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fiche
lecture
FORMULE 1
Jean
Perilhon
Philippe Maurel
Aimez-vous la vitesse? En ce qui me
concerne, pas vraiment. Elle reste associée dans mon esprit à
une inutile dépense d'énergie qui contrarie mes aspirations
à une indolente quiétude. Personne mieux qu'Alexandre Vialatte
n'a défini cette saine détestation de la vitesse lorsqu'il
écrivait dans l'une de ses chroniques de "La Montagne", rassemblées
sous le titre"Chroniques des grands micmacs", l'aphorisme suivant: "Avec
la vitesse on fait tout sauf de la lenteur. Par exemple on perd son temps
beaucoup plus vite. Avec la lenteur on perd son temps plus lentement; donc
moins.".
Il aura donc
fallu la lecture du roman de Jean Perilhon, "Formule 1", pour
infléchir durablement cette vision un peu étriquée de
la vitesse et enfin l'envisager pour ce qu'elle est aux yeux d'un pilote
de course: la voie d'une ascèse, le levier de commande (c'est le cas
de le dire) pour la réalisation d'un idéal héroïque,
bref la voilà dotée d'un revers bienfaisant qui brouille désormais
la perception univoque que l'on pouvait en avoir jusque là.
Et l'entreprise
est méritoire car elle ne s'accomplit sous les auspices d'aucune divinité
protectrice. S'il existe dans la mythologie grecque un Dieu de la communication
(Hermès) de la foudre (Zeus), il n'en existe pas qui soit investi
du ministère de la vitesse, laissant ainsi aux mortels le soin de
réaliser au moyen de leurs ressources propres les conditions d'une
lutte sans merci contre le temps (Chronos). Et de chrono il en est beaucoup
question dans le livre comme s'il s'agissait d'un obstacle dont seul
le franchissement ouvrirait la perspective d'un salut. Il n'y a pas de Dieu
de la vitesse mais pour ces pilotes animés d'une même passion,
qui peut s'avérer destructrice, il y a dans la cosmogonie des Dieux
de l'Olympe une place à prendre. C'est finalement cette trajectoire
stellaire que raconte le roman.
Claude est pilote
de course automobile. Un statut qui résume ce qu'on peut savoir de
sa personnalité. Aucun trait psychologique particulier ne donne davantage
de relief à son profil. On ignore son passé, sa filiation et
il tranche par là avec les héros traditionnels du SDP, souvent
orphelins de naissance, avec l'élan du coeur porté par une
promesse de revanche, à la fois victimes et auteurs de l'Histoire,
affligés d'une blessure narcissique qu'ils n'auront de cesse de voir
cicatriser. Non, Claude est un garçon du présent car si la
geste sportive est avant tout aiguillonnée par le désir de
victoire, aucune autre raison de vivre ne la sous-tend. Gagner, surmonter
la fatigue, les souffrances, les faiblesses épuise tout l'attrait
de la compétition. D'où le parti-pris de l'auteur de dépouiller
son récit de tout affect qui pourrait parasiter la perception de cette
volonté de vaincre. Toute la pulpe de cette histoire est contenue
dans cet enjeu et le tour de force de J.Perilhon est de maintenir
tendu l'influx dramatique de sa narration sans jamais dévier de ce
cap. Une option d'ailleurs bienvenue puisqu'elle soutient constamment l'intérêt
du lecteur. L'intrigue court à la vitesse d'un moteur turbo avec une
tenue de route qui la préserve de toute déviance de trajectoire
vers l'artifice ou le rebondissement convenu.
Claude va tout
d'abord éprouver la solitude du courreur de fond. Qu'est-ce qu'un
pilote automobile? Un chevalier des temps nouveaux, engoncé dans son
monoplace comme dans une armure. La course met alors en mouvement un processus
de fusion entre le conducteur et sa machine. Une transsubstantiation qui
permet de conjurer la peur. Les réactions de l'un deviennent les réflex
de l'autre dans un "dérèglement ordonné de tous les
sens". Leurs vies se prolongent réciproquement, ce qui leur reste
d'autonomie s'entrelace, et du coup la séparation peut avoir un effet
déstabilisant: "Alors seulement, Claude réalisa qu'il n'était
plus au volant et d'un seul coup, la fatigue lui tomba sur les épaules"
(page 105).
