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PAROLES DE SCOUT 2
JAMBVILLE 1954 par Michel Bonvalet
Vers mes 17 ans, je fus appelé à
la fonction d’assistant chef de troupe (ACT).
Nous reprenions, à trois cadres, la troupe qui avait erré
une année sans responsable à la suite du mariage du chef
et en raisons de ses nouvelles responsabilités professionnelles.
Il s’agissait de donner un nouveau coup de fouet aux patrouilles incomplètes
(de nombreux scouts écoeurés avaient déserté)
et d’attirer de nouvelles recrues en donnant un essor propre à redorer
notre blason.
Ce moyen, nous l’avions sous la main grâce à Michel Menu.
C’était la formation Raider qui, bien que concernant les scouts les
plus aguerris et les plus âgés (1ère classe), offrait
un renouveau au scoutisme tout en s’appuyant sur les méthodes de base.
Les novices avaient un nouveau but à long terme et pouvaient s’y préparer
avec leurs aînés.
C’est donc sur ce projet que nous organisâmes notre troupe renaissante,
récupérant ainsi la plupart de nos brebis égarées
qui étaient allées chercher dans d’autres organisations ce
qu’ils ne trouvaient plus à Sainte Thérèse.
Visant l’investiture Raider à moyen terme il nous fallait adapter
nos méthodes à la modernité exigée pour
porter un jour la croix potencée surmontée des deux ailes et
le béret vert aux deux rubans noirs.
Le local de troupe fut transformé en
base, repeint à la chaux blanche, mobilier moderne et clair. Les coins
de patrouilles abandonnèrent leur allure trappeur pour se parer de
tableaux techniques, les meubles de rondins furent remplacés par
d’autres, bâtis de planches rabotées et peintes à l’initiative
de chacun.
Des petits jeux de patronage (notre base était située au
sein du terrain réservé au patro paroissial), nous passâmes
au Judo (avec un entraîneur ceinture noire), à la mécanique
pour les plus avertis (une vieille Motoconfort 125 cm3), à la
radio sans fil (Talkie-walkie) et au secourisme.
Bien entendu les plus jeunes n’étaient
pas oubliés. Nous leur inculquions la base du scoutisme de B.P. mais
les grands jeux, les sorties de week-end prenaient une tournure technique,
faisant plus appel aux connaissances topographiques qu’à la simple
tactique de prise de foulards.
Pour former au niveau où nous espérions
le faire, il fallait que nous soyons nous-mêmes suffisamment formés
et que nos connaissances techniques soient au niveau.
C’est pourquoi les deux ACT, nous furent inscrits au stage de formation
des chefs de Jambville. 8 jours de théorie et de pratique sur le
terrain, en décembre 1954.
Ce stage était mené par Jean Lagarde, Commissaire National
Eclaireurs à qui je dois une émotion particulière que
je conterai plus loin.
En ce qui me concerne, convaincu du bien-fondé de notre démarche
et décidé à parfaire ma formation, j’abordai le stage
avec la volonté de montrer mon profond désir et mes capacités
à devenir un jour Raider. Ce que je n’ai finalement jamais été.
Actif, volontaire, je tenais à faire remarquer à mes pairs
et à mes supérieurs mes capacités tant physiques
que théoriques ainsi que mes qualités morales.
Aussi fus-je assez brillant dans les différentes matières
abordées (hors la mécanique qui n’avait jamais été
mon fort).
Très rapidement, j’avais sympathisé avec un jeune chef Raider,
François, qui dirigeait une troupe dans le 17ème arrondissement
de Paris. Nos patronymes se suivant alphabétiquement, nous étions
souvent réunis en duo de travail.
Plus âgé que moi, François revenait d’Indochine et
sa chemise d’uniforme s’ornait, outre l’insigne que je convoitais, de deux
décorations gagnées sur le théâtre des opérations.
C’était un être ouvert, sympathique en diable et qui
techniquement surpassait la plupart d’entre nous.
Le stage se déroula au mieux de mes
espoirs jusqu’à la dernière épreuve.
Au bout de huit jours arriva le raid Woodcraft qui devait être
l’épreuve maîtresse venant clôturer le camp. Pour des
raisons de temps, il avait été écourté à
une journée au lieu des 24 heures habituelles et se déroulait
par groupes de deux (au lieu du raid solitaire).
Bien entendu, le hasard fit que François et moi soyons réunis
de nouveau pour cette épreuve « en ligne droite ».
J’étais calé en topographie et bien outillé d’un
porte-cartes et d’une boussole à visée. Lorsqu’on nous indiqua
notre azimut, nous partîmes confiant, d’un bon pied, à travers
champs et bois. Nous avions les jambes protégées par des guêtres
de l’armée dans lesquels mes jeunes mollets, pourtant entraînés
à la marche, flottaient un peu.
De 100 mètres en 100 mètres nous vérifiions notre
azimut et foncions en direction du rendez-vous qui nous avait été
fixé. Une fois celui-ci atteint, constaté par un des chefs,
nous reviendrions au camp par des voies plus civilisées (routes et
chemins vicinaux).
A midi, nous fîmes halte pour fabriquer notre pain, dont nous avions
préparé la pâte le matin au départ (farine, eau,
sel et levure), dans un four creusé à même le sol encore
humide des pluies récentes…. Mangeable … même agréable
accompagné de steaks trappeurs et de patates cuites sous la cendre
!
