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fiche lecture
Les pistes de l'ombre
Serge
SIR
Philippe Maurel
Heureuse fin de vacances où on
compte la récolte de la moisson estivale de lecture. J'ai commencé
l'été par la lecture d'un SDP peu connu, et en tous cas
peu cité, je veux parler de "Les pistes de l'ombre" de Serge
Sir.
Hitchcock a-t-il sa place dans la galerie des portraits de ceux, artistes,
aventuriers ou personnages historiques, qui ont exercé une influence
sur les auteurs de la collection? La réponse est positive à
s'en tenir uniquement à la lecture de ce roman, paru en 1958 (cinquante
ans déjà!) et qui reprend plusieurs des thèmes qui ont
fait du maître du suspens une valeur stellaire au firmament du septième
art.
Le héros hitchockien a un problème avec la réalité,
comme on dit de certaines personnes qu'elles ont un problème avec
l'alcool. Les phases d'évitement, de répulsion et d'antagonisme
altérnent avec les périodes de séduction, de connivence
durant lesquelles on fraternise pour le meilleur et souvent le pire. Qu'il
voit le monde projeté sur l'écran de la vie à partir
de sa fenêtre (fenêtre sur cour), dans l'ambiguité
angoissante d'une double personnalité (vertigo), ou dans l'ubiquité
spectrale d'un schizophrène (psychose), le héros Hitchcockien
est sans cesse confronté à un mystère qui entre en résonnance
avec ses propres intérrogations identitaires.. Si on met tout ça
en perspective sur fond de vieux catholicisme rigoriste de ce cinéaste
aux origines irlandaises, qui ajoute souvent un levain pimenté aux
intrigues de ses films, on comprend que la question rémanente de la
culapbilité, qui change souvent de dépositaire ou d'incarnation
dans le même film, est une donnée invariante de ses oeuvres.
Retrouve-t-on tout cela dans ces "Pistes de l'ombre" ? Sans doute,
mais à des degrés divers. Car nous sommes en présence
d'un jeune héros, imprégné de valeurs chrétiennes
et qui fera de son sentiment de culpabilité le levier d'accession
à sa pleine maturité.
A la lecture du livre de Serge Sir, la même impression de malaise saisit
le lecteur que celle éprouvée à la vision du film "Soupçons"
d'Hitchcock avec Cary Grant et Joan Fontaine. Tous deux perpétuent
à travers le mariage une histoire d'amour enflammée jusqu'à
ce que plusieurs morts supectes survenues autour d'eux éveillent l'inquiétude
soupçonneuse de l'épouse quant à la véritable
personnalité de son mari. Du coup, tous les évènements
qui surviennent sont passés au crible de ce terrible soupçon
qui déchire le coeur et la raison de l'aimée en laissant entrevoir,
en filigrane, une terrible question: l'amour n'est-il qu'une illusion, le
simple habillage sentimental d'un désir narcissique?
Cette intérrogation est perceptible en écho dans le roman de
Serge Sir. On retrouve une histoire d'amitié classique entre un jeune
adolescent de quinze ans, Michel, avec Daniel un jeune homme plus âgé
que lui. Ils se sont rencontrés au cours d'un stage de secourisme.
Tout un symbole car on se demandera toujours qui des deux a porté
secours à l'autre au terme d'une aventure qu'ils ont vécu ensemble
entre la capitale et le marais poitevin. L'ainé fascine le cadet et
on peut raisonnablement dire qu'il y a de quoi. Il conduit une décapotable,
fume des gitanes et a même écrit un roman scout. Pourtant sous
un aspect brillant et séducteur, l'homme cache une autre personnalité
avec un réservoir de secrets qui intrigue et fascine le jeune héros.
Alors ce Daniel ? Docteur Jeckyll ou Mister Hyde ? A moins qu'entre ces deux
pôles ne surgisse une autre réalité, plus insaisissable,
aux retentissements émotionnels d'autant plus vifs qu'elle finit par
impliquer le propre père du jeune garçon. Je n'en dirai pas
plus sauf à préciser que l'on retombe de manière un
peu factice sur une histoire assez banale d'espionnage, genre qui faisait
fureur dans la période de guerre froide où l'ouvrage est paru.
