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Hugo Pratt, aventurier romancier dessinateur
par Michel Bonvalet
Lorsque je réalisais la fiche de lecture de La Ballade de la mer salée, je ne savais plus qui, du livre ou de lauteur illustrateur, était le centre de mon sujet. Tant il est difficile de dissocier luvre dHugo Pratt de Pratt lui-même !
Jai découvert le dessinateur et son personnage principal, le mythique Corto Maltese, sur le tard, dans les années 79/80.
Pourtant, je dévore de la B.D. (on disait encore des illustrés) depuis ma plus tendre enfance. Une passion qui a débuté par Coq Hardi, Bayard, Tarzan, Cur Vaillant, Spirou, Tintin, etc. Et, bien que je naie pas lu Vaillant à cette époque, je suivais les aventures de Nasdine Hodja, Placid et Muzo, Pif et Rahan, Les mousquetaires du maquis, Red Ryder et petit Castor et jétais persuadé à la lecture des Belles histoires de loncle Paul (Spirou) quun jour, on apprendrait aux enfants par le truchement de la bande dessinée, et plus tard laudiovisuel... Visionnaire ou simplement difficultés de madapter à lécole et à lenseignement magistral ?
Je connaissais Corto mais le dessin en noir et blanc parfois amplifié par de grands aplats ne mattirait pas... Je ressentais mieux les Joubert ou les Victor Hubinon (Buck Danny), qui étaient les modèles du jeune dessinateur que je voulais devenir et que je nai pas été sur le plan professionnel, bien que certains de mes dessins furent édités en publicité.
Et puis un jour, mon second fils, Marc, ma offert Fort Wheeling et Ann de la jungle. Je les ai ouverts et je ne les ai plus quittés, nayant de cesse de souhaiter réunir tous les albums dHugo Pratt dans ma bibliothèque. Passionné et subjugué par lauteur, il marrive de les relire comme des classiques du Signe de Piste ou de Dumas
Des histoires et des dessins qui ne peuvent pas vieillir.
Quand on aime le roman daventure, on ne peut quaimer Hugo Pratt. Son imagination débordante en a fait un auteur prolifique servi par un don inné du dessin en noir et blanc quil saura, plus tard, mettre en valeur par une aquarelle légère aux couleurs harmonieuses.
Don inné certes, mais fruit du travail permanent de toute une vie.
A 17 ans, il illustre sa première bande dessinée, LAs de Pique, et si les traits nont pas encore la force et la personnalité quon reconnaîtra plus tard dans Corto, ils sont déjà en avance sur le dessin dépoque et très inspirés de Milton Caniff, considéré comme lun des maître des Comics américains, pour les traités du noir et blanc.
Il ne cessera ensuite de manier crayons et pinceaux que pour écrire les textes de ses histoires et quelques livres liés à ses BD et à son existence.
Car en même temps que son uvre, lhomme est particulièrement attachant. Inépuisable voyageur, il sait tirer de sa curiosité les éléments essentiels qui constituent les bases des histoires quil nous conte.
Féru désotérisme, de légendes glorieuses puisées aussi bien dans lindianisme de lAmérique du nord que dans lhistoire Celte, il saura faire revivre Merlin lenchanteur et ses amis, la Venise des Doges et ses mystères au temps du fascisme tout autant que les Canadiens durant la guerre Franco-anglaise et les rivalités tribales qui ont suivi.
Sa palette est large, rien narrête son imagination. A le lire, les rites vaudous nous deviennent familiers et ses personnages peuvent avoir 16 ou 300 ans, rien ne peut nous étonner avec ce jongleur dimage, ce magicien des contes.
Je ne veux pas écrire la biographie dHugo PRATT, dautres, ils sont nombreux à sen être chargés... Il suffit de taper le nom de Pratt dans un moteur de recherche pour avoir une quinzaine de pages de sites les plus divers... preuves de son succès populaire. Mais sil est un maître hors norme de la BD daventures, cest parce quil est lui-même hors norme.
