au sacrifice. Nous
n'y pouvons absolument rien, et si nous voulons donner à la génération montante
quelques chances de vivre, il faut en même temps leur en procurer les moyens.
RAIDER-SCOUT ne doit pas être réservés aux ainés, mais mis entre toutes les mains
dès la quatorzième année. Nous avons par ailleurs le devoir d'insister pour que
ce manuscrit ne séjourne pas plusieurs mois dans un coffre " en attendant
son tour ", mais soit immédiatement publié de façon à être très largement
diffusé, sinon pour la rentrée, du moins pour Noël : on ne prive pas les
gens de pain, sous prétexte que le menu, déjà fixé n'en comporte point.
4 – AMELIORATIONS
SOUHAITABLES.
Avant de les aborder plus en
détail, nous tenons à donner notre avis sur la question de l'illustration de
l'ouvrage. M. Pierre LABAT a proposé, nous dit-on des photographies de sa
propre troupe, photographies qui offriraient l'avantage de renforcer encore l'authenticité
du récit.
Ci-dessus :
Clichés issus des
archives personnelles de Pierre Labat. Ces instantanés furent réalisés afin de
relater visuellement dans son ouvrage les différentes activités de sa troupe.
Nous déconseillons absolument ce
procédé. D'abord parce que ce serait un précédent fâcheux pour la Collection,
ensuite et surtout parce que a photo inanimée, donne une impression de
documentaire et parle bien moins que le dessin à l'imagination. Or les
illustrations de cet ouvrage doivent être tantôt techniques, tantôt largement
évocatrices. C'est pourquoi il nous parait désirable, pour ne pas dire
nécessaire, de les confier à M. Pierre JOUBERT, en lui remettant dès que
possible un exemplaire du manuscrit.
En ce qui concerne le titre, il
est pensons-nous provisoire, car trop technique ou documentaire. Nous
proposerions pour notre part, à titre d'exemple bien entendu, " LES RUBANS
NOIRS ".
NB : Pierre Labat
fournira, à Pierre Joubert nombres de clichés représentant les jeunes membres
de sa troupe de Raiders. Et le graphiste va s’en inspirer pour réaliser les
illustrations de cet ouvrage devenu « Deux Rubans Noirs ». Ainsi le
dessin qui orne la couverture de ce récit fut exécuté à partir d’une
photographie, vraisemblablement prise par Georges Ferney, représentant un certain
Claude Detroux, nous confiera son neveu Jacques
Verdier, qui lui aussi est un ancien de la troupe de Pierre Labat. L’ouvrage de ce dernier sortira en librairie au printemps 1951. Mais dès
le début de cette année-là, alors que le roman est encore sous presse, la
revue « Scout » va publier en feuilleton, avec l’autorisation des
dirigeants d’Alsatia, des extraits du roman, accompagnés de magnifiques
illustrations, elles aussi réalisés par Pierre Joubert. (Pour nos amis
collectionneurs : Les numéros 256 à 260 inclus).
Quelques illustrations,
créées par Pierre Joubert, pour faire vivre la fiction de Pierre Labat.
Couverture de l’édition
originale, parue au printemps 1951, sous le n° 44.
Ceci dit, nous conseillerons à
l'auteur une présentation quelque peu différente, destinée à rétablir un
équilibre actuellement assez instable, entre les différentes parties de son
œuvre. En bref, nous lui proposons le découpage suivant.
1° - Journal d’Etienne.
2° - Pont-Aérien (Récit).
3° - Lettre de François B…, Chef de Troupe Raider, au
père (et peut-être à la mère) de Jacques.
4° - L’expédition de Terre-Neuve (Récit).
5° - Journal d’Etienne.
Nous croyons cette formule plus heureuse que celle adoptée
par M. Pierre LABAT parce qu'elle hache moins souvent le fil du récit, et donne
au lecteur une vue d'ensemble beaucoup plus nette. De même, elle nous parait
offrir une plus grande harmonie.
1° - Journal d 'Etienne. Il correspondrait à la
partie intitulée BERLIN, et aurait l'avantage de ne créer aucune équivoque,
puisqu'en fin de compte c'est Etienne qui parle tout au long de ces pages.
(Bien entendu la phrase de Valéry s'applique à l'ouvrage tout entier, et pas
seulement à cette première partie.)
Mais à notre avis, il faudrait raccourcir très sensiblement
le texte actuel, qui devrait être débarrassé de tout ce qui n'est pas
nécessaire à l'action, de tout ce qui ne contribue pas à poser le problème
Etienne. C'est ainsi qu'il conviendrait notamment de supprimer l'épisode du
conte d'Andersen, celui des deux sœurs enterrées dans la cave, celui du
Conseiller Aulique, celui enfin du découpage de l'arbre à Frohnau qui freinent
et n'ajoutent rien. Par ailleurs il est inutile de diviser ce journal en
chapitres, de simples dates constituant des points de repère très suffisants.
-
Rudi. L'idée est excellente, mais pourrait être exploitée de façon plus habile.
D'abord si Etienne connaît l'âge de ce garçon, il peut difficilement ignorer
son nom. Ou bien il doit rapidement tout apprendre de lui, ou bien ne rien oser
demander, et dans ce cas, ne connaître son âge et son nom véritable qu'après sa
mort. Par ailleurs, il est bon que Rudi disparaisse avant toute intervention
d'Etienne. Mais nous croyons qu'il faut rendre cet épisode à la fois moins
statique et plus dramatique, en montrant Etienne allant jusqu'à sa porte et
reculant à la dernière seconde, laissant passer quelques jours et revenant trop
tard, par exemple immédiatement avant ou après sa mort. Nous notons pour
mémoire le passage où il est indiqué que " le mur est trop mince, entre le
17 et le 19..." (p. 10) ce qui est peut-être peu vraisemblable, puisqu'il
s'agit du logement d'un officier supérieur d'Etat-Major. Et nous demandons la
surpression du paragraphe "... Il vaut mieux que Rudi soit mort avant
Noël..." (p. 36), qui est faible et n'apporte rien de neuf au lecteur.
- Belette Rageuse. Ces pages
posent tout d'abord une question de principe (pp. 20 et suiv.) Le lecteur ne verra-t-il
pas là une opposition voulue entre le Scoutisme tel qu'il est encore pratiqué
dans la plupart des Troupes et celui des Raiders ? Ne verra-t-il pas là
une attaque ouverte contre la règle d'hier ? Nous ne le croyons pas. C'est en
effet à une caricature de Scoutisme, que M. LABAT s'est attaqué, à une
déformation d'autant plus dangereuse que ses conséquences ont failli être plus
graves. Il lui suffira donc d'ajouter une phrase destinée à éviter toute
confusion dans l'esprit du lecteur. Mais nous sommes résolument partisans du
maintien de cet épisode, qui perdrait toute sa force et toute sa raison d'être s'il
subissait une inopportune édulcoration. Par contre, nous pensons qu'il ne faut
pas le raconter en une seule fois. Quitte à allonger le laps de temps dans
lequel s'inscrira le journal, l'expérience de la première troupe scoute doit
être vécue au présent, comme celle de Rudi. Il s'en dégagera une force beaucoup
plus grande – et servi par l'équivoque, Lucien pourra connaitre un triomphe
provisoire.
- Enfin quelques remarques
concernant la forme.
(p. 18) Les combattants de 40
avaient-ils vraiment des " gibernes " ? Nous ne nous en
souvenons pas. Mais le terme fait archaïque, bizarrement vieillot.
Pourquoi ne pas employer le mot
"cartouchières" ?
"... encore à l'âge où
d'autres pensent à des chahuts de potache..."
(p. 19) - Attention, ce n'est
plus Etienne qui parle, c'est M. Pierre LABAT.
De même le mot "servir"
peut-il venir spontanément sous la plume d'Etienne ? (p. 20)
"... Je n'ai plus de
volonté. Elle s'est dissoute dans tout ce brouillard et toute cette
neige". (p. 24) C'est une jolie phrase – mais qui semble appartenir
davantage à la littérature qu'au journal d'Etienne.
" ... Il me semblait
soudain..." (p. 29) Pourquoi parler au passé ?
2° - Pont Aérien. Cette
partie semble ne devoir subir aucune modification. Peut-être est-il seulement
désirable d'appuyer un peu plus sur l'hésitation du Colonel, lorsqu'il
s'adresse au chauffeur :
" Vous direz à mon fils Etienne... non,
rien! " (P.42) Il doit alors ébaucher un geste trahissant le sentiment qui
l'anime. En d'autres termes, le jeu de scène doit être plus appuyé.
Pierre Labat au premier
plan au centre, assis en tailleur, au
milieu des jeunes raiders de sa troupe.
3° - Lettre de François B... Chef de Troupe Raider, au
père de Jacques.
(Notons entre parenthèse, qu'il
est préférable de donner des noms entiers aux personnages, ainsi qu’aux régions
traversées. Cela semble moins impersonnel et plus véridique : le lecteur
n'aime pas avoir l'impression qu'on lui cache volontairement quelque chose).
C’est là que pourraient se situer les modifications les plus importantes. Le
texte actuel fait alterner la confession du Chef (nous ne trouvons pas d'autre
mot...) et son récit, et comme l'alternance n'est pas régulière, il en résulte
un déséquilibre assez fâcheux.
Là n'est d'ailleurs pas
l'essentiel. Ce qui est à notre avis plus grave, c'est l'espèce d'infériorité
dans laquelle le Chef se trouve ainsi placé. On a un peu l'impression qu'il n'a
pas fait tout son devoir, et que si Jacques est mort, c'est en partie de sa
faute. Or, cela, il faut l'éviter à tout prix. Non que le Chef Raider soit par
définition impeccable et tabou. Mais il faut que celui-ci ayant charge d'âmes,
apparaisse dans l'ouvrage comme parfaitement raisonnable, que l'expédition au
ravin semble à priori superflue, et surtout inutilement dangereuse : – que
le Chef ne s'offre pas de lui-même au jugement des autres ( pp. 54, 55, 140 et
suivantes "... J'ai trahi l'âme de la Troupe... Je me suis délibérément
trompé...")
Enfin, du strict point de vue
littéraire (il ne faut pas perdre de vue que cet ouvrage est un roman), il
n'est jamais bon pour l'auteur de monter lui-même sur la scène, et le paraître
révéler au lecteur la façon dont le livre a été construit, de lui indiquer les
documents dont il s'est servi, les conversations qu’il a entendues, les lettres
qu'il a reçues, etc.
... En bref nous nous trouvons
devant une relation de l'expédition, interrompue à intervalles plus ou moins
réguliers, par les examens de consciences du chroniqueur, qui se défend d'être
un romancier (p. 108), aurait quand même bien voulu écrire un grand livre sur
les Raiders (p. 68), et malgré tout en fait un. Le procédé employé va à
l'encontre du but recherché ; au lieu de faire plus " vrai ", on
fait plus " fabriqué " moins complet, et moins fort. Il est rarement
bon de mélanger les genres. On peut le faire au cinéma, parfois au théâtre,
presque jamais en littérature.
Nous proposons donc à M. Pierre
LABAT de regrouper dans une lettre adressée par le Chef au père de Jacques, ce
que nous nous permettrons d'intituler " la partie pensée de l'expédition
", c'est-à-dire en gros, les commentaires du chroniqueur. Evidemment, la
lettre devrait être composée, dosée avec un soin minutieux, car ce serait le
morceau capital de l'œuvre également destiné à éclairer peu à peu la suite du
récit, sans que la mort de Jacques pressentie, mais non confirmée, soit un fait
acquis. Elle présenterait toutefois le double avantage de former un tout
cohérent, et, se trouvant adressée à une personne dénommée, d'enclave la pensée
du Chef dans un cadre précis, sans la faire déborder sur le lecteur, qui, nous
le répétons, doit être spectateur, témoin, mais non participant. Nous précisons
bien qu'il n'est pas question de supprimer quoi que ce soit, mais seulement de regrouper
autrement ce qui existe déjà.
4° - L'Expédition Terre-Neuve.
Cette lettre aux parents de Jacques permettrait un récit ininterrompu, à la
fois plus rapide et plus dense, sans aucune de ces failles, de ces " trous
" volontaires ou non, qu’évoque le chroniqueur. Par ailleurs, si le
Journal d'Etienne nous paraissait trop long, le récit de l'Expédition
Terre-Neuve nous semble manifestement trop court. Il faut l'allonger croyons
nous, dans deux directions. D'abord le récit de l'expédition elle-même devrait
être plus long, plus fertile en péripéties ou incidents courants et
contre-courants. On pourrait même penser, à un moment donné, que l'avion a été
ou va être incessamment retrouvé...
Ensuite (et surtout), la fin de
Jacques est beaucoup trop brève. Il faut que le garçon se défende contre la
mort. Il faut qu'il la sache à peu près inexorable, mais qu'il accomplisse son
devoir jusqu'au bout, c'est-à-dire qu'il lutte jusqu'à complet épuisement –
parce qu'il a le devoir de tout faire, de tout tenter, pour conserver sa propre
vie. Il n'est bien entendu pas question de pincer davantage la corde sensible,
seulement d'ajouter deux ou trois pages, sobres, dépouillées, et à peu près
uniquement descriptives, le combat du Raider contre les éléments.
Sur un autre plan, la séparation
de la lettre et du récit, permettraient d'aérer un peu plus celui-ci, en
détendant une ou deux fois l'atmosphère par un sourire, une note amusante ou
une légère touche de poésie : même en haute montagne, les alpinistes
s'arrêtent pour reprendre haleine.
De plus, il y aurait lieu de
donner quelques indications supplémentaires sur la nature du quadrilatère
confié aux scouts : on se le représente assez mal, et il importe que le
lecteur ait une idée aussi exacte que possible de la configuration du terrain.
Enfin quelques remarques
concernant la forme.
Les jeunes Raiders de
la troupe de Pierre Labat lors d’un camp.
"... Quand, à défaut du
grand livre sur les Scouts Raiders, que j'avais rêvé d'écrire..." (p. 54)
– Non et non. C'est un procédé de débutant. Voir ci-dessus.
Il faut expliquer beaucoup plus
longuement et complètement ce qu'est " l’équipage " par rapport à la
" patrouille " (pp. 59 et suiv. 96 et suiv.)
L'échange de vues entre le Chef
et son Assistant, avant leur combat de judo, gagnerait à être plus simple, plus
scout, soins ésotériques. On a tout à coup l'impression de tomber dans un autre
monde (pp. 66, 67) – et il serait peut-être (nous disons peut-être) préférable
de supprimer la phrase concernant la sabre japonais (p. 7l), car il en naît une
impression étrange, pénible même, pour le non initié. ("... le Japonais,
ce Boche de l'Asie..." disait un professeur d'histoire. Et le mot de
" nazi " aurait fâcheusement tendance à revenir sur certaines
lèvres).
La tragédie d'Arnhem... (p. 119).
– II faudrait expliquer en note, pour
les plus jeunes et ceux qui ont la mémoire trop courte, en quoi elle a
consisté.
5° - Journal d'Etienne.
Cette dernière partie nous parait très désirable, tant pour l'équilibre du
livre qui s'achèverait comme il a commencé, que pour l'étude du caractère
d’Etienne. Elle serait très brève et comporterait deux ou trois pages, pas
davantage, évidemment aussi sobres que possible, mais qui régleraient le
problème Lucien. Il n'est pas nécessaire que Lucien se convertisse, mais il
faut, pensons-nous qu’Etienne se dise : " Ce que Jacques a fait pour
moi, j’essayerai de le rendre à d'autres. Maintenant, c'est moi qui porte
Lucien..." Car Lucien a une âme et ne doit pas être abandonné. Dans un
roman scout, un personnage ne peut pas être seulement une occasion de péchés.
5 – CONCLUSION.
Nous avons cru devoir faire une
analyse très complète du manuscrit de M.
Pierre LABAT, en raison de sa qualité et du profond retentissement auquel il
est appelé. Nous nous mettons à sa disposition pour lui fournir de vive voix ou
par écrit toutes précisions complémentaires, – et répétons notre souhait de
voir paraîtra cet ouvrage aussi vite que possible. »
Serge DALENS – Le 20 août 1950.
NB : Suite à
l’analyse du manuscrit faite par Serge Dalens, celui-ci en rédigera également
son résumé qui depuis des décennies figure sur les pages de rabat de la
jaquette de « Deux Rubans Noirs ». Quant au titre initial qu’avait
donné Pierre Labat à son roman. « Raider-Scout » il sera lui aussi
repris quelques années plus tard par Michel Menu pour son célèbre manuel publié
mi-1955.
III - « Deux
Rubans Noirs » au fils du temps…
A la fin de l’année 1961 l’ouvrage de Pierre Labat « Deux
rubans Noirs » est réédité dans la collection Signe de Piste. A cette
occasion Pierre Joubert, réalise une
gouache pour cette nouvelle jaquette dite « tournante ».
Jaquette tournante
réalisée par Pierre Joubert pour la réédition de 1961 dans la collection
« Signe de Piste ».
Toutefois il faudra attendre
pratiquement un demi-siècle pour voir ce roman sortir de l’ombre et reprendre
une nouvelle fois le chemin des librairies. En effet, c’est en 2000 qu’Alain
Gout, à l’époque éditeur, remettra à son catalogue cet ouvrage, qui reparaîtra
sous sa forme initiale, tel qui fut édité en 1951. Une seule modification sera
toutefois apportée en page de garde lors de cette réédition, car pour agrémenter
cette nouvelle parution Jean-Louis
Foncine rédigera un court texte d’introduction
Réédité en 2000 par Alain Gout, dans la collection
« Coureurs d’Aventure » sous le n° 8
Mais le titre « Deux Rubans
Noirs » résonne également dans l’esprit de certains avec littérature de
jeunesse. En effet, le titre du roman de Pierre Labat, va donner naissance au
Signe de Piste, à une nouvelle collection d’ouvrages destinés aux ainés.
La collection « Rubans
Noirs » créée par Dalens et Foncine en 1957, recèle à son catalogue
pratiquement une soixantaine de titres publiés dont quelques chef-d'œuvre qui
ont fait la gloire de la collection Rubans Noirs et Signe de Piste tels que Manfred, Les
enfants de Budapest, l’Outsider, Minh de la rivière Thaï, Le Chant des Abîmes
ou l’Etoile de pourpre pour n’en citer que quelques-uns.
Ci-dessus :
Logo dessiné par Pierre
Joubert pour la collection « Rubans Noirs ».
IV - Les activités des jeunes Raiders de la
troupe de Pierre Labat…
1 - Pierre Labat raconte pour
« Scout » les premières activités subaquatiques de sa troupe.
I — COMMENT CONSTRUIRE UN CANOT PNEUMATIQUE ?
Le canot est monoplace. Il a, par
rapport aux canots en vente dans le commerce, l'avantage d'un prix de revient modique (de 500 à 1.000 francs) et
d'une solidité à toute épreuve. Ce canot est cependant assez lourd, difficile à transporter, et
surtout d’un maniement délicat, particulièrement en raid de nuit (ancre
flottante nécessaire pour gouverner correctement, chavirage menaçant en raison
du centre de gravité placé très haut).
En résumé, engin à ne pas mettre
n’importe où, entre les mains de n’importe qui, mais, pour le Raider, engin
rêvé pour l’opération de nuit sur rivière inconnue où l’on risque de talonner,
un fragile canot de 8.000 francs ne pouvant évidemment pas être risqué dans une
telle opération.
A)
Construction
du canot proprement dit.
a) Prendre
une grosse chambre à air de camion (très usagée, cela n’a pas d’importance),
l’ovaliser en l’introduisant dans un collier de large et forte toile (assez large pour ne pas
« étrangler » la chambre à air en pinçant le caoutchouc. (fig. 1)
b) Prendre
une toile de tente américaine (ou un morceau de bâche). Rabattre deux des
angles vers le centre et former, par des coutures successives, une sorte de
poche occupant un peu plus de la moitié de la longueur de la toile de tente.
Introduire dans cette poche un des bouts de la chambre à air ovalisée (le
collier de toile est alors situé entre la chambre à air et la limite de la
poche). La partie empochée constitue l’arrière du canot. Pour l’avant, rabattre
la toile en la plissant judicieusement. L’ensemble sera maintenu en place par
des anneaux cousus à la toile de bâche, aux endroits des plis, anneaux dans
lesquels passera un petit filin, ou mieux un élastique dont les deux bouts
seront attachés l’un à l’autre par un mousqueton (démontage facile quand
l’ensemble est mouillé). Un banc de bois sera fixé au milieu du canot (au
niveau du collier de toile, à la limite de la poche constituée par la partie
cousue de la bâche). L’ensemble est ainsi rapidement montable et démontable.
Figure n° 1 : schéma de
construction d’une chambre ovalisée.
Figure n°2 : schéma de la
réalisation d’un canot et son ancre.
B)
Aménagements
supplémentaires.
On à intérêt,
quand le pilote est un « poids lourd », à glisser à l’intérieur de la
première chambre une deuxième chambre à air plus petite (chambre
auto).Théoriquement, cela n’augmente pas le volume immergé, et par conséquent
la flottabilité n’est pas modifiée. Mais la flottabilité au début d’un raid est
une chose, et la flottabilité à la fin d’un raid (quand vous aurez chaviré cinq
ou six fois) est une chose très différente. En fin de raid, quand le canot est
plein, cette deuxième bouée intérieure, alors immergée, est d’un grand secours.
D’autre part,
quand la profondeur est suffisante, un deuxième montage est possible. La petite
chambre à air est alors montée, non plus exactement à l’intérieur de la grande,
mais au-dessus, l’ensemble étant « empoché » comme précédemment.
Le volume
flottant est alors, dès le départ, plus important.
C)
Equipement.
a) Une
ancre flottante (sorte de petit parachute maintenu par un fil de fer galvanisé
en position d’ouverture, et suspendu au bout de 1m.50 de bon filin). Le tout
accroché à l’arrière.
b) Des
coffres étanches métalliques, placés sous le siège, assez grands pour contenir
un jeu complet de vêtements de rechange. En plus des vêtements, allumettes,
boussole, papier, crayon, etc…
En cas de raid
de nuit prolongé, il est recommandé d’enduire son corps de graisse (graisse
animale ou végétale, pas de graisse minérale). C’est très efficace contre le
froid. Pour l’éclairage, le mieux est de prendre un boitier étanche en
caoutchouc embouti. L’extrémité, formant ventouse, peut-être fixée sur le fond.
(En vente à la « Hutte » : 120 fr.) Ne Jamais lancer un canot
seul en raid de nuit, mais toujours par équipages de deux ou trois.
2 — COMMENT CONSTRUIRE UN SCAPHANDRE
Figure n° 3 : schéma de la construction d’un scaphandre.
La
première
idée de celui qui veut construire un scaphandre pour explorer les fonds
marins
est de relier son masque à l’air libre par un tuyau de caoutchouc dont
l’extrémité est maintenue en surface par un gros flotteur. Un tel
système n’est
malheureusement pas praticable au-delà d’une très faible profondeur. En
effet,
il correspondrait à faire respirer par le plongeur de l’air à la
pression
atmosphérique, alors que sur le masque et sur les poumons s’exerce une
pression
égale à la pression atmosphérique augmentée de la pression
correspondant à la
hauteur d’eau qui sépare le plongeur de la surface. D’où un
déséquilibre de
pression qui provoque les conséquences suivantes : le masque se
plaque sur
le visage, la différence de pression étrangle le tuyau et comprime les
poumons
en position d’expiration. Est-ce à dire qu’il faille renoncer à
construire un
engin ne comportant ni bouteille d’oxygène, ni régénérateur d’air par
potasse,
ni aucun des dispositifs spéciaux et complexes employés à bord des
appareils de
la marine ? Pas du tout. Le scaphandre que nous vous proposons est
à la
portée de toutes les patrouilles. Il vous permettra de faire
tranquillement et
sans vous presser les brelages sous-marins de vos ponts et de vos
plongeoirs.
Ce scaphandre se compose essentiellement d’un masque (un masque à gaz
en
caoutchouc fera très bien l’affaire), d’une bouillotte de caoutchouc
telle que
vous en trouverez dans toutes les pharmacies, de quelques mètres de
tuyau
d’arrosage petit format, et d’une bonne pompe à main d’auto (une pompe
de vélo
a un débit insuffisant). Maintenant, regardez le plan : Deux tubes
métalliques creux sont fixés à la bouillotte au moyen de contre écrous.
Pour
fixer les écrous intérieurs, il est d’ailleurs nécessaire de découper
le haut
de la bouillote et de le recoller ensuite. Au moyen de ces deux tubes,
sur lesquels viennent se brancher des tuyaux caoutchoutés souples, vous
reliez la
bouillote, que nous appellerons maintenant « soufflet
respiratoire »,
d’une part à la pompe d’eau (tuyau de 3 ou 4 mètres), d’autre part au
masque
(tuyau de 30 cm).
Ci-dessus :
Pierre Labat et la pompe à air.
Aucune soupape
n’est interposée sur le tuyau masque-soufflet. Une soupape est interposée sur
le tuyau pompe-soufflet, soupape permettant, bien entendu, l’arrivée de l’air
dans le soufflet et interdisant au contraire la remontée de l’air du soufflet
dans la pompe. Dans le montage que nous avons adopté, et qui nous donne pleine
satisfaction, le tuyau venant de la pompe vient se visser sur le soufflet par
l’intermédiaire d’un joint de masque. Nous
nous sommes donc contentés de laisser la soupape de masque qui
existait déjà en cet endroit. La soupape d’évacuation du masque est
soigneusement bloquée. Ceci est très important. En effet, si l’air, une fois
respiré, était immédiatement renvoyé dans l’eau ambiante, la pompe d’auto ne
débiterait jamais suffisamment pour alimenter la respiration. Heureusement, il
ne faut pas s’imaginer que l’air, une fois respiré, est irrespirable. Quoique
moins riche en oxygène et légèrement chargé en gaz carbonique, cet air peut
encore très bien resservir. Ici, la soupape d’évacuation du masque étant
bloquée et le circuit masque-soufflet étant, comme nous l’avons mentionné plus
haut, libre de toute soupape, l’air, une fois respiré, revient dans le soufflet
respiratoire, où il est seulement brassé et mélangé à une certaine quantité
d’air frais qui, propulsé par la pompe, vient d’arriver par l’autre tuyau. La
pompe « aère » ainsi le soufflet respiratoire, qui se gonfle et se
dégonfle automatiquement, le surplus de l’air s’en allant par les bords du masque
quand la pression intérieure du soufflet devient trop forte.
Ci-dessus :
Le coin de la
patrouille des Chamois à Tarbes. Au mur, un canot pneumatique, une bouée et des
masques sous-marins. Les deux scouts présentent leur scaphandre à pompe et
soufflet respiratoire.
Avec un engin
de ce genre, les inconvénients que nous avons signalés plus haut, quant à la
différence des pressions n’existent pas. Le plongeur, en effet, respire l’air
du soufflet. Cet air est très sensiblement à la pression de l’eau (puisque le
soufflet est souple). Le Plongeur respire donc sans aucune difficulté de l’air
à la même pression que celle qui s’exerce sur ses poumons. Naturellement, des
semelles de plomb sont nécessaires, car le soufflet fait bouée et tend à
ramener le plongeur à la surface. (De toute façon, ces semelles doivent être
étudiées pour pouvoir être larguées immédiatement en cas « d’incident
technique ».)
Pierre LABAT – pour « Scout » juin 1950
NB : Dans le
courrier ci-dessus datant de février 1951, adressé à Georges Ferney, on
découvre sous la plume de Pierre Labat l’existence d’un documentaire sur les
Scouts-Raider réalisé par Ferney durant l’été 1950, avec pour acteurs les
jeunes membres de la troupe Tarbaise de Pierre Labat. Précisons que ce genre de
créations cinématographiques, étaient alors destinées à la location, lors de
fêtes de groupes. On remarque également dans cette lettre, que Pierre Labat
questionne son ami Georges, au sujet d’un matériel permettant des prises de vues
sous-marine.
2 – En 1952 la presse
locale relate les activités de la troupe de Pierre Labat…
UN AVOCAT DE TARBES A
LA TETE DES 20 SCOUTS AUX BERETS VERT DE LA TROUPE JEANNE D’ARC
apprend le judo, les
gymkhanas à moto… et va chercher en Méditerranée des épaves sous 40 mètres de
fond
Entre ses délibérations au Palais de Justice et ses innombrables activités
extra-professionnelles. Maître Pierre Labat, s’il n’est pas député, est
pourtant l’avocat de Tarbes le plus occupé : nous sommes prêts à le
parier.
Rencontrez-le dans la rue :
plutôt qu'un homme de Loi, on le prendrait volontiers pour quelque jeune athlète,
en pleine réalisation. Regard éveillé dans une physionomie étrangement sereine,
allure discrète mais dégagée.
Jamais ses soucis professionnels
— et Dieu sait s'il les prend à cœur ! — n'ont pu altérer ce perpétuel
optimisme, cette singulière confiance en la vie qu'il vous communique d'un seul
de ses regards. C'est bon d’avoir un avocat aussi sûr et tranquille lorsque
quelques ennuis vous amène à réclamer son appui...
...C'est également bon, disent ses
garçons, de pouvoir compter dans la vie sur un chef aussi généreux.
Ses garçons ? Oui, malgré son
jeune âge, il en a une vingtaine, figurez-vous !
Ils sont vingt fils spirituels
qu'il a adoptés et qui l'ont adopté, cela dans le giron de La 3e Troupe des
Scouts de France de Tarbes.
Aigles et Chamois 15 mètres sous l’eau !
… Ce n'est pas une troupe comme
les autres, il faut dire. C'est une troupe RAIDER profondément spécialisée.
Profondément ? C'est bien le cas, comme vous allez voir...
Troupe RAIDER, cela ne vous dira
probablement pas grand-chose... et cela d'autant plus que de l'avis de Me Labat
on n'a surtout dit et écrit là-dessus que d'énormes bêtises, il faut donc
expliquer que les troupes de cette appartenance sont d'ailleurs de formation
relativement récente. Elles sont spécialisées dans des activités physiques et
sportives qui sortent carrément de l'ordinaire et qui ne sont précisément pas
le fait de garçons timides ou chétifs : moto, judo, et le reste dans le même
goût.
L’instant enivrant
Cette scène a été photographiée cet été près de Banyuls où
la troupe de Tarbes resta huit jours en compagnie d’un clan E. D. F. (Eclaireurs
de France). Le chef LABAT va plonger muni du seul appareil de la troupe. Il
prend garde à ne pas glisser, avec ses longues palmes sur la rocaille du bord.
Derrière lui, un scout de Baden déroule le long et précieux tuyau qui amène
l’air jusqu’à quinze mètres de profondeurs.
On en compte une cinquantaine en
France, mais il n'exista qu'une seule troupe RAIDER dans toute la région :
c'est la Troupe « Jeanne d'Arc » de Tarbes, et c'est Pierre Labat qui la
fonda, voici bientôt deux ans.
A vrai dire, il ne l'a pas
fondée. Il a plutôt transformé la 3e
Tarbes de l'époque et l'a spécialisée comme l'on sait. Précisons en passant
qu'il ne reste plus que deux troupes de Scouts de France à Tarbes. La première
est une troupe normale, comme l'avait strictement définie le regretté « B. P. ».
La seconde est cette fameuse troupe Raider, version hypertrophiés du scoutisme,
si l'on peut dire, mais qui n'entame en rien l'idéal de générosité et de
dévouement de règle chez tous les Scouts du monde.
Celle-ci compte à l'heure
actuelle une vingtaine de jeunes tarbais répartis en trois patrouilles :
Aigles, Chamois et Ecureuils. Mais alors que les Ecureuils limitent leur
activité à la technique Raider proprement dite (moto, judo, etc...), les Aigles
et les Chamois, eux, ont trouvé une spécialité dans la spécialité comme il
existe parfois un Etat dans l'Etat. Ils se sont lancés dans les recherches
sous-marines. Et cela, contrairement à ce que leur nom laisse à supposer. Car
enfin, des Aigles à longues plumes et des Chamois aux sabots légers... nager sous
l'eau, comme ça !...
Sous l'eau comme sur des roulettes
Au début, cela n'alla pas tout
seul. On n'a pas idée de bouleverser de la sorte la vie d'un garçon de 15 ans !
Pensez, le pauvre petit, avec des palmes aux pieds et de l'oxygène par un
tuyau, lui qui s'enrhume si facilement ! Aussi bien toutes les mamans
sont-elles les mêmes : on parvient toujours à les convaincre.
Mais il va de soi que le
consentement de la maman ne suffit pas. Un sérieux examen médical est d'abord à
subir, l'accoutumance au sévère entraînement est ensuite à acquérir. Et la
sélection s'opère ainsi tout naturellement, entre Ecureuils, Aigles et Chamois.
Toutes ces précautions prises, il
en résulte que depuis deux ans que la troupe fonctionne, on ne se souvient pas
d'avoir enregistré le moindre drame, et cela malgré les débuts assez héroïques
dont nous parlerons tout à l'heure. A ces débuts, d'ailleurs, on enregistra
quelques « décrochages » d'anciens de la classique 3e Tarbes,
décrochages vite compensés par des recrues nouvelles venues de Tarbes comme des
environs.