Mais ce qui fait surtout l'intérêt du roman est le soin et l'insistance
que met l'auteur à disséquer chirurgicalement les sentiments
contradictoires du héros, ses tiraillements cornélliens, tour
à tour attiré par son mentor et défiant vis à
vis de sa part d'ombre. On suit pas à pas ses tourments jusqu'à
ce qu'il prenne peu à peu conscience, au fil de l'intrigue, qu'il
est peut être la victime d'un jeu de dupes. Il apprendra ainsi que
rien n'est jamais figé, gravé dans le marbre, et que l'apprentissage
de la vie s'apparente au jeu d'une tectonique des plaques: à se chevaucher
et rechercher le contact les unes avec les autres, des déflagrations
se produisent. Et ce qui vaut en géophysique vaut égalements
pour les sentiments humains.
La fin du livre en donne la clé d'une manière qu'on peut trouver
un peu trop explicite. La rencontre fait germer dans l'esprit de l'adolescent
cette impression que rien n'appartient plus à l'enfant naïf et
docile qu'il laisse derrière lui comme la mue d'un serpent. A partir
d'une faille, de crevasses laissées douloureusement par l'amitié
dont il ne sait (mais la saura-t-il jamais) si elle a été trahie
ou bien si elle n'a été que le masque qui a recouvert une sordide
manipulation, l'individu se construit. L'expérience laissera ainsi
des traces: plus qu'une vicissitude de la vie, elle sera l'armature invisible
d'un nouveau destin.
L'auteur excelle à donner un champ de profondeur émotionnelle
à chacun de ses personnages qui les rend irréductibles à
leur simple apparence. Ce Daniel par exemple. Il est dans cet entre-deux
qui départage le statut d'adulte de celui de vieil adolescent. Une
fracture par laquelle suppure sa mystérieuse ambiguité qui
le fait osciller entre l'ange et le voyou et qui finira par éveiller
les soupçons du jeune Michel. Il se veut tuteur, bienfaiteur, protecteur
mais trés vite un clair obscur recouvre des pans entiers de sa personnalité
comme un lierre endémique le ferait sur une imposante façade
de pierre.
L'intrigue d'ailleurs prend une tournure plus problématique lors de
la réapparition du père du jeune garçon, une paternité
dés le départ marquée du sceau de l'absence. Se pose
dès lors une difficile question pour notre héros qui, pour
n'être pas explicite n'en est pas moins prégnante: y-a-t-il
dans le lien d'amitié entretenu avec cet aîné une recherche
de paternité de substitution? Epaississement du mystère et
prolégomène à de nouveaux troubles intérieurs
lorsqu'on apprend que les deux hommes ont lié connaissance à
la faveur de leurs activités secrètes. Paternité et
espionnage sont des thèmes qui ont souvent scellé un pacte
d'alliance dans certains signes de piste. Il n'est qu'à se rappeler
à cet égard "La DS de Creil" où ces deux
options thématiques se déclinaient et s'équilibraient
tout au long de la progression du récit. On peut saluer ici la même
subtile composition.
Le roman s'achève donc après l'accomplissement d'un rite de
passage. Il met également en exergue ce que la
notion de secret peut avoir de fécond dans le procéssus d'affranchissement
des codes qui régissent l'univers de l'enfance. Pas le secret galvaudé
de façon régressive et infantilisante par une émission
de télé-réalité récente qui en fait un
ferment de voyeurisme vulgaire. Non, un secret dont le dévoilement
donne le coup d'envoi à un nouveau défi pour celui qui le reçoit.
Un roman donc qui ne manque pas de profondeur et qui a le charme suranné
propre à l'esthétique des années 50 et 60. Pas d'écart
de langage (ce n'est ni zazie ni "les aiguilles rouges")
et les dialogues ont la même patine policée que celle des films
d'Hitchcock de la grande époque. Cependant, cette touche passéiste
n'entame jamais le plaisir de lecture (au contraire !). Qui d'entre nous
n'a pas été un adolescent intrépide et curieux qui réapparait
quelquefois dans nos rêves pour solde des comptes de nos jeunes années
?
Je n'en suis pas à suggérer
une réédition mais voilà un roman qui est destiné
à figurer en bonne place sur les étagères qui supportent
les livres de la collection. A portée de main, pour se rassurer, pour
que les signes qui jalonnent ces pistes de l'ombre nous indiquent encore
le sens de notre destinée.
Bibliographie:
Le Garçon du Marais 1955 (SdP 78)
Les pistes de l'ombre 1958 (Sdp 120)
Mon frères, cet ennemi 1960 (SdPJ 24)
Les Pistes de l'ombre
Serge SIR
Illustrations de Michel Gourlier
Editions Alsatia 1958
Collection Signe de Piste n°120
©2008 Philippe Maurel |
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