Italien né à Venise, il travaille en Argentine, à Buenos Aires, avec léquipe qui a lancé la revue LAs de Pique (un personnage mi voleur mi justicier vêtu dun costume de rat dhôtel rappelant celui du Fantôme du Bengale).
Au sein de cette équipe, Pratt développe son art pictural avec Sergent Kirk, lhistoire dun déserteur américain passé dans le camp des Indiens. Un thème qui lui est cher puisquil nous fera rencontrer, dans Fort Wheeling, Simon Girty, un renégat blanc qui vit avec les indiens et à qui il a prêté ses propres traits.
Mais cest surtout avec Ann de la Jungle quil développe son goût de laventure, car cest la première histoire ou il réalise scénario et dessins. Il nous raconte sur fond dAfrique, sous létendard de la Grande Bretagne, lamitié entre la fille du commissaire du gouvernement, Ann jeune fille élevée dans la jungle, et le fils du roi de Bogardie, Dan, venu en safari dans le village imaginaire de Gombi. Rencontre qui ne manquera pas daventures avec la révolte des Wagaias et leur sorcier Wambo.

Lambiance est proche de Zoulouland... Il nous conte lhistoire des tribus, les mythes de lAfrique et même un épisode proche de la mythologie égyptienne.
Les personnages sont hauts en caractères : Le commissaire Randall, le père dAnn, le capitaine McGrégor et le lieutenant Tenton (que lon retrouvera plus gradés dans un épisode des Scorpions du désert)... On pense à Tim et Tom, au Phantom...
Lhistoire se lit comme un film, et cest une des grandes caractéristiques dHugo Pratt, il ne compte ni les pages, ni les cases et ne semble répondre à aucun impératif déditeur. Sil peut être très narratif, les vignettes dessinées parlent delles-mêmes et relancent sans cesse la curiosité du lecteur.
Un personnage étonnant apparaît dans Ann de la Jungle : Tipperary OHara, un marin solitaire et courageux qui est le précurseur de Corto Maltese bien que nen ayant pas tout à fait la philosophie ni la culture.

On y rencontre aussi Lord Personne, un illuminé qui croisera deux fois Corto quelques années plus tard.
Car Pratt nabandonne jamais totalement ses personnages. Il nest pas rare den retrouver certains dans divers épisodes sans rapports entre eux.
On dit que pour incarner Ann, Pratt sest inspiré des traits de son épouse.
Mais reprenons le cours de son existence : né en 1927, le jeune Hugo suit son père en Ethiopie (souvenirs dont il tirera Les Ethiopiques, une série daventures de Corto Maltese). Au moment de la guerre, rapatrié par la Croix Rouge, il est arrêté par les S.S. qui le prennent pour un espion et le contraignent à sengager dans larmée Italienne. Il déserte, rejoint les troupes alliées où il sert dinterprète. Il a 17 ans.
A la fin de la guerre, il entame sa carrière de dessinateur fortement influencé par les Comics américains largement distribués dans la presse illustrée.
Mais cest en Argentine (théâtre de Tango, aventure de Corto Maltese) quil explose en prêtant son pinceau à Junglemen, Sergent Kirk, Ernie Pike (plusieurs fois repris et complété en couleurs), Ticonderoga, Billy James, Fort Wheeling 1 et 2 et Ann de la Jungle !

Quelques dates :
En 1960, Pratt vit à Londres. En 1962, il revient en Italie puis sinstalle en France en 1969 où il collabore à Pif en créant Corto Maltese avec La Ballade le la mer salée.
Il finit par sinstaller en Suisse en 1984. Il est, à ce moment, déjà devenu un monument de la bande dessinée récompensé par de nombreux prix dont le Prix Phénix et le Prix Yellow red. Il est célèbre, riche et reconnu par ses pairs et le public.
Il réalise Les Scorpions du désert en 1987, sur fond daffrontements entre les Anglais et les troupes de Rommel durant la guerre 39/45... Des épisodes courts et très documentés.
Il décède à 68 ans le 20 août 1995 dun cancer de lintestin, laissant derrière lui une uvre attachante et un personnage orphelin : Corto Maltese !