A Tarbes même, le recrutement
s'effectue d'une manière très large, sans vaine distinction : les garçons
viennent indistinctement du Lycée, de l'Ecole Professionnelle ou de Jeanne
d'Arc. Les réunions sont bi hebdomadaires et se tiennent dans un local de
l'Ecole Jeanne d'Arc. On s'y rend souvent en uniforme, lequel se singularise au
sein de la gent scoute par Ie béret, de couleur verte. Vert d'eau,
naturellement...
Une bonne partie de ces réunions
— où ne sont pas oubliées les pratiques intrinsèques du scoutisme — est
consacrée à l'entraînement général. Rien de mieux pour éduquer les réflexes du
« boy » et de l'apprenti-nageur qu'une bonne séance de judo ou un gymkhana à
motocyclette ! Les judokas de l'U.A.7. ne seraient sûrement pas tranquilles si
l'idée venait aux scouts de la troupe Raider de les défier en une quelconque
occasion. Et votre serviteur à plus forte raison...
Enfin, il y a l'entraînement
nautique, comme on peut s'en douter. En hiver, il s'effectue tous !es quinze
jours à la piscine couverte de Bagnères, avec palmes et masque léger. Et
lorsque les beaux jours reviennent qui permettent l'entraînement en plein air,
on alterne entre le Lac de Lourdes et !a piscine Nelly.
Et c'est ainsi à force d'un
entraînement rationnel que ces jeunes garçons arrivent à nager sous l'eau comme
sur des roulettes.
Un A. B. C. fort indigeste
Venons-en à leurs aventures sous-marines, à
ces merveilleuses sorties dont le seul souvenir ou la seule perspective rend
leur regard vif-argent et leur jeu-sacré plus irréductible. Dieu ! qu'ils s'en sont dons payés et enivrés, de ces
mirifiques et étranges investigations d'où l'en rentre saoul de fatigue et
d'une joie si secrète ! Et comme ils comptent bien ne pas en rester là, ces
garçons pleins de vie, qui dépensent aussi généreusement leurs forces que leur
dévouement aux mille causes quotidiennes !...
Actuellement, ils ont à la troupe
un appareil modèle Narguilé entièrement
perfectionné par eux, qui permet de rester 20 minutes sous l'eau à une
profondeur de 15 mètres. Mais la version améliorée de ce même appareil leur
permettra bientôt de descendre jusqu’à 40 mètres.
Et vous parlez d'une ivresse !
Quatre gars de la troupe
La joie de vivre et
l’amitié toute simple, on les découvre au bord des mers. N’est-ce pas ce que
semble indiquer cette radieuse photo ?... Ces quatre garçons appartiennent
à la troupe Jeanne d’Arc de Tarbes. De Gauche à droite : Marc Henry,
Maître Labat, Yves Thollot, Philippe de Guillebon.
Surtout lorsqu'on songe à ces
premiers débuts où l'on était obligé de graisser et ensuite de nettoyer à
l'essence le tuyau qui amenait l'air. Pour un bol d'air. On avait gratuitement
droit soit à un cube de saindoux, soit à un dé à coudre d'essence, et pour ça,
il faisait diablement en vouloir ! Sans compter qu'on devait obligatoirement
descendre la tête en bas et les pieds en haut ; qu'il fallait respecter un
certain nombre de paliers pour remonter à la surface, etc... Pour la commodité
de l'opération, on vous remercie bien. A l'époque, pourtant, tout le monde
voulait sa part d'amusement, tant il est vrai qu'il faut bien avoir quinze ans
et un cœur « gros comme ça » pour s'essayer à de telles entreprises.
Maintenant, c'est presque du «
gâteau », avec cet appareil Narguilé dont on peut détailler les premières
commodités (?) sur la photo.
La Méditerranée et son immensité…
P. LABAT va y plonger
de nouveau, mais cette fois, il est muni d’un appareil autonome COMMEINHES
(type G.C. 47) amené par le clan E. D. F. C’est le rêve des Scouts de Tarbes,
que de posséder bientôt un appareil analogue, qui fournit l’oxygène lui-même et
supprime le tuyau encombrant !
Et que sera-ce lorsque à !a fin de l'hiver (que l'on consacre à la
construction), on pourra descendre à 40 mètres sans autre inconvénient, armé de
surcroît d'une boîte photo, d'une combinaison étanche contre le froid, d'un
projecteur étanche pour la plongée de nuit, etc... Tous projets à réaliser
avant l'été prochain ?
Avec tout ça, on vous le dit cher
lecteur, il sera aussi facile d’aller cueillir des pâquerettes à 40 mètres sous
l'eau que de lire le compte-rendu de l'opération effondré dans un hamac.
Seulement, comme dirait Bourvil,
le lire c'est bien, le faire c'est mieux.
Huit jours à Banyuls
L'été dernier, la Troupe Jeanne
d'Arc de Tarbes a fait un beau voyage. Elle a passé huit jours du côté de
Banyuls. « — Pour nous, affirment volontiers les scouts tarbais, rien ne vaut
la Méditerranée ! ».
Comme on les comprend, n'est-ce
pas ? A Banyuls, ils se sont joints à un clan E. D. F. (Eclaireurs de France),
comme eux spécialisé, mais qui était équipé d'un magnifique appareil autonome
Commeinhes qui les aurait fait verdir de jalousie si les aimables éclaireurs ne
leur en avait point fait profiter.
Avec cet appareil moderne et qui
produit l'oxygène lui-même sans besoin de l'interminable tuyau (Cf. photo), les
scouts Tarbais s'en sont donnés à cœur
joie. Pour la première fois, le jeune Marc Henry a pu descendre à 25
mètres, un autre garçon de 16 ans à 23 mètres. Et il faut savoir ce que cette
découverte peut vous procurer de satisfaction...
Le coin a plu. On y reviendra.
L'été prochain.
Cette fois-ci, muni du grand
matériel que l’on sait, on ira au large de Marseille ou de Toulon établir un
camp merveilleux. Et l’on pourra mettre à réalisation le grand projet qui tient
tant au cœur des garçons : la passionnante prospection des veilles épaves
de la Méditerranée !
Voilà pour ceux, car il en existe
encore, qui ont tendance à considérer les scouts comme des gringalets que l’on
a retirés de force des jupes de maman. Ils sont en tous les cas une vingtaine à
Tarbes qui se sont chargés de prouver tout à fait le contraire. Vous ne trouvez
pas ?...
« L’Eclair des Pyrénées».
NB : On découvre ci-dessus, que Pierre Labat fut lié, par le scoutisme
et par sa passion de la plongée sous-marine, aux Eclaireurs de France du clan
« Claude Sommer » dirigé par son ami André Galerne. Figure emblématique du scoutisme et du monde
subaquatique. Toutefois ouvrons une petite parenthèse concernant le camp de
Banyuls, car un fait, hélas dramatique, n’est pas évoqué ci-dessus. En effet,
peu de temps avant, toujours à Banyuls. Il y eu un accident de plongée, qui
couta la vie à l’un des jeunes plongeurs de la troupe d’André Galerne. Le
malheureux se nommait Alain Justome. Pierre Labat qui le connaissait ne
l’oubliera pas, et va lui dédier quelques temps plus tard son récit « Le
Merveilleux Royaume ».
Pour en savoir
plus :
Sur André Galerne : http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Galerne
Sur le clan Claude Sommer : http://pierregraves.blogspot.fr/2012/01/le-clan-en-photos.html
Sur les circonstances de la
disparition du jeune Alain Justome :
http://plongeur-radin.com/fr/histoire-plongeurs-scouts-france/4012-plongeur-alain-justome-clan-claude-sommer.html
Au début de l’été 1952
Pierre Labat et ses compagnons relatent
Pour les jeunes
lecteurs du magazine « Scout », leurs plongées sous-marines.
Par-dessous la surface
On n'entre pas directement dans
la mer. Entre l'air et l'eau vibre une lame d'acier. Ce que les hommes
appellent la surface est aussi un plafond : miroir au-dessus, moire en
dessous. Rien ne se déchire au passage. Seules quelques bulles marquent une
brève trace et derrière le plongeur la frontière se referme. Mais, le seuil
franchi, il convient de se retourner lentement et de lever la tête : cette
plaque scintillante, c'est la lisière entre les deux mondes, aussi nette dans
celui-ci que dans l'autre. Derrière le miroir, le ciel est fait d'eau.
Cette lumière partout répandue,
cette « pure et profonde substance » est-ce bien de l'eau ? Tant de fine clarté
ne s'apparente ni à la vague verte et frangée d'écume, ni à cet élément glauque
et résistant que le nageur frappe à coups rythmés. Pour le plongeur bien lesté,
une fois la surface franchie, toute pesanteur est abolie, toute résistance
cède : une mollesse aérienne le porte. Ici, le monde est douceur Du front
aux orteils, il n'est pas un point du corps qui ne puisse trouver son repos.
Plaisir de s'étendre. Allongement parfait. Souplesse horizontale. Un rêve très
lent monte des profondeurs. Muré dans le silence et la solitude, le plongeur
commence un monologue intérieur au centre d'une paix inespérée.
Philippe DIOLE – 1952
Il est un monde étrange
Enfin le « Sagitta », embarcation
du laboratoire Arago, arrive à l'endroit que nous avons repéré la veille. On
repêche le flotteur et il est solidement amarré. André m'aide à capeler le
lourd moulin, un Cousteau bi-bouteille. La ceinture lestée, deux kilos de
plomb, le bathymètre de poignet, les palmes et enfin la lunette...
J'avale l'embout buccal et me
laisse glisser le long du bordage. L'air arrive bien, sans difficulté, du
détendeur fixé sur les bouteilles chargées à 200 kg. Je lève le pouce en l'air
pour signaler que tout va bien à ceux de la surface et je plonge le long du
filin qui s'enfonce dans le bleu. Mes oreilles me font mal, je déglutis. Un
coup d'œil au bathymètre = 6 mètres ; un craquement soudain dans mes oreilles,
la douleur disparaît. La pression plaque la lunette sur mon visage, je souffle
dedans avec le nez pour l'équilibrer. Je continue à descendre doucement... 15
mètres. Je me retourne, tout est bleu autour de moi, la surface a disparu. Seul
lien avec elle, le filin de l'ancre s'enfonce devant moi. Le fond est
invisible, l'air arrive doucement à chacune de mes aspirations, tout va bien.
Soudain devant moi apparaît un voile gris. Quelques battements de palmes, le
fond surgit. Une plaine de zootères ondule comme une chevelure à mon passage.
Une vague de froid me saisit.
Quelques poissons défilent : des castagnoles avec leur queue noire et des
saupes stupides qui broutent des algues vertes ; elles ne se détournent même
pas à mon approche. Une vallée au fond sablonneux, tapissée de gorgones aux
grands éventails- mauves (en séchant, ils deviendront blancs), s'ouvre devant
moi.
25 mètres. Léger, affranchi de
toute pesanteur, je « vole » au milieu de ce décor de rêve, cueillant au
passage les plus belles des gorgones... Des holothuries, gros boudins visqueux,
se traînent sur le fond de sable, des boules d'algues verdâtres, ressemblant à
des éponges, gisent dans des creux de rochers et de grandes étoiles de mer
vertes ou rouges sont collées sur des rochers ; des girelles serpentent aux
milieux des gorgones, chatoyantes avec leur belle couleur bleue, mais le rouge de
leur corps s'est déjà terni.
Mais l'air soudain se raréfie,
mes bouteilles sont vides; j'ouvre le robinet de réserve, placé à gauche, à
bonne portée de la main ; aussitôt la respiration redevient facile, mais il
faut remonter. A regret, chargé d'une moisson de fleurs vivantes, je retourne
vers la surface.
De nouveau le grand vide bleu
tout autour de moi; les bulles qui montent en cascades scintillantes. L'air
s'échappe de ma lunette et passe devant mes oreilles ; puis je vois la coque
blanche de la barque. Je crève le voile à proximité et je m'agrippe au bordage,
on me hisse à l'intérieur du bateau.
Le court voyage au royaume de
Neptune a déjà pris fin.
Marc HENRY – S.P. du Chamois, 14 ans. 3e Tarbes, Raider.
Ci-dessus
Près de Fréjus, l’entrée
de la cathédrale sous-marine « Notre-Dame » située à vingt mètres de profondeur.
Plongée sous-marine
Qu'il me soit permis de remercier
ici les membres du clan Eclaireur de France « Claude Sommer », et tout spécialement
leur chef André Galerne, pour l'aide matérielle considérable qu'ils ont
apporté à notre jeune troupe sous-marine, tandis que leur expérience parfaite
de la plongée en mer nous évitait sûrement bien des bévues et peut-être bien
des accidents.
Vivre sous les eaux ! Rêve vieux comme
l'homme. Depuis Aristote et Végèce, jusqu'au professeur Piccard en passant par
Fulton, Descartes et sir Francis Bacon de Verulam, des centaines de savants, de
penseurs et de pionniers ont passionnément cherché la (ou les) solution du
problème.
Ce problème est aujourd'hui
résolu et dans ces dix dernières années, l'Homme a vu s'ouvrir devant lui les portes
du merveilleux royaume. Dure conquête ou le courage, l'ingéniosité, la persévérance
et ce grain d'inconscience folle qui est le sel de la terre, finirent par
triompher.
La mer est à notre portée.
Pourtant encore, combien de préventions et d'idées fausses ! Pour combien
encore, le mot « scaphandre » n'évoque-t-il qu'un attirail Incommode et
périlleux avec un casque de cuivre semblable à celui du capitaine Nemo !
Faisons le point de la question.
Mais tout d'abord, rappelons, si tu le veux bien, quelques notions nécessaires.
LA PRESSION : Tu sais que la
pression qui s'exerce sur notre corps (pression atmosphérique de 1 kg par cm2 à
l'air libre) augmente très rapidement sous l'eau, très sensiblement de 1 kg/cm2
par 10 mètres de profondeur. Ce dernier chiffre est d'ailleurs évident, une
colonne d'eau de 1 cm2 de base et de 10 mètres de hauteurs, faisant exactement
1 litre c'est-à-dire 1 kg...
La pression sera donc de 1 kg/cm2
à la surface, 2 kg/cm2 à 10 mètres de profondeur, 3 kg/cm2 à 20 mètres, 6
kg/cm2 à 50 mètres, etc.
Aussi, le premier danger auquel
on pense est un danger d'écrasement. On a longtemps cru que les scaphandriers ne
pouvaient résister à « l'effroyable pression des abîmes » (!) qu'en raison de «
la force exceptionnelle de leur constitution ». Constitution robuste, en vérité,
que celle d'un homme qui serait capable de supporter 210 tonnes! (C'est la
pression à 60 mètres multipliée par la surface du corps.)
Apprenti plongeur, rassure-toi,
il y a sous l'eau bien des façons de mourir, mais on ne peut pas mourir écrasé.
La vérité est que tout notre
corps est perméable et l'intérieur de nos poumons est baigné, imprégné de l'air
que nous respirons. Il y a donc équilibre parfait. En surface : 1 kilo à l'extérieur,
1 kilo à l'intérieur. A 10 mètres d'immersion : 2 kilos à l'extérieur, mais
aussi 2 kilos à l'intérieur, et ainsi de suite. Maurice Fargue, l'héroïque quartier-maître
du Groupe de Recherches sous-marines est mort à 120 mètres, mais il n'est pas
mort écrasé. Son corps était cependant plongé dans une eau à une pression treize
fois plus forte que la pression atmosphérique. Il n'y a donc pas danger
d'écrasement, mais seulement possibilité d'accidents physiologiques découlant indirectement
de la pression.
Il sera toutefois nécessaire,
pour que cet équilibre de pression soit maintenu entre l'intérieur des poumons
et l'extérieur du corps, que l'appareil, quel qu'il soit, donne automatiquement
au plongeur de l'air à la pression correspondant à la profondeur. Ceci est valable
pour absolument tous les appareils de plongée. C'est cette règle absolue qui
explique l'inefficacité de la classique « réalisation » rencontrée dans
certains ouvrages prétendus sérieux : un masque relié à la surface par un
tuyau, lui-même soutenu par un flotteur. Avec un tel appareil, en effet, le
plongeur exposé à une pression de 1 kg. 500 à 2 kg. devrait aspirer de l'air à
1 kg. seulement.
LE « POIDS SOUS L'EAU ». —
Certains croient qu'il est nécessaire de se lester beaucoup pour descendre très
profondément. C'est une erreur grossière. L'eau n'étant pas compressible, le
poids du volume d'eau déplacé reste à peu près constant. La poussée d'Archimède
n'augmente pas au fur et à mesure qu'on s'enfonce. Il n'y a pas d'état d'équilibre
entre deux eaux. La flottabilité aurait plutôt tendance à diminuer. En effet,
si l'eau, pratiquement, est incompressible, certaines cavités de notre corps le
sont, notamment l'abdomen. C'est ainsi qu'il n'est pas rare de démarrer avec
une ceinture lestée bien sanglée et de la sentir, à vingt mètres, descendre sur
les hanches. Nous diminuons donc légèrement de volume en nous enfonçant. Donc,
nous coulons de mieux en mieux.
Ceci dit, et sous réserve des
accidents physiologiques et des précautions correspondantes, le problème se
ramène donc à équiper le plongeur d'un appareil qui lui fournisse durant le
temps nécessaire de l'air pur à la pression correspondant à chaque instant à la
profondeur dudit plongeur.
Dans un premier chapitre, nous dirons
quelques mots des aspects physiologiques de la question. Ce n'est pas tout, en
effet, d'avoir un appareil capable de fournir de l'air à 10 kilos de pression.
Encore faut-il savoir comment se comporte l'homme quand il respire de l'air à
10 kilos de pression
Pour ce qui est de la question si vaste, si variée et si
intéressante de accidents, nous traiterons des accidents particuliers à un
genre d'appareil dan l'alinéa réservé à cet appareil.
PROBLEMES TECHNIQUES
ACCESSOIRES
I. La propulsion. — Elle sera aisée grâce aux grandes palmes de
caoutchouc dont tu ne pourras plus te passer quand tu sauras bien t'en servir (Naturellement,
si tu plonges en casque léger, devant rester vertical, tu ne prendras pas de
palmes, mais des sandales ou des souliers de bain ne seront pas de trop, dans
un monde pavé d'oursins épineux et de rochers coupants. L'usage des palmes te
rendra la disponibilité de tes deux bras, libres dès lors de tenir, sinon le
fusil (car la chasse avec scaphandre est interdite en France), tout au moins la
boite photo ou... le filet à provisions si tu t'intéresses à la faune fixée.
II. La protection contre le froid. — Pour plonger longtemps ou dans
de eaux froides, il est nécessaire de s'isoler de l'eau. Il existe pour cela de
combinaisons étanches -de différents modèles. Sous l'influence de la pression,
ces combinaisons ont tendance à « se plaquer » sur le corps du plongeur. A
partir de dix mètres, le plaquage d'une combinaison ordinaire provoque une
gêne, puis, au fur et à mesure que l'on s'enfonce, des douleurs Insupportables,
plis et fronces de caoutchouc durci enfoncé en coin au creux des chairs. Aussi
l'on utilise soit des combinaisons à volume constant (gonflées artificiellement
pour éviter l'écrasement du caoutchouc sur la peau), soit, plus simplement, des
combinaisons de caoutchouc mousse. L'air soutenu dans les alvéoles du
caoutchouc empêche toute douleur et constitue contre le froid une protection
supplémentaire.
J'ai eu l'occasion de plonger
revêtu des deux modèles actuellement fabriqués en France, la combinaison «
Tarzan » et le vêtement « Dumas » (mis au point par Frédéric Dumas, le
compagnon du commandant Cousteau), et je puis t'assurer que le caoutchouc
mousse à même la peau assure une protection extrêmement efficace.
Ci-dessus :
Pierre Labat, en 1952, durant une cueillette de
corail par 40 mètres de fond.
Les appareils de
plongée
BREVET EXPLORATEUR
NAUTIQUE
1° Avoir effectué l'exploration complète d'un petit cours d'eau ou
d'une partie d'un fleuve, ou d'un secteur marin en observant le sol : la
flore, la faune, etc. En rapporter un compte rendu avec photos, croquis, etc.
LES APPAREILS DE PLONGEE. — Deux
procédés peuvent être employés.
1° « On peut respirer toujours le même air en épurant chimiquement
le gaz carbonique à l'aide de chaux sodée ou de potasse, et, en régénérant le
mélange en oxygène. Ce genre d'appareil est dit « à circuit fermé. »
2° Dans un autre genre d'appareil dit « à circuit ouvert » l'air
sitôt respiré est expiré dans l'eau ambiante. L'aspiration suivante est
prélevée soit sur une réserve autonome (bouteilles haute-pression) soit par
l'intermédiaire d'un tuyau sur une source d'air comprimé située en surface
(pompes, batterie de bouteilles, compresseur).
I. Les appareils à circuit fermé. — Le plongeur respire l'air d'un
sac souple appelé « sac respiratoire » ou « faux poumon ». Une cartouche
de chaux sodée, est interposée entre la bouche et le faux poumon. Cette cartouche
filtrante intercepte le gaz carbonique expiré. Sur le sac, est également
branchée une petite bouteille d'oxygène haute-pression avec un doseur d'oxygène
qui assure en principe une exacte régénération de l'air appauvri.
À première vue, cette solution semble
le plus rationnelle. Pourtant, ces appareils présentent d'assez graves inconvénients.
1. — L'oxygène respiré au-delà de 2 kilos de pression, devient
toxique. Ceci interdit pratiquement l'utilisation de ces appareils au-delà de
12 mètres de profondeur, sauf pour des pointes fugitives et exceptionnelles.
2. — D'autre part, une cartouche filtrante peut-être fragile et
susceptible de mal remplir son office. D'où risque d'asphyxie au gaz
carbonique.
3. — Une sorte de combinaison des deux accidents peut même se
produire : Intoxiqué par l'oxygène, l'organisme ne réagit pas dès le début à la
présence du gaz carbonique. Il ne se produit ni l'accélération du rythme
respiratoire, ni l'agitation extérieure qui sont les symptômes habituels d'un
début d'asphyxie au CO2. Et la syncope est là ! Sans signes précurseurs. C'est
ce que les frogmen appellent le shallow water blockout !
Malgré tout, ces appareils
présentent d'indéniables avantages. Légers, peu encombrants, généralement dotés
d'une autonomie intéressante, ils sont également peu coûteux.
Le fait qu'ils n'émettent pas de
bulles les a fait utiliser pendant la guerre par les nageurs de combat (pas de
repérage possible depuis la surface). Leur légèreté et leur faible encombrement
les ont fait retenir comme appareils de sauvetage à bord des sous-marins (Davis
anglais également en service dans la marine française — Zung américain —
Draeger allemand).
Actuellement, je ne connais que
deux appareils de ce principe susceptibles d'être vendus aux simples
particuliers : le Pirelli italien et le Draeger allemand (deux modèles : le «
Delphin » et le 138) :
a) L'autorespiratore subacqueo sportive Pirelli. — Dans cet
appareil, le sac est sanglé sur la poitrine du nageur, la bouteille est située
sous le sac. Le visage est couvert d'un masque à vitre circulaire maintenu
solidement en place par une sorte de serre-tête. Un embout buccal, à
l'intérieur du masque est serré entre dents et gencives. Un dispositif
ingénieux permet au plongeur, quand il manœuvre à fleur d'eau, de respirer à
l'aide d'un tube respiratoire très analogue à ceux utilisés pour la pêche
sous-marine, pendant tout ce temps, il peut ainsi surveiller le fond sans user
sa réserve d'oxygène. La simple manœuvre d'une manette située sous le menton
branche le sac respiratoire et obture le respirateur (qui dispose d'ailleurs,
en sus, d'une obturation automatique en cas de plongée accidentelle). Le nageur
peut alors piquer et descendre jusqu'à douze mètres. L'autonomie est de l'ordre
de quarante-cinq minutes.
b) Le Draeger-sport tauchgerät « Delphin ». — Ici, le sac
respiratoire se trouve dans le dos du nageur, la bouteille par devant, au bas
d'une sorte de « bavette ». La respiration se fait par un embout buccal
classique, le nez et les yeux demeurant protégés par une lunette de pêche
sous-marine. C'est avec cet appareil qu'est équipée la deuxième expédition de
l'intrépide Autrichien Hans Hass. Le 138 est une version agrandie du «
Draeger-Delphin ».
Si tu viens à plonger sur un
appareil à circuit fermé, quel qu'il soit, n'oublie jamais la limite de douze
mètres et, même en deçà, sois prudent.
II. Les appareils à circuit ouvert. — Ici, l'air une fois respiré
étant aussitôt rejeté dans l'eau, où il s'échappe sous forme de bulles, une
source d'alimentation en air est nécessaire. Cette source d'alimentation pourra
se trouver fixée sur le corps même du plongeur, sous la forme d'une, deux ou
trois bouteilles à haute pression. Nous aurons alors affaire, comme dans le cas
du circuit fermé, à un appareil autonome.
La source d'alimentation pourra
aussi se trouver en surface, sous la forme d'une pompe, d'un compresseur ou
d'une batterie de bouteilles. Le plongeur sera alors tributaire d'un tuyau plus
ou moins long. En revanche, il jouira d'une durée de plongée beaucoup plus
importante.
Etudions d'abord les appareils
autonomes.
A. Les appareils autonomes. — Ils pourront être de deux sortes
(encore une subdivision!), à débit continu ou à débit « à la demande ». Je
m'explique...
Le scaphandre Le Prieur, dont tu
as sûrement entendu parler, est un appareil à débit continu. Dans le masque
largement vitré qui recouvre tout le visage, l'air afflue de façon continue
depuis une grosse bouteille sanglée sur la poitrine du nageur, qui règle
lui-même, grâce à une sorte de robinet, la quantité d'air qui lui semble
nécessaire.
Naturellement, tu comprends bien
que, avec un tel système, beaucoup d'air est inutilement perdu. En effet, si, à
l'aspiration, presque tout l'air est introduit dans les poumons, à l'expiration
les bords du masque s'écartent, l'air s'enfuit dans l'eau en gracieuses bulles.
Mais, pendant ce temps, la bouteille continue à débiter et tout l'air débité
durant cette période s'en va dans l'eau sans avoir servi à la respiration du
plongeur. Aussi, les performances demeurent limitées. Mais un tel système
présente en quelque sorte l'avantage de son inconvénient. Très simple, il est,
de ce fait, très sûr. La sécurité d'un appareil à débit continu comme, par
exemple, le scaphandre Le Prieur, est absolue. Et c'est quand même quelque
chose !
D'ingénieux chercheurs, voulant
économiser leur air pour plonger plus longtemps et plus profond, ont été
conduits à adopter une autre solution : l'appareil muni d'un détendeur « à la
demande ».
Dans ces appareils, le plongeur
aspire, par l'intermédiaire d'un tuyau annelé souple, l'air d'une boite dont
une face est articulée ou souple (membrane armée). Par son aspiration, le
plongeur crée une dépression dans la boite, la membrane souple s'affaisse, ce
faisant elle actionne le pointeau d'arrivée d'air et libère la bouffée d'air
exactement nécessaire au plongeur. Dès que l'aspiration cesse, la boîte se
gonfle, le pointeau se referme, la bouteille ne débite plus. Ainsi, tout l'air
des bouteilles passe dans les poumons du plongeur avant d'être expiré dans
l'eau ambiante.
Deux appareils français,
construits sur ce principe, sont actuellement en service : le Commeinhes GC 47
(version d'eau douce GC 42) et le Cousteau-Gagnan.
I. Le Commeinhes GC 47. — En 1943, au large de Marseille,
l'inventeur Georges Commeinhes plongeait à 53 mètres avec son appareil et
remontait en deux minutes. Ce record bouleversait à l'époque toutes les notions
admises en matière de plongée sous-marine, surtout en ce qui concerne les
précautions à prendre à la remontée. Georges Commeinhes devait tomber moins de
deux ans plus tard, tué dans son char lors de la libération de Strasbourg.
Le GC 47 existe en version bi et
tri-bouteilles. C'est un appareil à masque complet. Le masque est garni sur son
pourtour d'un petit bourrelet gonflable destiné à lui permettre de s'adapter à
tous les visages. L'air arrive par la gauche et ressort au niveau de la tempe
droite par une petite soupape. Un « balayage » constant évite ainsi la
formation de buée sur la vitre unique. Les bouteilles doivent être utilisées
l'une après l'autre. On les « ouvre » grâce à des molettes chromées à portée de
main du plongeur. On ne doit naturellement ouvrir la deuxième bouteille
qu'après avoir complètement épuisé la première bouteille et l'avoir refermée.
Un manomètre, fixé à la ceinture,
permet de connaître à chaque instant la pression restante. Un sifflet
avertisseur audible dans l'eau prévient d'ailleurs le plongeur «
distrait » quand la pression tombe à 40 kg. Les bouteilles sont en acier
spécial au nickel-chrome, de 4 dm3 chacune. Elles peuvent être remplies à 150
kg de pression.
II. Le Cousteau-Gagnan. L'éloge de cet appareil n'est plus à faire.
Adopté par le Club Alpin Sous-Marin, la Marine Nationale, plusieurs
organisations de sauvetage, il unit à une facilité de maniement remarquable une
sécurité absolue. A la différence de ce qui se produit sur le « Commeinhes »,
l'arrivée de l'air a lieu par l'intermédiaire d'un embout buccal, serré entre
dents et gencives, le nez et les yeux demeurant protégés par une excellente
lunette Squale-Lux. L'air est expédié par une soupape « bec de canard »,
composée de deux feuilles de caoutchouc collées l'une contre l'autre. Détendeur
et soupape se trouvent dans le dos du plongeur, juste au-dessus des bouteilles
sanglées dans le dos comme un sac de montagne. Détendeur à la demande et
soupape se trouvent emprisonnés sous le même capot et reliés à l'embout buccal
par deux longs-tuyaux annelés disposés en collier. Les bouteilles — quand il y
en a deux ou trois — débitent toutes ensemble. Mais un très ingénieux
dispositif de réserve obture l'arrivée d'air quand la pression tombe en-deçà de
25 kg. Le plongeur, ouvrant un petit robinet situé à la base d'une
bouteille, libère alors l'air qui lui reste. Ainsi prévenu, il sait que sa
provision touche à sa fin et qu'il doit regagner la surface. Les bouteilles
sont en alliage spécial. D'une contenance de 5 litres, elles peuvent être
chargées à 200 kg de pression. Naturellement, l'autonomie varie selon le rythme
respiratoire du plongeur et aussi selon la profondeur. A vingt mètres (3
Kg/cm2), une aspiration prélève dans les bouteilles trois fois plus d'air qu'à
la surface. A 30 mètres de fond, un appareil tri-bouteilles possédera une
autonomie d'environ 40 minutes (mais il faudra tenir compte du palier de
décompression).
Examinons maintenant la dernière
catégorie d'appareils de plongée.
B. Les appareils à circuit ouvert alimenté en air depuis la
surface. — Dans l'ordre chronologique, ils vinrent les premiers. Scaphandre à
casque, classique évocation de l'homme malhabile dans son habit boursouflé,
empanaché de bulles sous le volumineux casque de cuivre aux hublots protégés
par des grilles. Il est difficile de concevoir un appareil plus simple dans son
principe : un casque vissé sur une collerette reposant sur les épaules, un
habit caoutchouté complet enrobant tout le corps — sauf les mains nues, fermé
par des bourrelets au niveau des poignets et pincé entre la collerette et le
casque pour assurer une parfaite étanchéité. Par l'intermédiaire d'un tuyau
renforcé, une pompe, un compresseur ou une batterie de bouteilles aèrent le
casque et l'intérieur de l'habit, tandis que l'air en excédent s'enfuit sur le
côté du casque par une soupape.
Mais l'appareil est dangereux
car, aux accidents physiologiques viennent ici s'ajouter de terribles accidents
physiques.
ACCIDENTS A CRAINDRE
a) « Le coup de
ventouse ». — Si le plongeur descend trop rapidement — si, par exemple, il
fait une chute depuis une épave — la pompe n'aura pas le temps de contrebattre
l'augmentation soudaine de la pression extérieure. L’habit se plaquera, la
chute deviendra de plus en plus rapide en raison de la diminution de volume.
Finalement, le corps écrasé par l'habit sera aspiré dans le casque comme dans
une gigantesque ventouse, l'accident pouvant aller Jusqu'à l* rupture des
vertèbres cervicales !
b) « La remontée en ballon ». —C’est le phénomène exactement
inverse. Si un plongeur laisse, par mégarde, se gonfler son habit, il va
soudain s’envoler vers la surface. Remontant, son habit va se dilater, comme se
dilate une bulle qui se hâte vers la lumière. Se dilatant, le scaphandrier va
remonter de plus en plus vite, bibendum grotesque qui vient crever la surface
dans une mousse de bulles comprimées. Cette remontée rapide est terrible pour
l'organisme du plongeur.
Un appareil que nous avons
longtemps utilisé mais que je te déconseille très vivement est le casque léger,
dérivé du précédent. C'est, si tu veux,
exactement le même engin, l'habit en moins.
