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fiche lecture
UN PRINTEMPS A TCHERNOBYL
Emmanuel Lepage
Michel Bonvalet
Attention Chef d'Oeuvre !
Un hymne à la vie en passant par l'enfer !
En
2008, Emmanuel Lepage se rend à Tchernobyl en compagnie d'un autre
dessinateur breton Gilles Chasseboeuf, sous l'impulsion d'un groupe
d'artistes les Dessin'acteurs, afin de se rendre compte sur place des
dégâts occasionnés par l'explosion de la centrale de Tchernobyl en 1986. Une
action militante afin de témoigner sur ce désastre dont on nous a
partiellement caché la réalité et l'ampleur ainsi que les repercussions
humaines . Ils vont y passer 15 jours. A l'époque, Emmanuel
souffrant d'une importante tendinite lui interdisant de presser sur le
papier avec sa main, va faire des crayonnés, des aquarelles et des
pastels pour témoigner de ce qu'il voit et entend. De cette expérience un premier témoignage sous forme de carnet de route est édité par "Les Dessin'acteurs" : Les fleurs de Tchernobyl" qui a fait l'objet d'un article de notre part à la suite d' l 'Entretien au coin du Net avec Emmanuel Lepage
Mais
ce travail semblait insuffisant à l'artiste pour rendre compte de
la réalité et de sa vision de la catastrophe. Aussi fort du succès
rencontré par sa Bd-reportage "Voyages aux iles de la tentation",
il convainc son éditeur de décrire plus complètement son expérience et
les sentiments qu'il a ressenti à travers un nouvel album sous forme de
bd.
Ainsi est né cet album de 164 pages qui
prennent aux tripes le lecteur dès la première case, que ce soit par la
force et le réalisme des illustrations ou la sincérité du récit qui se
lit comme un roman d'aventures.
J'ai parlé plus haut de chef
d'oeuvre et je ne crains pas d'utiliser de superlatif pour décrire un
travail aussi émouvant, qui ne peut qu'ouvrir l'esprit de ceux pour qui
l'écologie n'est qu'un gadget politique.
L'artiste y montre
toute la maitrise de son talent en alternant des scènes
obscures, sinistres reflets du drame qui s'est joué il y a 26 ans,
avec des décors tableaux aux couleurs intenses souvent conformes à l'impression du peintre.
L'enfer est décrit avec la simplicité et
l'humanité qui caractérise l'auteur, mais aussi avec ce talent sublimé
par l'émotion qu'il souhaite faire partager à son lecteur. Des
ruines au sein de la nature florissante reprenant ses droits, des habitants
simples et accueillants, conscients du danger qui les entoure mais
refusant de quitter cette terre où ils sont nés, jouant au
quotidien avec cette radioactivité qui les menace. Des
trompe-la-mort dont ne parle jamais dans les journaux télévisés.
Aucune
tristesse dans ce récit, si ce n'est cette peur d'être contaminés qui
obsède les participants venus de France, mais plutôt un élan d'amitié et de
fierté des habitants pour parler de leur vie passée et présente.
Il fallait faire passer ces sentiments complexes à travers les strips de la Bd et c'est réussi.
Monsieur
Lepage n'aime pas trop les compliments et je respecte tant bien que mal
sa modestie naturelle mais j'ai beau m'honorer d'être de ses amis, il m'est
impossible cette fois de ne pas heurter celle-ci tant a été forte
l'émotion qui m'a étreint à la lecture de ce reportage.
Une fois encore
la sensibilité, le professionnalisme, le grand talent d'Emmanuel font
mouche. Chaque image soulevant un questionnement quant à notre attitude
devant l'évolution galopante de nos technologies et les risques
engendrés.
Si chaque tableau est un régal sur le plan
artistique, il conserve intacte la vision de cette nature déchiquetée
et dangereuse pour des lustres encore.
Comme
dans son précédent album, l'auteur s'est mis en scène avec ses proches,
ses enfants et tous les vrais acteurs qu'il a "croqué" sur le vif au
cours de cette aventure hors du commun. Nous n'en ressentons que mieux
l'aspect intime et toutes les questions parfois angoissantes qu'a posé
ce séjour.
C'est un récit vivant, poignant, d'une
expérience qui se termine dans la joie des retrouvailles avec la
famille dans ce hâvre de paix où nous avons la chance de vivre. C'est
un appel à l'intelligence de nos gouvernants dont nous nous devons de
nous faire l'écho et qui ne manquera pas d'être entendu par tous ceux
qui sont sensibilisés par l'avenir de notre planète.
Ce document
est un acte politique qui rend compte de la dangerosité de la course au
nucléaire, mais il est aussi, avant tout, le récit d'un artiste témoin
de son temps et de ses excès.
Et
pour en dire plus sur l'auteur, je me permettrai de citer une phrase
d'un courriel qu'il m'a adressé il y a quelques semaines :
"...comme
le dit Claude Gendrot, mon éditeur: Je"fus" le livre pendant des mois
et particulièrement ces dernières semaines à m'immerger dedans 15
heures chaque jour. Une sorte de transe qui, curieusement, ne m'a pas
laissé exangue, mais plutôt fait entrer dans une autre dimension...
Etrange expérience, sans doute à ne pas réitérer trop souvent à moins
d'y laisser la santé !"
Mais le résultat est là, magnifique.
Il était venu voir de près la mort et c'est la vie qui l'a surpris !
Un Printemps à Tchernobyl Emmanuel Lepage Editions Futuropolis 2012
©2012 Michel Bonvalet
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