Son ami Umberto Eco écrit de lui (extraits) : "Pratt est vite devenu un personnage culte... Il écrivait bien. La Ballade de la mer salée peut être lue, relue et regardée (puisque Pratt écrivait en bulles). Le plaisir des mots et des images se renouvelle à chaque fois... Formidable narrateur avant dêtre dessinateur (mais aurait-il été narrateur sil navait été dessinateur ?), compréhensible par tous malgré sa grande culture où affluent les références littéraires, mythologiques, ethnographiques... Un artiste complexe !"
Eco explique ensuite à titre anecdotique que sa fille découvrant Pratt pour la première fois lui aurait murmuré : "Mais, Corto Maltese, cest lui !"
En fait, il est très difficile de dissocier lauteur de son personnage fétiche (comme Hergé de Tintin), ils font corps et lauteur place dans la bouche de son héros ses propres remarques philosophiques sur la vie.
Il le fait également pour dautres personnages et on peut trouver en librairie, dans la collection "En verve" (éditions Horay) les mots, propos et aphorismes dHugo Pratt.
Il voisine dans cette série avec Allais, Beaudelaire, Céline, Hugo, Léautaud, Bonaparte, Queneau, Rimbaud, Vian etc
Quel plus bel hommage fait à un dessinateur de "petits Mickeys", comme on disait à une certaine époque !
Ci-dessous, je ne résiste pas à citer quelques unes des phrases figurant dans ce recueil :
- Pour le moment, jai seulement envie dentendre le vent dans mes oreilles et non les cris de tous ces fous convaincus de changer le monde avec leur arrogance (Corto à Raspoutine) (Quelle actualité !)
- Je ne peux pas changer le monde... alors jessaie déviter les injustices et les malentendus qui le gouvernent (Lindien Tiny à Criss Kenton Fort Wheeling)
- Il y a dans lexercice du pouvoir un moment particulièrement réussi. Quand lindividu se soumet aux désirs des autres, non seulement avec spontanéité, mais avec une sensation de vertu. Le moment le plus jouissif, cest quand lindividu ne saperçoit même plus quil est commandé. Çà, cest lart du conditionnement ! (Caïd Raspa à ses jeunes recrues La Maison dorée de Samarkand) .
- Il est écrit "Les questions nauront pas toujours de réponses !" (Cush à Koïnski Les Scorpions du désert) .
- Si je te dévoilais ta vie future, crois-tu que tu aurais envie de la vivre ? (Ghula à Koïnsky Brise de mer).
- La vérité ne se comprend pas, la vérité sintègre ! (Scarpetton à Svedesin Fable de Venise).
- Les mensonges sont plus crédibles quand ils sont énormes et détaillés ! (Jesuit Joe).
- Je nai jamais été particulièrement attiré par lexotisme, ce racisme à lenvers ! (Pratt)
- Je ne suis pas assez sérieux pour donner des conseils et je le suis trop pour en recevoir ! (Corto à Steiner Sous le signe du Capricorne).
- Mauvaise herbe ne meurt jamais ! (Lew Wetzel à Criss Kenton Fort Wheeling).
- Fariboles, mythes, mensonges
Trop beau pour ne pas sy arrêter, trop naïf pour que lon y croie (Corto à Steiner Mû).
- La poésie et lépée peuvent parfois faire un bout de chemin ensemble (Baron Von Ungern à Corto Corto Maltese en Sibérie).
- Sans curiosité on meurt et sans courage on ne vit pas ! (Jesuit Joe).
Je pourrais citer ici tous les textes figurant dans ce petit fascicule ou en trouver dautres dans les albums, tant Pratt faisait tenir à ses personnages un langage illustré, émaillé de pensées philosophiques souvent amusantes... les mots du bon sens !

Pour mieux comprendre il faut regarder dun peu plus près chacun des acteurs récurrents qui accompagnent Corto et ceux qui font partie dautres aventures.
La famille dHugo Pratt en quelque sorte.