Imagine une caisse de tôle,
éclairée d’un hublot sur le devant et reposant, couverte vers le bas, sur les
épaules du plongeur. Suspendus à des crochets, deux poids de fonte, l'un
devant, l'autre derrière, permettent l’immersion. L'aération a lieu bien
entendu par tuyau et pompe. Au sommet du casque se trouve une soupape de
non-retour. L’air en surplus s'échappe par le bord inférieur du casque.
Naturellement, il faut rester bien vertical sinon la cloche risquerait de se
retourner. En piscine, c'est tout à fait facile. Mais en mer, dans des chaos
auprès desquels celui Gavarni est un agréable entassement de petits cailloux,
le problème prend tout de suite une
allure extrêmement déplaisante. Wiillam Beebe, le grand ichtyologue américain,
utilisait un appareil de ce genre, et aussi le docteur Hans Bass pour sa
première expédition (Pas pour la seconde!).
Nous avons baptisé notre casque
« Concession à perpétuité » et à
aucun moment nous n'avons eu véritablement envie de le débaptiser. Maintenant,
nous utilisons cet appareil comme abat-jour dans le bar de notre base. A mon sens, c'est encore la meilleure utilisation
que l'on puisse en faire.
Enfin, mentionnons pour finir un
appareil à tuyau dérivé du Cousteau. C'est le « Cousteau Narguilé ». Le
détendeur, à la demande, reste seul fixé sur les épaules du nageur, relié par
un tuyau de 30 mètres, au manodétendeur de surface branché sur une ou plusieurs
bouteilles. Toutes les qualités du Cousteau autonome se retrouvent dans cet
appareil.
ET MAINTENANT, DU
POINT DE VUE MATERIEL,
QUELLES SONT NOS POSSIBILITES, A NOUS, LES
SCOUTS ?
La plongée sur appareil autonome
à bouteilles apparaît comme, devant, malheureusement, rester réservée a de très
rares privilégiés (en raison de son prix de revient élevé ; amortissement des
appareils, frais de recharge des bouteilles pour de nombreuses plongées),
Ces appareils à circuit fermé
sont à peine moins chers mais aucun d'entre eux n'est, à ma connaissance,
fabriqué en France. D'autre part, leurs possibilités sont limitées par
d'impératives raisons de sécurité.
Le casque léger est un appareil
économique sans doute, mais difficile à manier, très Incommode, dangereux même
ailleurs qu'en piscine.
Pour l'Instant, je te conseille
donc de bien t'entraîner à la plongée libre (avec un masque, un tube
respiratoire et une paire de palmes), tout en restant évidemment à l'affût des
occasions possibles de plonger sur appareil autonome en compagnie de moniteurs
avertis (stages, etc.).
Le moment n'est peut-être pas
loin où nous placerons entre tes mains un appareil facile à manier, économique
et sûr.
Que tout cela, ne t'effraie pas !
Comme tu peux le déduire de ce qui précède, les accidents ne sauraient guère
menacer ceux qui gardent la mesure et observent les élémentaires précautions.
En serait-il autrement que le jeu
vaudrait bien que l'on acceptât quelques risques, rançon qui ne serait qu'équitable
au regard d'un si rare privilège. Mais la mer est accueillante et douce pour
qui, cessant de lutter, et se laissant recouvrir par elle, accepte de lui
livrer son corps tout entier.
Acte de foi qui force le Miracle.
Délivré de ta pesanteur originelle,
devenu plus et mieux qu'un homme, tu connais alors, sous l'opaque écran de la
surface, le plus merveilleux des royaumes, et des années de plongée, toute une vie ne saurait en épuiser la
connaissance, en atténuer la nouveauté.
Merveilleux royaume, merveilleux
et périlleux quand même, comme la forêt des Niebelungen ou le château du Graal.
Et maintenant, comme lors des
anciens sacres, Je te souhaite « la prudence du serpent », et parce qu’il n’est
pas bon d'être seulement prudent, « le courage du lion ».
Du fond du cœur, bonne
plongée !
PIERRE LABAT
Rédactionnels parus en
deux épisodes dans le magazine « Scout » n° 272 & 273 du 05 mai
& 05 juin 1952
NB. : A la lecture de cet
article, il apparait clairement que Pierre Labat fut, dès le début des années 50,
lié de très près à différentes personnalités du monde subaquatique. En effet, on le remarque au début où Labat
commence par remercier son ami André Galerne, avec lequel il vient tout-juste
d’effectuer un camp scout à Banyuls-sur mer
qui fut l’occasion pour leurs
troupes scoutes respectives de
nombreuses plongées sous-marines. On
constate également que, par amitié, son camarade Philippe Diolé rédigea pour
cette publication un avant-propos. Enfin pour illustrer cette parution c’est
encore un ami de Pierre Labat, le célèbre photographe Henri Broussard, qui
fournira les clichés qui viendront animer cette parution. (A noter : on
retrouvera certains de ces instantanés quelques temps plus tard dans l’ouvrage
de Philippe Diolé « l’aventure sous-marine » paru en 1953 aux
éditions Albin Michel). Enfin, Pierre
Labat réalisa quelques croquis explicatifs qu’il légenda, afin illustrer cette même
publication où on découvre qu’un de ses jeune scout rédigea lui aussi un petit
rédactionnel pour l’occasion.
V - Le manuscrit du
« Merveilleux Royaume » voit le jour en 1952
NB : Dans ce courrier de juillet 1952,
Pierre Labat écrit qu’il a terminé la rédaction de son récit « Le
Merveilleux Royaume », qu’il vient de soumettre à Melle Gilleron, alias « Tante
Mad » directrice d’Alsatia, et qu’il compte très prochainement, demander
au Commandant Jacques-Yves Cousteau de préfacer celui-ci.
Cette même année 1952, le second roman de
Pierre Labat « Le Manteau Blanc », est traduit en Allemand, par Adolf
Hechelmann, (également auteur Signe de Piste, à qui l’on doit « le Voyage
du Roi Sigurd » paru en 1958 sous le n° 111) qui parait dans la collection « Super -
Bucher » sous le n° 51.
Parallèlement
à ses parutions d’ouvrages, Pierre Labat va, tout au long du début des années
50 et jusqu’à sa disparition, évoquer à plusieurs reprises, dans les revues du
mouvement, les exploits de sa troupe tarbaise. En effet, nombre de
rédactionnels issus de sa plume fertile vont voir le jour. (Voir sa
bibliographie ci-après).
Ci-dessus : Quelques un des clichés qui
ont animé jadis, les rédactionnels de Pierre Labat.
Ci-dessus : Pierre Labat fin 1952,
coiffé de son « Bâchi » de Scout Marin.
" Il y a trois sortes d'hommes, les
vivants, les morts et ceux qui vont sous la mer ".
Pierre Labat
- Le Merveilleux Royaume
En cette fin d’année 1952, débute l’une des
toutes premières missions d’explorations sous-marine de l’équipe du Commandant
Jacques-Yves Cousteau, celle-ci va se dérouler au large de Marseille, au pied
d’un petit récif rocheux appelé « Grand Congloué » où par plus de 40
mètres de profondeur se trouve échoué au fond de la mer une galère Grecque vieille
de plus de 2 000 ans. Cette épave datant de l’antiquité, recèle dans sa
cargaison engloutie un trésor inestimable. En effet, ce sont des milliers
d’amphores, de pièces de vaisselle et poteries datant de 200 ans avant J-C que
l’équipe de la Calypso entreprend alors de remonter à la surface. Cette mission
va durer trois longues années et donnera lieu à un des innombrables films
relatant les exploits de l’équipe Cousteau. La réalisation cinématographique en
couleurs, qui relate en image cette fameuse mission d’archéologie sous-marine
est d’une durée d’environ 24 mn et s’intitule « La Galère
Engloutie » avec derrière l’œilleton
de la caméra Jacques Ertaud et Louis Malle. Elle sortira sur les écrans à la fin de
l’année 1956. Mais revenons à cette mission où, comme le relate le Commandant
Cousteau dans la préface du « Merveilleux Royaume », Pierre Labat, dès
la fin 1952, va évidemment faire partie des20 plongeurs de cette mission subaquatique
d’un sauvetage peu ordinaire qui présentait un certain nombre de risques et de
difficultés techniques. En effet, cette précieuse cargaison engloutie sous les flots
lors du naufrage de la galère était
emprisonnée dans la vase depuis des siècles. Il fallait donc avant de pouvoir
s’en emparer, la dégager le plus délicatement possible sans la briser.
Alors l’ingénieux Pierre Labat va avoir une
idée qui est peut-être être à l’origine de la technique employée pour le
dévasement comme l’évoque l’excellent
site internet « passion calypso » où à propos de la mission du
« Grand Congloué » est mentionné que Labat eut l’idée d’insuffler de
l’air pour dévaser la cargaison engloutie, et la faire remonter à la surface.
Toutefois cette technique échoua, mais c’est peut-être cette idée qui fut à l’origine du dévasement des amphores à
l’aide d’un gigantesque aspirateur sous-marin.
Ci-dessus :1 – L’embarcation légendaire
du Commandant Jacques-Yves Cousteau « La Calypso ». 2 – L’ile du
« Grand Congloué » vu depuis le hublot de « La Calypso ». 3
– L’aspirateur sous-marin utilisé par l’équipe de plongeurs pour dévaser la
précieuse cargaison antique.
Pour en savoir plus : http://www.passion-calypso.com/mission-du-grand-congloue/
En 1953, entre deux plongées sous-marines,
les Scouts de Pierre Labat, vêtus à la façon de jeunes pages de l’antiquité,
inventorient, durant les vacances de Pâques, le précieux butin qui va fait route vers les Musées Marseillais.
Ci-dessus :
A gauche : La page de couverture du programme
de la conférence faite à Paris par le Commandant Cousteau au sujet des fouilles
sous-marines réalisées au Grand Congloué.
Cette conférence s’est déroulée le 27 mai 1953 à la salle Pleyel.
A droite : Une des pages intérieures de
ce programme où les membres de cette mission sont nommés. On y retrouve André
Galerne et Pierre Labat, ainsi que Philippe de Guillebon
jeune plongeur de la troupe Tarbaise.
VI - En 1953, La plongée devient l’activité
principale de la troupe
« Le Château Périlleux, la
rivière d'Ondine, la forêt de Brocéliande, mes 16 ans, comme les tiens sans
doute, les cherchèrent longtemps sur la terre des hommes. Parfois naissait le
miracle, au centre d'un bois touffu, au détour d'un chemin débouchant soudain
sur des tourelles d'ardoises surmontées de girouettes fabuleuses, au coude d'un
ruisseau où trempaient des chevelures végétales... Et durant quelques secondes
j'étais, à mon gré, le prince, l'enchanteur ou le chevalier. Mais tout
aussitôt, un détail, un bruit lointain, une odeur familière suffisaient à
briser le charme, à détruire l'efficacité du sortilège, à changer la rivière en
affluent, le bois en lieu communal, le château en monument historique.
Je sais maintenant que le
Merveilleux Royaume existe, mais c'est loin des hommes, sous la mer. Pour
affronter ses génies, résister un peu longtemps au froid qui le baigne, il
suffit d'un haubert de caoutchouc et d'un appareil tout juste aussi compliqué
que le Manteau magique d'Alberich ou l'anneau des Nibelungen ! Un
assemblage subtil de tubulures et de clapets est venu se brancher sur mes
organes de respiration : tubulures irriguées au rythme de mes bronches, clapets
palpitants au rythme de mon diaphragme. Toute une vivante partie de moi-même
est faite de métal et de caoutchouc. Débarrassé de la pesanteur qui
m'enchaînait à la terre, je glisse entre deux eaux avec une lenteur de rêve. A
chacune de mes aspirations, le détendeur automatique, fixé au sommet des
bouteilles haute-pression que je porte sur mon dos, libère en sifflant la
bouffée d'air qui m'est exactement nécessaire. Poumons pleins, je prolonge
l'instant. Plus je garderai cet air dans mes alvéoles pulmonaires, plus je
retarderai la nécessité de l'aspiration suivante, moins vite les bouteilles seront
épuisées, et moins vite je serai contraint de regagner, ma provision d'air
tarie, le monde aérien des hommes.
Expiration... Par une légère
soupape fixée sous le même capot que le détendeur, l'air s'échappe en
gargouillant à travers les couches d'eau. Comme le seigneur du Conte de Grimm
je fabrique ainsi, rien qu'en respirant, des animaux éphémères, un peuple de
fausses méduses qui se hâtent en direction de la surface et vont exploser, en
une multitude de petites bulles, lumineuse poussière de diamant. Pour quelques
minutes encore, la vitre du masque de pêche sous-marine, qui couvre mon nez et
mes yeux, s'ouvre sur un aquarium sans limite, un aquarium où toutes les
rencontres sont possibles : énormes gorgones en éventail, semblables à des
fougères pétrifiées, colonies d'animalcules qui peuvent se permettre de vivre
immobiles, constamment baignées par la mer nourricière, troupeaux de poissons
qui se dispersent. Au-dessus de moi, la surface n'est plus visible, brume bleue
où danse un essaim de petites castagnoles à queue fourchue, couleur de nuit.
Droit devant, un petit poulpe
surpris se délove et décolle de la paroi. II remplit son siphon, puis le vide
brusquement, progressant « à réaction », par une série de propulsions souples,
tentacules rabattus en arrière ondulant comme une chevelure. Ma main tendue
l'effleure, il se fâche, s'étale, jette son encre, retourne se réfugier dans
une faille des rochers. Tant pis, quelques-uns sont plus aimables et ne
répugnent pas à des contacts moins fugitifs.
SOUS LA MENACE DE LA NARCOSE
Trente-cinq mètres au bathymètre
(indicateur de profondeur) fixé sur mon poignet. Toujours les immenses
gorgones, bleues ou vertes, dans la lumière des profondeurs. Je n'ignore pas
que les ramener au jour, ou projeter sur elles un éclairage artificiel, ferait
apparaître leurs véritables teintes, bordeaux ou lie de vin.
*
SCAPHANDRE "A LA
DEMANDE "
Quand le plongeur aspire dans l'embout buccal E, une dépression se crée dans la
chambre close C, la membrane souple m s'affaisse, le levier I pivotant autour du point fixe A. Le clapet n s'ouvre, l'air de la bouteille haute pression B, préalablement détendu par le
détendeur haute pression D, afflue
dans la chambre C et de là, dans
l'embout buccal. Dès que l'aspiration cesse, la chambre C se « gonfle », la membrane m
se relève, le clapet n se ferme.
L'expiration s'effectue par la soupape S
abritée sous le même capot que le dispositif de détente.
De même sur la paroi. Il faudrait
emporter un phare étanche et faire bondir hors du bleu-vert la féerie cachée
des couleurs violentes.
Cinquante mètres. Me voilà
parvenu au bas de la falaise, des éboulis croulent vers le large et la
profondeur.
Tout seul il serait imprudent
d'aller plus loin. Au-delà de quarante mètres, au-delà de cinq kilos de
pression, l'azote contenu dans l'air des bouteilles se fixe dans les tissus,
provoquant une dangereuse euphorie, une insidieuse narcose qui vous ôte
jusqu'au désir de regagner la surface. Et le plongeur, tout sens de la
direction aboli, se prend à nager au cœur de l'eau pesante. Renonçant à
remonter rapidement vers les zones d'eau lumineuse, il plane à l'horizontal ou même
risque de s'enfoncer plus bas encore, indifférent, jusqu'au black-out
définitif.
Descendre jusque vers
soixante-dix mètres exige d'aller très vite, de se laisser couler poumons vidés
sans faire d'effort et de remonter sans attendre que la narcose ait fait son
œuvre.
Pour plonger plus bas encore, il
serait nécessaire de remplacer, dans les bouteilles, l'azote de l'air, gaz
lourd, par un gaz plus léger, hélium ou hydrogène, moins enclin à se fixer dans
les tissus de l'organisme. Car l'air du Bon Dieu est fait pour la surface. La
vie aux profondeurs exigerait d'autres cocktails ! Pourtant les cachalots,
qui respirent aussi l'air du Bon Dieu, plongent jusqu'à deux cents, trois cents
mètres... et ils remontent. Cela s'explique peut-être par le fait que le
cachalot n'emmagasine pas une réserve d'air respirable avant la plongée, mais
plutôt une réserve de sang oxygéné. Ainsi toute leur économie respiratoire se
déroule préalablement en surface, sans risque de narcose. Solution évidemment
très élégante !
Alerte ! Soudain l'air se tarit
dans l'embout de caoutchouc moulé, que je tiens solidement coincé entre mes
dents et mes gencives. Chaque aspiration devient dure, fin de bouteilles. Sans
hâte, ma main droite agrippe le robinet chromé du dispositif de réserve, le
tourne. Les 20 derniers kilos de pression, artificiellement bloqués, sont
ainsi rendus disponibles.
*
SCAPHANDRE POUR NAGEUR
DE COMBAT
Le plongeur respire l'oxygène contenu dans le sac souple S, cet oxygène est débarrassé du gaz
carbonique par la cartouche filtrante radiale F. Une bouteille Haute Pression B, contenant de l'oxygène, permet de remplir le sac, soit par un
léger débit continu, soit à la demande par la manœuvre d'une gâchette G. Un robinet R permet de coupler le masque, soit sur le sac rempli d'oxygène,
soit sur l'air libre quand le nageur de combat nage à la surface. Au-delà de 13
mètres, ces appareils sont dangereux.
De quoi largement rejoindre la
surface, en m'arrêtant même en route dans les derniers mètres, pour me «
décomprimer » progressivement, précaution nécessaire afin d'éviter que
l'azote dissous en excès dans le sang par les fortes pressions des profondeurs
ne se libère trop brusquement en bulles mousseuses qui seraient susceptibles de
provoquer des démangeaisons, des cloques, des crampes par lésions dans les
tissus, voire la mort par embolie.
Trois minutes d'arrêt à trois
mètres me garantiront de tout risque. Je remonte lentement le long de la paroi
rocheuse de la falaise sous-marine. Mes bulles me précèdent et je les suis à
regret. Insensiblement les teintes se modifient, le spectre s'enrichit, la
couleur uniformément bleutée des quarante mètres cède la place à des
verts-émeraude, des jaunes safranés.
Scintillements, couronne
mousseuse de brisants contre le mur de rochers. Vue d'en dessous, la surface
ressemble à une nappe de cellophane chiffonnée.
Mon « palier de décompression »
terminé, je crève la surface. La houle m'empoigne et me balance à nouveau après
le calme figé des profondeurs. J'entends des cris sur les rochers. Mes
compagnons m'appellent, prêts à me tendre la main pour me hisser avec mon lourd
attirail sur la terre des hommes.
Près de l'île Riou, au large de
Marseille, par vingt-cinq mètres de fond s'élève un donjon magnifique. Sous
lui, s'ouvre une arche, un porche de cathédrale tapissé de gorgones
somptueuses, de fruits merveilleux qui se rétractent quand on les touche, de
fleurs magiques dont les corolles se ferment à l'approche du vol lourd de
l'Homme. Des essaims de poissons tourbillonnent autour, inlassablement. C'est
sous cette arche, j'en suis sûr, que passaient les cortèges enchantés de ma
petite enfance, le départ de Cendrillon pour le Bal ou le mariage de la Belle
au Bois Dormant.
Plus bas, indolent chevalier sous
son armure de porcelaine, le homard bleu rêve dans la pénombre de sa grotte.
UNE EPAVE SURGIT AU FOND DE LA MER
Plonger au large exige une âme,
sinon plus courageuse car le courage n'a rien à y voir, du moins plus habituée.
C'est toujours émouvant quand, moteur stoppé, la barque mouille au-dessus de
l'objectif. Pour déterminer très exactement notre position, nous prenons des
enseignures : le fortin doit nous apparaître dans l'ensellement du petit col,
le pylône doit être tangent au phare. Au-dessous de nous, les châteaux et les
mâtures du Saumur s'élèvent, caressés
par le vent des lents courants sous-marins.
« L’air s’échappe en gargouillant à travers les couches
d’eau, lumineuse poussière de diamant qui se hâte en direction de la
surface ; cependant qu’au-dessous de moi la chaine et le filin d’ancrage
plongent à pic, vertigineusement, dans la brume bleue des profondeurs… »
Empêtré dans les palmes fixées
aux pieds, les épaules sciées par le lourd « bi-bouteille » ou «
tri-bouteille », l'on se met à l'eau tant bien que mal. Ici, plus de points de
repère ; seul le filin d'ancrage plonge vertigineux dans la brume bleue. Lors
des premières plongées, nous avions besoin de ce guide pour rejoindre les
profondeurs et nos mains, blêmissantes au fur et à mesure que la lumière se
modifiait, progressaient mètre par mètre le long du chanvre vibrant au rythme
de la houle, tout là-haut en surface. Mais aujourd'hui une cinquantaine d'expériences
semblables nous font considérer avec dédain cette main-courante.
Piqué a mort dans le brouillard.
Légère douleur à l'oreille. Comme en montagne ou en avion, lorsqu'on descend
très vite, il faut déglutir pour mettre l'oreille médiane en équilibre avec
l'oreille externe et supprimer ainsi la différence de pression qui pèse sur le
tympan.
Vingt-cinq mètres. La surface a
disparu : la seule déglutition devenant inefficace, je souffle dans mon masque
pour gonfler l'oreille médiane. Aussitôt des éclats vert-jade polluent ta
vitre. Léger saignement de nez. Rupture de quelques capillaires. C'est un
accident fréquent mais dénué de toute gravité. Ici, à trente mètres, les rayons
rouges ne passant plus, le sang coule vert !
J'accélère encore ma descente. Du
bleu, un banc de méduses qui dérivent, translucides...
Aspirations. Presque pas
d'expirations. L'air aspiré sert à combler la différence de pression qui passe
en moins d'une minute d'une atmosphère à quatre atmosphères.
Une forme indécise surgit du fond
: l'épave... Cornières cisaillées, bastingages épaissis par les dépôts
sous-marins. C'est la plage arrière du Saumur,
gros cargo de cent cinquante mètres de long, torpillé en 1943. Les
Italo-Allemands ne sont plus là, qui armaient le navire lors de son torpillage.
Les langoustes les ont remplacés. Elles grouillent parmi les tôles éclatées aux
dentelures agressives. L'une d'elles jaillit droit devant, d'un coup de godille
de sa spatule caudale.
« Ces amphores deux fois millénaires, échappées des
entrailles d’un navire grec naufragé, vont connaître à nouveau le contact de la
main de l’homme… » — L’un des plongeurs est armé d’un levier, l’autre d’un
appareil spécial pour la photographie sous-marine.
Plus loin, dorment d'autres
épaves : l'espagnol Saint-Lucien, l'Alice-Rebert, ex-bananier au pont
jonché d'équipements militaires; ou bien de simples barques de pêcheurs, filets
encore tendus, au travers desquels se jouent, rassurés, les poissons. Plus
loin, d'autres coques encore, bois pourrissant ou métal rongé, à l'entrée des
passes fréquentées, aux carrefours des grandes routes maritimes, cimetières
sous-marins où, comme les éléphants, les bateaux se rassemblent pour mourir,
paquebots, corvettes, vaisseaux de ligne, inidentifiables, siècles et pavillons
fraternellement confondus, tous solennels et silencieux comme le Hollandais Volant.
LORSQUE L'HOMME NE REMONTE POINT…
Toute conquête veut qu'on la paye. Non point seulement par de l'argent,
du temps, des efforts, mais aussi par des vies humaines. Presque toujours,
certes, l'homme s'échappe. Cobaye volontaire, glissant son corps fragile dans
des régions marines encore inexplorées, ou bien essayant un nouvel appareil, un
dispositif inédit, il finit par ressurgir à la lumière, un peu de sang au fond
du masque, un grand sourire figé de froid sur le visage. Et pendant que ses
compagnons le déshabillent de son attirail, il rêve, l'âme encore occupée de ce
qu'il a vu ou ressenti sous la mer, tandis qu'il guettait avec une attention
égale le comportement de son scaphandre, le rythme de son cœur et le
fonctionnement plus ou moins facile de son cerveau déjà troublé par l'ivresse
des grandes profondeurs.
Mais il est arrivé aussi que l'homme ne remontât point...
Descendant le long d'un filin, le
Quartier-maître de la Marine Nationale Maurice Fargues devait, pour témoigner
de la profondeur atteinte, signer des ardoises échelonnées le long de ce filin.
Maurice Fargues tardant à remonter, ses compagnons angoissés le hissèrent
jusqu'à l'air libre. La narcose de l'azote l'avait foudroyé. L'ardoise
indiquant la profondeur de 120 mètres avait été atteinte et signée.
En 1945, Arne Zetterström, un
jeune ingénieur suédois, imagina, pour éviter la narcose de l'azote, de plonger
en utilisant au-delà de 40 mètres un mélange respiratoire de 96 parties
d'hydrogène pour 4 parties d'oxygène. La tentative se déroula conformément aux
plans établis. Les poumons gonflés de son mélange léger,
Arne Zetterström descendit
jusqu'à 160 mètres. Expérience totalement réussie, il n’était plus qu'à 20
mètres de la surface quand, à la suite d'un accident mécanique, le treuil le
redescendit brutalement de plusieurs mètres. Sous l'accroissement brutal de
pression, l'habit caoutchouté se plaqua, la tête fut aspirée dans le casque de
cuivre, classique accident des scaphandriers à casque, dénommé «squeeze » ou « coup de ventouse ».
Enfin remonté sur le pont du navire, Zetterström mourut sans avoir repris
connaissance.
En 1948, l'Anglais William
Bollard atteignit 163 mètres en remplaçant l'azote de l'air, non plus par de
l'hydrogène comme Arne Zetterström, mais par de l'hélium. Lui, remonta vivant.
Ainsi la plongée sous-marine
comme l'aviation compte déjà ses héros et ses martyrs.
Pendant les années de guerre, les
militaires, à des fins différentes, avaient effectué d'autres tentatives. Il ne
s'agissait pas pour eux de descendre aussi profondément.
Ce tapis négligemment roulé est le treuil d’un navire
englouti et sa chaine d’ancre, le tout feutré par des dépôts sous-marins
lentement accumulés... Regardez la main gauche du plongeur : elle tourne
le robinet de sécurité au bas du bi-bouteille, pour libérer la réserve des
vingt derniers kilos de pression d’air.
Mais en revanche, les appareils
utilisés devaient ne dégager aucune bulle indiscrète susceptible de trahir en
surface la présence du nageur de combat. De là, l'emploi de scaphandres dits «
à circuit fermé », où le plongeur respire toujours le même oxygène pur enfermé
dans un « faux poumon » de caoutchouc, cet oxygène étant à chaque expiration
débarrassé de son gaz carbonique par une cartouche filtrante de chaux sodée.
(Voir notice n° 2.) Guidés par leurs boussoles lumineuses,
<« frog-men » alliés, et « nuatatori » italiens se ruèrent à
l'attaque. La nuit, le froid, les filets immergés, les grenades sous-marines
lâchées par intervalles par les navires de garde, n'étaient peut-être pas leurs
plus dangereux ennemis. Respiré sous pression, l'oxygène pur provoquait des syncopes,
d'autres fois l'eau de mer se glissait à l'intérieur de la cartouche chimique,
une liqueur corrosive refluant soudain dans la bouche du « nageur de combat ».
Pourtant, malgré les barrages protecteurs à l'intérieur de l'«
inviolable » Gibraltar, des navires sautèrent... Si la magnifique histoire des «
hommes-grenouilles » t'intéresse, lis le livre passionnant du Commandant
Ouvaroff « Torpilles Humaines », aux éditions des « Deux Sirènes ». Tu y
trouveras de splendides exemples de détermination et de courage individuels. A
quelque nationalité qu'ils appartiennent, ces hommes sont tous frères par leur
cran et leur esprit de sacrifice.
N'OUBLIE JAMAIS QUE TU N'ES PAS CHEZ TOI
J'aurais voulu te parler de tant
de choses encore ! Mais que valent des récits auprès de la réalité ? Si tu as
envie de connaître le Merveilleux Royaume des profondeurs, commence par te
procurer un livre extrêmement complet tout en restant très clair, livre
indispensable à qui veut pratiquer la plongée un peu plus profondément qu'en
piscine : « La plongée en scaphandre », par Cousteau-Dumas-Tailliez (aux
éditions Elzévir). Tu y trouveras tous les renseignements nécessaires.
Je voudrais seulement, avant de
te quitter, te recommander à la fois la confiance et la prudence.
Confiance car malgré ses
apparences quelque peu impressionnantes, la plongée sous-marine, à condition
d'être pratiquée sérieusement et dans de raisonnables limites, avec un
scaphandre Cousteau, est le sport le moins dangereux qui soit, moins dangereux
certes que le ski, la moto ou la haute montagne. Sais-tu que des milliers de
plongées ont été effectuées sur appareil Cousteau au club alpin sous-marin,
sans que l'on ait eu à déplorer un seul accident ?
Prudence pourtant. Je ne veux pas
parler, bien sûr, d'imaginaires périls dus à la présence de menaçants monstres
marins. Sous l'eau, point de menace pour celui qui ne menace pas. Je me
souviens de ce congre qui se glissa un jour hors du goulot de l'amphore où
j'avais déjà engagé ma main ; quelques secondes son corps sinueux se frotta
contre mon poignet et mon avant-bras, puis le congre s'écarta, dragon
bienveillant qui m'abandonnait son trésor.
Mais n'oublie jamais cependant
que tu n'es pas chez toi, tu es dans un monde, non pas hostile, mais
indifférent, de cette suprême indifférence des choses et qui peut t'asphyxier
en quelques secondes, sans que même un remous vienne troubler la surface, un
monde qui n'est plus le tien, un monde où tu pénètres furtivement, un peu comme
des proscrits reviennent à l'orée du paradis qu'ils ont perdu.
Chaque plongée est un acte de foi, chaque retour une victoire.
Il y a quelques heures à peine,
grâce à l'appui bienveillant et efficace du Commandant J. Y. Cousteau,
inventeur du magnifique appareil qui porte son nom, et par cela même, véritable
créateur de la plongée profonde en scaphandre autonome, j'avais la joie de
pouvoir amener un jeune chef de patrouille scout, âgé de seize ans, sur l'épave
d'un vaisseau grec coulé il y a 2 300 ans, au large de Marseille.
Jardin des Mers pour Neptune de seize ans. Pelouse, allée,
buisson… Difficile de se croire à 6 mètres de profondeurs !... Ce jeune
veinard est le fils du photographe, lequel, à toutes fins utiles vous
communique le temps de pose : 1/50e à F. 4,5 — Kodak plus X, 13
heures en août. Soleil, eau claire, appareil Foca.
Il ne m'appartient pas de te
parler aujourd'hui des fouilles inlassablement poursuivies à bord de cette
épave par le Commandant Cousteau et toute l'équipe du navire océanographique
Calypso. C'est un sujet qui appartient au Commandant et à lui seul. Mais tandis
que par quarante mètres de fond j'actionnais la dévaseuse aspiratrice, mon
regard allait sans cesse de ce jeune garçon qui représentait l'avenir, à ces
amphores oblongues deux fois millénaires, ces amphores qui après plus de vingt
siècles d'immobilité connaissaient à nouveau le contact des mains de l'homme.
Il ne s'agissait plus seulement cette fois de rêves ou d'évasions, de contes et
d'enchantements. Sans cesse, partout et toujours, inlassablement, l'Homme
cherchera la trace de l'Homme.
Le long de la paroi rocheuse,
lentement, nous ascensionnâmes. Sous un surplomb, nos bulles s'immobilisèrent,
posant parmi les algues d'immobiles flaques de mercure. Une langouste rousse
nous lorgnait, méfiante. Nageant l'un derrière l'autre, nous regagnâmes
l'échelle. Chassées à la longue du surplomb par les remous de la houle, nos
bulles de tout à l'heure remontaient encore vers nous, comme si quelque
invisible et mystérieux plongeur se fût attardé au pied du tombant.
Emergeant à l'air libre, nous
retrouvâmes le bruit et le vent. Dépouillés de nos collants de caoutchouc
mousse, nous parlions trop vite et trop fort, en claquant un peu des dents.
Puis nous pénétrâmes dans le local de plonge où le soleil artificiel d'une
grosse lampe infra-rouge rendit à nos corps la chaleur perdue, quarante mètres
plus bas, au niveau de l'épave.
Nous avions encore au fond des
yeux les images du film prodigieux, au fond de nous-mêmes le plaisir des gestes
qui eurent un sens, le goût de la mission remplie.
Nous aurions seulement voulu que
d'autres viennent s'abreuver à la source de notre joie. »
Pierre LABAT
Récit
publié en 1953 dans le n° 1 de « La Fusée »
où il parut à l’origine agrémenté des clichés ci-dessus, fournis par
ses amis Henri Broussard et Dimitri Rebikoff du « Club Alpin
Sous-Marin ». Il
est aussi très vraisemblable que Pierre Labat ait à nouveau fourni les
deux
croquis explicatifs qui accompagnent cette publication.