Mais Claude
ne va pas avaler des kilomètres d'asphalte sans contrepartie pour
lui-même. L'usure de ses pneus sera aussi l'indice d'une évolution
personnelle. Et c'est en cela que "Formule 1", à l'instar de
nombreux ouvrages de la collection, est aussi un roman d'apprentissage. Peu
à peu, il va faire l'expérience d'une déconcertante
combinatoire, celle qui associe rivalité et amitié, et ce à
la faveur de l'arrivée dans l'écurie de course d'un autre pilote,
Jacques Trudaine. Et quand il se sera définitivement affranchi de
la méfiance qu'inspire une saine émulation, c'est l'expérience
du deuil qu'il lui faudra endurer avec son cortège de douleurs morales,
finalement plus fortes que les désagréments physiques de la
compétition. Affronter la mort sera dès lors pour lui la meilleure
manière de conjurer le risque qu'elle ne le surprenne. Le circuit
est la lisière d'un enfer dont le brasier surgit quelquefois au hasard
d'une collision ou d'une défaillance mécanique. Mais la témérité
de ceux qui s'aventurent à tutoyer ce gouffre, à le défier
sans arrêt, n'est pas un gage d'inconscience mais fait d'eux les modernes
dépositaires d'une éthique chevaleresque que l'on croyait obsolète.
Le livre est
enfin riche d'un reportage sur l'univers des courses automobiles, prouesse
d'autant plus remarquable qu'il parvient à intéresser ceux,
dont je suis, qui ont toujours eu vis à vis d'elles un regard distancié.
Cette documentation enchassée dans la trame du récit apporte
un parfun d'authenticité au ressort de l'intrigue. L'auteur a pris
le parti d'une narration factuelle, descriptive, cursive tout en insistant,
en contrepoint, sur l'état de nervosité, de tension, sur les
poussées d'adrénaline et les moments d'effondrement qui rythment,
en une symphonie atonale, la vie d'un champion. Le chapitre qui retrace l'épreuve
des 24 heures du Mans en donne à lui seul un éclairant aperçu.
On saura après
ça que l'existence de notre héros sera à l'image d'un
grand prix: un parcours fait d'accélérations et de rétrogradations,
avec quelquefois aussi des marches arrières et des têtes à
queue. Une belle allégorie dans laquelle J.Perilhon nous entraîne
sans aucun défaut de maîtrise.
Cela sans oublier
la finesse du dessin de Michel Gourlier et qui fait de l'image de
couverture l'une des plus belle que cet illustrateur ait eu à réaliser.
Perilhon signifie
petite pierre en occitant (prononcez périlloun). Ce livre est beaucoup
plus qu'une petite pierre sur le long chemin de la collection. Une borne,
et même mieux: un stand de course où l'on peut s'arrêter
sans craindre les dangers de la vitesse et savourer, avec lenteur, son plaisir
de lire sans risque de perdre son temps.
Jean Perilhon est né en 1942 à Lyon et vit dans le Rhône
Avant tout, journaliste de presse écrite,
travaillant pour des quotidiens ou des hebdos destinés au grand public,
Jean Périlhon revendique une écriture à l'adresse du
plus grand nombre et s'attache à placer ses personnages dans la vie
de tous les jours.
Il avait commencé
à publier des romans pour adolescents dans un but pédagogique.
Le premier, "Formule Un", a été traduit en espagnol
puis en portugais.
Il n'a pas cherché
à persévérer dans cette voie même s'il n'a jamais
cessé d'écrire pendant ses vingt trois années sans publication.
"Le Passeur de pays" avait en fait été terminé
dès 1986 et il a attendu dix ans avant de le proposer à un
éditeur.
Il a une demi-douzaine
d'autres romans et un recueil de poésies et nouvelles qui dorment
dans ses cartons.
Sa prochaine
publication devrait traiter de l'errance et de la quête d'un homme
qui, loin des chemins de tout le monde, fuit une fausse réussite.
Le travail est en cours. J.P.
Formule 1
Collection Safari-Signede Piste
Editions Alsatia 1971
Jean Perilhon
Illustrations de Michel Gourlier
Bibliographie:
Rouge Beaujolais,
Ravet-Anceau, Polars en région, 2007.
La Dame du "Télégramme",
Aléas, 2003.
Les Racines
de mai, Ramsay, 2000.
Le Passeur de
pays, Ramsay, 1997.
Maillot jaune,
Alsatia, 1974.
©2008 Philippe Maurel |
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