Lavant Corto Maltese :
Fort Wheeling 1 et 2 : les personnages principaux sont particulièrement attachants par leur jeunesse et lamitié quils soffrent alors que tout les éloignent les uns des autres.
Criss Kenton est un jeune Virginien engagé dans larmée canadienne après le massacre de sa famille par les Indiens en révolte. Il lutte contre ceux-ci avant de prendre les armes contre les Anglais qui occupent le territoire.
Patrick Fitzgerald est son ami, il est Anglais et engagé en même temps que lui. Il le retrouvera plus tard en officier de larmée ennemie. Leur amitié résistera à ce profond déchirement.
Tiny, est le frère de Poisson Noir le chef indien qui a capturé le frère de Criss. Ce dernier libère Tiny pour sauver son frère et devient traître à son parti. Ils deviennent compagnons et le demeureront après la fin des hostilités.
Mohéna est une jeune Hollandaise capturée et élevée par les tribus. Délivrée par Criss elle deviendra sa femme malgré de nombreuses séparations dues à sa vie de coureur des bois.
Comme Ticonderoga, Fort Wheeling est une épopée qui se lit comme un grand livre daventure sur la création du Canada et du Québec. Le jeune Kenton y croise dautres personnages mythiques dont certains ont réellement existé :
Lew Wetzel, au visage rongé par la petite vérole surnommé "le tueur dindiens". Il ne vit que pour venger le massacre de sa famille et collectionne les scalps de ses victimes expiatoires.
Le Colonel Zane qui dirige les rebelles à la couronne.
Sa sur Betty Zane, que Criss délivrera des indiens.
Jean Théopompe Théomète acteur, soldat, peintre, apothicaire et espion français grimé en peau rouge.
Daniel Boone dont la réputation nest plus à faire, le capitaine Gibson dont le beau-frère indien Chef Morgan a déclenché les hostilités, Simon Girty le renégat blanc qui sert son pays et le peuple quil a adopté.
Plus quune bande dessinée, cest une véritable page dhistoire que nous offre Pratt.
Criss Kenton vit sa jeunesse sur fond de guerre dindépendance. Il découvre lamitié, la compassion, lamour, la fidélité à son pays et lhorreur et linjustice de la guerre. Une aventure magnifique.
Je regrette, à titre personnel, la mise en couleur des rééditions. Le noir et blanc donnait plus de force au dessin, sapparentait plus à un grand film sur les coureurs des bois.
Cest le cas de toutes les nouvelles éditions. Elles retirent un peu du charme de ce côté "premier jet" propre au dessin de Pratt, qui fait partie de sa personnalité. La couleur gomme un peu de cette spontanéité. Mais cest un avis personnel !
Billy James offre un intérêt différent, outre les deux histoires que comporte cet album : Lattaque du fort et Billy James ou on peut admirer la maîtrise de lauteur dans le dessin à la plume (des histoires qui se déroulent à la même période que les livres précédents et qui mettent en scène les mêmes types de personnages),
Les premières pages nous offrent plusieurs aquarelles de Pratt, des essais duniformes et de positions, des croquis mis en couleurs... Superbe !
En outre il illustre quelques légendes indiennes qui viennent sajouter à la BD. Elles font ressortir tout lintérêt porté par lauteur aux mystères et à lésotérisme.
Plus tard et dans un tout autre genre, Pratt nous fait rencontrer Ernie Pike et ses chroniques de guerre.
Ernie est correspondant de guerre et accompagné de son photographe, suit les GI durant la guerre 39/45 aussi bien sur les plages du débarquement, en Allemagne, dans le Pacifique, voire même en Afrique du nord.
Ses reportages sont prétextes à de courtes histoires dramatiques ou anecdotiques.
Un genre tout à fait différent du style Pratt quon retrouvera également dans Les Scorpions du désert précédemment cités.
Il y eu avant et pendant Corto quelques albums très divers, dont une Ile au trésor digne de Stevenson, mais jen ai retenu un : Gringo Varga...