Cette même année 1953, Pierre
Labat rédigera également pour la revue « le chef » un article à la
demande des dirigeants du mouvement Scout. Ce rédactionnel est destiné aux aînés,
Pierre Labat, qui est devenu plongeur aguerri, écrit pour informer ses frères
chef Scouts, des précautions à prendre lorsqu’ils feront faire de la plongée
sous-marine aux jeunes membres de leurs troupes respectives.
Pour lire cet article :
http://plongeur-radin.com/fr/monde-de-la-plongee-sous-marine/4230-la-plongee-sous-marine-par-pierre-labat.html
Lettre de
Georges Ferney, adressée à Pierre Labat…
NB : Dans ce courrier on constate
qu’avant que naisse le quatrième ouvrage de Pierre Labat, dans la version que
les lecteurs du Signe de Piste connaissent aujourd’hui, il y eu au préalable
bien des négociations avec les dirigeants de la collection… On remarque
également dans cette lettre que Georges Ferney ne manquait pas d’un certain
humour…
VII - L’été 1953 à Toulon, dans le berceau de
la plongée sous-marine
Comme l’avait prédit Pierre
Labat, les clichés réalisés lors du tournage du film vont animer les
publications de plusieurs rédactionnels, dans la presse de jeunesse.
1 - Pierre Labat raconte le bivouac estival pour « Scout »…
Ci-dessus :
L’arrivée à Toulon de la troupe de jeunes
scouts marins de Pierre Labat.
Entraînement aux profondeurs
« Lieu de camp : Le terrain prévu pour l'implantation
est une pinède située tout près du petit port de Saint-Elme, mais à l'intérieur
de l'enceinte militaire. Il n'est pas possible d'y faire du feu, non plus, bien
entendu, que d'y tailler du bois. Toutefois, les pieux et bambous que nous
avons pris la précaution d'amener et les nombreuses planches trouvées de-ci
de-là aux abords du fort, et récupérées avec autorisation, permettent de créer
les installations minimum : un autel, un mât, une « salle à manger ».
La Troupe étant nourrie à
l'ordinaire de la marine, le fait de ne pouvoir allumer de feu ne pose aucun
problème. Cependant, en vue de pouvoir réchauffer certains plats en cas de
retour tardif d'une patrouille partie en mer, nous installons après
autorisation un réchaud de camping-gaz sur un emplacement dégagé. Un
extincteur, une pelle, un balai métallique anti feu (prêtés par la marine)
restent en permanence auprès du réchaud.
En plus du Père Aumônier et du
Chef de Troupe, le personnel d'encadrement comprend quatre assistants de 17 à
18 ans. Les garçons sont au nombre de 19, répartis en trois patrouilles :
Ecureuils, Chamois, Requins. L'âge des garçons varie entre 11 et 17 ans.
Le camp : II serait vain et passablement fastidieux de chercher à
retracer l'histoire de ces quatorze jours de camp. En effet, cela ne se
présentait pas du tout comme une aventure avec péripéties et rebondissements
inattendus, mais sous la forme d'une existence calme, réglée, absolument
dépourvue d'imprévu, où les manœuvres de recharge des bouteilles, les raids en
canots, les plongées à vingt mètres pour le film, aux « Deux Frères » ou à
Cap-Sicié, les entraînements Masque et Palmes à Fabregas ou à Saint-Elme,
revenaient avec une régularité d'horloge.
Chaque jour, une Patrouille était
« d'honneur » (couleurs, service Messe, services divers, à table, etc.,
propreté du camp). Une Patrouille « d'entraînement » (techniques des
accompagnements, décapelages du masque sous l'eau, exercices divers à faible
profondeur); une Patrouille de plongée profonde au large.
Vingt minutes avant le départ du
remorqueur qui devait nous ramener à Marseille, nous décidâmes de filmer au
moins une des épaves coulées dans le port même du Frioul. Nos vêtements déjà
embarqués, nous rejoignîmes ensuite directement à la nage, scaphandre sur le
dos, le remorqueur qui allait appareiller.
Une dernière aventure nous
attendait au débarquement, au Vieux-Port. Le « capitaine » d'un bateau de
plaisance ayant laissé tomber depuis le quai son trousseau de clés, nous
demanda d'aller le repêcher. Malgré d'activés recherches sur le fond infiniment
varié du Vieux-Port, nous ne retrouvâmes pas le trousseau de clés du «
capitaine ». Bon prince, il nous paya quand même à boire… »
Pierre LABAT.
Rédactionnel issu de la
plume de Pierre Labat, paru dans « Scout ».
2 - Dans une interview,
Georges Ferney relate le tournage du « Merveilleux Royaume »,
premier film subaquatique issu d’une fiction.
SOUVENIRS DE VACANCES DE LA PREMIERE
TROUPE SCOUTE SOUS-MARINE
« A 60 mètres de
fond, nous avons sonné… La cloche de bord d’une épave ! »
Le narguilé Cousteau
sur les épaules, le garçon entame la découverte du sol sous-marin. L’air
comprimé dans la bouteille parvient jusqu’à sa bouche et ressort à
l’endroit précisé, sur notre photographie, par les petites bulles blanches.
Un choc brutal crève l'eau
glauque, tendue comme une peau d'âne dans la fraîcheur de l'aube. Avec la belle
assurance d'un scaphandrier, le garçon disparaît prestement et silencieusement
sous l'eau. Au soleil naissant sur l'horizon rosé, se profilent la rade de
Toulon et le rocher des Deux-Frères.
L'équipe de surface — cinq gars
accroupis sur les roches plates — surveille la descente de François. La
silhouette de ce plongeur de 15 ans tient plus du « martien » que d'un garçon
en camping : masque, palmes aux pieds, détendeur, bathymètre bracelet.
L'appareil — « Donald » — qui l'aidera à respirer sous l'eau, à explorer le
monde merveilleux, a été entièrement construit par la patrouille : un masque à
gaz tchécoslovaque aspire le visage comme une sangsue, une bouillotte en
caoutchouc ballotte contre le torse, un long tuyau, mince comme un serpent,
relie le plongeur au « plancher des vaches » ; une pompe à bicyclette lui
fournit l'air nécessaire à une respiration normale !...
Deux mètres sous les eaux : grâce
à ses pieds palmés, François s'enfonce, gagne les abîmes sous-marins.
L'aventure est là, calme, sourde, mais terriblement présente. Le temps des
grands jeux et des trésors à découvrir est passé ; mais le garçon se trouve
brutalement face à face avec cette nature que bien des adultes ignoreront
toujours : la faune des mers.
Trois mètres sous les eaux. Cinq
mètres. Les couleurs, d'un seul coup de baguette magique, se métamorphosent :
le maillot de bain rouge de François devient subitement vert ! Tout prend une
teinte bleu vert. Des bancs serrés de petits poissons semblent planer...
Silence complet. François relève la tête : au-dessus — très loin, lui
semble-t-il — quelques rayons de soleil percent des tonnes d'eau. Pierre Labat
et Georges Ferney ont lancé la première troupe scoute de plongée sous-marine.
Et ils ont pu ainsi raconter, photographier et filmer le plus beau des
spectacles du monde, par 70 mètres de fond.
Armé du narguilé
Cousteau, Ferney s’apprête à plonger et à gagner les 70 mètres de fond. On distingue
très nettement la combinaison de caoutchouc mousse, qui le préservera des fonds
sous-marins.
DES APPAREILS DE PLONGÉE FABRIQUÉS PAR LES GARÇONS !
— Nous avons mené une aventure
fantastique, me confie le cinéaste de la troupe, Georges Ferney, au cours d'un
camp de quinze jours, dont l'activité essentielle était la plongée sous-marine.
Trente garçons : l'âge variait entre 12 et 17 ans.
— Vos équipements ?
— Le chef du camp, Pierre Labat,
connaissait le commandant Cousteau, le célèbre explorateur sous-marin, qui eut
la gentillesse de mettre quelques-uns de ses appareils à notre disposition : le
narguilé Cousteau autonome. Mais fréquemment, les garçons plongeaient avec des
appareils qu'ils avaient eux-mêmes construits durant l'hiver.
Voici «
Donald » l’appareil de plongée construit par les Scouts : un masque
à gaz tchécoslovaque, une bouillote, un long « macaroni ».
« Donald » fut le premier de ces
appareils. Dans le second, le plongeur avait la tête entièrement enfermée dans
une sorte de caisse étanche et, de ce fait, son visage n'avait aucun contact
avec l'eau.
Les garçons y avaient installé un
téléphone, mais qui présentait un inconvénient : on pouvait parler de la
surface au fond de la mer, mais absolument pas communiquer du fond vers la
surface ! Il se joua, à cause de ce manque de perfectionnement, un petit drame
: un garçon, à dix mètres, ne reçut soudain plus d'air.
Il cria dans le téléphone : «
Pompez ! Pompez vite ! » Et l'équipe de surface, qui n'entendait strictement
rien, répétait, insouciante : « Observe bien les oursins, les couleurs ! As-tu
repéré des cigales de mer? ». On parvint heureusement à remonter le plongeur,
avant qu'un malheur ne fût arrivé !
— Quels dangers présentent les
plongées sous-marines ?
— Aucun, car le camp était soumis
à une discipline féroce. Quatre patrouilles : deux au camp, deux sur la mer, et
jamais plus de quatre ou cinq garçons en plongée. Les autres assuraient la
surveillance, épiant les moindres tressaillements du filin-signal de détresse.
Le second appareil
construit également par les garçons dans lequel ils avaient installé un
téléphone.
— Les garçons ont-ils subi un
entraînement physique particulier ?
— Auparavant, non. Voici
l'initiation d'un nouveau plongeur : équipement solide, narguilé, embout
buccal. La première plongée ne dépassera pas 5 mètres de profondeur et le «
nouveau » sera accompagné de deux plongeurs chevronnés. On met le garçon à
l'eau (on est souvent obligé de l'y pousser, parce que, fin prêt, il se sent
une horrible... frousse !) et généralement il gigote, se débat comme un beau
diable, déplace son masque, « boit » et remonte, bien décidé à ne plus remettre
ses palmes dans l'élément liquide ! Il accepte cependant, le lendemain, la
seconde plongée (cinq ou six minutes) et le plus souvent en ressort... conquis.
— A qui appartient le record de
plongée ?
— Au Commandant Cousteau : 100
mètres de fond. Les garçons du camp plongèrent à 40, 50, 60 mètres.
" J'AI SENTI DEUX POIGNARDS S'ENFONCER DANS MES TYMPANS... "
C'est à 70 m que Georges Ferney
réalise son film sous-marin sonore et en couleurs : « Le Merveilleux Royaume ».
Equipé avec narguilé Cousteau,
lunettes Squale, embout buccal, « macaroni » de 80 mètres et bouteilles d'air
en surface, il plonge, caméra et appareil photo emprisonnés dans des boîtes
étanches, piquant des pointes à 80 mètres de profondeur.
— Dès que la descente commence,
me raconte-t-il, le plongeur perd la notion de temps : il ignore depuis combien
de minutes il explore sous la mer... et se soucie peu de remonter ! Perte
également du sens de la verticale et de l'équilibre : à cinq mètres de la
surface, j'aurais été bien incapable de dire si je me trouvais la tête vers le
fond, ou vers le soleil. J'ai eu soudain l'impression étrange de visiter une
autre planète, en même temps que mon corps devenait ultraléger.
— Pour descendre à cette
profondeur, où l'eau doit être aux environs de quatre degrés, n'avez-vous pas
recouvert votre corps d'une couche de graisse ?
— Non : j'avais pris la
précaution d'enfiler une combinaison qui englobait mon torse, mon ventre et mes
bras : sans être étanche, cette écorce de caoutchouc mousse me protégeait du
froid, en conservant sur ma peau une légère couche de chaleur et par conséquent
d'eau tiède.
Trente mètres. Armé de
sa caméra étanche, — à terre elle pèse trente kg, sous l’eau le cinéaste la tient
facilement d’une main — Georges
Ferney s’est fait surprendre, à son tour… par le photographe.
« D'un seul coup, je sentis deux
poignards s'enfoncer dans mes tympans et cela me causa une vive douleur : le
phénomène était simplement dû à la pression de l'eau. Au fur et à mesure que le
corps s'enfonce, que la profondeur augmente, la pression augmente. C'est
pourquoi le plongeur doit habituer son corps, ses oreilles et ses poumons aux
différents stades de plongée. Il doit permettre au corps de devenir familier
avec chaque nouvelle pression et rester en palier pendant plusieurs minutes. «
Les objets m’apparaissent tous bleu vert et très proches de moi. A partir d'une
certaine distance, les rayons rouges du soleil ne peuvent plus percer la mer :
c'est ainsi que Pierre Labat a un jour saigné du nez, par trente mètres, et les
gouttes de son sang, collées à la vitre de son masque, lui apparaissaient du
plus beau vert émeraude ! Le phénomène de réfraction fausse l'appréciation des
distances sous l'eau : vous apercevez un garçon pratiquement à la portée de
votre main, alors qu'il se trouve à six mètres de vous !
— Quelles sensations avez-vous
éprouvées ?
— J'ai éprouvé, à partir d'un
certain moment, l'impression d'être... un poisson, parmi ceux qui tournaient
gentiment autour de moi ! L'impression de me retrouver dans mon élément :
d'ailleurs, au bout de quelques minutes — et cela se produit chez tous les
plongeurs — j'ai eu l'envie intolérable de me débarrasser de mon embout, de mon
casque, de ma combinaison ! « Je vous disais qu'à quelques mètres de la
surface, on perd le sens de la verticale sans s'en apercevoir ; vous
comprendrez quelle maîtrise de soi doit posséder le plongeur, puisque à 70
mètres, la lumière n'arrive plus de la surface, mais du fond !
Cette perte d'orientation est
dangereuse : on a vu des plongeurs vouloir remonter à la surface, foncer vers
la lumière et... heurter leur crâne sur le sable !
PREMIÈRE RENCONTRE AVEC UNE PIEUVRE
— Quelles ont été vos « relations
» avec les poissons et autres habitants de la mer ?
— Très amicales. Les poissons
considèrent le plongeur avec curiosité, sans se soucier du danger qu'ils
risquent, en copains. Ils ne sont absolument pas méchants, viennent rendre
visite à cette créature blanche qu'ils n'ont jamais vue, reniflent et regagnent
leurs « nids ». « ...C'était la cinquième fois que je plongeais, et la seconde
que je pointais vers 70 mètres. Il y avait à peine quelques minutes que je
battais des palmes, lorsque j'aperçus, sous un rocher sombre... des yeux jaunes
de chouette qui me fixaient, immobiles.
— Les hiboux marins n'existent
pas !
— Je me suis arrêté, j'ai attendu
quelques secondes, et lentement une longue chose noire, imprécise, qui
ressemblait à une lanière, s'est déroulée vers moi, a contourné mes épaules, et
est venu me caresser le visage : c'était tout simplement une pieuvre !
—Dangereuse ?
— Dès que j'ai saisi mon « Foca »
pour fixer sur la pellicule ma rencontre, la pieuvre a pris peur, et s'est
enfuie !...
Quelques secondes
encore, puis les clapotis disparaîtront, ce sera la découverte silencieuse et
gigantesque du merveilleux royaume sous-marin.
Et Ferney avoue malgré tout sa
peur. Cependant, il reste. Il recommence, patrouillant avec les garçons, dans
les fonds sous-marins, avide de nouveautés, de nouvelles sensations. Il veut
rester. Il en possède le courage, et à chaque nouvelle plongée, ce sont de
nouvelles découvertes.
— Savez-vous comment je suis
devenu l'ami des crabes ? J'étais descendu, cette fois, à quarante mètres et je
décidai, pour filmer, de m'allonger sur le dos, à même le sable du fond, après
avoir pris la précaution de déposer une pierre plate sur mon estomac, afin de
ne pas remonter à la surface ! Cinq minutes plus tard : les crabes me passaient
sur la poitrine, stationnaient quelques secondes et se rendant compte que la
chaleur humaine de mon corps ne leur convenait pas, redescendaient dans leurs
trous!
« Couverts des coups de soleil de
juillet, mes mollets pelaient : je sentis soudain des petits suçons
m'effleurer. C'étaient des dorades qui happaient et avalaient ces petites peaux
mortes, certainement à leur goût!
« Par quarante mètres de fond, conclut Ferney,
le plongeur ne possède aucune crainte, aucune répulsion pour tout ce qui touche
le monde marin.
...COMME LA CLOCHE D'UN VAISSEAU-FANTOME
40, 50, 60 mètres... Une poignée
de garçons, véritables hommes-volants, ont plané au-dessus du cimetière des
bateaux. Ensouillés sur le sable et la vase, si les vieilles carcasses
dégingandées et pourries pouvaient raconter leur récit et leurs exploits... Le Saumur, au cap Bear, le Liban, près de l'île Maire, le Dalton, coulé la nuit de Noël, en 1903,
au large du phare du Planier, le Tozeur,
déradé en 1936, près de l'île Ratonneau...
— On connaît la situation
approximative de l'épave, grâce aux instructions nautiques, m'explique Georges
Ferney, mais une plongée de repère s'impose, évidemment. Brutalement, au moment
où vous êtes en train de sourire aux merlans, l'épave surgit, telle une
cathédrale, gigantesque et noire, droite sur ses cales, semble-t-il... Vous
devinez la masse sombre qui se poursuit sous les eaux, les formes du bateau
endormi, le pont arrière, les coursives, la cheminée légèrement sur le flanc.
Et grouillant autour du monstre sans vie : les dorades, les sarrans à la tête
si curieusement imprimée de caractères japonais, les anémones, les crevettes
qui s'enfuient dans un crépitement de mitrailleuse...
— Avez-vous exploré l'intérieur
d'une épave ?
— Oui, le Tozeur et le Tromblon.
Ce dernier, cuirassé à éperon, torpillé en 1916. Nous naviguions, sur les
coursives, disparaissions, ressortions par les écoutilles. A l'intérieur, le
silence complet, parfois heurté du choc d'une « bouteille » contre un hublot
d'acier rouillé. Le vide sombre ; tourmenté par des essaims de petits poissons
noirs, ou par l'effilochement de minuscules pieuvres. La barre et le compas,
encore debout, couverts d'algues et d'oursins. Le spectacle est Impressionnant
: il devient lugubre, triste, lorsqu'un des garçons fait soudain sonner, à 60
mètres de fond, la cloche du bord : un petit son mât, étranglé, qui parvient à
nos oreilles, sourd, glacé comme la cloche d'un vaisseau-fantôme...
*
Telle une symphonie qui éclate et
scande le triomphe, les garçons aquatiques remontent à grands coups de palmes
vers la lumière, dans un crépitement de minuscules bulles d'air, semblables à
des chevelures de diamants.
On dirait d’étranges
ballets de « Martiens »– s’ils existent – libérés de toute apesanteur. Ce sont tout simplement deux
garçons de la première troupe scoute sous-marine, en plongée à dix mètres.
C'est le retour vers les hommes,
l'adieu provisoire au monde sous-marin. L'antique carcasse rongée de l'épave
s'estompe, disparaît sous le vert opaque des tonnes d'eau salée. Le soleil
éclabousse la surface. Le maillot de François redevient rouge vermillon. On
distingue très nettement le «macaroni» d'alimentation qui le relie à la barque.
Une tête qui émerge des
vaguelettes, un pouce victorieux qui se dresse vers le ciel : « Comme ça ! ».
Et, cachés sous la vitre épaisse du masque, deux yeux qui rigolent de bonheur,
qui réalisent mal ce nouveau visage de l'aventure qu'ils viennent de découvrir.
Les voix claquent comme des
voiles dans l'embrun et le vent :
— Paré ?
— Paré !
Et un nouveau garçon plonge vers
ce que Pierre Labat et ses hommes de quinze ans appellent le Merveilleux
Royaume.
Le journal de Tintin n° 276
VIII - « Le Merveilleux Royaume »
en librairies et sur les écrans
NB : Dans un autre de ses échanges épistolaires, Pierre Labat
mentionne que « le Merveilleux Royaume » est incontestablement
l’ouvrage qui lui tenait le plus à cœur.
« L’AVENTURE SOUS LA MER »
Commentaire pour le
film
« Le Merveilleux
Royaume »
Voix off — Pierre Labat
Ci-dessus : Les feuillets qui
constituent le commentaire du film « le Merveilleux Royaume » et la
copie 16 mm.
« La Rivière Mystérieuse, la
Forêt Enchantée ou la Grotte du Dragon, combien de jeunes aventuriers les ont
vainement cherché dans un monde moderne où le moindre sentier est parsemé de
pompes à essence... Tout cela existe, pourtant, non dans une contrée lointaine
et inaccessible non dans les astres ou une quelconque fusée nous emmènera
peut-être un jour, mais chez nous, à notre portée, à nos pieds.
De notre terre appauvrie, où le
moindre arpent, balisé et cadastré, est devenu l'objet d'âpres querelles, plus
des trois quarts demeurent en friche, inexplorés, inconnus, et cependant c’est
dans cette portion du globe que la vie foisonne avec le plus d'intensité. Là,
s'ouvrent des vallées profondes recouvertes de végétation luxuriante, des
plaines immenses aux horizons sans fin parcourues par les plus étranges des
créatures. Là, dorment des trésors auprès desquels les inventions fantastiques
des conteurs de légendes pâlissent de pauvreté. Là, les spectacles les plus
inouïs, les formes les plus inattendues, les couleurs les plus rares, s'offrent
aux yeux émerveillés…
Ce pays de mystère et de rêve, sa
découverte, chacun de nous peut y accéder sans peine, chacun peut lui ravir ses
richesses sans remords, jouir de sa beauté sans inquiétude. C'est une contrée
dont la conquête n'est que pacifique, dont la colonisation ne frustrera jamais
nulle peuplade. Ce royaume est de ce monde mais il n'est pas le royaume des
hommes noirs, jaunes ou blancs : c'est le royaume sous la mer...
*
Pour pénétrer et séjourner sous
la mer, on connaît, depuis 1855 environ, le classique scaphandre à casque, qui fut inventé et perfectionné sous le
Second Empire par Siebe, Rouquayrol, Cabirol et Denayrouze.
L'engin est lourd, coûteux à
l'achat, compliqué dans son utilisation. Seul, un professionnel peut s'en
servir sans danger. En outre, il est conçu pour permettre au scaphandrier de
marcher au fond de la mer, d'y prendre appui, afin d'exécuter telle besogne
précise. C'est un équipement de travail excellent. Ce n'est pas un appareil
d'exploration, encore moins de tourisme.
Depuis une vingtaine d'années
environ, grâce aux recherches de Le Prieur, de Cousteau et Gagnan,
l'explorateur sous-marin dispose d'un autre équipement : un scaphandre autonome
léger, relativement peu coûteux à l'achat et d'un emploi aisé. Revêtu de cet
appareil, le scaphandrier flotte sous les eaux sans pesanteur aucune. Il peut
se déplacer dans tous les sens, évoluer à sa guise, stationner à mi-hauteur au
flanc d'une falaise, nager en surface s'il est besoin.
Le scaphandre autonome
Cousteau-Gagnan se compose d'un masque, englobant uniquement les yeux et le
nez, masque analogue à celui qu'utilisent les chasseurs sous-marins, ou même
certains baigneurs. Sur le dos, fixées à la manière d'un sac tyrolien, une ou
plusieurs bouteilles métalliques contenant de l'air comprimé à 150 ou 200 Kg
de pression environ. A la sortie de ces bouteilles, un détendeur spécial, placé
au niveau des omoplates du scaphandrier, détendeur qui a été conçu pour
délivrer l’air des bouteilles à la pression exacte qu'exerce l'eau au niveau où
il se trouve. Cet air est débité dans un tuyau de caoutchouc terminé par un
embout que le plongeur serre entre les dents.
L'air est aspiré uniquement par
la bouche et rejeté de la même manière. Il est ensuite évacué au moyen d'une
soupape et se disperse en bulles qui se hâtent vers la surface.
Une variante de cet équipement
existe sous le nom de Narguilé : Là, le plongeur n'emporte pas sa réserve
d'air. Les bouteilles demeurent à terre ou à bord d'une embarcation. Elles peuvent
alors être beaucoup plus volumineuses et assurer un séjour sous l'eau plus
prolongé. Un long tuyau de caoutchouc relie le plongeur à ses bouteilles, mais
le détendeur demeure toujours fixé sur le dos du scaphandrier. C'est un petit
appareil de la grosseur d'un réveille-matin : il n'est ni lourd, ni encombrant.
Le narguilé, bien entendu, est un excellent appareil de plongée d'un
fonctionnement très sûr. Mais il n'est pas autonome puisque le plongeur demeure
relié à la barque ou à la terre par le tuyau d'amenée d'air.
Il existe encore d'autres
équipements où les bouteilles sont remplacées par des pompes à bras, qu'on
actionne à terre ou dans la barque. Enfin, une autre catégorie d'engins
sous-marins comporte, non plus des bouteilles d'air, mais des réserves
d'oxygène pur. Ce sont les appareils (Davis, Pirelli) dits : à circuit fermé,
d'un emploi délicat. Ils permettent des plongées très prolongées, à profondeur
relativement faible. Leur usage est uniquement militaire.
Ce serait une erreur de croire
que la plongée sous-marine est un exercice uniquement réservé à des adultes
plus ou moins athlétiques. Si des poumons et un cœur en excellent état sont
nécessaires au plongeur, par contre il n'est pas d'âge requis, ni de
musculature exceptionnelle indispensable. Il n'est même pas obligatoire de
savoir nager, surtout si l'on utilise le Narguilé.
L'an dernier, nous avons plongé
chaque jour, durant une quinzaine, en compagnie d'un groupement de jeunes dont
la plongée sous-marine constitue l'activité essentielle. Ces garçons étaient
âgés de 12 à 18 ans. Il y eut plus de cent plongées effectuées sans le moindre
incident.
NB : Les jeunes
lecteurs du « Merveilleux Royaume » connaissent bien entendu un autre cliché
représentant Pierre Labat remontant des profondeurs, le visage encore à demi
immergé et le pouce levé. Car celui-ci est reproduit en page 176 de son
ouvrage. Cet instantané fut pris par son ami Paul Pergola. Mais quelques
instants plus tard c’est Georges Ferney
qui fixa sur la pellicule son confère et ami Pierre Labat.
*
L'embarcation nous a amené au
largue et, en dépit du ressac, nous nous sommes amarrés à un roc isolé, hanté
par les seuls oiseaux de mer.
A nos pieds, une eau sombre
clapote doucement. Par la carte marine, nous savons que de brusques
dénivellations existent là. Il ne sera pas nécessaire de nous éloigner beaucoup
de notre base provisoire pour trouver des fonds intéressants et même l’épave
d’un cargo qui sombra contre cette roche il y a une vingtaine d'années.
En maillot de bain, nous nous
équipons rapidement. Notre "tri-bouteilles" qui pèse une trentaine de
kg, parait bien lourd... Tout à l'heure, dans l'eau, il ne pèsera plus rien,
en vertu de ce bon vieux principe d'Archimède, que je ne vous ferai pas
l'injure de vous rappeler.
Lavons soigneusement notre masque
pour éviter la condensation. Chaussons des palmes de nage et ceignons nos reins
d'une ceinture lestée de plomb. Pour que notre poids total corresponde
exactement à celui du volume d'eau déplacé, il est en effet nécessaire de nous
alourdir encore. Nous voilà enfin prêts.
Pour nous mettre à l’eau, nous
pouvons soit descendre par l'échelle fixée au flanc de la barque, soit, si nous
sommes à terre, partir du rocher, ce qui est parfois acrobatique. Mais, quelle
que soit la méthode, nous nous apercevons tout de suite que, loin de couler,
nous avons une tendance fâcheuse à flotter à peine immergé, entre deux eaux.
Expirons, par la bouche, l'air
contenu dans nos poumons et donnons quelques vigoureux coups de palmes. La
descente s'amorce, aussitôt une douleur assez brève se fait sentir dans les
oreilles. Premier effet de la pression ; pourtant nous ne sommes encore qu'à
trois ou quatre mètres et la surface apparaît toute proche au-dessous, comme un
ciel bleuâtre, délicatement pommelé d'argent. Aspirons un bon coup, toujours
par la bouche. Notre descente est aussitôt freinée. Profitons-en pour déglutir
farouchement afin d'équilibrer au plus tôt la pression de l'air dans notre
oreille interne avec la pression extérieure exercée par l'eau sur nos tympans.
En quelques secondes, les douleurs d'oreille se calment nous allons pouvoir
continuer notre descente que nous poursuivrons ainsi par paliers successifs.
A quelle profondeur pourrons-nous
aller ?... Cela dépend, évidemment, de notre entraînement. Une dizaine de
mètres seront atteints, dès les débuts, avec facilité. Vingt ou trente mètres
seront accessibles un peu plus tard. Au-delà, une certaine éducation du
plongeur est nécessaire. Mais notre appareil, lui, permet d'aller beaucoup plus
bas, à 60, 80 ou même 100 mètres pour les plongeurs de grande classe.
N'oublions pas, toutefois que le Premier-Maitre Fargues est mort pour avoir
plongé à 120 mètres de profondeur.
Vers 20 mètres, nous rencontrons
nos premiers poissons de taille appréciable. Ce sont des daurades et des
merlans. Loin de fuir, ils évoluent autour de nous sans aucune crainte,
folâtrent dans nos bulles dont ils paraissent apprécier la chatouilleuse
caresse. Parfois, le plongeur rencontrera une pieuvre ou une murène, animaux
réputés dangereux, mais qui sont à la vérité surtout craintifs et se hâtent de
fuir vers quelque inaccessible trou de rocher.
Sitôt la surface traversée, nous
avons assisté à une curieuse transformation des couleurs. Notre maillot, qui
était d’un beau rouge vif, est devenu dès les premiers mètres, du noir le plus
sombre. A vingt mètres, notre corps est verdâtre et l'horizon qui nous entoure
uniformément bleuté. Horizon limité, du reste : nous avons l'impression de
flotter sans aucune pesanteur dans une sorte de brouillard plus ou moins
opaque, parcouru par des ombres. A dix mètres de nous, le contour des rochers
est imprécis. Etendons nous en pleine eau avec une impression totale de repos.
Au-dessous, il y a parait-il une
faille rocheuse profonde de plusieurs centaines de mètres. Survolons sans
crainte, à lents coups de palmes, cet abîme noir d'où monte une eau glacée. A
droite, s'ouvre une vallée sinueuse, assez semblable à une vallée terrestre,
toute velue de végétation marine et animée par le lent cheminement des bancs de
saupes ou le vol lourd des raies pastenagues, assez semblables à des modernes
"ailes volantes".
Cette vallée va nous conduire à
l'épave, but de notre plongée. Bien que nous connaissions exactement
l'emplacement de cette épave, elle demeure néanmoins difficile à repérer car la
visibilité est limitée et la végétation, en revêtant la coque, lui a donné
l'apparence d'un quelconque amas rocheux.
Pourtant, nous distinguons tout à
coup une paroi inclinée dont la régularité décèle l'origine humaine. Trente
mètres au bathymètre de poignet, petit appareil qui nous indique notre
profondeur. C'est bien là. Lentement, nous suivons la rambarde, survolons le
pont du navire incliné à 45 degrés. On distingue encore, dans une sorte de
clair de lune, un bossoir dégarni, une manche à air chevelue d'algues. Certains
plongeurs ont réussi, parait-il à "piquer" un coup sur la cloche du
bord.... Réveil d'outre-tombe d'un vaisseau fantôme...
Nous pourrions pénétrer à
l'intérieur de ce navire mort, retrouver dans le désordre du mobilier brisé un
peu de l'histoire de ce naufrage. Mais nous avons résolu, aujourd'hui de
plonger au plus bas, jusqu'aux hélices. Sautons la rambarde et piquons vers les
profondeurs.
Quarante, quarante-cinq,
cinquante, cinquante-deux mètres... Les hélices reposent sur la roche, à peine
encastrées... Près d'une pale tordue dort une grosse araignée de mer...
Nous nous sentons envahis par une
bizarre ivresse... A peu près celle que procure l'abus des boissons fortes...
C’est le même optimisme, la même sensation que rien n'est impossible, mais
avec, en moins, les gargouillements d'estomac...
C'est la narcose des profondeurs,
phénomène assez mystérieux dû à l'absorption d'air à une pression, ici, de 5
kgs 200, soit une pression égale à celle qui règne dans un pneu de poids
lourd...
Il faut remonter, d'autant que la
provision contenue dans nos bouteilles ne va pas tarder à s'épuiser. Mais
remonter sans hâte et surtout respecter scrupuleusement le "palier"
de 15 à 20 minutes qu'il nous faut faire à cinq mètres sous la barque pour
nous "décomprimer" progressivement.
Et nous nous retrouverons à terre
un peu grelottant... Mais nous rapportons l'impression d'avoir vécu de longues
minutes loin de notre planète, d'avoir forcé les portes d'un royaume interdit,
d'avoir, pour un temps, échappé au monde des hommes ».