Nous étions sûrs de nous. Trop peut-être ! Et comme
nous nous entendions bien nous bavardions beaucoup dans le but de mieux faire
connaissance. A ne jamais faire pendant un exercice de topographie ! Nous
nous sommes probablement déconcentrés à un instant crucial
? Lorsqu’en milieu d’après midi nous avons cru atteindre notre objectif
signalé par le mur d’enceinte d’une propriété, nous
avions dérivé de cinq cents mètres au moins !
Il ne faut pas un grand écart, un tout petit degré suffit,
pour faire varier l’azimut et se retrouver penaud à rechercher le
chef chargé de nous attendre et de nous remettre l’enveloppe indiquant
le chemin du retour.
Nous avons paniqué ! Quand, refaisant
nos calculs nous avons découvert notre erreur, nous avons
forcé l’allure pour rejoindre notre point de chute supposé
(c’est à dire que nous avons couru tout au long du chemin). Le responsable,
lui, nous attendait patiemment avant de reprendre la route sur sa 250 cm3.
Sans un mot, sinon un sourire qui en disait long, il nous a tendu l’enveloppe
puis est reparti.
Nous avons, silencieux cette fois, repris le chemin de Jambville. La nuit
était tombée quand nous avons enfin atteint le camp de base,
sales, transpirants et altérés.
Notre programme prévoyait de se retrouver à la salle de
formation. Le temps de poser nos sacs et nous y précipitons.
Nous avons poussé la porte dans le plus grand silence. L’assemblée
des apprentis chefs était là au complet, buvant les paroles
d’un homme en uniforme…un peu chauve, assez râblé, assis sur
une chaise au milieu de l’assistance : Michel Rigal, Commissaire Général
des Scouts de France, venu tout exprès clôturer le stage.
Bien entendu tous les regards se sont tournés vers les retardataires.
Certains avaient eu le temps de se doucher et de se changer, d’autres équipes
étaient arrivées plus récemment… mais nous… les deux
caïds, spécialistes en topo, leaders de leur groupe de travail…
nous étions là, désarmés, écarlates, devenus
soudain modestes en bredouillant des excuses, gênés !
Le Commissaire général n’accorda pas plus d’importance à
notre intrusion et poursuivit son laïus sur le rôle du chef à
tous les niveaux.
François et moi n’osions pas trop nous regarder, ne sachant si
nous devions éclater de rire (nerveux) ou de colère devant
notre contre performance.
Avant de passer à table, Jean Lagarde, ou un de ses adjoints, nous
demanda de remettre la salle en ordre et de donner un coup de balai en guise
de punition pour avoir interrompu le discours du chef et avoir retardé
le début de la séance. Il paraît que nous étions
attendus, avec deux autres équipes retardataires.
La honte !
Nous sommes arrivés après tout le monde au réfectoire
et n’avons pu approcher que de loin notre grand chef très entouré.
Nous avons quand même terminé notre stage avec brio, pour
tenter d’amoindrir cet échec.
Pendant quelques temps nous sommes restés
en contact amical, François et moi. J’ai pu tirer leçon
de l’organisation de sa base et de sa troupe de Raiders pour appliquer des
méthodes voisines à Sainte Thérèse.
Si nous l’avons évoqué entre nous, nous ne nous sommes jamais
vantés de notre échec. Nous avions au moins tiré la
leçon qu’il ne faut jamais se laisser distraire au cours d’un raid.
Et qu’il ne faut jamais être trop sûr de soi !
Cet exemple m’est resté comme une
leçon, ma jeune prétention en ayant pris un bon coup. Jambville
reste toutefois un souvenir fabuleux de ma vie de scout.
J’ai encore une anecdote à vous conter :
Les années ont passé, nombreuses, j’avais même oublié
certains noms des participants. Et puis, il y a quatre ans, je cherchais des
Signe de Piste chez un bouquiniste de ma ville de Bretagne qui me les réservait
quand il en trouvait.
Absent ce jour-là, son épouse me dit qu’il n’avait rien
trouvé sauf un livre sur le scoutisme en très piteux état.
Elle l’extirpa d’un tiroir.
Il s’agissait de « Raiders scouts » par Michel Menu.
Le livre était si mal en point que le bouquiniste avait demandé
à son épouse de m’en faire cadeau, refusant de vendre un amas
de feuilles plus ou moins détachées et cornées.
De retour chez moi, armé de colle, de papier collant et de Cellophane,
j’entrepris de remettre la ruine en état. J’ai réussi à
en faire un livre qui a trouvé place dans ma bibliothèque.
La préface est de Michel Rigal.
Mais ce que j’ai découvert lui donne plus de valeur à mes
yeux.
Le livre qui a appartenu à une patrouille des Bisons 1958/1961
puis à une patrouille des Cerfs en 1962 (j’ignore de quelle troupe
il s’agit) est dédicacé :
« Allez-y les gars ! Ce livre est pour vous ! »
Signé : Jean Lagarde C.N.E. (commissaire national éclaireurs)
Celui-là même qui a animé mon camp de Jambville… 45
ans plus tôt.
Une émotion que je n’ai pu partager… des souvenirs qui sont remontés
à ma mémoire… et cet échec que je viens de vous narrer
̷
Parole de scout !
©2004 Michel Bonvalet
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