Il est rare que je propose sur le forum une petite fiche de lecture. Je
crois même que c'est la première. Il est vrai que mes fonctions antérieures
faisaient que je pouvais difficilement, du moins c'est ma conception
personnelle, à la fois éditer des livres et en faire la critique. Surtout quand
c'est pour en dire le plus grand bien : ça aurait pu paraître un peu partial,
voire suspect.
Si je le fais aujourd'hui, c'est que je suis libéré de cette contrainte et
qu'il y a très longtemps que je n'avais pris autant de plaisir à la lecture d'un
Signe de Piste. Enfin, Signe de Piste, non par la marque de fabrique mais
dans l'esprit, car il s'agit d'un petit cousin Jamboree. La lecture de ce livre,
ça a été deux cents pages de petits bonheurs tout simples. C'est un titre qui
n'avait pas retenu mon attention avant, mais il faut dire qu'il n'était pas très
attirant : un nom d'auteur inconnu : J.Y. Corin ! non inscrit au Panthéon des
Grands Auteurs du Signe de Piste et Annexes ; une couverture de Michel Gourlier
qui n'est pas sa meilleure ; et un titre plutôt banal : "La Cabane aux
chansons", car c'est de ce roman qu'il s'agit. Ce titre, composé de "cabane" et
de "chansons'' on ne peut pas dire que ça claque au vent de l'Aventure et que ça
peut faire rêver comme "Le Relais de la Chance au Roy", ça ne fleure pas le
mystère comme "Le Bracelet de vermeil", ça n'a pas le panache "Sang et or" des
guerres de Vendées, surtout dessinées par Joubert...
Et pourtant, quelle surprise ! D'abord en découvrant, sur la couverture de
la récente réédition des Editions du Triomphe, le nom de Georges Ferney.
L'anonyme J.Y. Corin, si je peux m'exprimer de façon aussi antinomique,
cachait... Ferney. On n'est plus en terre inconnue : avec l'auteur de "Fort
Carillon" et du "Château perdu", on est dans le Panthéon du Signe de Piste
! Alors je l'ai lu, pour voir de quoi il ressortait, et j'ai découvert un petit
bijou, au point que je serais tenté de rectifier la phrase précédente et de
parler de l'auteur de "Fort Carillon", du "Château perdu" et... de la "Cabane
aux chansons".
L'histoire est assez simple, presque banale. Cette cabane n'est pas nichée
au fond des bois ni dans les branches d'un chêne séculaire - laissons cette
spécialité à Guy de Larigaudie ou Jean-Louis Foncine -, elle traîne au fond de
la cour d'un immeuble d'une ville italienne qui évoque Naples ; et ce qu'on y
chante, ce ne sont pas ni des chansonnettes, ni des chansons scoutes. Une bande
de raggazzi veut s'y réunir afin de créer une chorale. Ce qui, là aussi,
peut sembler assez banal.
Ce qui l'est moins, c'est la peinture que Georges Ferney fait de ces
enfants, pauvres comme pouvaient l'être les sciuscia de l'après-guerre,
mais riches d'un amour, d'une solidarité et d'un courage sans faille. La
délicatesse avec laquelle ils s'occupent de l'un d'entre eux, qui a perdu
l'usage de ses jambes et pour qui cette chorale est créée, et comment, avec
quelle ingéniosité, ils vont s'efforcer d'y parvenir, sans connaissances
musicales, c'est le sujet du roman. Les voilà embarqués dans une entreprise
hors de leur portée, autant dire folle et démesurée. Ils vont y être aidés par
une rencontre providentielle, celle d'un ancien violoniste virtuose, dont la vie
a été brisée par la mort de ses deux fils pendant la guerre (on est "dans les
années 50").
L'entrée du petit Marco, à la recherche de travail après s'être fait viré,
dans la boutique d'instruments de musique du vieux violoniste, c'est le début
d'une belle histoire. Le vieux qui le voit entrer, c'est un peu comme si un
grand virtuose se retrouvait nez à nez avec un Mozart enfant ! La rencontre est
cocasse : le gamin vient de voir, dans la vitrine de la boutique délabrée, une
annonce : "Cherche jeune garçon pour travail facile". Il pousse la porte,
tremblant et désespéré car toutes ses tentatives pour trouver un travail ont
échoué. Il entend alors le vieux carillon qu'il vient d'actionner, sa musique le
saisit, et il reste là, sous le charme, devant l'homme qui est amusé et assez
surpris. Quand il aperçoit enfin le vieil homme qui l'observe , il demande : "
Vous permettez, Monsieur, que je le fasse jouer encore une fois ?" Il en a
oublié ce pourquoi il était entré, au risque de laisser filer sa chance, tandis
que le vieux musicien est subjugué par cet enfant visiblement plus sensible à
cette belle musique qu'à ce que débitent les radio. Il a devant lui un petit
Mozart.
Et c'est la grâce de cet enfant, son ingéniosité et son courage qui vont,
peu à peu, permettre à l'homme qui l'a engagé, de retrouver le goût de vivre, et
le conduire ensuite, après qu'il ait repris goût à la vie, à prendre en main la
chorale, et à permettre à ce Marco et à ses copains de réaliser leur rêve :
donner des concerts et rassembler les fonds pour faire soigner leur copain
paralysé.
Tout cela, sans le talent de Georges Ferney, aurait pu faire un gentil
mélo, un conte au pays des Bisounours. C'est, au contraire, un roman d'une
grande fraîcheur car les personnages y sont vrais, poignants et drôles. Le roman
baigne dans une atmosphère magique, peut-être celle qui fait la grâce de
l'enfance. On pense à "La Cage aux rossignols" ou aux
"Choristes"...