PIERRE LABAT & Georges FERNEY – Janvier 1954
NB : Ceux qui ont connu et
approché Pierre Labat se souviennent certainement du timbre de sa voix qui
était assez grave et dotée d'un léger accent du midi Pyrénées. Bien entendu dans le
film ses commentaires sont entremêlés d’un fond musical.
C’est la musique classique qu’aimait tant Pierre
Labat qui vient agrémenter ses propos. Elle est jouée par le père de son ami
Paul Pergola, qui était organiste Paris, à la paroisse de Saint-Germain
l’Auxerrois, où avant-guerre son jeune
fils fut Scout dans le quartier des Halles. Il y connut
d’ailleurs, deux figures incontournables du Signe de Piste, qui ne sont autres
que Pierre Joubert et Jean-Louis Foncine.
Quant au film lui-même, il fut projeté à différentes
reprises, et il fut même question, lors
de sa sortie sur les écrans, d’en présenter une version longue au festival de
Cannes (ainsi que l’évoque Pierre Labat dans sa lettre ci-dessus).
Mais à notre connaissance
l’affaire en est restée là.
Un jeune tarbais Pierre
Labat vient d’écrire un maître-livre sur
Le Premier Groupe de Plongée
« Scouts de France »
Le Commandant Cousteau
a tenu à préfacer
« Le Merveilleux
Royaume »
Au moment où le monde, stupéfait, vient d’apprendre que deux
français l’ingénieur Willm et commandant Houot, sont descendus au large de
Dakar, a 4.050 mètres, à bord d’un bathyscaphe, version améliorée du F.N.R.S. 2
du professeur Piccard, un livre paraît « Le Merveilleux Royaume » qui
est l’un des plus étonnant ouvrages jamais écrits sur la fascination qu’exerce
la mer et la connaissance que des hommes intrépides veulent en avoir.
NB : A droite sur le visuel
ci-dessus, on découvre la dédicace faite par Pierre Labat à l’attention de
Monsieur Frédéric Dumas, équipier légendaire du Commandant Jacques-Yves
Cousteau a bord de « La Calypso».
Ce livre, un pyrénéen l'a signé :
Pierre Labat— un moins de trente ans — qui a laissé un si bon souvenir lors
d'un bref passage dans le Barreau tarbais et qui est actuellement attaché au
service du Contentieux de l'A. T. S.
Plongeur sous-marin émérite,
animateur de la troupe des Scouts de France de Tarbes, initiateur de scouts
sélectionnés pour les plongées, en scaphandre autonome, Pierre Labat a eu
l'honneur de participer à l'une des passionnantes missions menées à bien l'an
passé par le commandant Jacques Yves Cousteau et son équipe, à bord de « la
Calypso »,
Nous laisserons à la préface qu'à
écrite le commandant Cousteau pour « Le Merveilleux Royaume » le soin d'en
souligner l'atmosphère si prenante et d'en dégager la leçon d'intrépidité et de
dépassement de soi.
« Labat est un de ces hommes qui ont à remplir la plus belle
mission »
NB : Le récit de Pierre Labat, « le
Merveilleux Royaume » fut le premier Signe de Piste illustré de
photographies. Certaines d’entre elles sont dues au Commandant Jacques-Yves
Cousteau lui-même.
« Au mois de juillet, la Calypso amarrée dans l'arsenal de
Toulon se préparait à entreprendre les laborieuses fouilles d'archéologie
sous-marine de l'îlot du Grand Congloué, au large de Marseille.
Notre nouvelle expédition, se proposait de
récupérer l'ensemble de la cargaison d'un navire marchand grec coulé par
quarante mètres de fond, au troisième siècle avant Jésus-Christ, et même d'en
remonter la coque elle-même.
L'entreprise était considérable,
et ne pouvait être envisagée sans de nombreux concours désintéressés.
Pierre Labat vint à bord me
proposer son temps ainsi que celui de plusieurs de ses camarades scouts. Je
plongeai mon regard dans ses yeux décidés, cherchant à peser l'homme que je
n'avais rencontré qu'une fois auparavant. Qui était au juste ce Chef de Troupe,
qui chaque année entraînait une trentaine de garçons vers la mer, prenant sur
soi de les initier à la plongée en scaphandre autonome?
Quel but personnel s'était-il
donné en venant à nous, quel intérêt trouverait-il à se dévouer à la moins
rentable des aventures ?
« Comme pour répondre à ces
questions que je n'avais pas osé poser encore, Labat me remit avec un
imperceptible sourire le manuscrit du « Merveilleux Royaume ». Je
l’avais à peine parcouru que j'étais fixé et l'avenir de nos relations devait
mieux encore confirmer et préciser mon impression.
Labat est un de ces hommes qui
ont à remplir la plus belle mission : celle d'éblouir la jeunesse en
l'entraînant à la conquête des splendeurs de la Nature, de lui dévoiler les
joies profondes de l’effort et même du risque gratuit, car le bonheur ou tout
simplement l'équilibre de l'âme ne sauraient se satisfaire de la seule lutte
pour une vie décente. Les héros tombés sur les flancs de l'Everest ou mutilés
par l'Annapurnia, les Fargues ou Servanti morts en plongées profondes sont
l'expression même d'une civilisation qui exige bien plus que le pain de chaque
jour.
Pierre Labat et Raymond Kientzy
ont passé avec nous leur réveillon de Nouvel An sur un îlot rocheux battu par
la mer. A minuit, ils ont plongé dans l'eau noire et froide pour remonter de
l'épave profonde une amphore qui est un symbole de notre Foi ».
« Le Merveilleux Royaume » est aussi un film en couleurs qui sera
présenté aux Tarbais le 31 mars
Cette amphore, aux lignes
harmonieuses, nous l'avons vue dans le studio de Pierre Labat, studio dans
lequel des maquettes de navires, de magnifiques agrandissements de photos
sous-marines créent une ambiance qu'on s'attend vraiment plus à trouver dans un
paisible appartement bordant les Allées du Général Leclerc.
Négligeant pour un instant de
nous parler de son livre, Pierre Labat nous indique que les Tarbais auront
l'occasion de voir, au cours d'un gala exceptionnel le 31 mars au « Paris
» le film réalisé par le Premier Groupe
de Plongée « Scouts de France ». Ce film en couleurs sonore et parlant d'une
durée de 35 minutes évoquera les étranges et multiples activités d'une troupe
sous-marine, rendra familiers les appareils
dont elle se sert, montrera les phases des plongées, l'extraordinaire
variété des fonds marins et la non moins grande diversité de la faune
sous-marine,
A ce film, dont les images sont
de Georges Ferney et dont il a écrit le commentaire Pierre Labat a donné le
même titre qu'à son livre « Le Merveilleux Royaume ».
« Comme les acteurs improvisés
que vous verrez évoluer dans le film, les personnages du livre sont de chair et
d'os », nous a dit Pierre Labat.
« Un monde aussi secret que la plus lointaine des planètes »
« Jeune, déclare l'auteur dans la
bande qui enclot son livre, je te conduis dans un monde aussi secret que la
plus lointaine des planètes. Un monde où tu évolueras délivré de toute
pesanteur, où tu joindras deux cimes rocheuses d'un long plané, survolant d'un
coup de palmes les failles profondes où
gîtent mille créatures étranges, à peine devinées...
« Le Merveilleux Royaume » que nous venons de
parcourir d'un trait est un livre à nul autre pareil. La belle et chaude
camaraderie qui unit tes plongeurs scouts rassemblés par la révélation d'une
commune vocation sous-marine, l'histoire de leurs tentatives, de leurs
défaites, de leurs triomphes, la description parfois hallucinante des fonds
sous-marins et des épaves, le récit de l'ultime plongée à 70 mètres, qui achève
le livre ont inspiré à Pierre Labat des pages dans lesquelles sourd constamment
une rare et intense émotion humaine.
« On s'en rendra d'ailleurs
compte en lisant ci-dessous les trois pages qui terminent le livre dédié à tous
ceux qui sont morts pour avoir trop aimé le Merveilleux Royaume ».
*
Pierre Labat raconte…
« Et maintenant, toi qui viens de tourner le dernier feuillet de
ce roman qui n'en est pas tout à fait un, toi qui rêves sans doute, toi qui
peut-être fais des projets, n'oublie pas. La mer reste la Mer, et la mort reste
la Mort.
Pour tous ceux dont tu peux avoir la responsabilité.
Pour toi aussi.
Le livre était fini quand nous attendîmes en vain l'un d'entre nous. Il
avait suffi d'une mer brusquement réveillée, d'un retard de quelques secondes
pour l'exécution d'une évolution, d'une perte de contact dans l'eau troublée
soudain, vers la fin de la patrouille, à l'instant où les bouteilles presque
vides limitent l'autonomie.
Nous replongeâmes avec le sentiment que chaque seconde tuait. Puis le
Chef regardé sa montre, se passa la main sur le front et dit :
— Maintenant c'est fini. Il ne peut plus avoir d'air.
La colonne de bulles s'était tarie pour toujours.
Nous continuâmes à chercher sous l'écran des brisants, à travers la
brume vivante faite des particules en suspension que les lames soulevaient.
Le soir, quand tout l'air des bouteilles fut épuisé, nous nous
arrêtâmes.
Je trouvais que le prix était lourd, j'imaginais que peut-être toi
aussi un jour, ayant à ton tour voulu connaître le Merveilleux Royaume, tu dériverais
doucement vers le fond, masque arraché, poumons pleins d'eau et bras en croix.
Et je regrettais d'avoir écrit.
Puis, comme il restait quelques minutes avant le dîner du soir, le Chef
donna l'ordre à l'un d'entre nous de prendre un masque léger et d'aller dans la
crique, au pied du laboratoire, vérifier le fonctionnement de la boîte caméra à
surpression automatique. Et je compris que tout continuait que nous resterions
fidèles à celui qui n'était pas remonté, et que c'était très bien ainsi.
En vérité, cela, ne vaut-il pas que l'on risque sa vie ?
D'un côté, quelques photos, quelques mètres de film. De l'autre, de l'argent,
du temps, des forces, et surtout des cadavres de jeunes hommes qui jalonnent
toujours les chemins des entreprises désintéressées.
C'est l'Honneur et la Grandeur de l'Homme, de tenter de telles
expériences malgré le déséquilibre apparent de la balance. Le jour où sur le point
d'entreprendre une action, nous nous demanderions chaque fois : « Est-ce que
c'est rentable ? A quoi ça sert ? », Ce jour-là tout notre sens social, tout
notre esprit communautaire, toute notre rationnelle organisation économique,
n'empêcheraient pas notre civilisation de n'être plus d'une association
d'animaux débrouillards, castors, fourmis, termites à peine évolués. Nous ne
serions plus des Hommes, nous aurions trahi.
Le lendemain, de la mort en plongée de notre compagnon, sur la jetée du
petit port, un groupe de badauds s'étonna que nous n'ayons point pour autant
cessés nos descentes sous la mer. Ils ne comprenaient pas et cela les troublait
de ne pas comprendre. Un imperméable jeté sur mon uniforme, mêlé à la foule,
j'écoutais. Un vieux pêcheur leva les deux mains, et dit :
— Que voulez-vous ? C'est leur idée…
Sur cette phrase qui consacrait le mystère, bien plus qu'elle ne
l'expliquait, ils se séparèrent. Et moi je tournais dans ma tête la phrase du vieux
pêcheur et je songeais à notre ami qui avait risqué de mourir et qui était
mort, « parce que c'était son idée ».
En vérité, cela ne vaut-il pas que l'on risque sa vie ?
Oui certes, même aujourd'hui, surtout aujourd'hui, j'en suis sûr, et je
voudrais, garçon, te faire goûter à sa certitude. Sans conteste, la conquête
mérite que tu te hasardes. A la seule condition toutefois de mettre le maximum
de chances de ton côté, de mesurer avec une parcimonie minutieuse la part du
danger à laisser au vaques, à la brume glauque, à la mer pesante. Car
l'Aventure n'est pas dans la mort mais dans le combat, et la mort même ne peut
avoir un sens que si l'on a tout fait pour la vaincre.
Jeune, je voudrais te parler comme à un homme. J'ai renoncé à placer dans
ce roman quelques scènes trop brutales, certaines descriptions trop cruelles.
Par égard pour toi d'abord, certainement aussi parce qu'il est de multiples
aventures vraies qui peuvent sans inconvénient s'intégrer dans une intrigue
romancée et d'autres au contraire qu'il serait sacrilège de transposer car
elles appartiennent à des morts, non point des morts de roman tranquillement
décédés au terme d'une agonie littéraire, mais des morts véritables, tirés de
l'eau après des heures de recherches, livides et souillés de sable, et
péniblement déshabillés de tout leur attirail de caoutchouc et de métal oxydé.
C'est une drôle de chose, sais-tu, de placer dans sa bouche l'embout d'un
appareil en se disant que trois jours avant, un autre est mort, cet embout coincé
entre les agents. C'est pour t'éviter pareille expérience que je te mets en
garde.
Après tes premières plongées réussies, tu t'imagineras tout posséder au
center d’un univers accueillant et facile.
Méfie-toi toujours.
C'est au moment où tout semble allez le mieux que l'incident te guette,
un incident qui peut en quelques secondes se transformer en accident...
N’oublie pas que tu es dans un monde sinon hostile, tout au moins indifférent, de cette suprême indifférence
des choses, et qui peut t'asphyxier en quelques secondes, sans que même un
remous vienne troubler la surface.
Tout cela non pour te décourager, mais pour te préparer. Non pour te repousser,
mais pour te prémunir, non pour diminuer ton désir, mais pour l'augmenter.
Avant de ceindre ton front de la couronne du masque, de vêtir ton dos du
pesant appareil qui va t'ouvrir les portes du Merveilleux Royaume, selon la formule
des anciens Sacres, je te souhaiterai volontiers « le courage du lion » peut-être,
mais aussi la « prudence du serpent »...
Et maintenant, un grand sourire tout juste un peu forcé.
O.K. pouce en l’air !
Du fond du cœur, bonne plongée
! »
Pierre Labat
« Le Merveilleux Royaume
» est édité par les Editions Alsatia Paris qui ont déjà publié deux romans «
Conrad », « Le Manteau Blanc » et le récit « Deux Rubans Noirs », signés de
Pierre Labat.
« l’Eclair des Pyrénées ».
NB : Signalons que peu de temps avant la
présentation à Tarbes en mars 1954 du film « Le Merveilleux
Royaume », un ami de Pierre Labat,
Jacques Ertaud, pionnier en matière de cinéma sous-marin, spéléologue,
et premier cinéaste de l’équipe Cousteau, s’était rendu lui aussi, dans cette
même ville du midi Pyrénées, pour présenter plusieurs œuvres cinématographiques
dont une filmée durant la première mission de « La Calypso » en Mer
Rouge. Bien entendu, Pierre Labat était présent
dans l’assistance lors de cette présentation
.
Pour en savoir
plus :
Sur Jacques Ertaud : http://plongeur-radin.com/fr/plongeurs-historiques-francais-culture-plongee/4017-jacques-ertaud-1924-1995.html
Et sur sa présence à Tarbes : http://plongeur-radin.com/fr/monde-de-la-plongee-sous-marine/4022-jacques-ertaud-cineaste-des-abimes-a-l-imperial-le-18-fevrier-.html
NB : Le film « Le
Merveilleux Royaume » fut projeté à différentes reprises, au cours des
années 50, à notre connaissance il y eut aussi une projection en
avant-première, au Ministère de la Marine.
Ci-dessus :
Un programme d’une fête de groupe
des années 50 organisée par le Groupe Scout Charcot à l'occasion de laquelle fut projeté le
film.
IX - Les projets de
Pierre Labat, après « Le Merveilleux Royaume »
N B : Après la sortie du livre et du film
« Le Merveilleux Royaume », Pierre Labat reprendra sa plume afin de
rédiger deux autres ouvrages. Mais hélas le temps lui est compté et ces
manuscrits resteront inédits. Pour ce qui est du premier, qu’il évoque
ci-dessus dans l’une de ses nombreuses correspondances avec Georges
Ferney, il avait pour titre provisoire
« Carnet de Plongée ». Il s’agissait d’un manuel de
plongée-sous-marine entremêlé de ses propres aventures subaquatiques que
Pierre Labat destinait aux jeunes novices et dont il avait entamé la rédaction fin
1954. Quant au second, Il s’agit d’un roman rédigé peu de temps avant sa
disparition et intitulé « Le Chevalier et la Mort ». Celui-ci lui fut
inspiré par une célèbre gravure du même nom. Car Pierre Labat était aussi un
grand amateur d’art.
NB : Ce courrier de la main de Pierre
Labat sera le dernier échange épistolaire Labat/Ferney. Certains anciens Scouts de la troupe de Pierre Labat se
souviennent de ces deux manuscrits et quelques-uns ont eu la chance de
pouvoir les lire.
Mais hélas, nous n’en avons pas retrouvé trace
à ce jour.
Dans le n° 313 de la revue « Le
Chef », on découvre en page 53, dans la rubrique intitulée « Formation et Perfectionnement des
Chefs Scouts Marins » ces quelques lignes : « Un stage
initiation aux techniques sous-marine (plongée utilisation des appareils
respiratoires etc…) aura lieu au mois d’août du 8 au 20, à Fort Saint-Elme près
de Toulon, sous la responsabilité de Pierre LABAT et avec l’aide de la Marine
Nationale ». A l’occasion de ce camp, qui sera d’ailleurs le dernier pour
la 3ème
Tarbes à se dérouler à cet endroit, certains des Scouts de sa troupe
Tarbaise seront présents. Pierre Labat les énumère dans l’un
de ses échanges épistolaire avec FERNEY, ils se prénomment : Marc,
Jean-Claude, Julien, Serge, Jean-Paul… Il les avait inscrit, afin
qu’ils
effectuent, en sa compagnie, un stage d’initiation pré-militaire de
nageurs de
combat.
X - L’ultime plongée sous-marine du mardi 16 aout 1955
Ci-dessus :
On distingue au premier plan, debout
à l’intérieur de l’embarcation, Pierre
Labat qui s’apprête à larguer les amarres pour se rendre à proximité du rocher
dit des « Deux Frères », que l’on aperçoit au large, afin d’effectuer
l’une de ses innombrables plongées sous-marine.
N B : Concernant les circonstances exactes
de l’accident de plongée sous-marine qui coûta la vie à Pierre Labat, la thèse,
d’un incident cardiaque dû à une trop grande fatigue est sans doute la plus
vraisemblable. A-t-il été victime d’un malaise, ce n’est pas impossible. A
l’époque la médecine et sa technique n’était pas la même qu’aujourd’hui et l’on
croira à un manque de respect de sa part des paliers de décompression. Une fois
revenu à la surface, Pierre Labat fut placé à la hâte dans le caisson de
décompression du GERS (Groupe d’Études et de Recherches
Sous-marines) et
quelques moments plus tard il succomba.
« Plongeant sur une épave de la rade, il
s'est retrouvé sans air à 30m de profondeur. Très entraîné, il est remonté sans
larguer sa ceinture de plomb et sans lâcher la caméra qu'il avait emportée pour
réaliser un film avec ses scouts. Arrivé en surface, il a crié « Aidez-moi, je
m'évanouis ». Ou quelque chose d'approchant. Les jeunes ont sauté à l'eau
et l'ont récupéré, peut-être à un ou deux mètres d'immersion, Ayant perdu
connaissance, il a dû avaler de l'eau, même en faible quantité. A ce moment
passe un bateau d'entraînement de plongeurs de la Marine qui récupère Pierre
évanoui. A bord, le réflexe premier est de conclure à l'accident de
décompression, ce qui n'était pas le cas vu son très court séjour au fond.
Mais, croyant bien faire, on le « recomprime » dans un caisson
monoplace et le transporte en urgence au GERS au (grand) caisson de traitement.
Nous sommes présents à ce moment avec mes amis. Pierre est mis dans le grand
caisson, mais il est trop tard il est devenu, par l'effet d'une trop grande bonne
volonté, « un noyé sous pression » Accident qui ne pardonne pas,
surtout à cette époque. Au milieu de la nuit, le capitaine de frégate Chauvin,
« Pacha » du GERS, qui nous estime et qui connaît nos liens d'amitié
avec Pierre, nous appelle au Caisson. « Les gars, nous dit-il, vous pouvez
venir voir votre ami, il est en train de mourir... ». A travers le hublot, nous
regardons chacun à notre tour les derniers instants de Pierre Labat. Il vient
de décéder pour avoir voulu trop bien connaître son Merveilleux Royaume ». Témoignage de Bernard Cabrejas et Gérard
Loridon rapporté par Georges Imbert, tous trois plongeurs au Gers. (Texte reproduit en
2012 in : « Mémoires du scoutisme tarbais »).
Les Funérailles de Pierre Labat – Le 22 Août 1955 à Tarbes
La presse locale, nationale, spécialisée, de jeunesse,
professionnelle et scoute va ouvrir ses colonnes. Et la triste disparition de
Pierre Labat va faire les gros titres de leurs publications.
Les obsèques de Me Pierre Labat
Lundi matin, à la Cathédrale, ont eu lieu les
obsèques de Me Pierre Labat en présence d'une affluence considérable. Le catafalque dressé devant l'hôtel
disparaissait sous un amoncellement de magnifiques gerbes de fleurs. On
remarquait des délégations de Scout, de l'A.T.S., du Corps Franc Pommiès. Le
barreau de Tarbes était largement représenté. Dans le chœur avaient pris place
une vingtaine de prêtres. La messe de requiem a été dite par le R.P. Recour
aumônier des scouts et l'absoute donnée par M. l'archiprêtre Rivière. A l'issue
de la cérémonie religieuse M. le Bâtonnier Caussade a rendu un témoignage ému à
la mémoire du disparu.
Ci-dessus
Me Pierre Labat vêtu en robe d’avocat
(cliché : Studio Alpy -Tarbes).
DISCOURS DE MONSIEUR LE BATONNIER JEAN
CAUSSADE
« L'Ordre
des Avocats s'incline douloureusement devant la tombe de Pierre Labat, qui a
porté avec fierté. La robe noire, qu' a honoré, plusieurs années, son jeune
talent. « Visage net, regard franc avec une pointe de joueuse surprise », tel
m'apparut Labat, comme dans « Conrad » il parlait lui-même de ses scouts, le
jour de sa première visite chez l'aîné que j'étais. La Croix de guerre sur son
veston faisait mentir sa figure d'enfant, en révélant aussi son courage
tranquille. Le Barreau de Tarbes, qu'il a traversé avec la rapidité et l'éclat
d'une, étoile fulgurante, l'avait accueilli dans le sentiment qu'il
s'enrichissait vraiment d'une personnalité hors-série, comme allait être son
destin, il borda la barre difficile avec l'autorité et la prestance d'un
Bâtonnier chevronné. A la Cour, me disait ces jours-ci (car nous parlions
souvent de lui, bien qu'il nous eût quitté} le Bâtonnier Causette qui fut son
patron et son ami, lorsque pour la première fois, s'éleva cette voix
inoubliable qui révélait sa flamme et sa pureté, les Conseillers, ravis par cet
adolescent prestigieux, écoutèrent gravement ses débuts prometteurs. Car ils
étaient conquis par l'élégance du verbe et la pertinence de la logique. C'est
qu'il -plaidait avec la conviction d'une haute mission dont il savait
l'importance et parfois le danger et, par scrupule, comme par liberté, aucun de
ses plaidoyers ne lui parût ordinaire et chacun lui donnait le même trouble de
conscience, la même anxiété, en Justice de Paix comme devant la Cour d'Assises,
où la chaleur de son timbre faisait merveille. Quand il se levait dans le prétoire,
chaque geste, chaque attitude décelait son pouvoir. Et sa voix où frémit
toujours l'accent de la Bigarre s'affermissait vite, les mots s'ordonnaient au
gré de l'inspiration dans un équilibre élégant et harmonieux, C'était un
artiste de la parole et du droit qui n'oubliait pas cependant les exigences au
combat, car il croisait le fer comme un chevalier. Personne n'a mieux éprouvé l'émotion,
la noblesse et les vertus d'une procession, qui devait s'élever, selon lui, à
la hauteur du sacerdoce. Et lorsque, en 1950, il prononça devant les
avocats-stagiaires, à cette conférence où il était si assidu, l'éloge de
l'indépendance et du courage du Barreau, dans tous les siècles et sous tous les
régimes, lors, que déferlent les passions des hommes et les révolutions
populaires, les auditeurs, ses confrères subjugués par l'éclat d'une langue, où
parlait Bossuet, et par l'intrépidité de ses observations magistrales, manifestèrent
leur visible orgueil de voir porter notre toge par Pierre Labat. Ce jour-là,
dans une fresque historique, où il citait Berryer, Malesherbes et De Sèze,
après Démosthène et Cicéron, il se résumait admirablement, en se définissant
lui-même sans le savoir, dans une phase dont hélas sa mort donne tout le sens :
« l'avocat professe un métier, oui, mais par-delà la profession, il y a le
sacerdoce, la vocation. Il faut savoir se hisser jusqu'à ces hauts lieux où
souffle l'esprit, même s'il faut porter le témoignage du sang ». Dans ce regard
ardent qui était le reflet de l'âme, on sentait intensément chez Pierre Labat
cette soif de se hausser sur les cimes dangereuses, où la mission doit
s'accomplir, quel que soit le péril. Ses écrits témoignaient d'une vocation
innée de conducteur de la jeunesse, de chef de file de la jeune génération. Il
parcourait l'Europe d'un pas assuré, pour essayer de forger un maillon de
l'immense chaîne de solidarité, de sécurité et de paix que l'esprit chrétien,
résumant l'humanisme de l'Occident et sa mission, tresse avec courage dans l'époque
d'égoïsme et de fer de l'âge atomique. Labat dédiait ainsi l'un de ses premiers
livres : « A tous ceux qui, un soir de Juillet, entre Coblence et Mayence et
Trêves, crurent vraiment à l'espoir, tous ces scouts qui voyaient dans ce Rhin
ensanglanté par la férocité des hommes, le lien futur de deux civilisations.
Son message aura été celui de cette jeunesse, dont la foi intrépide balayera
bien les obstacles des vils intérêts et des passions absurdes. Comme il était
heureux de nous en entretenir avec l'enthousiasme conquérant de ses convictions
ferventes ! C'est le rêve de poête que Pierre Labat, poursuivi comme celui de
son oncle Jules Laforgue, mort, si je ne m'abuse à 27 ans, disciple de Verlaine
et de Mallarmé qui l'a conduit vers cette méditerranée, où tout est poésie,
douceur, couleur et espoir. Qu'il était fier de porter l'uniforme de Pierre
Loti, écrivain et marin comme lui, et de donner à notre flotte française
l'exemple sportif des descentes sous-marines, dans l'équipe célèbre du Commandant
Cousteau, qui était avec lui l'admirateur du « Merveilleux Royaume » sans cesse
prospecté, peut-être hélas en abdiquant toute prudence, sûr aussi que la mer
n'est que le miroir du Ciel et que la témérité ouvre les portes du grand
royaume, puisque, comme l'a écrit Labat — et c'est pour nous, ses amis, son
testament et sa leçon — « II faut savoir se hisser jusqu'à ces haut lieux où
souffle l'esprit ». Car pour lui, et malgré Henri de Régnier, le vrai sage
n'est pas celui qui fonde sur le sable, mais celui qui, selon Antoine de
Saint-Exupéry, son auteur préféré, tombé en plein ciel de gloire, espère et
croit. Cher ami, dans votre vie qui a la clarté des soirs d'été en méditerranée,
vous avez cru à l'éternité, je vous assure de l'éternité de notre souvenir
pieux. A votre famille, l'ordre des avocats, et tous les amis expriment leurs
condoléances, parce que notre cœur est
vraiment angoissé et parce que notre douleur à l'intensité qu'avait pour Labat
notre affection ».
« L’Eclair des Pyrénées ».
NB : Pierre Labat avait commencé sa carrière d’avocat, en
ouvrant à Tarbes son propre cabinet. On lui connait plusieurs plaidoiries aux Assises,
puis lassé de défendre « la veuve et l’orphelin ». Il entra au début
de l’année 1953, aux services du contentieux de l’Arsenal Tarbais, comme
juriste d’entreprise.
Pierre Labat repose au cimetière tarbais de
la Sède, sa sépulture, toujours fleurie, est aisément reconnaissable car elle
est ornée d’une croix potencée rouge à fleur de lys, symbole du Scoutisme.
Ci-dessus :
Discours de l’oraison funèbre prononcée par un Père Aumônier, lors
des obsèques de Pierre Labat.
XI - Parutions en librairie après la
disparition de Pierre Labat
En 1956, alors que Pierre Labat n’est plus,
parait outre-manche, aux éditions Odhams Press « The
Marvellous Kingdom ». Version
anglaise, traduite par Maurice Michael, du « Merveilleux
Royaume ».
Toutefois, si l’on y retrouve la préface, rédigée à l’origine par le
Commandant
Jacques-Yves Cousteau, cette version fut entièrement ré-illustrée par
de
nouveaux clichés et dotée d'une nouvelle couverture qui n'est pas de
Pierre Joubert. Par contre tous les instantannés qui figurent à
l'intérieur sont de Georges Ferney.
Puis au début de l’année 1961, le premier
roman Pierre Labat « Conrad » est réédité et retrouve les rayonnages
des librairies. Mais c’est une nouvelle version, entièrement ré-illustrée par
Pierre Joubert, qui est proposée aux
lecteurs. Ceux-ci pouvaient découvrir, en introduction, un court texte faisant
mention du père de Pierre Labat, ancien officier de l’Armée Française.
Puis quelques mois plus tard, toujours en
1961, ce sera au tour de « Deux Rubans Noirs », de reprendre le
chemin des librairies.
Nous ne pouvions pas évoquer Pierre Labat et
la collection Signe de Piste, sans mentionner Pierre-André Bernard, qui fut
l’un des Scouts Marins de sa troupe tarbaise et auquel il avait
transmit le goût de la littérature. En effet, quelques années après la
disparition de son ancien chef, Pierre-André Bernard fera son
entrée dans la collection Signe de Piste en publiant « Le Bachi » qui sortira en 1959, sous le n° 133. Dans cet
ouvrage, les lecteurs pouvaient
découvrir sur les pages de rabat de la jaquette comment était née l’idée de ce
récit. Et l’auteur dédia son premier roman à son chef de troupe « A la
mémoire de Pierre Labat qui fut mon chef et ami, et qui trouva la mort en nous
ouvrant la porte de son Merveilleux Royaume au fond des mers ».
Il nous faut également signaler que très
récemment, vient de reparaître sous sa forme initiale aux éditions Delahaye
dans la collection Signe de Piste, l’inoubliable roman de Pierre Labat « Le
Manteau Blanc ». Voilà donc une réédition qui vient à point nommé pour
célébrer, comme il se doit le soixantième anniversaire de la disparition
de l’auteur.
http://www.jeuxdepiste.com/lectures_pour_tous/lemanteaublanc.html
XII - Présentation et analyse de l’œuvre littéraire de Pierre
Labat
Pierre
Labat nous a laissé en héritage quatre romans, qui constituent, une œuvre
littéraire inoubliable et qui ont fait de lui l’un des plus grands auteurs de
la collection Signe de Piste.
1 - Présentation des ouvrages de Pierre Labat
Conrad : publié en 1949
Juste après la seconde guerre mondiale, les relations sont
tendues entre Français et Allemands, le ressentiment redoutable, et la paix
précaire. Ce roman, dont l’aventure est située en forêt noire placée sous
occupation française, met en scène une amitié entre scouts au-delà des
différences qui les séparent irrémédiablement. C’est un jeu de masques qui
tombent, une intrigue d’espionnage et de sociétés secrètes, opposant trois équipes
de scouts à un groupe d’Allemands nostalgiques du grand Reich. L’ennemi est-il
parmi eux…. ?
Le manteau blanc : publié en 1950, écrit en 1948 à
Baden Baden, préfacé par monseigneur Robert Picard de la Vaquerie, Aumonier –
inspecteur des troupes d’occupation en Allemagne et en Autriche.
1947 : La Terre Sainte est sous les bombes, le partage
du territoire suite au départ des anglais, donne lieu à de violents
affrontements. Le peuple juif qui a été victime de la shoah (6 millions de
morts dans les camps de concentration) revendique des terres en Palestine, et prive de leurs droits de
nombreux réfugiés arabes. Les lieux saints sont en péril, n’y aura-t-il donc
pas des âmes courageuses pour aller les défendre, comme 8 siècles plus tôt, les
croisés Chevaliers du Temple surent donner leur vie pour cet idéal ?
Deux rubans
noirs : publié en 1951.
L’intrigue est située à Berlin, ville allemande sous
occupation française, américaine, anglaise, lors du blocus imposé par les Soviétiques,
avec la mise en place d’un pont aérien par les alliés du bloc de l’Ouest. Un
avion s’écrase, les recherches sont lancées, y participent des Scouts de France
Raiders qui ont l’expérience des terrains difficiles. Iront – ils au bout de
leur engagement pour l’amitié ? Au prix de combien de sacrifices ?