tout particulièrement La Macumba du gringo, dont Claude Moliterni, maître en la matière et auteur de deux livres sur Pratt (Lunivers de Pratt chez Dargaud et Pratt chez Seghers, tous deux écrits en collaboration avec Hugo lui-même), nous dit :
"Avec La Macumba du gringo, Pratt nabandonne nullement toute cette ambiance chère à Corto Maltese... on vit en plein occultisme... en plein culte Vaudou, dans la macumba... dans le cantoblé... cette fois on plonge dans un monde étrange dans lequel il faut pénétrer sans arrière pensée... Pratt laisse venir à lui tous ceux qui veulent venir à lui... Celui qui peut voir cet univers, trouvera Gringo Varga et bien dautres héros oubliés... Mais celui qui ne veut pas voir cet univers ne verra jamais Gringo Varga et nentendra le son sourd de la macumba, venant de ces contrées chaudes où tout est mystère."
Quajouter de plus ?

Et puis il y a Corto Maltese !
Qui est-il ? Doù vient-il ?
Tout dabord personnage secondaire de La Ballade de la mer salée, il va en devenir très rapidement celui qui retient lattention du lecteur, puis le personnage phare dHugo Pratt. Jai déjà dit, sur une fiche de lecture, tout le bien que je pensais de cet ouvrage que je considère comme lune des uvres maîtresses de Pratt, pour le moins celle qui a le plus déterminé lorientation de sa carrière en BD.
Les pirates, durant la guerre de 14/18, dirigés par le Moine, forban dont personne ne connaît ni le visage, ni lidentité, nous font découvrir leurs aventures durant 166 pages (exceptionnel pour une BD) sans jamais lasser notre attention. Lun des capitaines à la solde du Moine nest autre que Corto Maltese.
Nul ne sait doù il vient, ni ce quil va devenir : le gentilhomme de fortune le plus cultivé de sa génération !

On découvrira, au cours de ses diverses aventures, quil est né à Malte en 1887, fils dune gitane de Séville et dun marin britannique.
Le 1er novembre 1913, il a donc 26 ans, en plein océan Pacifique, le commandant Raspoutine (étrange sosie du moine russe diabolique), pirate à la solde du Moine, le recueillait à son bord layant trouvé dérivant sur un radeau ligoté les bras en croix. Cest le début de laventure !
Plus tard, Pratt nous fera découvrir dans La jeunesse de Corto Maltese quil connaissait Raspoutine depuis 1904. Il lavait rencontré durant la guerre russo-japonaise et ensemble avaient sauvé Jack London (lécrivain journaliste) dun duel où il avait toutes les chances de périr.
Cest en feuilletant la galerie de portraits des proches, amis ou ennemis de Corto quon cerne mieux le personnage énigmatique et attachant qui, au cours de 12 albums, va nous faire courir de Sibérie en Ethiopie, de Venise en Irlande en passant par lAfrique, lAmérique du sud, les continents perdus du Pacifique, la Russie, lArgentine etc. Un tour du monde à la recherche de trésors ou de cités perdus et de civilisations disparues.
Il poursuit le rêve du professeur Steiner et de son ami Lévi Columbia ou sa propre quête dun graal qui nexiste que dans ses rêves.
Corto nest plus pirate, le voilà devenu gentilhomme de fortune qui nhésite pas à braver les légendes, aider les pauvres et les révoltés.
A travers Corto, Hugo Pratt nous permet de devenir acteur de nos propres désirs inconscients.
Sa culture est impressionnante, sa philosophie celle dun aventurier qui ne cherche ni la fortune ni la gloire. Il est riche de ses rêves impossibles quil tente de concrétiser pour notre plus grand plaisir.
Corto est le miroir de notre imaginaire capté par un aède moderne. Mieux quun héros, cest un homme qui va au bout de ses espoirs. Il porte sur la vie un regard détaché mais jamais blasé. Il mêle mythologie et aventure. Quel autre personnage aurait pu faire intervenir dans ses contes, Merlin, les fées Viviane et Morgane, Oberon, Le roi Arthur, les Léprecheuns et les korrigans ? A travers Corto, laudace littéraire de Pratt est sans limite.
