fiche lecture
LES SANZINDES
Vladislav Krapivine
Michel Bonvalet
Une fois encore je
me suis laissé prendre par la magie de Vladislav Krapivine en
dévorant son dernier roman traduit en français par François
Doillon et Tatiana Palma.
Une petite merveille
de littérature qui me rend incompréhensible la faible connaissance,
dans notre pays, de l’oeuvre colossale de celui qui est surnommé
parfois le Tolkien russe.
Comme chaque fois,
j’ai reposé le roman, lu presque d’une traite, et laissé mon
imagination, exacerbée par le récit, vagabonder dans ce pays
imaginaire avec les enfants privés d’index, les Sanzindes, dans
les grandes prairies de la joie.
N’imaginez pas une
narration sur la recette du bonheur, ni un conte se terminant par
« Ils vécurent heureux etc... » ce n’est pas le genre
qu’affectionne l’auteur.
Vladislav Krapivine
en plus d’être un poête romancier est un philosophe visionnaire :
Ce roman paru en 1989 nous parle d’un monde futur régit par la
Machine afin que l’être humain soit réduit à l’état
d’exécutant, surveillé par une garde prétorienne aux ordre de
l’Etat 24 heures sur 24, incapable de gérer sa vie en dehors des
normes fixées par la Machine. Nul n’échappe à cette surveillance
(on pense au dernier scandale Facebook, est-il un des prémices
d’une vie future de zombies?). Dans ce monde déshumanisé ne reste que
les dominants (police, armée, geôliers) et les dominés résignés
par facilité, crainte et confort.
On ne sort pas de
cette lecture indemne et de nombreuses questions se posent au lecteur
sur sa propre vie et le futur des ses enfants. Le personnage
principal ne va-t-il pas jusqu’à se demander s’il a aimé sa
femme et sa fille par sentiment ou par devoir et convenance…. Les
questions posées sont empreintes de gravité sous un emballage
distrayant et léger.
L’action se
déroule dans un pays du futur, sur terre. La Machine, sorte
d’ordinateur universel, gère le quotidien de chaque habitant comme
si une armée de fonctionnaires se penchait sur chaque individu pour
lui imposer sa vie privée et professionnelle. Chaque nouveau-né se
voit greffé un index biométrique qui le suivra toute son existence
et, sorte d’immatriculation, lui permettra d’être suivi, et
conseillé, à chaque instant. Les Uhlans, policiers-soldats montés
sur mono roue, sont chargés d’assurer le respect de la discipline
et des lois. Leur bâton lecteur d’index leur permet d’identifier
le moindre contrevenant. Les nouveaux radars portables feront bientôt de même sur nos routes.
L’auteur
mêle
science-fiction, onirisme et action et nous amène à réfléchir au
devenir de notre propre monde avec l’omniprésence des moyens de
communications et ses répercussions sur notre vie sociale, chaque
avancée simplifiant notre vie avec, en revers de médaille, un isolement
de plus en plus grand.
Dans ce Pays tout se
déroule dans une douce béatitude qui anesthésie l’individu qui
se contente de vivre sans autre velléité.
Cornélius Glass est
un fonctionnaire zélé et mou qui fut affublé à l’école du
sobriquet de « moule », Marié sans passion, sa fille,
adulte, le méprise...mais il vit sa vie tranquille sans ressentir
d’affront, se contentant de se disputer gaiement avec ses
collègues, comme des potaches.
Les jours s’écoulent
identiques jusqu’à l’arrivée, à son domicile, d’une
convocation par l’administration judiciaire qui l’informe
qu’ayant commis une infraction (traversée d’une rue en dehors
des clous) il a "bénéficié" du tirage au sort et sur 1.000.000 de
contrevenants. C’est lui qui a été désigné pour subir la seule
peine qui existe dans le pays : la mise à mort.
En
effet la Machine a institué un système simple de répression:
en fonction de la gravité d’une faute ou d’un crime, elle sélectionne
les coupables (plus ou moins nombreux suivant le délit) et en tire
un au sort qui subit la peine capitale. Le tirage sur un million de
personnes étant réservé aux délits mineurs. L'efficacité du système est
évident ; plus la faute est grave plus on a de chances d'être tiré au
sort et inversement. Un Loto qui vide les prisons, mais limite les
actes répressibles.
Le monde s’écroule
pour Cornélius contraint de se rendre à la convocation en
connaissant l’issue fatale inexorable...Or nous sommes un samedi et
l’éxécuteur n’officie qu’à partir du lundi…
Pour l’occuper le
week-end, la prison étant vide (avec une coutume aussi radicale), le
directeur lui demande de remplacer la geôlière-éducatrice qui
garde quelques enfants dans une autre partie du bâtiment. Ces
enfants nés sans index n’ont pas d’existence légale et sont
enfermés à vie car trop jeunes pour subir la peine capitale.
Cette situation va
fait resurgir le passé de Cornélius et en particulier cet enfant
extraordinaire harcelé par la bande de l’école, qu’il ne
défendit pas, trop heureux de céder sa place de tête de turc à un
autre. Ce garçon avait le don de faire disparaître les choses entre
deux miroirs permettant de passer dans un univers parallèle.
Et puis survient
César, un ado qui a su de débarrasser de son index, qui veut se
sauver pour retrouver ses parents arrêtés par les Uhlans.
Des circonstances
particulières vont faire disparaître l’existence légale de
Cornélius qui, prenant conscience de la stupidité de la loi et des
excès qui s’y rattachent, va reprendre sa vie en main pour tenter de sauver
ces enfants de la prison et de la mort qui les attend.
Y réussira-t-il et
sous quelles conditions ?
Quel sera le rôle
du mystérieux père Pierre, son ami d’enfance retrouvé ? Le
réseau de résistants au régime pourra-t-il lui permettre de faire
passer le groupe des Sanzindes dans une autre dimension pour y
retrouver les grandes prairies ?
L’action l’emporte
sur le rêve et le danger guette Cornélius et César jusqu’à un
épilogue surprenant ?
Du grand et du
meilleur Krapivine.
Soutenu par des
illustrations incitant au rêve.
Il faut absolument
lire ce roman et comprendre combien notre civilisation risque d’être
en danger. Le texte sera lu par les ados comme une aventure mais il a
une double lecture et amène à la reflexion profonde.
Il aurait pu faire
partie de la collection Signe de Piste,
cela aurait contribué à mieux faire connaître cet auteur qui,
parfois, m’a fait penser à Jules Verne, à condition de miser sur une diffusion auprès des libraires spécialisés. Krapivine mérite d'être plus populaire en France qu'il ne l'est actuellement.
N.B: Pour ceux qui souhaitent découvrir l'univers de Vladislav Krapivine, ce petit film de présentation : https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=_Bvymga7ci0
Les Sanzindes
Vladislav Krapivine
traduit par François
Doillon et Tatiana Palma
Edition Rivière
Blanche
En vente chez Amazone
D’autres romans
de V.Krapivine parus chez Delahaye ont fait l’objet d’une fiche
de lecture :
Les Enfants du
Flamand Bleu
Le Poste sur le
Champ des Ancres
Le Pigeonnier de
Villenoix
L’Etincelle
vivante
Le Garçon et le
Lézard
La biographie et la
bibliographie de V.Krapivine est lisible à l’adresse suivante :
https://www.krapivine.com/
©2018 Michel Bonvalet
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