Le merveilleux
royaume : publié
en 1953, préfacé par le capitaine de corvette Jacques Yves Cousteau
Les descriptions du monde sous-marin sont érudites, pour tout
dire on dirait du Cousteau, le rappel qu'il fait de l'aventure vécue avec ses
copains scouts est vertigineux, de la passion qui les animait, des risques
encourus, des systèmes de respiration qu'ils se sont inventés, par exemple au
moyen d'une bouillotte reliée à une pompe de scaphandrier et remplissant d'air
une caisse en bois. Mais en plus, il y a cette description d'une troupe raider
de Scouts Marins, spécialisés dans la plongée, avec leur force d'âme et la
puissance de leur foi, dans l'amitié au service de l'aventure, à une époque où les Scouts éclairaient tous
les champs du possible, ouvrant la France aux fameuses trente glorieuses. Serez
– vous de cette confrérie des pionniers de l’imaginaire ?
2 - Analyse de l’œuvre littéraire de Pierre Labat
LA GUERRE est un élément transversal de ses romans, même s’ils
s’adressent aux jeunes lecteurs. Notre auteur a été marqué par ses années de
lutte armée, il reçut la croix de guerre. On ressent de façon constante dans
ses écrits « ce sentiment très net d’être suspendu en équilibre instable entre
la mort et la vie » (P.148 in le merveilleux royaume), mut par une
émotion située entre « crainte et espoir » (P.134 ibid.), qui amène à se surpasser.
« Je
n’aime pas les sceptiques, les disponibles, j’aime tous les aventuriers du
monde, tous les réprouvés, tous ceux qui, une fois, regardèrent leur idéal en
face, qui en ont eu le regard brûlé, et qui maintenant foncent dans leur
éblouissement incapables de plus rien voir d’autre. » (In Deux rubans
noirs P.27). Etre scout c’est se sentir vivant !! Pierre Labat décrit
« des jeunes vieillis trop vite » (P.39) qui ressemblent à des
adolescents martyrisés (P.21), « impassibles devant la misère des autres »
(P.30) ; à qui il va opposer « les vainqueurs, la race des apôtres et
des héros » (ibid. P.23) à qui il suppose que le destin fournirait à
ceux qui le désirent l’occasion de montrer ce dont ils sont capables (P.24).
Les descriptions sont précises,
elles sentent d’autant plus l’authenticité qu’on les retrouve dans les propos
de ceux qui vécurent l’effondrement de la ligne Maginot par exemple. Les récits
de destruction de tourelles de fort par la Faust – patronne allemande me
faisaient encore trembler lorsque j’écoutais mon grand –père lorrain il y a 30
ans seulement. Ici dans Conrad, (P.19)
le chef scout « raconte des histoires de croquis panoramiques, puis bien
vite, observatoires, emplacement de mitrailleuses, canons antichars, parfois il
s’arrêtait les yeux dans le vague, caressant les cartes sans les voir ».
Ce
constat d’une jeunesse marquée par la guerre est dans les quatre livres, c’est
le creuset dans lequel l’auteur va puiser pour expliquer son idéal. Dans Deux
rubans noirs (P. 60), au sujet de l’héroïsme des scouts
raiders : « vous ne croyez plus à rien mais justement à cause de
cela vous vous sentez prêts à tout croire. De votre enfance, le monde a tout
pris, même les illusions, et c’est pourquoi votre adolescence donnera au monde
tout ce que le monde épuisé lui demandera. »
Il expose ainsi le programme que
nous allons suivre au fil des quatre aventures lorsqu’il évoque la nécessité de
s’imprégner de l’idéal chevaleresque des templiers : « Ressusciter le passé qu’à seule fin de
forger un présent plus aventureux encore ».
(In le Manteau blanc P.83)
Histoire de ne pas subir le poids des nouvelles venant de Palestine,
avec « les tirs intenses de mortiers et d’armes automatiques » (P.53)
en constant arrière –plan. « La
destruction de saint Jean d’Acre en 1291 par les Sarrazins se superposait au
bombardement de 1948. » (P. 61.)
SOIF DE NATURE (P.52 in Deux rubans noirs,) « Une
civilisation peut aussi mourir d’elle- même, d’une maladie, d’une
désintégration, d’un avilissement interne, faute d’un renouvellement, d’une
élite qui la soutienne, d’une jeunesse… c’est peut-être là la pire des morts
pour une civilisation. » A cette inquiétude héritée de la période de
guerre, Pierre Labat va opposer une vision optimiste, une soif de grands
espaces, de nature vierge loin de la saleté des villes.
Dans Conrad (P.21 et 25),
les scouts sont impatients de partir en weekend ski « la neige sera plus
blanche là-haut. Ils se regardèrent et se sourirent, heureux de se rencontrer
dans leur désir d’évasion et de propreté ». C’est dans Le merveilleux
royaume que s’exprime le mieux le
besoin de fuir ce qui se rattache à la guerre, en plongeant littéralement dans
l’océan naturel. Au passé s’oppose une envie d’innover, d’essayer de nouveaux
dispositifs (P.134), avec une fascination pour le progrès, le sentiment que
rien n’est impossible.
La beauté, la pureté de la mer
est l’espace de la passion commune (P.49), alors que l’eau du port est souillée
par l’huile de moteur des bateaux, les déchets en tous genres, la plage marquée
par les blockhaus (P.84), symboles de sang et de destruction, et la terre
synonyme d’ennui mortel, incarné par des jeux de pistes peu inspirés. (P.16) La
description de la flore et de la faune marine sont comme un avant-goût de ce
que seront celles de Cousteau dans ses documentaires.
Cette croyance en les bienfaits
de la nature était très en vogue après-guerre. Ainsi en ce qui concerne
l’architecture du Lycée climatique d’Argelès Gazost résolument ouverte, pour
accueillir les enfants tuberculeux qui avaient besoin du thermalisme.
La mer est comme une possibilité
de rédemption, « il faut disparaitre ou bien retrouver le chemin de la
découverte et de l’Aventure, en pointe, en éclaireur… » (P. 177), un lieu
de prise de risque. « A parler franc, j’ai peur que nous n’ayons un trop
vif penchant pour les samouraïs, les templiers, les torpilles humaines ou les
jeunes garçons de Lacédémone, essayant de gagner le prix du courage devant
l’autel de la gracieuse déesse Artémis ».
Pierre Labat avait PEUR DE LA MORT, il ne la
souhaitait pas du tout pour lui-même. « L’attraction du bleu du fond de
la mer est la plus forte » (P.98 in
Le merveilleux royaume), pourtant on est loin du film de Besson.
A huit reprises, l’auteur nous
met en garde contre les dangers de l’aventure, comme s’il avait trouvé l’objet
de sa passion, donnant sens à toute sa vie. Le risque de mourir est évoqué par
la narcose (P.135), la frousse (P.118) et (P. 143) « j’eus peur »,
une mise en garde (P. 234), les récits des accidents de plongée : de
Georges (P.55), de Claude (P. 116), du héros François (alias Pierre Labat) (P.
158), sauvé par le copain Alain qui va dépasser ses limites pour le ramener.
(P. 119) « Menacés des mêmes
risques, nous étions confiés les uns aux autres, responsables les uns des
autres, étroitement unis pour notre rêve et pour notre sauvegarde ». Un
goût du risque plus fort que les châtiments corporels (P. 53 -54), « parce
qu’il y a des choses qui échappent aux grandes personnes et qui leur échappent
totalement » (Conrad P. 104), ce qui frappe le lecteur, c’est
l’extrême liberté des jeunes eu égard aux prises de risque qu’ils effectuent,
avec l’exaltation de la confiance qu’ils peuvent avoir entre eux. Dans Deux
rubans noirs (P.99) nous est donnée la définition d’un chef de patrouille
raider « donner sa flotte quand ils ont soif et son cœur quand ils
n’en ont pas, porter la fatigue des faibles, éclairer ceux qui sont dans le
noir, espérer pour six, vouloir pour dix, et commander, oui parfaitement. Puis
le soir, quand tous se taisent, parler pour eux au Seigneur. »
Dans Conrad (P. 89)
« D’un bout à l’autre, en bon chef qui ne laisse rien au hasard, il avait
conduit le jeu à sa guise », et (P. 141) « René regarda les
cinq paires d’yeux, tous tournés vers lui, et il sut ce que c’est que d’être un
chef ». L’auteur insiste pour nous faire comprendre, à l’instar de ce
qu’avait affirmé Baden Powell, que les jeunes peuvent prendre des
responsabilités, et que ça ne dépend absolument pas du nombre de portables en
leur possession mais bien de leur capacité à se faire confiance et à faire
œuvre commune.
Dans Le Manteau blanc il
est fait deux fois référence au psaume Ecce quam bonum et quam jucundum
habitare fratres in unum (voyez comme il est bon, comme il est doux d’habiter
tous ensemble). (P.93) « Pourtant le soir, dans les stalles de la
chapelle, les différences disparaissaient et tous d’un même cœur, depuis le
commandeur de Paris, l’améthyste au doigt, jusqu’au plus humble des frères
servants encore tout crotté des humbles tâches quotidiennes, nous entonnions le
psaume ». Cette idée de communauté d’intention, qui se construit malgré le
risque et la peur, est magnifiquement illustrée dans le film des hommes et
des dieux et nous conduit à évoquer
l’amitié qui unit les héros dans les
livres de l’auteur.
L’AMITIE est un des thèmes
majeurs de l’œuvre, elle est liée au sacrifice ultime.
François (alias Conrad) et Pierre, Baudouin et Jean -marie, Etienne et Jacques,
François et Georges, sont les binômes sans lesquels aucune des quatre aventures
n’aurait pu être écrites.
Ainsi, dans Conrad (P.
119) Pierre prie pour son ami « Combattre quelqu’un et prier pour
lui ! Quelle chose étrange ! Mais aussi quelle joie s’il sauvait
l’âme de François. Etre apôtre c’était mieux que d’être détective ».
(P. 184) « Sans même se servir du glaive et par son seul
rayonnement, saint Georges avait vaincu le démon. La croix potencée avait fait
douter Conrad de la croix gammée. » (P. 201) « Toutes mes roueries
furent vaines à cause de votre franchise, toutes mes habiletés inutiles à cause
de votre simplicité. Etait-ce l’âme pure que Conrad avait couru « l’ultime
aventure » ? Il fut tout de suite rassuré. Il n’eut pour cela qu’à
relire la phrase : – puisse Dieu me laisser le temps de réparer
le mal que j’ai pu faire. Et Pierre sourit à travers ses larmes car il comprit,
au souvenir de son ami mort, que leur amitié était ressuscitée. »
L’amitié est totale, elle engage
les scouts à aller jusqu’au bout, comme dans Deux rubans noirs. (P.173)
« Il l’avait bien dit à Etienne – Ce jour-là j’ai pris conscience de mon
âme immortelle… Il en était sûr. Il ne s’était pas trompé…. Pourvu qu’Etienne
l’ait cru et n’oublie pas. Mais aujourd’hui la séparation n’est plus comme lors
du combat, passagère, accidentelle, fugitive. Elle se fait lente, sans retour,
totale, comme pour une éternité. Et pour Jacques plus rien, absolument plus
rien, n’a d’importance. Mon âme, mon Dieu. Toi et Moi. »
C’est Jean-Marie qui meurt dans Le
Manteau blanc (P.190), « Il semble au Sénéchal qu’il est déraciné par
la douleur, que le monde où il se trouve n’est plus le même, et qu’il sera
désormais étranger à ce monde irrémédiablement ». C’est la seule fois que
Pierre Labat écrit quelque chose de la pensée et de la tristesse du monde
adulte à l’occasion du décès d’un de ses personnages.
Quant à la victime sacrificielle
du merveilleux royaume, seul des quatre romans sans mort d’un
protagoniste, comme s’il en avait toujours eu l’intuition, c’est l’auteur lui –
même deux ans après la parution du livre en 1955.
LES SCOUTS DE FRANCE RAIDERS: de 1949 à 1957. Créés par Michel Menu, commissaire général
des Scouts de France.
Pierre Labat avait fondé une
troupe de scouts marins raiders, spécialisés dans la plongée sous-marine. Il
était animé par le désir de vivre toujours plus son idéal scout. Le mot raider,
« homme de raid », est d'origine anglaise comme scout. En 1951, s'appuyant
sur les « raiders », Michel Menu et son équipe lancent également la création
des patrouilles libres. On demande aux raiders de créer des patrouilles dans
des zones rurales, des banlieues isolées, là où l’existence d’une troupe semble
impossible. Ce fut là une vraie réussite (méconnue néanmoins), peut-être la
forme de « scoutisme missionnaire » la plus aboutie de toute l'histoire du
scoutisme français, sans doute due à l’excellence des spécialisations
techniques, acquises par ces scouts au service des populations civiles. Dans ce
mot, raider, il y a l'Esprit d'Aventure, c'est celui qui part sans
regarder en arrière et donne sans compter. Il y a l'Esprit de Pauvreté,
riche du silence des raids, le raider n'a pas besoin de biens matériels. Il y a
l'Esprit de Joie, une joie dans le Christ, acquise par la méditation, la
prière et les retraites. Il y a l'Esprit de Service. Chaque raider se
considère en mission, être un chef c'est se mettre au service des autres. A
l’exemple du Christ, qui "n’est pas venu pour être servi, mais pour servir
" (Matthieu 20, 28), le raider fait don de lui pour servir les autres.
L’insigne raider : une croix scoute entourée d'une bouée
portée par des ailes. La croix rappelle le Christ et la promesse scoute, la
bouée rappelle l'esprit de service spécifique au raider et les ailes montrent
que le raider doit voler au secours de ceux qui en ont besoin. « Les ailes
le portent, la croix le guide et le service l'attend ». Dans Deux
rubans noirs (P. 63) : « cet insigne vous oblige à tout
risquer pour secourir ceux qui souffrent et qui sont dans la détresse ».
Le béret vert : quand Michel Menu
a créé les raiders, il a voulu s'inspirer de tous les nouveaux aventuriers de
l'époque pour faire rêver les jeunes: les parachutistes, les commandos Kieffer,
les raiders de Wingate... C'est pourquoi il a choisi le béret vert en symbole
fort du goût de l'aventure. (Deux rubans noirs P. 59) :
« Raider type : athlétique, bon skieur, excellent nageur, et ceinture
verte de judo. Non pas seulement parce que très fort en technique, capable de
se servir d’une planchette et d’une alidade, ou de construire lui – même un
petit poste radio. Raider type avant tout par son esprit, avec une conscience
aigüe de la misère du monde. Tout jeune encore à Brest pendant la guerre, il
(Jacques) avait connu les bombardements, la mort, le sang et les ruines. »
« Les vieilles formules vous paraissent vides, les rites surannés et les
petits jeux puérils vous irritent dans une civilisation à l’agonie, où tous les
gestes devraient servir. » (P. 60 ibid.) « Vous voulez une âme qui
soit à la mesure de votre siècle périlleux » ? Alors bienvenue au
weekend :
L’Amitié pour
l’Aventure.
LA SPIRITUALITE DE PIERRE LABAT :
Le Manteau blanc P. 20 : « Chaque
jour voit se rétrécir le temple, c’est-à-dire la terre où Dieu habite parmi
nous ».
(P. 19) : « Sobriété,
simplicité, image de l’âme que nous devons nous construire, de notre temple
intérieur loin de toute futilité, de tout pharisianisme. (…) Ainsi notre esprit
doit se garder inaccessible, loin de toute vulgarité, et si nous devons aller
au pécheur, ce n’est point au pécheur de venir à nous ».
Le concile Vatican II n’interviendra qu’en
1965 pour ouvrir résolument l’Eglise au monde, les Scouts et Guides de France
feront le choix audacieux d’aller proposer l’Evangile à des jeunes qui n’y sont
pas forcément sensibles. Cette ouverture, par les camps plein vent des années
90, est un écho à ce qu’on trouve écrit par Pierre Labat en page
73 : « Il fut un temps où je combattais mon prochain si sa
religion n’était pas proche de la mienne, mais maintenant mon cœur tolère toute
forme » (citation de l’auteur du philosophe arabe Muhji- al- din- ibn –
arabi). (P. 86) : « Ce que nous proposons c’est redonner au monde
l’envie de voir régner la paix en terre sainte, et bien plus que de voir le
temple rebâti, ce que nous voulons par-dessus tout, c’est que chacun apporte
une pierre pour la reconstruction du Temple. » (P. 155) :
« Rappelez-vous notre signe secret (…) Nous étendons toujours les trois
doigts de la main droite, puisque nous sommes scouts, mais de notre petit doigt
nous recouvrons le pouce, afin de montrer que le petit nombre que nous sommes
doit protéger la multitude et agir sur elle. »
L‘auteur avait bien conscience des changements
qui s’annonçaient et dans le merveilleux royaume il exalte les
splendeurs de la création comme saint François d’Assise l’aurait fait (P.
16) : « Il faut suivre la vallée des spirographes. Justement ils sont
sortis, semblables à des palmiers magiques. Tronc brunâtre, la tige protectrice
qu’ils ont secrétée les fixe au rocher, tandis que leurs branchies ondulent au
sommet, comme un bouquet de longues feuilles mauves. Certains se cachent
brusquement à notre approche, cimier fragile éclipsé soudain à l’intérieur du
tube dont l’extrémité se referme, lèvres pincées sur leur secret. »
Et lors de la contemplation des
ébats du poulpe, il écrit non sans humour page 152 : « Au retour de
sa plongée, Georges mi-figue, mi-raisin cita les pères de l’Eglise : -
D’après saint Thomas, l’amour serait un appétit d’unité… ».
Les textes les plus
marquants de Pierre Labat
La prise de saint
Jean d’Acre : in « Le Manteau Blanc » : 1ère
partie – chapitre III « Lecture du manuscrit de Baudoin – quatrième
soirée ».
L’initiation des chevaliers du temple : in « Le
Manteau Blanc » : 1ère partie – chapitre III « Lecture du
manuscrit de Baudoin – sixième soirée ».
L’initiation des routiers Scouts de France : in « Le
Manteau Blanc » : 1ère partie – chapitre III « Lecture du
manuscrit de Baudoin – sixième soirée ».
« Déjà dans la nuit, résonnait le vieux chant :
C’est la Route des Paladins,
Route guerrière ;
Elle a vu la marche des Saints
Vers la lumière,
Et leurs pas sont encore empreints
Dans sa vieille poussière.
Si ton cœur parfois s’est ému
Pour de grands rêves,
Si tu veux les fières vertus
Qui nous soulèvent
Bien loin des sentiers rabattus…
Le
reste se perdit dans le silence retombé ».
(Extrait du « Manteau
Banc »)
Le testament de
l’auteur :
ET MAINTENANT, toi qui viens
de tourner le dernier feuillet de ce roman qui n'en est pas tout à fait un, toi
qui rêves sans doute, toi qui peut-être lais des projets, n'oublie pas.
La mer reste la Mer, et la mort reste la
Mort.
Pour tous ceux dont tu peux avoir la
responsabilité.
Pour toi aussi.
Le livre était fini quand nous
attendîmes en vain l'un d'entre nous. Il avait suffi d'une mer brusquement
réveillée, d'un retard de quelques secondes pour l'exécution d'une évolution,
d'une perte de contact dans l'eau troublée soudain, vers la fin de la patrouille,
à l'instant où les bouteilles presque vides limitent l'autonomie.
Nous replongeâmes avec le
sentiment que chaque seconde tuait. Puis le Chef regarda sa montre, se passa la
main sur le front et dit :
— Maintenant c'est fini. II ne
peut plus avoir d'air
La colonne de bulles s'était
tarie pour toujours.
Nous continuâmes à chercher sous
l'écran des brisants, à travers la brume vivante faite des particules en
suspension que les lames soulevaient.
Le soir, quand tout l'air des
bouteilles fut épuisé, nous nous arrêtâmes.
Je trouvais que le prix était
lourd, j'imaginais que peut-être toi aussi un jour, ayant à ton tour voulu
connaître le Merveilleux Royaume, tu dériverais doucement vers le fond, masque
arraché, poumons pleins d'eau et bras en croix.
Et je regrettais d'avoir écrit.
Puis, comme il restait quelques
minutes avant le dîner du soir, le Chef donna l'ordre à l'un d'entre nous de
prendre un masque léger et d'aller dans la crique, au pied du laboratoire,
vérifier le fonctionnement de la boîte caméra à surpression automatique. Et je
compris que tout continuait, que nous resterions fidèles à celui qui n'était
pas remonté, et que c'était très bien ainsi.
EN VÉRITÉ, CELA NE VAUT-IL PAS
QUE L'ON RISQUE SA VIE ?
D'un côté, quelques photos,
quelques mètres de film. De l'autre, de l'argent, du temps, des forces, et
surtout des cadavres de jeunes hommes qui jalonnent toujours les chemins des
entreprises désintéressées.
C'est l'Honneur et la Grandeur de
l'Homme, de tenter de telles expériences malgré le déséquilibre apparent de la
balance. Le jour où sur le point d'entreprendre une action, nous nous
demanderions chaque fois : « Est-ce que c'est rentable ? A quoi ça sert ? », ce
jour-là, tout notre sens social, tout notre esprit communautaire, toute notre
rationnelle organisation économique, n'empêcheraient pas notre civilisation de
n'être plus qu'une association d'animaux débrouillards, castors, fourmis,
termites à peine évolués.
Nous ne serions plus des Hommes,
nous aurions trahi. Le lendemain de la mort en plongée de notre compagnon, sur
la jetée du petit port, un groupe de badauds s'étonna que nous n'ayons point
pour autant cessé nos descentes sous la mer Ils ne comprenaient pas et cela les
troublait de ne pas comprendre. Un imperméable jeté sur mon uniforme, mêlé à la
foule, j'écoutais. Un vieux pêcheur leva les deux mains, et dit :
— Que voulez-vous ? C'est leur
idée...
Sur cette phrase qui consacrait
le mystère, bien plus qu'elle ne l'expliquait, ils se séparèrent. Et moi je
tournais dans ma tête la phrase du vieux pêcheur et je songeais à notre ami qui
avait risqué de mourir et qui était mort, « parce que c'était son idée ».
EN VÉRITÉ, CELA NE VAUT-IL PAS
QUE L'ON RISQUE SA VIE ?
Oui certes, même aujourd'hui,
surtout aujourd'hui, j'en suis sûr, et je voudrais, garçon, te faire goûter à
ma certitude. Sans conteste, la conquête mérite que tu te hasardes.
A la seule condition toutefois de
mettre le maximum de chances de ton côté, de mesurer avec une parcimonie
minutieuse la part du danger à laisser aux vagues, à la brume glauque, à la mer
pesante.
Car l'Aventure n'est pas la
mort mais dans le combat, et la mort même ne peut avoir un sens que si l'on a
tout fait pour la vaincre.
Je voudrais te parler comme à un
homme. J'ai renoncé à placer dans ce roman quelques scènes trop brutales,
certaines descriptions trop cruelles. Par égard pour toi d'abord, certainement
aussi parce qu'il est de multiples aventures vraies qui peuvent sans
inconvénient s'intégrer dans une intrigue romancée et d'autres au contraire
qu'il serait sacrilège de transposer car elles appartiennent à des morts, non
point des morts de roman tranquillement décédés au terme d'une agonie
littéraire, mais des morts véritables, tirés de l'eau après des heures de
recherche, livides et souillés de sable, et péniblement déshabillés de tout
leur attirail de caoutchouc et de métal oxydé.
C'est une drôle de chose,
sais-tu, de placer dans sa bouche l'embout d'un appareil en se disant que trois
jours avant, un autre est mort, cet embout coincé entre les dents. C'est pour
t'éviter pareille expérience que je te mets en garde.
Après tes premières plongées
réussies, tu t'imagineras tout posséder au centre d'un univers accueillant et
facile.
Méfie-toi toujours.
C'est au moment où tout semble
aller le mieux que l'incident te guette, un incident qui peut en quelques
secondes se transformer en accident...
N'oublie pas que tu es dans un
monde sinon hostile, tout au moins indifférent, de cette suprême indifférence
des choses, et qui peut t'asphyxier en quelques secondes, sans que même un
remous vienne troubler la surface.
Tout cela non pour te décourager,
mais pour te préparer.
Non pour te repousser, mais pour
te prémunir, non pour diminuer ton désir, mais pour l'augmenter
Avant de ceindre ton front de la
couronne du masque, de vêtir ton dos du pesant appareil qui va t'ouvrir les
portes du Merveilleux Royaume, selon la formule des anciens
Sacres, je te souhaiterai
volontiers « le courage du lion » peut-être, mais aussi la « prudence du
serpent »...
Et maintenant, un grand sourire
tout juste un peu forcé.
O. K. pouce en l'air !
Du fond du cœur, bonne plongée !
Pierre Labat : in
« Le Merveilleux Royaume » - pages 234 à 236.
Cette analyse de
l’œuvre littéraire de Pierre Labat à était rédigée par :
Jean-Mathias Sarda
Membre du personnel d’encadrement de l’actuelle troupe
Tarbaise des « SGDF de la 3ème Pierre Labat ».
(Le texte ci-dessus fut publié dans
« Mémoires du scoutisme tarbais – essais de chronique du scoutisme à
Tarbes de la libération à nos jours ». Ouvrage collectif réalisé en 2012 à
l’occasion du 30ème anniversaire du groupe).
Ci-dessus :
L’insigne créé en 2012, à
l’occasion du 30ème anniversaire du groupe SGDG de la 3ème
Pierre Labat de Tarbes
XIII - Qui étiez-vous Pierre Labat ?
Comme l’avait si justement fait
remarquer Gérard Loridon lorsqu’il évoqua son ami plongeur dans son
ouvrage « Des Pionniers
subaquatiques oubliés… », jusqu’ici, il était très difficile de trouver
une fiche biographique exhaustive concernant Pierre Labat. Alors pour y remédier,
et avec l’accord de l’Amicale des Nageurs de Combat. Nous publions ce texte
biographie, issu de la plume de son secrétaire, ce dernier nous retrace en
détails, et avec brio, le parcours peu banal de Pierre Labat.
C.F.
Ci-dessus :
Pierre Labat vu par Igor Arnstam pour
« La Fusée »
Pierre Labat est né en 31 mai 1926 à Tarbes dans les
Hautes-Pyrénées, il est fils de Paul Labat, (1) officier supérieur de l’armée d’occupation en Allemagne. Orphelin
par sa mère (2) qu’il perdit très
jeune, Pierre est également neveu du
poète Jules Laforgue. Brillant élève, du lycée Théophile Gautier de Tarbes, il
prépare Polytechnique depuis deux ans quand les Alliés débarquent en France. Le
20 août 1944. Comme de nombreux jeunes, Pierre refusera d’aller au S.T.O. et
s'engage, pour la durée de la guerre, dans le Corps Franc Pommiès (Corps franc
pyrénéen fondé en novembre 1942 par André Pommiès, capitaine d'infanterie et
grand spécialiste du contre-espionnage. Ce groupe opère dans la région
Sud-ouest, en 1944, les effectifs s'élèvent à près de 9 000 hommes).
Après avoir traversé la France, Pierre Labat et ses camarades du
Corps Franc sont intégrés dans le dispositif de la 1ère Armée du général de Lattre
de Tassigny. Devenus soldats de l'armée régulière au sein du 49ème régiment
d'infanterie (Premier Régiment français à occuper Berlin où par ailleurs, il défile
le 8 mai 1945 avec les forces alliées). Fin 1944, ils sont reversés à la 3eme
division d'Infanterie Algérienne (La 3ème DIA, avec 4 citations à l'ordre de l'armée
entre 1943 et 1945, est la division française la plus décorée de la seconde guerre
mondiale). Pierre, observateur d'une section de mortiers, va participer aux
opérations de la campagne des Vosges puis, à celle d'Alsace, la garde du Rhin,
le franchissement du Rhin à Spire et la marche sur Stuttgart. Il reçoit la
Croix de Guerre avec étoile de bronze pour ses qualités de courage. Suite à une
gelure des pieds survenue durant la campagne d'Alsace il est déclaré inapte au
service dans l'infanterie. Le 16 avril 1945, il rejoint le 24ème Régiment
d'Artillerie Divisionnaire. Reconstitué en Avril 1945 comme régiment
d'Artillerie, il est employé sur la frontière franco-italienne puis transféré
dans le pays de Bade dans le sud de l'Allemagne en Octobre 1945. Le glorieux étendard
du régiment dissout se trouve dorénavant sous la garde du 35ème Régiment d'Artillerie
Parachutiste de Tarbes au Quartier Soult. (Coïncidence, la famille Labat est
originaire de la ville de Tarbes, rue Soult). Nommé brigadier-chef le 1er
juillet 1945, il rallie l'école des cadres du centre d'instruction de
l'artillerie de Nîmes, puis en septembre, il rejoint Bordeaux pour suivre les
cours du Centre de Préparation à l'Ecole Navale (CPEN). En juillet 1946, Pierre
est au quartier général des Troupes d'Occupation en Allemagne (TOA) à Baden-Baden.
Le 10 août 1949, à la suite d'une réorganisation administrative de la zone
française d'occupation, les Troupes d'Occupation en Allemagne, créées dès la
capitulation de 1945, cessent d'exister. Elles prennent le nom de Forces
Françaises en Allemagne (FFA), et pour la Marine, Force Maritime du Rhin en Allemagne
de l'Ouest jusqu'en 1993.
Le 30 juillet 1946, Pierre Labat est démobilisé. Il change d'orientation
et embrasse la carrière d'avocat (Je cite « il étonna ses confrères et même les
vieux magistrats par l'étendue de ses connaissances juridiques, la richesse de
sa culture générale et ses dons d'orateur »), tout en préparant un brevet de
pilote.
Ci-dessus :
En
1947 à Baden-Baden, Pierre Labat (au centre) présente les jeunes membres de sa
troupe scoute au Général François Sevez
(1891-1948) Commandant Supérieur des troupes Françaises d’occupation en
Allemagne.
Très fortement impliqué dans le scoutisme, il crée à Baden-Baden
en 1947, un ordre de chevalerie scout (3)
longuement évoqué dans son roman "le manteau blanc". Passionné de
plongée il fonde en 1952 une unité de scouts marin qui fut « le premier
groupe de plongée sous-marine des Scouts de France ». Ecrivain de renom,
romancier de la collection « Signe de Piste » dans les années 50, Pierre
publie plusieurs romans dédiés scoutisme et à la plongée, avec entre autres,
"Conrad" en 1949. D'autre part, il est un excellent dessinateur.
Dans les camps d'été au fort de Saint-Elme à Saint-Mandrier organisés
avec le concours de la Marine, il conçoit avec sa troupe, des scaphandres ou des
appareils respiratoires, à bouteilles ou à narguilé, au moyen de masques à gaz,
de bouillotes et de matériel de récupération. La troupe qui passe du stade
artisanal à une activité plus « professionnelle » bénéficie de l'aide
technique du clan Sommer et de son chef André Galerne (4) (André aujourd'hui décédé est le pionnier de la plongée civile
professionnelle et président d'honneur l'association « Scaph 50 ». Avec son
ancien groupe de jeunes résistants, il crée, une coopérative spécialisée dans
travaux sous-marins «SGTMF» qui deviendra la célèbre « SOGETRAM » en 1952,
la première société française de travaux sous-marins professionnels).
Dès la fin 1952, Pierre Labat participe avec son ami Galerne, aux
premières expéditions de Cousteau à bord de «La Calypso». Pierre reste quelques
mois aux côtés du Commandant Cousteau, au tout début
de la plongée en scaphandre autonome. Il plonge notamment sur l'épave du « Grand-Congloué
» à Marseille où son camarade l'ex-commando plongeur Jean Servant!, un ancien
du cours expérimental d'Arzew a trouvé la mort. En 1953, Pierre publie un
ouvrage relatant ses plongées avec Cousteau : « Merveilleux Royaume ». Cet
ouvrage sera adapté dans un film réalisé par Georges Ferney, et tourné à bord
de « La Calypso », c'est le premier film sous-marin issu d’une fiction.
Quartier-maître de 2ème classe de spécialité Equipage, immatriculé
3415T44, Pierre est reversé dans la Réserve de l'Armée de Mer (la Marine
Nationale aujourd'hui) à compter du 19 mars 1953. Après trois longues périodes
de réserves au Corps Amphibie de la Marine (CAM), Pierre est admis à suivre le
7ème Cours de Nageur de Combat de début 1955, dirigé alors par Guy Cluzel NC N°
31 et Rémy Fouchaux NC N° 9, maître des cours. Il est breveté NC n° 91 le 9 mai
1955.
Bricoleur passionné, inventeur de la bombe collante (la première
charge NC), Pierre rêve de mettre au point, bien avant l'oxygers, un nouvel
appareil respiratoire à oxygène pur et à circuit fermé, à partir d'une
bouillote et d'une bouteille de « Davis ».
Ci-dessus :
Pierre Labat vêtu en nageur de
combat, avec en main sa fameuse bombe collante.
Le 7 août 1955, il effectue sa dernière période de réserve et
bientôt sa dernière plongée. Pierre Labat décède le 16 août 1955 au cours d'une
plongée profonde d'entraînement du commando Hubert sur « l’Arroyo »
le long du site des deux frères près de Toulon.