Sans compter que le marin à loreille ornée dune boucle séduit garçons et filles qui lont croisé, et ceux qui le dévorent sur le papier.

Les personnages qui laccompagnent sont aussi peu ordinaires et parfois démesurés.
- Raspoutine : sosie du moine du même nom, cest un tueur, violent, en proie à des crises de rage délirantes. Cest lantéCorto, son contraire, la face cachée du bon samaritain. Celui qui le menace et qui lui sauve la vie. On le retrouve dans de nombreux épisodes. Toujours exalté, toujours sur un mauvais coup. Ils entretiennent entre eux des rapports complexes de haine et damitié.
- Steiner : ex professeur dUniversité devenu alcoolique, il erre à travers le monde à la recherche de vieux documents et de cités perdues. Corto le protège et le malmène parfois. Ils vivent les mêmes rêves. Steiner pourrait être le père spirituel de Corto, sil ne retombait sans cesse dans ses mauvais penchants. Enfin débarrassé de lalcool, il entraîne le marin dans sa dernière aventure à la recherche de Mû le continent englouti.
- Cush : guerrier Dankali de la tribu des Béni-Amer, il respecte le Coran qui guide chacun de ses actes et de ses paroles. Un ami particulier dont on ignore où Corto la rencontré. Cush apparaît aussi dans Les scorpions du désert.
- Bouche Dorée : grande prêtresse vaudou qui bénéficie de la vie éternelle. Elle apparaît dans plusieurs épisodes des Caraïbes. Elle se livre au trafic darmes avec Morgana, héritière du riche Bantan. Corto lui rend des services mais, une fois encore, il existe entre la sorcière et lui, une sorte de rapport filial un peu troublant.
- Morgana Dias Do Santos Bantan : ? sur de Tristan que Corto va aider à récupérer la fortune de son père. Elle pratique lespionnage au profit des Anglais avec Bouche Dorée.
- Venexiana Stevenson : aventurière avide, espionne, Corto la croise à Venise puis la retrouvera deux fois dans dautres épisodes, toujours à la chasse au trésor.
- Esméralda : prostituée aux as tatoués sur la joue. Elle croise plusieurs fois la route de Corto qui la retrouve en Argentine pour Tango. On peut limaginer amoureuse du bel aventurier.
Dautres personnages, secondaires mais très marqués, évoluent autour de Corto. On les retrouve dans un ou plusieurs épisodes.
- Tarao, jeune Maori au corps tatoué, de Nouvelle Calédonie.
- Christian Slütter, lieutenant de marine allemande, déchu.
- OSullivan, officier britannique jouant double jeu.
- Banshee ODannan, épouse de Pat Finnucan, faux héros de la résistance Irlandaise.
- Louise Brookozowyc, rencontrée à Venise, disparue à Buenos Aires.
- Duchesse Séminova, noble aventurière à la recherche du train dor de la Russie Impériale.
- Le Moine, qui règne sur lîle dEscondida
- Shamaël, incarnation de lange exterminateur.
- Pandora Groovesnore, enlevée, avec son frère Adam, par les pirates du Moine.
- Changhaï Li, membre des Lanternes rouges et du mouvement révolutionnaire Chinois.
Je passe sous silence les héros légendaires Celtes, Incas, Helvètes, etc. Tous ont des raisons profondes dexister qui rendent les histoires de Corto Maltese très différentes de toutes autres formes daventures contées en BD. Esotérisme certes, mais à la portée du lecteur moyen qui ne sennuie jamais, oscillant entre lépopée et lonirisme.
Car Corto est un rêveur.
Parfois même, son aventure na jamais existé ailleurs que dans son sommeil. Pratt réussit le tour de force de nous accrocher à lirréalité en la rendant palpable.
Qui sait ce que serait devenu Corto Maltese si son créateur avait vécu plus longtemps ? Aurait-il eu dautres aventures jusquau milieu du siècle ?
Il a disparu avec son auteur et demeure à jamais jeune dans notre cur.
Merci Monsieur Pratt ! Vous nous manquerez encore longtemps !
©2004 Michel Bonvalet
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