fiche lecture
Le Royaume et la Gloire Yves Taillefer
Michel Bonvalet
Paru en 2007 aux éditions de la Licorne, Le Royaume et la
Gloire aurait mérité de bénéficier du
label de la collection Signe de Piste, tant il en a l’étoffe, au moins pour les
romans de ladite collection consacrés au scoutisme.
Il y a à la fois du « Grand jeu »de Jean Valbert,
du « 2 Rubans Noirs » de Pierre Labat et de « La
Frontière » de Philippe de Baër (alias Bruno Saint Hill) avec une forme de brutalité moderne qui ajoute au
réalisme du roman. Est-ce d’ailleurs un roman ou un récit romancé des aventures
de l’auteur dans sa jeunesse ? Yves
Taillefer répond à cette question dans le court entretien qui figure en fin du
premier tome de cette saga.
Loin de plagier ses illustres aînés (de belles références)
l’auteur relate les états d’âme de ses
personnages sans fioritures en phrases brèves et efficaces sans édulcorer le
langage des patrouillards parfois rudes entre eux.
Le Royaume et la Gloire se détaille en trois tomes qui
répondent chacun à l’évolution du héros Guillaume (Iaume pour ses amis scouts)
au prise avec son difficile passage de l’adolescence à l’âge plus mur.
Le premier « Le Deuxième Jeu » nous fait
découvrir la patrouille du Lynx et ses mésententes internes. Iaume second de
patrouille n’est plus heureux dans la troupe et ne prend plus de plaisir à
participer aux grands jeux qu’il trouve enfantins.
Ayant, à titre personnel, rencontré ce genre de situation au même âge,
j’ai adhéré très vite au ressenti de l’ado, ne se sentant plus à sa place dans son
uniforme scout et dans son
environnement, qui souhaite aborder sa vie quotidienne de façon plus mature.
Iaume ne supporte plus personne et s’étiole dans les jeux où il excellait. Il
finira par déserter à la suite de son Chef de patrouille trop faible lui-même
pour reprendre le groupe en main.
Mais l’auteur ne réduit pas son roman à la simple crise de
conscience de Iaume, il y a Geoffroy le CP, le grand jeu (qui n’en est peut-être plus
un ?), les embuscades, les mêlées brutales où les poings remplacent la
garruche traditionnelle, les prises de foulards et…les merveilleux paysages de
l’Auvergne.
On a quelquefois critiqué la brutalité des jeunes dans la
description de ces bagarres sans merci, elles ne sont que le reflet de la
recherche de contacts virils sans dépasser pour autant le niveau de l’œil poché ou des zébrures dues aux ronces ou aux chutes dans les terrains
caillouteux. Pour qui a connu le scoutisme d’après-guerre on retrouve là
l’enthousiasme des luttes opposant les patrouilles les unes aux autres pour emporter le trophée du camp.
(Pour mémoire relire « La Bande des Ayacks » et la bagarre des marais
entre Scouts et Ayacks)
Iaume attend beaucoup de la vie. Une lutte à laquelle il
aspire et qu’il réussira à l’issue de l’épreuve. Il rencontre l’amitié, la
haine, la jalousie, la joie autant de sentiments propres à la vie en
communauté.
Le second Tome « Iaume le Preux » dévoile au
lecteur la suite des aventures de Iaume
devenu Chef de Patrouille du Lynx à son tour.
Ce second opus des aventures du Lynx se déroule l’année suivante
en montagne où a lieu le grand camp d’été. Il
a pour fil rouge le grand jeu au cours d’une explo sur le thème
historique de la bataille opposant les différents duchés pour la conquête de la
couronne de France, chacun des CP portant le titre du duché qu’il
représente : Guillaume est duc d’Auvergne. Chaque patrouille possède un
des signes de la royauté et le but du jeu est de posséder les 4
attributs : Sceptre, Manteau, épée et couronne pour gagner le Royaume de
France... et le grand jeu.
Tous les coups sont permis et cela promet encore de belles
bagarres épiques et violentes (peut-être parfois trop !)
Iaume CP du Lynx n’en a pas pour autant réglé ses problèmes
existentialistes qui l’amènent à s’interroger sur ses capacités de Chef (il se
trouve nul) et à se comparer aux chefs qui l’ont précédé. Un véritable travail
d’auto analyse qui fait quelques fois décrocher le lecteur. Iaume a 17 ans et
un caractère affirmé et complexe qui provoque des sentiments forts chez ses
compagnons : amour, jalousie, voire haine… Il ne laisse jamais
indifférent.
Une succession de batailles épiques et très détaillées qui
inquièteraient toute bonne mère de famille. Trop de violence dans les
sentiments et les actes. C’est le bis repetita du premier tome avec 1 an de
plus et des responsabilités.
L’art de l’auteur consiste à faire remonter, chez ceux qui les ont vécus, des souvenirs de
la vie scoute, de la nature, de ses propres efforts, des odeurs, des ressentis,
de l’ambiance des explos et des grands jeux pris très au sérieux par les
enfants et adolescents. Un merveilleux retour à notre propre jeunesse.
Le troisième tome : Le Frère du Lynx est la suite du
précédent et se déroule immédiatement après la victoire de Iaume. Cette fois-ci
ce sont Bertrand son second et surtout Philippe le CP des Aigles qui partagent
la vedette du rebelle Lynx. Le jeu n’est pas fini et se poursuit en dépit de la
victoire, au cours de l’explo des patrouilles.
En dehors des batailles épiques et des paysages somptueux de
l’Ardèche, on y retrouve les mêmes sentiments forts : envie, jalousie,
amour, admiration et fidélité qui animent Iaume et ses amis. Rivalité avec
Philippe qui le déteste mais qui est le frère cadet de Guil, le CP qui fut le
mentor de Iaume et qui a depuis longtemps quitté la Troupe.
Iaume joue à « Je t’aime..moi non plus » avec son rival qui est un Scout modèle à l’inverse de ce que
lui-même ressent de sa propre attitude. Il en souffre dans son cœur et dans son
corps qu’il malmène au cours de jeux brutaux où il va jusqu’au bout.
Le jeu n’est pas fini…C’est le jeu de la vie pour cet ado en
perpétuelle analyse.
Le livre refermé génère des souvenirs des saveurs
inoubliables des camps, des explos, des raids, des prises de foulard et des
copains. Mon propre frère ainé était CP du Lynx (eh oui..) et quittait la
troupe pour la Route quand je suis entré aux Scouts…Dur de succéder sans
souffrir de comparaison. Philippe en
fait l’expérience en se renfermant dans une attitude sans reproche…Le CP
modèle !
Il deviendra lui-aussi le frère du Lynx (Iaume).
Le héros est attachant, bien que très compliqué et tourné sur lui-même plus que sur les autres.
On aurait pu écourter de longues descriptions mais l’ensemble donne envie d’en
savoir plus.
Yves Taillefer aime l'écriture et cela se sent au travers de ses descritions détaillées. Il n’a pas fini de nous offrir des romans forts
qui s’inscrivent vraiment dans la lignée des auteurs classiques de la
collection Signe de Piste.
Les trois romans sont illustrés de main de maître par
Bernard Dufossé dont le style (proche de Joubert) est remarquable et personnel.
Le Royaume et la Gloire :
1- Le Deuxième Jeu
2- Iaume le Preux
3- Le Frère du Lynx
Yves Taillefer
Illustrations de Bernard Dufossé
Editions de la Licorne 2007 et 2010
©2015Michel Bonvalet
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