Signe prémonitoire il a écrit en épilogue de son livre dédié à la
plongée « En vérité toute conquête veut qu'on la paye, chaque plongée est un
acte de foi, cela ne vaut-il pas que l'on risque sa vie » il parlait bien sûr
de la plongée.
A ce jour, une plaque commémorative est toujours scellée sur le
rocher nord des deux frères. Le 7ème groupe de scouts marins des Scouts
d’Europe de Strasbourg et le 3ème groupe des Scouts et Guides de France de
Tarbes portent le nom de Pierre Labat.
Hommage écrit par le Commandant Cousteau: «Labat est un de ces
hommes qui ont à remplir la plus belle des missions celle d'éblouir la jeunesse
en l'entraînant à la conquête des splendeurs de la nature, de lui dévoiler les
joies profondes de l'effort et même du risque gratuit, car le bonheur et tout
simplement l'équilibre de l'âme ne sauraient se satisfaire de la seule lutte
pour une vie décente. Les héros tombés sur les flancs de l'Everest ou mutilés
par l'Annapurna, les Fargues ou Servent ! morts en plongée profonde, sont
l'expression même d'une civilisation qui exige bien plus que le pain de chaque
jour ».
Si au hasard d'une promenade en bateau le courant vous porte
jusqu'aux « Deux Frères », au large du Cap Sicié, vous pourrez apercevoir sur
le rocher Nord, une plaque commémorative au nom de Pierre Labat. C'est là qu'il
a perdu la vie, au cours d'une plongée profonde au commando Hubert.
Denis Gorce et Alain
Brecqueville
de l’Amicale des Nageurs de Combat
1 : Paul Labat fut vraisemblablement démobilisé en même temps que son fils
unique Pierre. Et ils regagnèrent tout deux leur bonne ville de Tarbes. Puis à
l’automne 1949, Paul quitte la maison familiale de Tarbes, pour aller
s’installer dans une petite localité voisine nommée Momère, où il vécut jusqu’à
sa disparition au tout début des années 80. C’est sans doute ce qui,
chez certains crée parfois la confusion, qui pensent que son fils Pierre Labat
serait né à Momère.
2 : Madame Labat, la mère de Pierre, née Gabrielle Durand, fut la première
épouse de son père. Elle est disparue alors que son jeune fils n’était encore
qu’un enfant. Ce sera sa grand-mère maternelle qui élèvera le jeune Pierre.
3 : Hormis cet ordre de chevalerie scout, signalons qu’en mai 1953, Pierre
Labat sera fait par S.A.R. le Prince Xavier de Bourbon Parme, « Chevalier
de l’Ordre Equestre du Saint Sépulcre de Jérusalem ».
4 : Aux vues des nombreux échanges épistolaires Labat/Ferney, et d’après
nos renseignements, ce serait André Galerne qui présenta Pierre Labat, au
Commandant Jacques-Yves Cousteau.
NB : Rédactionnel paru en
janvier 2014, dans la revue de l’Amicale des Nageurs de Combat intitulée
« Haute Protection ».
La plaque scellée sur le rocher des
« Deux Frères »
Pierre Labat, comme tant d’autres, fait aujourd’hui partie des
pionniers mais aussi des martyrs de la plongée sous-marine.
Et pour que les générations futures n’oublient pas ceux qui sont
morts pour avoir trop aimé le merveilleux royaume sous la mer, on peut
apercevoir au large du cap Sicié, sur la face nord du rocher des « Deux
Frères », une plaque commémorative qui rappelle qu’à cet endroit, le 16
août 1955, Pierre Labat perdit la vie, au cours d’une plongée sous-marine
particulièrement hardie.
XIV - Les témoignages de ses amis et anciens
Scouts de sa troupe
Ci-dessus : Pierre Labat
NB : Sur ce cliché
pris à Baden-Baden avant son retour à Tarbes, on distingue au ceinturon que
porte Pierre Labat un passant représentant une Croix de Malte tel qu’évoqué et
décrit dans son roman « Le Manteau Blanc » pages 147.
On remarquera parmi les
témoignages qui suivent que Pierre Labat
a transmis à certains membres de sa troupe son amour de la mer et sa passion
des fonds marins. Certains d’entre eux deviendront moniteurs de plongée sous-marine, navigateurs,
officiers de marine ou explorateurs des grandes profondeurs en bathyscaphe.
Ci-dessous : Extrait
d’un message que nous avons reçu, expédié par un ancien membre de la troupe de
Pierre Labat :
« Je me suis longuement
entretenu au téléphone avec Philippe de Guillebon qui a connu Pierre de 1946 à
1949 puis en 1951 et pour une plongée au Grand Congloué en 1953.
Il m'a parlé d'un camp au château de Castelnau à Beynac
auquel il a participé avec les frères Nouvel, Jean et Maurice, qui devraient
être une mine de renseignements puisque leur sœur était fiancée avec
Pierre... L'ordre de " Notre Dame du Temple" fondé par Pierre. Il
possède les livres de Pierre dédicacés, Philippe étant sans doute le héros du
« Manteau Blanc » !
Voilà donc, en vrac, quelques souvenirs de Philippe. Il m'a cité des
noms comme : Amaury de Rességuier, Yves Thollot, Michel Arbogast, Jean-François
Cohade, Jean Knobel… »
Témoignage de M. Philippe de
Guillebon, ancien C.P. de la patrouille des Chamois de la 3ème Tarbes.
Nous avons recueilli
le témoignage de Philippe de Guillebon,
qui fut l’un des compagnons Scout de Pierre Labat dans sa troupe de
Scouts Marins de Tarbes en 1949.
Nous vous livrons
ci-dessous ses souvenirs ainsi que la vision personnelle qu’il avait de son
chef :
—
Pierre
Labat était un chef un peu sévère mais c’était très exaltant car il nous
proposait toujours des aventures à la limite de nos possibilités. Il nous
faisait entièrement confiance et savait que nous saurions nous débrouiller et
trouver les solutions aux problèmes que nous pourrions rencontrer. Il nous avait
formés pour cela. C’était très
motivant.
—
J’ai
quitté la troupe à la fin de 1949 pour aller vivre au Mans (Sarthe) où j’ai rejoint
la 7ème qui était une troupe marine, mais en 1951, je suis revenu à
Tarbes participer au camp d’été avec Pierre et Jean-Noël Nouvel comme
assistant, c’était toujours sympathique de retrouver tous les copains.
Parlait-il de ses romans ?
—
Pierre
était un conteur né, c’était un plaisir de l’écouter. Lors des veillées il nous lisait les
dernières pages qu’il avait écrites comme celles du « Manteau Blanc »
dont l’histoire prenait corps au fur et à mesure que nous vivions l’aventure en
direct durant nos grands jeux.
—
C’était un
type tout à fait hors du commun. Non seulement nous sentions les histoires qui
ont servi de bases à ses romans mais bien souvent nous les avions vécues. C’est
vrai pour « Conrad » comme pour « Le Manteau Blanc » ainsi
que pour mes camarades qui, par la suite ont participé aux camps de plongée
sous-marine au large de Toulon et dont Pierre s’est inspiré pour rédiger
« Le Merveilleux Royaume »
Ci-dessus :
A gauche : Philippe de
Guillebon, à Beynac sur les bords de la Dordogne. On distingue sur ce cliché qu’il
porte lui aussi à son ceinturon, le passant de l’ordre de chevalerie, fondé par
son chef de troupe.
A droite : la
dédicace rédigée à attention de Philippe de Guillebon par Pierre Labat, sur la
page de grade du roman « Le Manteau Blanc », où il l’assimile à
Baudoin, le héros de son roman.
L’avez-vous connu
adolescent ? Quel genre de garçon était-il ?
—
Hélas, je
ne connais personne qui l’ait connu dans son adolescence, mais son caractère
était plutôt rêveur et romantique, entraîneur sans nul doute. Il avait une
grande part de romantisme puisqu’il rêvait que la jeunesse puisse délivrer les
Lieux Saints.
—
En ce qui concerne la période
« allemande » de Pierre, c’est-à-dire celle des années 45 à 48,
lorsqu’il vivait Outre-Rhin et qu’il faisait partie des troupes d’occupation,
il est à peu près certain que plusieurs jeunes scouts de sa troupe l’ont
inspiré pour créer les personnages de son roman « Conrad ». Lorsque Pierre évoque « Michou »,
il est fort probable que celui-ci soit calqué sur mon ami Michel, lui aussi
fils d’officier de l’armée d’occupation, qui fit partie de la troupe que Pierre
dirigeait à Baden-Baden. Bien entendu Michel, alias « Michou »,
serait certainement l’un des rares à pouvoir parler de Pierre à cette époque.
Souvenez-vous Georges Ferney, a écrit en 1955 dans « La Fusée – n°
3 », que les romans de Pierre Labat n’étaient pas que des fictions, en
voici un témoignage.
http://www.signe-de-piste.com/PBCPPlayer.asp?ID=988197
De gauche à droite :
Michel Arbogast, qui inspira à Pierre Labat le personnage de Michou dans
« Conrad ». Jean-Noël Nouvel, qui lui sera le Jacques de « Deux
Rubans Noirs ». Pierre Labat, chef de troupe de la 3ème Tarbes.
Abbé d’Argouge, aumônier de la 3ème Tarbes, et Philippe de
Guillebon, qui inspira à Pierre Labat, son jeune héros pour la rédaction de son
roman « le Manteau Blanc ».
Parlez-nous de son
aventure avec Cousteau ?
—
Pierre a
plongé plusieurs fois avec l’équipe du Commandant Cousteau, notamment en
1953, lors des fouilles
sous-marines d’une épave datant de la Grèce antique, échouée au large de
Marseille.
—
Je suis
allé sur l’île du grand Congloué en compagnie de Pierre et de quelques-uns de
mes camarades de la troupe durant les congés scolaires de Pâques 1953. Nous y
sommes restés une quinzaine de jours pour effectuer avec l’équipe du Commandant
Cousteau des fouilles sous-marines par 40 mètres de profondeur. Evidemment de nos jours, il existe des clubs
de plongée un peu partout, mais à l’époque il n’était pas possible de se
procurer des bouteilles dans le commerce, seule la Marine Nationale et Cousteau
en possédaient. Ce qui est certain c’est que, grâce à Pierre et à cette
expérience, j’ai eu la passion de la mer
et de ses profondeurs, que je n’ai
jamais cessé d’explorer ensuite.
Ci-dessus :
Grâce au Commandant Jacques-Yves
Cousteau et à Pierre Labat, le jeune scout marin et plongeur, Philippe de
Guillebon, passe ses vacances de Pâques 1953 sur l’îlot du grand Congloué, en
compagnie de certains membres de l’équipe de « La Calypso ». Comme Jacques
Ertaud, dit « Jacky », Raymond Kientzy, dit « Canoé », Henri
Goiran dit « Rikey »… Et comme nous le montre ce cliché, le dimanche
05 avril (jour de Pâques) de cette année-là, ils sont vêtus tel qu’on l’était,
il y a plusieurs millénaires, dans la Grèce antique, et tous festoient, dans de
la vaisselle grecque, vieille de plus de deux mille ans. Tout de même… quel
souvenir inoubliable !
—
Dans la
troupe de Pierre, Jean Nouvel et moi étions chefs de patrouille, lui CP des
Ecureuils et moi celui des Chamois. Bien que concurrents, nous nous entendions
très bien. Yves Thollot *, qui était
mon second de patrouille, est devenu officier de Marine et a fini sa carrière,
je crois, au grade de Capitaine de vaisseau.
(*La mémoire joue parfois des tours,
rectification d’Yves Thollot après avoir lu cet entretien : … ma carrière s’est déroulée essentiellement dans l’Armée de terre (dans
l’Artillerie de montagne) et non dans la Marin, et terminée avec le grade de
Colonel et non de Capitaine de vaisseau, avant de quitter l’Armée et de prendre
une situation dans le civil ! )
Pierre Labat était
passionné par les Chevaliers du Temple. Etait-il membre d’un ordre de
chevalerie ?
—
Pierre
avait créé un ordre de chevalerie qui avait pour nom « Notre Dame du
Temple » dont il était le grand Maître,
mais il était aussi en contact avec des membres de l’Ordre de Malte. Je
me souviens qu’il a évoqué cela en nous disant un jour qu’il avait, par le
passé, écrit à certains membres de l’Ordre, car une personnalité venait d’être
assassinée quelques temps auparavant (le Comte Bernadotte). Il me semble qu’il ait même envisagé de
publier certains de ses échanges épistolaires dans son romain « Le Manteau
Blanc ».
Avez-vous partagé avec lui quelques-unes de
ses autres passions ?
Personnellement, j’ai connu l’orateur car j’ai eu la chance
d’assister, au palais de justice, à quelques-unes de ses plaidoiries pour des
affaires mineures, mais il lui arrivait aussi de plaider aux Assises.
Je me demande comment il arrivait à mener tout
ça à bien et trouver le temps nécessaire pour écrire des livres, organiser les
sorties le week-end ou durant les vacances scolaires et réussir à mener sa
carrière d’avocat ?
Quant à la
plongée sous-marine, que beaucoup de gens pratiquent de nos jours, ils
n’étaient que quelques-uns à cette époque. C’était assurément des pionniers.
Saviez-vous que Pierre Labat avait un talent de dessinateur et qu’il
avait réalisé quelques illustrations pour accompagner ses manuscrits ?
—
Oui, je me souviens que Pierre dessinait, il avait
réalisé dans notre local scout plusieurs grandes fresques. C’était un véritable
touche à tout de talent.
Avez-vous quelques souvenirs de l’un de ses amis Paul Pergola ?
—
Oui bien
sûr, Paul Pergola était un officier du 35ème Régiment d’Artillerie
Légère, des parachutistes, basés à Tarbes et c’était aussi l’un de nos chefs
scouts. C’est d’ailleurs lui qui m’a enseigné le morse, nous habitions à 3 km
l’un de l’autre, et le soir, depuis la fenêtre de nos chambres (lui à la
caserne) nous passions nos soirées à nous envoyer des messages en morse à
l’aide d’une pile électrique.
Le père de Paul Pergola
était musicien ?
—
Oui, en
effet, je m’en souviens très bien car un jour avec mon camarade Yves Thollot,
nous sommes « montés » à Paris accompagnés de Paul Pergola, et nous
nous sommes rendus à l’église St-Germain l’Auxerrois où il avait organisé un
concert au cours duquel son père, organiste, devait jouer en particulier un
morceau de Jean-Sébastien Bach. Ce fût aussi pour mon camarade et moi
l’occasion de faire connaissance de toute la famille de notre ami Paul Pergola.
Quelques années plus tard il devait mourir au champ d’honneur, victime d’une
embuscade, aux premières heures du conflit franco-algérien.
—
A la
troupe, nous l’aimions tous beaucoup, c’était quelqu’un de très attentionné.
Par exemple, lorsqu’avait lieu nos fêtes de groupes et qu’à cette occasion nous
présentions des petits spectacles, Paul Pergola invitait toujours des troupes
des Guides ou Jeannettes des environs et pour chacune d’elles, il prévoyait un
petit bouquet de fleurs remis par un jeune scout.
Saviez-vous que
c’était le père de Paul Pergola qui interprète à l’orgue la musique du film
« Le Merveilleux Royaume » ?
—
Non je ne
le savais pas, mais cela me semble normal car ce film, dont j’ai beaucoup
entendu parler, fut réalisé avec « les moyens du bord ». Il est
évident que les amis et connaissances ont apporté leurs contributions et leurs
compétences à sa réalisation.
Savez-vous comment il
a connu les Editions Signe de Piste ?
—
Je ne
saurai pas vous dire comment, mais peu de temps après le retour de Pierre à
Tarbes et son arrivée à la troupe, son premier roman « Conrad » a été
publié. Si mes souvenirs sont exacts, c’était au printemps 1949, puis très vite
il rédigea « Le Manteau Blanc » dans lequel il a retranscrit
quelques-uns de ses courriers avec des membres de l’Ordre de Malte.
—
Je pense
qu’il aurait aimé nous faire faire, à nous les jeunes, un pèlerinage en Terre
Sainte, dont il parlait un peu comme une sorte de croisade de la jeunesse.
C’était assez irréaliste mais très romanesque, d’ailleurs beaucoup de nos
grands jeux allaient dans ce sens, ce qui n’était pas fait pour nous déplaire,
bien au contraire.
—
Et je me
réjouis de voir qu’aujourd’hui, un hommage lui est rendu et que l’un des
romans de Pierre soit réédité. Car Il demeure pour moi un ami, mais pas
n’importe lequel, puisqu’il fut celui qui m’a transmis très jeune, le gout de
la mer et de ces explorations sous-marines.
Pour en savoir plus sur Philippe de Guillebon et ses
explorations sous-marines :
http://vimeo.com/33282572
http://mediathequedelamer.com/wp-content/uploads/biographie-philippe-de-guillebon_mediatheque-de-la-cite-de-la-mer.pdf
Les souvenirs de M.
Julien Bertrand ancien membre de la 3ème Tarbes.
« J'étais scout à la
3ème Tarbes, troupe dirigée par Pierre Labat qui était un
grand ami comme pour beaucoup de mes
co-équipiers. Un meneur d'hommes
qui faisait confiance aux adolescents enthousiastes mais il était adepte de la
démocratie participative, comme on dirait maintenant. J'ai bien connu Marc
Henry (1).
C'était un grand technicien, très ingénieux, un véritable ingénieur en herbe.
Un fana de la plongée sous-marine. Il avait des discussions très pointues avec
Pierre sur les différents appareils de plongée.
Ci-dessus :
Le jeune Marc Henry remontant des profondeurs du merveilleux
royaume sous la mer.
Sur l'histoire personnelle de
Pierre et en particulier sur son adolescence et son engagement militaire je
n'ai pas le moindre renseignement. Il était orphelin de mère mais je n'ai pas
connaissance des conditions du décès de sa maman. Deux scouts et amis qui
pourraient le mieux vous renseigner sont Jean Nouvel et Jean-Claude Vidallon.
Jean Nouvel a quitté la troupe quand j'y rentrais, il a peu connu l'épopée
sous-marine, mais a fait les camps de Dordogne.
Jean-Claude Vidallon était le
second et a souvent plongé avec Pierre et en particulier lors de la plongée
fatidique en 1955. Le père, Paul Labat, ancien militaire, aurait dit après la
mort de Pierre, que les scouts lui avaient pris son fils.
Philippe de Guillebon est à
contacter.
Sur ses exploits militaires il
était très discret et ne parlait ni d'histoire, ni de politique. Il était
Gaulliste ce qui était la moindre des choses à l'époque pour un ancien
résistant. Il me semble qu'il faisait partie du service d'ordre du mouvement
gaulliste; il était pompier volontaire car il aimait la notion de service.
Sur ses activités littéraires je
n'ai pas le moindre tuyau.
Ci-dessous :
En 1950, la presse locale ne manque
pas d’ouvrir ses colonnes pour relater les exploits des jeunes Scouts tarbais
de la troupe de Pierre Labat, qui participe avec les pompiers volontaires de la
ville, aux missions de sauvetage et aux entrainements.
Extrait de l’article
ci-dessus :
« … Les Scouts de France, dirigés par le
brillant avocat qu’est Me Pierre Labat, participent à ces démonstrations pour
acquérir les notions indispensables qui leur permettront d’obtenir le
« badge » de pompier. Au cours du dernier incendie, qui éclata à
l’arsenal, ces scouts passèrent à la pratique avec un zèle et un courage qui
força l’admiration de tous. Et le tout jeune « coccinelle ne fut pas le
moins ardent à la besogne! »
En ce qui concerne la plongée je
ne connais pas les circonstances de sa rencontre avec Cousteau et Jean-Claude
Villadon doit pouvoir vous renseigner ; Nous plongions dans les grottes du
Piémont pyrénéen et cette spéléo sous-marine m'excitait mais me faisait très
peur. Certains étaient plus courageux.
Lors du congrès des rayons cosmiques en 1954 Pierre a essayé de franchir le
siphon de la grotte de Médous près de Bagnères-de-Bigorre en compagnie de
Georges Ledormeur (1867-1952) et de savants anglais astronomes. Nous étions
dans les nuages et même au-delà des nuages, dans la stratosphère des émotions.
Bien sûr nous sommes allés au-delà de I'espace ouvert au public dans des boyaux
impossibles. Mais tout était possible à qui osait entreprendre. J'ai pu apprécier
la décontraction des savants anglais qui plaisantaient faisant une escapade
après leurs journées de calculs à l'observatoire du « Pic du Midi ».
Puis survint le siphon, et Pierre disparut à la recherche du passage
mystérieux.
Je suis allé avec d'autres scouts
sur la Calypso et nous avons plongé sur une épave romaine au pied de l'île du
Grand Congloué au large de Marseille. Trois camps à Toulon ont fait mon bonheur
avec plongée sur l'arroyo où Pierre devait avoir son accident deux ans plus tard. Comme chef, Pierre était
entraînant et non directif car il faisait confiance. En dehors du sport il nous
donnait une culture générale (Saint Ex), il ouvrait aux jeunes leur étendue
intérieure, leur autonomie, et le royaume de la technique Non seulement un bon chef
mais un grand bonhomme. Un vrai humaniste ».
Julien BERTRAND
Ancien de la troisième
Tarbes.
Pour en savoir
plus :
Sur Georges
Ledormeur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Ledormeur
Sur la
grotte de Médous : http://fr.wikipedia.org/wiki/Grottes_de_M%C3%A9dous
1 - Marc
Henry fut l’un des Scouts de la troupe de Pierre Labat et fut,
lui aussi, très proche de son chef de troupe. En effet, il figure sur nombre de
clichés retraçant les différentes, aventures de la 3ème Tarbes,
qu’elle soit raider puis scout marin. On trouve Marc Henry dès 1949, au camp de
Beynac, puis quelques années plus tard il est l’un des jeunes acteurs
du « Merveilleux Royaume ». Signalons qu’à l’âgé de 14 ans, Marc
Henry fut le signataire d’un rédactionnel publié dans « Scout » sur
la plongée sous-marine. Cet article
qu’il signa « Marc Henry – S.P.
(second de patrouille) du Chamois, 14 ans – 3ème Tarbes
Raider ». S’intitule : « Il est un monde étrange », il est paru
dans le n° 272 du 5 mai 1952. Nous l’avons intégré dans le texte plus haut, en
mémoire de jeune Scout.
Les souvenirs de M.
Jean-Claude Vidallon ancien membre de la 3ème Tarbes.
« Je viens vers vous de la part de Julien Bertrand qui m'a
conseillé de le faire. Il s'agit bien sûr de ce qui touche à Pierre Labat et
Georges Ferney.
Soyez remercié de ce que vous faites pour rassembler les
souvenirs et les documents relatifs à cette petite « épopée ». Le
film de Georges Ferney m'intéresse
beaucoup car j'y étais acteur comme nous tous et aussi parce que c'était une
performance remarquable pour l'époque. Je crains hélas que les couleurs n'aient
beaucoup pâli (c'est souvent le cas). Je figure également sur les photos qui
illustrent le livre « Le Merveilleux Royaume » (avec la bouillote sur
la poitrine et le pouce levé).
Vous cherchez des renseignements concernant Marc Henry…
Marc avait fait des études à Toulouse, et à l'époque nous
étions très proches (je connaissais aussi très bien sa famille). Pour Marc, je
situe sa disparition vers 1970-71. Il travaillait dans « de la
technique liée à l'univers sous-marin », du côté de Toulon. Un autre
"compère" ancien tarbais était dans ce panorama, Jean-François
Cohade, lui aussi revenu à « la mer » après un détour par des
techniques agricoles (sa formation). J'étais resté assez ami avec
Jean-François, qui nous relie à Marc, car j'ai fait grâce à lui une ultime
plongée (je crois en compagnie aussi de Marc …) Jean-François avait monté une
espèce « d'école de plongée ». Marc est mort dans un stupide accident
d'avion (privé) au retour d'un séjour professionnel en Italie.
J'ai apprécié les textes joints. Toutefois
Je souhaiterai apporter quelques précisions, car il y a un point qui m'a interpelé (deux en
vérité) c'est ce qui concerne « la peur de la mort ». Pierre, avec
qui j'étais très proche, m'avait dit beaucoup de choses sur sa vie « avant »,
même si nous étions tous très jeunes. Je vais dire « de mémoire» quelques
points importants, en brossant rapidement un portrait de Pierre tel que je l’ai connu, en oubliant
momentanément « l’auteur ».
Adolescent, il avait « peur que la guerre ne se termine
avant ses 18 ans, car il souhaitait s'engager ». Très brillant jeune
bachelier, Il avait commencé des études (prépa à Bordeaux) pour entrer à
« Navale », mais les « 18 ans arrivés » il a interrompu
tout ça et s'est engagé. Dans ses faits d'armes il fut blessé et cela a
réorienté toute la suite de sa vie. Par suite de ses blessures, il n'avait plus « les
aptitudes physiques nécessaires » (très strictes à l'époque) pour devenir
officier dans la Royale. Il entreprend alors des études pour devenir avocat et
devient par la suite (je crois), le plus jeune avocat du barreau de Tarbes. Il
me disait souvent, avec beaucoup d'humour, que fruit des circonstances il était
devenu « l'avocat des prostituées » ayant accepté un premier travail
alimentaire et « séduit ces dames ».
Pierre avait une très solide formation de « scientifique » et il
m'apportait très volontiers son aide quand je séchais trop sur quelques
exercices de maths, même si j'étais plutôt brillant. Il était pour moi comme un
grand frère et nous avions plaisir à chercher ensemble, parfois tard dans la
nuit.
Il faut parler là de « Pierre inventeur », car notre aventure
sous-marine n'aurait jamais eu la saveur qu'elle a eue sans les très brillantes
inventions de Pierre. La photo (de moi) avec la bouillote sur la poitrine
représentait la première version d'un scaphandre « semi-autonome »
avec lequel nous avons fini par effectuer des centaines de plongées, en piscine
ou en mer, voire dans les grottes ou les rivières, Pierre là en première ligne
et chassant des noyés en compagnie des pompiers. C'est un point important,
indirectement lié à son décès.
Ci-dessus :
Le jeune Jean-Claude Vidallon levant le pouce, alors qu’il
est équipé de la fameuse bouillote, transformée en scaphandre autonome pour les
besoins de la troupe de Pierre Labat.
Pierre avait conservé la nostalgie de la mer et il a tout
fait pour revenir à ses rêves d'adolescent. Il y revient « sous
l'eau » et nous entraîne avec lui n'hésitant pas à fonder à Tarbes une
troupe de « scouts marins ». Les camps d'été sont devenus des
occasions de découvrir la Méditerranée et de « plonger » avec
« notre matériel home made » et les scaphandres prêtés par le GERS de
l'arsenal de Toulon. Nous étions extrêmement privilégiés, même si tout ça avait
un côté paramilitaire peu déguisé.
A partir de là, Pierre va plus loin, car il faut qu'il prenne sa revanche sur
le destin. Il y avait à l'époque la fascination pour « l'épopée des
nageurs de combats », encore très récente. Très habile avocat pour
négocier tous les statuts spéciaux, Pierre finit par entrer au « Commando
Hubert », à Saint-Mandrier. Il y fait des stages répétés et y apprend
toutes les ficelles du métier de nageur de combat. Il envisage même d'intégrer
définitivement la Marine par ce moyen, mais là il échoue, car il devient,
simple quartier-maître ayant trop de stature, un peu encombrant.
On retrouve là Pierre « inventeur », avec la
fameuse « ventouse », destinée à assurer l'arrimage des charges
d'explosifs que les nageurs de combat accrochent gentiment aux navires ennemis.
C'était « le gros problème » très mal résolu. Avec ça il soulevait
l'immense table en chêne de sa salle à manger pour démonter l’efficience
(redoutable) de son invention.
Dans la période qui a précédé sa mort, Pierre cherchait tant
qu'il pouvait à « entrer dans la Marine Nationale », et il inquiétait
beaucoup famille et fiancée.
Si la tragédie s'est nouée loin de Tarbes, elle a des
racines tarbaises, car Pierre est arrivé en mauvaise santé au stage que nous
assurions, ayant, m'avait-il dit, un peu trop « fait la nouba avec les pompiers »,
après une chasse au noyé devenue traditionnelle.
Ci-dessus :
Comme
le relate cet article de presse, publié au début de l’année 1954 dans « la
Nouvelle République », il arrivait parfois que Pierre Labat et ses jeunes
Scout Tarbais, participent en tant que plongeurs, à des missions de secours.
Ce sont des histoires « pour adulte », qui nous
ramènent à « la fascination de la mort » (et pas à la peur). Pierre
avait écrit un dernier roman qui s'intitulait « le chevalier et la
mort », au contenu l'éloignant définitivement de « Signe de
Piste ». Le manuscrit avait été accepté par Gallimard mais Pierre est
décédé avant la parution. J'ai pu lire ce manuscrit, qui était parmi les
affaires de Pierre dans la tente que nous partagions (il y avait aussi Marc
Henry, ou quelqu'un d'aussi proche, mais je crois que c’était Marc) Il y
avait au début du manuscrit une jolie reproduction d'une gravure de G. Doré
éponyme.
Clairement « le chevalier et la mort » c'est toute
l'histoire de Pierre, avec la guerre et les combats pour fil directeur, le
plus « Fascinant» beaucoup plus que
tout autre chose.
J'ai longtemps cherché si « le chevalier et la
mort » avait fini par être édité. Le bruit a couru que le père de Pierre
avait fini par le publier en le cosignant et sous un autre titre. Voilà de quoi
passionner ceux que tout ça peut motiver.
Merci encore de me donner l'occasion de retrouver ces
souvenirs et de rendre hommage à un très grand ami ».
Jean-Claude
VIDALLON
Ancien de la troisième
Tarbes.
Post-Scriptum :
« Concernant le manuscrit que j'ai mentionné, je suis
certain de :
1° - Le titre donné par Pierre au
manuscrit que j'ai eu entre les mains était « le Chevalier et la
Mort » (allusion à une gravure de G. Doré)
2° - L'acceptation d'éditer le
livre par Gallimard (Pierre en était légitimement très fier et m'avait
personnellement informé). Ce livre était une nouvelle orientation de l'auteur
Pierre Labat, qui s’écartait très intentionnellement des « livres pour la
jeunesse ».
J'ai eu par la suite très peu de
contacts avec la famille de Pierre, sauf indirectement par Marc Henry,
malheureusement décédé. D'après Marc, Paul Labat (le père de Pierre) aurait repris et modifié le manuscrit et
l'aurait fait édité sous un autre titre. Il m'avait aussi conseillé de ne pas
chercher à en savoir plus.
Je suis peut-être la seule
personne à avoir gardé le souvenir de ce dernier manuscrit, qui était très
abouti, à l'exception peut-être encore de Marie-Henriette Nouvel, (sœur aînée de Jean qui à l’époque était
cheftaine de la 3ème Tarbes et la fiancée à Pierre Labat) qui
était nécessairement au courant.
J'ai parlé de tout ça à mon amis
Julien Bertrand et nous avons admis qu’une « piste possible »
était de « rechercher les héritiers de Paul Labat » qui ont peut-être
trouvé des documents, voire le manuscrit, dans les affaires de Paul Labat.
Je réponds à votre
question : Non, je ne crois pas que Pierre avait un pressentiment de sa
mort, mais le titre de son dernier
manuscrit traduit, à mon sens, une fascination, peut-être presque banale
à cette époque d’après-guerre, mais aussi sans doute lié à l’histoire de
Pierre.
A propos des « chantiers
d'écriture » de Pierre, qui était débordant d'activité, un manuel dit
« Carnet de plongée » ne m'étonne pas, mais c'est nécessairement
autre chose.
Je n'ai moi-même aucune
motivation autre que d'avoir cherché à restaurer au mieux des éléments, ce qu'a
été notre vie à cette époque, associée à celle de Pierre, qui nous a tous
considérablement marqués, positivement ».
JCV
Souvenirs de M. Jacques
Verdier ancien membre de la 3ème Tarbes.
« Pour parler à la troupe, j'avais à peine douze ans quand à l'automne 1952 je suis rentré à la
3ème Tarbes, après 3 années de louveteau et six mois de scout à la 2ème
Tarbes (troupe "classique terrestre" rattachée à la Cathédrale).
J'avais moins de 15 ans au moment de l'accident le 16 Août 1955.
Dans mon souvenir, cette période ou Pierre fut notre chef, se décompose en deux axes principaux.
Les Raiders : il fallait aller au plus loin ; monter à la grande
échelle des pompiers qui fait 12 mètres de haut! Apprendre le judo, faire des grands jeux de nuit, se baigner dans l'eau glacée, marcher à la
boussole etc… tout ça à 12 ou 13 ans. Quelle exigence, mais quel plaisir !
La Plongée : il fallait s'entrainer sans cesse à la nage avec ou sans palmes,
expérimenter en piscine des appareils plus ou moins bizarres etc... Et la
récompense : le camp de Toulon !
Pour les plus jeunes c'était parfois dur, parfois limite - certains
ont abandonné - mais quelle ambiance !
Les idées liées à la démarche « Raider », on les retrouve très précisément dans « Deux Rubans Noirs ».
Et il en est de même dans « Le
Merveilleux Royaume" pour la plongée sous –marine. Car bien que romancées,
elles sont basées sur nos activités et expériences subaquatique de 53/54.
Je crois me souvenir que peu de temps après mon arrivée à la troupe,
celle-ci est devenue très
rapidement marine et bien sûr Pierre en
était le chef. Un chef exigeant, mais généreux et enthousiaste…
Concernant les circonstances qui coûtèrent la vie à notre chef.
D’après ce qu’on m’a dit, elles seraient dues à un malaise et à un surmenage,
suivi d'une malencontreuse erreur des sauveteurs. Il est à noter que nous,
les scouts, nous n'avons jamais rien su des causes de l'accident. Je m'en
rappelle comme si c'était hier : Un soir du mois d'Août (le 17),
j'étais à la maison (mes parents recevaient des amis). Un coup
de téléphone arrive : Pierre a eu un accident. Il est décédé. Obsèques à la
Cathédrale, tel jour, telle heure... préviens les autres… (C'était le
fonctionnement normal de la chaine d'alerte
mise au point par Pierre pour mobiliser la troupe)... J'étais
abasourdi...
Puis, en 55/56 j'étais chef de patrouille des aigles (pas tellement
scouts marin !).
Serge Vinches avait pris la succession de Pierre Labat à la direction de
la troupe, et Julien Bertrand et Marc Henry étaient ses assistants. Jacques
Lapoyade ne faisait déjà plus partie de l'équipe ; car il avait quitté
Tarbes.
C'est Julien Bertrand qui bien des années plus tard m'a appris que Serge
et Marc étaient décédés prématurément, l'un par noyade et l'autre d'un accident.
Marc Henry, que l'on peut voir, sur certaines photos qui animent le récit
« Le Merveilleux Royaume », avait un petit frère prénommé Jean-Loup,
qui faisait également parti de la troupe
mais au rayon huitième de pat…
Je mentionne pour l’anecdote, qu’en ce qui concerne la
couverture du livre de Pierre « Deux rubans noirs » elle est pour ma
famille et moi chargé d'émotions. Ma mère en particulier est très impressionnée
par le dessin de couverture de P. Joubert, qui lui rappelle son petit frère,
décédé très prématurément. Car c’est une photo représentant mon oncle, Claude
qui fut lui aussi l’un des raiders de la 3ème Tarbes, qui servi de
modèle à la réalisation du dessin de cette couverture et vraiment la
ressemblance est troublante !
Ci-dessus :
Evoqué ci-après on découvre sur cet instantané de 1953, trois jeunes camarades
de la troupe de Pierre Labat dite également du « premier groupe de plongée
sous-marine des Scouts de France ». De gauche à droite : Jacques
Verdier, Christian Lapoyade et Jean-Louis X.
Un très grand
merci pour ce bel agrandissement, dont la qualité photographique et technique
me laisse très admiratif. Je suis évidemment très touché par ce souvenir de
1953 au cap Sicié - le premier des 3 camps que j'y ai fait - et aussi par la
présence de Christian Lapoyade (au centre du cliché ci-dessus) malheureusement décédé comme me l'a écrit son
frère Jacques mon ancien C.P., retrouvé grâce à vous. Je ne me rappelle
pas du nom du troisième, à droite, mais son prénom était Jean-Pierre, mais
hélas je ne sais pas ce qu'il est devenu!
Malgré le peu d'informations
que je vous ai fourni, j'espère néanmoins avoir été constructif.
Il ne me reste
plus qu'à vous remercier vivement du travail de mémoire que vous avez entrepris
pour faire paraître cet article, qui rend hommage à notre chef et qui le fait
revivre ! ».
Jacques VERDIER
Ancien de la 3ème Tarbes.
Les souvenirs de M. Jacques
Lapoyade Deschamps
ancien membre de la 3ème
Tarbes.
« Pierre était mon chef :
De 1952 à 1956, élève au Lycée de
Tarbes, j’ai fait partie de la troupe de
Pierre Labat avant de préparer l’école
Navale à Paris.
Nous étions très fiers d’être
devenus le « Premier Groupe de
Plongée Scouts de France », je lui dois pour une large part ma vocation de
marin : Pierre Labat a été un guide à qui je voue une immense reconnaissance…
Sa disparition incroyable à
l’occasion d’une plongée au large des « Deux Frères » au cours d’une
période de réserve nous a privés d’un être merveilleux, aussi bien dans
l’action que dans la réflexion !
Les soirées dans son appartement
au cours desquelles il nous lisait des passages de ses écrits ou bien de récits
de chevalerie, de vaillance, et de
générosité. Des légendes germaniques où il était question
du « pourvoyeur de morts », des contes un peu effrayants qui
accompagnaient mon retour dans l’obscurité, à bicyclette, chez les parents, rue
Nansouty.
Les jeudis consacrés à
« l’entrainement plongée » à
la piscine thermale de Bagnères-de-Bigorre : aller et retour à bicyclette,
heureusement le retour, en descente, souvent vent arrière était facile… Cet
entrainement hivernal, préparant nos camps d’été s’est brusquement terminé
quand une brave curiste profitant benoîtement de l’eau chaude de la piscine a
reçu la bouteille d’un appareil de plongée sur le pied !
Les descentes de l’Adour en plein
hiver sur un gros « Bombard » récupéré dans un surplus
américain ; elles n’étaient pas
exemptes de risques : un dimanche après-midi, un virage mal négocié a fait éclater notre embarcation, nous sommes
tous tombés à l’eau et cela a valu à l’un d’entre nous, noyé, d’être récupéré
grâce à son sac à dos qui voguait au gré des courants et de ne sortir de
l’hôpital qu’après un jour en réanimation.
L’exploration d’une résurgence
dans les grottes de Médous avec un groupe de spéléologues italiens beaucoup
trop audacieux : nous avions l’avantage d’utiliser un matériel de plongée
peu encombrant, dénommé « le pieuvre » avec seul un détendeur dans le
dos alimenté par un tuyau et de pompes comme dans Tintin. J’ai le souvenir
horrible d’un boyau tellement étroit que l’on ne pouvait faire demi-tour, ce
qui obligeait à revenir à reculons sans éclairage : l’horreur !
Et puis la récompense
suprême : les camps d’été autour de Toulon, au fort Saint-Elme ou à
Saint-Mandrier, l’intendance étant
assurée par la Marine… Nous pouvions nous consacrer à la plongée, aux veillées,
aux marches, au tournage du film « Le Merveilleux Royaume » par
Georges Ferney.
Ci-dessus :
Le jeune Jacques
Lapoyade Deschamps, en 1953 lors du tournage du « Merveilleux
Royaume »
Avec Pierre Labat on faisait à la
Troupe l’apprentissage de la vie, on prenait des risques, c’est vrai, ce qui
est moins à la mode de nos jours…
C’était le début de l’aventure
sous-marine, nous étions des pionniers avec nos pompes à air tripodes, nos
bouteilles de récupération et nos détendeurs bricolés ! Mais, grâce à
Pierre, nous aimions la mer qui manquait singulièrement à Tarbes …
Cet amour de la mer m’a toujours
accompagné : La plongée sous-marine, les bateaux de guerre, les avions de
patrouille maritime qui volent bien bas sur l’eau.
Merci Pierre de m’avoir donné l’occasion d’une
vie fort amusante : c’est vrai qu’avec la mer on ne s’ennuie
jamais ! »
Contre-amiral
Jacques Lapoyade Deschamps
Ancien de la 3ème Tarbes.
Témoignage de M. Jean-Noël Nouvel,
ancien C.P. de la patrouille Raider des Ecureuils de la 3ème Tarbes.
Nous avons recueilli
le témoignage de Jean-Noël Nouvel, qui
fut l’un des compagnons Scout de Pierre Labat dans sa troupe de scouts marins
de Tarbes en 1949.
Nous vous livrons
ci-dessous ses souvenirs ainsi que la vision personnelle qu’il avait de son
chef :
A quelle époque
êtes-vous devenu scout ?
-
C’était tout juste après-guerre, vers la fin 1945 ou au début de l’année 46.
Mais, à Tarbes, il n'y avait plus de troupe à cette époque-là et c’est un
Aumônier d’Agen qui y a fait renaître le Scoutisme. Mais ne me demandez pas son
nom car je ne m’en souviens plus.
A cette époque, la 3ème Tarbes
n’était qu’une patrouille, et au fur et à mesure elle s’est peu à peu
transformée en une véritable troupe digne de ce nom. Notre premier camp
scout a eu lieu en 1947. Il s’est déroulé en Bretagne tout près du château de
Kerjean dans le Finistère. Puis, juste après ce camp, nous nous sommes rendus
au jamboree de Moisson où nous avons passé une dizaine de jours. C’était bien
avant que Pierre n’arrive à la 3 ème Tarbes.
Parlez-nous du
« Manteau Blanc ». S’agit-il aussi d’un grand jeu créé par
Pierre Labat ?
- Oui,
en effet. Il y avait eu, quelque temps avant l’arrivée de Pierre à la troupe,
un grand jeu avec les scouts de Baden-Baden en Allemagne et Pierre nous en
parlait avec beaucoup d’émotions. Mais nous n’avons pas vécu ça.
Pierre Labat à Baden-Baden entouré de
deux jeunes scouts qui vont lui inspirer les personnages de Frantz et
Michou de son roman « Conrad ».
Couverture de l’édition originale
réalisée par Igor Arnstam, pour le roman
publié en 1949 sous le n° 34 et la dédicace de Pierre Labat pour son ami
Georges Ferney sur un exemplaire hors commerce numéroté constituant l’édition
originale.
La vie de la troupe fut intense dès l’arrivée de Pierre à Tarbes
car, dès lors, elle s’est préparée pour un camp qui s’est déroulé fin 1948,
début 49 sur les bords de la Dordogne, à proximité du château de Beynac. Notre
bivouac était installé sur une île. Avec Pierre, nous commencions déjà à faire
des exercices de plongée, mais ce n’était pas encore des activités de plongée à
proprement dire ; c’était des petits exercices où nous étions équipés d’un
jerrican empli d’air pour traverser un bras de la Dordogne. Cet exercice
consistait à plonger afin de traverser, mais sous un une nappe d’eau enflammée.
C’était très spectaculaire mais sans grands risques pour les jeunes scouts que
nous étions.
Camp sur les
bords de la Dordogne entre Castelnau, et Beynac.
Y a-t-il eu des
accidents ?
- Non
pas un seul. Tout s’est très bien déroulé. Et nous étions tous très heureux et
très fiers de nos prouesses !
Nous avons
entendu dire que Pierre a fondé à cette époque un Ordre de Chevalerie ?
- Oui,
mais je ne sais pas s’il faut l'appeler comme ça ? Mais c’est l’histoire
du « Manteau Blanc » qui nous était racontée et dont nous
reconstituions les épisodes lors de nos grands jeux où nous étions vêtus en
costumes de Chevalier du Temple. D’ailleurs, je me souviens qu’à l’occasion
d’un camp situé au pied du Château de Castelnau nous avions construit une
catapulte en rondin de bois. Je me rappelle également que durant toutes les
veillées du camp lorsque nous étions réunis autour du feu, nous lisions à haute
voix des passages du « Manteau Blanc ». Pour ensuite réaliser
certains jeux de nuit.
Pierre Labat,
et ses jeunes chevaliers.
Connaissez-vous
les activités de Pierre lorsqu’il était jeune scout ? Les évoquait-il
parfois ?
- Oui,
Pierre a été scout avant de revenir s’installer définitivement à Tarbes, mais
je ne peux pas vous en dire plus car je ne connais pas son parcours dans le
scoutisme avant sa venue à la 3ème Tarbes.
Quels étaient
les rapports et les liens d’amitié de Pierre avec Georges Ferney ?
L’avez-vous rencontré ? Est-il venu ou a-t-il participé à certain
camp ?
- Oui,
je me souviens de Georges Ferney car il est venu plusieurs fois nous rejoindre
lors de camps, notamment en Dordogne. Je ne savais pas très bien qui il était
exactement, mais je me rappelle très bien que nous avions avec lui, et Pierre
bien entendu, de très longues discussions. Tous les deux étaient romanciers, et
ces deux auteurs semblaient très amis.
Pouvez-vous
évoquer ce que furent les Raiders à cette époque à Tarbes ?
- C’est
sur l’initiative de Michel Menu, qui à cette époque a lancé ce mouvement basé
sur le service dans le scoutisme. C’est ainsi que la 3ème Tarbes fut l’une des premières troupes raiders
de France. Car à cette époque elles étaient peu nombreuses. Alors Pierre nous a
entrainés pour que la troupe devienne une troupe raider. Afin que les garçons
puissent répondre à tous les besoins.
C’était très
proche des activités militaires ?
- Oui.
A partir de là, Pierre nous a entrainé à diverses choses, comme faire de la
moto ou du judo ; et l’on faisait régulièrement des exercices. Nous
allions aussi nous exercer avec les pompiers. Bien sûr, nous n’avons jamais
éteint d’incendies, mais l’important était pour nous d’être-prêts. Et il
fallait voir l’énergie et l’investissement que Pierre y mettait !
Pouvez-vous
nous parler de cette passion de Pierre Labat pour les Templiers ?
- Cela
vient incontestablement de son imagination fertile ! Nous avons eu
d’ailleurs avec Pierre des cérémonies qui ressemblaient fort à un engagement.
Une espèce d'initiation, si vous voulez. Où nous nous prêtions serment au
respect des lois scoutes qui tout de même était le fond de l’affaire. Mais lors
de ce « rituel », on nous remettait un passant de ceinturon sur
lequel figurait une croix de Chevalier de l’Ordre du Temple, de couleur rouge.
Bien
sûr, avec Pierre, nous étions très imprégnés de l’Ordre du Temple que
nous retrouvons dans son livre « le Manteau blanc » et
qui, pour nous, se traduisait par des grands jeux que Pierre mettait
lui-même
en scène évidemment.
Savez-vous
comment Pierre Labat a rencontré le commandant Cousteau ?
- Non,
là je ne peux pas vous répondre car c’est à cette époque que j’ai quitté la
troupe pour faire mes études. Donc, de ce fait je n’ai jamais été scout-marin
et tout ce qui va concerner l’épopée de la 3ème Tarbes et toutes ses aventures subaquatiques,
je n’étais déjà plus là.
Pierre Labat
semble avoir, auprès des anciens de sa troupe, marqué les esprits ?
Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ? Auriez-vous quelques
anecdotes qui permettraient de mieux comprendre l’esprit de Pierre Labat ?
- Bien
entendu. Il est certain que Pierre a, chez nous les anciens de la 3ème Tarbes, marqué les esprits. C’est indéniable.
Chacun de nous lui porte encore, et cela malgré toutes ces années, une amitié
fidèle. C’est simple, c’est un ami.
Quel type de
chef était-il ?
- Oh,
c’est très difficile à dire. C’était quelqu’un qui cherchait à nous faire
progresser, à nous grandir avec tout ce qu’il nous apprenait, et qui était
toujours à l’écoute. Afin que nous devenions des bons parmi les bons.
Vous lisait-il
des extraits de ses romans ?
- Oui,
bien entendu, notamment « le Manteau Blanc » dont il nous laissait
des passages. D’ailleurs, à chaque veillée de nos camps de Dordogne nous nous
réunissions autour d’un feu et Pierre entamait à haute voix la lecture d’un
chapitre. Mais je ne me souviens plus s’il s’agissait du manuscrit, ou bien
déjà du livre imprimé.
Et pour la
musique classique, car Pierre Labat, paraît-il, était très mélomane?
-
Oui en effet, Pierre était très féru de musique classique et grand amateur et
grand connaisseur. Je me souviens que lorsque nous nous rendions chez lui, les
morceaux des grands compositeurs passaient en boucle. C’était le fond sonore
habituel. Notamment, vous vous en doutez, ce sont les cantates de
Jean-Sébastien Bach que Pierre écoutait très fréquemment.
Quels étaient
les rapports de Pierre Labat avec le mouvement scout ?
-
Je pense qu’ils étaient assez bons car notre troupe avait de fréquents contacts
avec les autres troupes scoutes tarbaises ou avec celles de la région. Et il
n’était pas extraordinaire qu'il nous annonce qu’il devait se rendre à X ou Y
endroit pour rencontrer d’autres scouts.
Michel Menu
est-t-il venu à Tarbes ?
- Je
n’ai pas souvenirs du passage de Michel Menu à Tarbes. Ce dont je me souviens
précisément, c’est que Pierre s’est rendu à un stage de formation de chef Raider
juste au moment où notre troupe s’est tournée vers les Raiders.
Nous avons
remarqué que parfois Pierre Labat signait des rédactionnels dans les revues du
mouvement comme faisant parti de la 1ère Tarbes.
Mais votre troupe c’était bien la 3ème Tarbes ?
- Oui,
notre troupe était bien la 3ème Tarbes
de l’école Jeanne D’arc. Notre foulard était bleu clair bordé de bleu marine.
Mais la 1ère Tarbes elle aussi existait : c’était la
troupe de la paroisse Saint-Jean. Leur foulard était noir et blanc. Et la 2ème Tarbes a elle aussi existé : c’était la
troupe qui était rattachée à la cathédrale. Je m’en souviens car j’en ai fait
partie lorsque j’étais louveteau. Alors il est très possible que, par la suite,
Pierre ait tenté de rassembler certaines troupes. Ce qui expliquerait pas mal
de choses.
Vous étiez très
lié avec Pierre Labat. Quel chef était-il ?
- Oui,
nous nous voyions très souvent, en effet. Il était fréquent que nous, les
jeunes scouts de la troupe de la 3ème Tarbes,
nous nous rendions chez notre chef. En principe, nos visites avaient lieu la
plupart du temps le soir et cela pouvait se prolonger assez tard. Mais dans ces
cas-là, Pierre se faisait un devoir de nous raccompagner. Il connaissait très
bien ma famille. Tous mes frères et moi-même étions bien sûr membres de la 3ème Tarbes, ma grande sœur également puis qu’elle
fut l’une des cheftaines louveteaux de la troupe et qu’elle est devenue sa
fiancée. Et Pierre avait d’excellents rapports avec mes parents.
De combien de
jeunes adolescents était composée cette 3ème Tarbes ?
- D'environ
une vingtaine d’adolescents de 12 à 16/17 ans. Répartis en plusieurs
patrouilles comme les chamois, les aigles et les écureuils dont j’étais le CP.
La patrouille des chamois de la 3ème
Tarbes au grand complet.
Est-ce que le
nom de Paul Pergola vous dit quelque chose ?
- Oui
bien sûr. Paul Pergola a été chef de troupe à Tarbes avant que Pierre Labat ne
revienne d’Allemagne, à la fin des années 40, pour s’installer définitivement
dans notre belle cité du Midi Pyrénées. D’ailleurs, c’est avec Paul Pergola,
qui était un ancien parachutiste que j’ai appris le morse. Car ma patrouille
était, lorsque j’étais raider, celle des transmissions et nous avions des
téléphones. C’était un assez bon matériel qui provenait de l’armée.
-
Mais j’avais encore à cette époque-là, certaines épreuves à passer afin
d’obtenir différents badges pour devenir 1ère classe. Et j’ai gardé le souvenir d’un homme
extrêmement sympathique.
Paul Pergola ne faisait-il pas pour son plaisir un peu de
photographie ?
-
Je ne m’en souviens pas, car la photographie n’était pas une des activités
principales de la troupe. Et il est vrai qu’il existe très peu de clichés
représentant de la troupe ou Pierre Labat.
Néanmoins Paul
Pergola devait certainement faire un peu de photographie car il nous en a
laissé un témoignage dans le dernier livre de Pierre.
Savez-vous dans quelles circonstances, et pour quelles raisons
Pierre Labat fut décoré de la croix de guerre alors qui avait tout juste 18 ans ?
- Non
je ne connais ni les circonstances ni les raisons qui font qu'il fut décoré si
jeune de la croix de guerre. Mais vous savez, il débordait d'idées et de
courage, alors pour moi il n’y a rien de très étonnant à cela.
Pierre Labat
n’a-t-il pas fait un peu de politique ?
- Nous
savions que l’avocat allait parfois plaider des affaires au palais de justice,
dont il ne semblait pas faire une histoire d’argent, car j’ai toujours pensé
que cela était plus par dévouement qu’autre chose. Disons plus pour défendre la
veuve et l’orphelin.
- Maintenant,
qu’il ait aussi pris la parole lors de meetings politiques, cela n’aurait rien
d’étonnant car c’était un sacré orateur, et ses opinions étaient plutôt
gaullistes.
Saviez-vous que Pierre Labat dessinait ?
- Oui
car il était très doué pour pas mal de choses. D’ailleurs je me souviens que
dans notre local de la 3ème Tarbes, il avait
dessiné sur les murs de grandes fresques, notamment une ou figurait un
gigantesque chevalier. Car la chevalerie était pour lui, et par conséquent pour
tous les membres de la troupe, très importante. D’ailleurs, nous avions comme
devise : « soigner, prier, servir ».
Quelques illustrations
réalisées par Pierre Labat
Le Château du Cahusac-Dennesturm, vu
par Pierre Labat en 1949. Dessin réalisé à l’encre de Chine, signé en bas à
gauche (format 24 X 32 cm).
Dessins à
l’encre de Chine, créés afin d’illustrer son manuscrit « Conrad » Dessins
réalisés afin d’illustrer son manuscrit « Le Manteau Blanc »
Dans Le local
de la troupe, qui se situe dans l’enceinte de l’école Jeanne d’Arc, les coins
de chaque patrouille sont décorés par Pierre Labat, à gauche le coin des
aigles, à droite le coin des écureuils où l’on peut admirer une fresque murale, créée
par le chef de troupe, représentant un chevalier de l’ordre du manteau
blanc.
Avez-vous
participé à quelques explorations spéléologiques avec Pierre Labat ?
- Non,
malheureusement, je n’ai pas eu la chance de participer avec lui à ces
explorations spéléologiques. Mais je sais que lui en a fait car il était très
ami avec certains grands noms du monde de la spéléologie comme Norbert
Casteret, et d'autres.
Par contre, il était assez fréquent que les patrouilles de la
troupe fassent des sorties de nuit à la boussole. Car être scout, dans la
troupe de Pierre Labat, ce n’était pas vraiment des colonies de vacances !
Avez-vous eu
l’occasion de voir Pierre Labat écrire ?
- Non,
jamais, car lorsqu’il se mettait à sa table de travail c’était plutôt lorsqu’il
était seul la nuit. Pierre avait une réelle facilité d’écriture, car je lui
connais, hormis ses romans, nombre de rédactionnels parus à l’époque dans les
revues du mouvement.
Lors de vos
sorties aquatiques avec Pierre Labat, au début lorsque vous évoluiez le long
des rivières locales, qu’aviez-vous comme matériel ?
- Au
début la troupe disposait de trois canots qui étaient composés de vieilles
chambres à air de tracteur légèrement allongées auxquelles, si mes souvenirs
sont exacts, nous avions collé une toile étanche qui servait de fond à nos
embarcations. Nos toutes premières sorties aquatiques ont consisté à apprendre
à manœuvrer les canots sur l’Adour.
- D’ailleurs,
je me souviens qu’avant chaque sortie, qui était pour nous l’occasion de grands
jeux, nous devions au préalable vérifier le matériel et pour ce faire, nous
nous entraînions au local.
Avant chaque sortie, les Scouts
de Pierre Labat vérifient le matériel.
Mais ces
activités n’étaient-t-elles pas un peu risquées ?
- Oui
elles l’étaient bien un peu car un jour alors que nous étions sur l’Adour et
que nous faisions des exercices, à un endroit où il y a un peu de courant, l’un
de nos canots s’est renversé et un de nos camarades, un jeune scout, s’est
retrouvé à l’eau sous le canot. Le malheureux a d’ailleurs fait un malaise. Il
avait beaucoup de mal à respirer et il s’est retrouvé dans le coma. Il a
d’ailleurs fallu appeler les pompiers qui l’ont conduit à l’hôpital où il est
resté quelques jours. Cet accident fut très traumatisant pour nous tous, et en
particulier pour Pierre. Je me souviens qu’il était très ennuyé et très inquiet
pour notre camarade car il le voyait mort et il se disait qu'il était
responsable. Heureusement, cet accident fut sans grandes conséquences.
Quelques jours plus tard, notre jeune camarade allait beaucoup mieux. Mais
Pierre a eu très peur, et c’est là qu’il a réellement pris conscience que ce
qu’il nous faisait faire pouvait s’avérer dangereux. Mais il n’y a pas eu que
des épisodes tristes. Nous chantions beaucoup.
Ah
bon ! Vous chantiez et vous chantiez quoi ? Des chants scouts ?
- Oui
comme tout bon scout qui se respecte. Pierre Labat, vous vous en doutez, nous
avait appris des chansons scoutes dont une était spécialement « raider ».
Cette chanson avait plusieurs couplets, mais l’un d’eux était spécialement
dédié à la patrouille des « écureuils » qui était chargée des
transmissions et dont j’étais le chef.
Cette chanson
avait-elle été écrite par Pierre Labat ?
Probable, à moins que Pierre l’ait ramenée
d’un de ses camps de formation de chef raider…
Et vous vous en
souvenez ? Pourriez-vous nous interpréter ce fameux couplet dédié à
votre ancienne patrouille des écureuils ?
Ma troupe c’est la plus belle,
Une
troupe raider modèle…
On
ferait le tour de monde avec elle
Viens avec nous mon
gars et pourquoi pas ?
La
radio les téléphones
Nous sommes toujours pareils
Car
s’il manquait un pylône
Nous prendrions
notre CP.
NB : Mr. Nouvel nous a interprété, une partie du chant créé par Pierre Labat pour sa troupe. Et que les jeunes lecteurs de « Deux Rubans Noirs »
purent découvrir dans son roman à la page 153.
-
Voilà c’est un clin d’œil à la troupe des écureuils chargée des transmissions.
Mais je ne me souviens plus de la suite hélas !
Vous avez
évoqué tout à l’heure que Pierre Labat se serait inspiré de vous pour le
personnage qui est le héros de son roman « Deux rubans noirs ».
Pouvez-vous nous en dire plus ?
-
Oui, c’est ce que Pierre a inscrit sur la dédicace qu’il m’a faite sur ce
livre. Car il semble en effet que je lui ai inspiré le « Jacques » de
son roman. Mais je ne suis pas certain d’avoir mérité un pareil honneur.
Ci-dessus : Jean-Noël Nouvel en 1950.
Dédicace de Pierre Labat à son C. P. Raider, Jean-Noël
Nouvel, alias Jacques dans le roman.
Merci beaucoup à
MM. Philippe de Guillebon, Julien Bertrand, Jean-Claude Vidallon, Jacques
Verdier, Jacques Lapoyade Deschamps et Jean-Noël Nouvel, de nous avoir fait
part de ces souvenirs passionnants et de nous avoir accordé ces entretiens captivants
qui, nous l’espérons, permettront de découvrir
ou redécouvrir Pierre Labat, avec son esprit chevaleresque et son goût immodéré
de l’aventure.
Propos
recueillis par Christian Floquet
Ci-dessus :
Avant-guerre,
Pierre Labat jeune adolescent.
On remarque
qu’il porte à son revers l’insigne scout.
PIERRRE LABAT
Bibliographie
des ouvrages :
-
CONRAD (paru en 1949
dans Collection Signe de Piste sous le n° 34).
Réédité en 1961
dans cette même collection sous le n° 150
-
LE MANTEAU
BLANC (paru en 1950 dans Collection Signe de Piste
sous le n° 40).
Préface Mgr Picard de
la Vaquerie.
Réédité en 2014
dans la collection Signe de Piste/Delahaye sous n° 30
-
DEUX RUBANS
NOIRS (paru en 1951 dans Collection Signe de Piste
sous le n° 44).
Réédité en 1961
dans cette même collection sous le même n°
Réédité en 2000
dans la collection Coureurs d’Aventures aux éditions Alain Gout sous le n° 8.
-
DER WEISSE
MANDEL (paru en 1952 dans Collection Super-Bücher
sous le n° 51).
Traduction
Allemande du « Manteau Blanc »
-
LE MERVEILLEUX
ROYAUME (paru en 1953
dans Collection Signe de Piste sous le n°60).
Préface de Cdt
Jacques Yves Cousteau.
-
THE MARVELLOUS KINGDOM (paru en 1956 aux editions – Odhams -Press Ltd – London).
Traduction Anglaise
du « Merveilleux Royaume»
Rédactionnels dans des périodiques :
-
« SCOUT - n° 243 » de septembre/octobre
1949 – Pages 18 « Un Sport Raider : Le Rallye aux Ballons ».
-
« SCOUT - n° 251 » de juin 1950 –
Pages 10 & 11 « Pour Equiper un
Patrouille Amphibie».
-
« SCOUT - n° 252 » de juillet/août
1950 – Pages 11 « Comment Construire
une Torpille Humaine».
-
« SCOUT - n° 256 » du 05 janvier 1951
– Pages 11 & 12 « Deux Rubans Noirs ».
-
« SCOUT - n° 257 » du 20 janvier 1951
– Pages 04 & 10 « Deux Rubans Noirs – Suite ».
-
« SCOUT - n° 258 » du 05 février 1951
– Pages 05, 10 & 12 « Deux
Rubans Noirs – Suite ».
-
« SCOUT - n° 259 » du 05 mars 1951
– Pages 12 & 13 « Deux Rubans
Noirs – Suite».
-
« SCOUT - n° 260 » du 20 mars 1951
– Pages 05 & 06 « Deux Rubans
Noirs – Suite et fin ».
-
« SCOUT - n° 263 » du 05 juin 1951
– Page 04 « Scoutisme – Cliché
et commentaire ».
-
« SCOUT -
n° 270 » du
05 mars 1952 – Page 13 « le
Fond des Mers sera-t-il Français ? » & « Les Scouts se
passent de Calypso ».
-
« SCOUT -
n° 272 » du
05 mai 1952 – Page 5 « Plongée
Sous-Marine » Page 7 « Les
Appareils de Plongée ». A
noter que figure également dans ce n° – Page
6 un rédactionnel signé Marc Henry, second de patrouille du Chamois de 3ème
Tarbes Raider « Il est un Monde
Etrange ».
-
« SCOUT-
n° 273 » du 05 juin 1952 – Page 25 « Plongée Sous-Marine – suite et
fin ».
-
« LE CHEF -
n° 296 » de juillet/août 1953 – Pages
40 & 41 « La Plongée
Sous-Marine ».
-
« LA FUSEE
- n° 1 » de 1953 – Pages 29 à 38 « Le Royaume sous la Mer ».
-
« SCOUT- n° 290 » du 05 mars 1954
– Pages 45, 46 & 47 « De
Profundis » & « Entrainement aux Profondeurs ».
REMERCIEMENTS :
Christian Floquet témoigne sa gratitude à
tous ceux qui se sont mobilisés, et qui lui ont permis de rendre cet hommage à
Pierre LABAT. Comme notamment : M. Jean-Noël Nouvel, et son épouse Chantal, M.
Pierre Montaut et son épouse Marie-Henriette, ainsi que tous les anciens Scouts
de la troupe de Pierre Labat, MM.
Philippe de Guillebon, Jacques Lapoyade
Deschamps, Jacques Verdier, Jean-Claude Vidallon, Julien Bertrand, Yves
Thollot, Jean Knobel, Michel Arbogast, Pierre et Maurice Nouvel, pour leur
aide, leurs témoignages et leurs précieux documents. Sans oublier Mme Juliette
Dumas-Tilquin, et MM. Antoine Chataignon, Pierre Graves, Gérard Loridon, Alain
Gout, Olivier Schieber, Georges Koskas, Jean Grépinet, Pierre-André Bernard,
Bruno Robert, Jean-Jacques Gauthé, ainsi que les membres des pages groupes
facebook : « Plongée Vintage », « La Calypso une
Légende » et « Nos écrivains
et photographes du monde du silence » en particulier MM Franck Machu,
Jacques Chabbert, Marc Langleur. Ainsi que ceux du groupe du « Commando
Hubert » tout particulierMM Denis Gorce et Alain Brecqueville. Sans omettre, les membres de l’actuelle
Troupe Tarbaise, des Guide et Scouts de France « Pierre Labat » qui,
voilà quelques temps, avaient rendu hommage à celui dont elle porte le nom. En
particulier MM. Bernard Préfol, Jean-Michel Quereilhac, Jean-Mathias Sarda,
Rodolphe Lauzier… Et enfin, Le Musée Frédéric Dumas de La Seyne-sur-Mer, Le
Service des archives des Guides et Scouts de France, Le Réseau Baden-Powell,
l’Amicale des Nageurs de Combat, l’Association pour l’Histoire du Développement
Subaquatique en France, et l’Association Scaph 50, ainsi que les animateurs des
sites : Plongeur Radin, Scoutopédia, Passion Calypso, Scoutisme Patrimoine
et Collections,Le Batracien, Signe de Piste, Ansfac, Carnet2Bord, et bien entendu le site de
Jeux de Piste et son webmaster.
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