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le scoutisme sous l'occupation
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A l’occasion d’un échange de
messages sur le forum Jeux de
piste à la suite d’une question de Yann, Jean-Jacques
Gauthé, historien reconnu du scoutisme, nous a livré quelques
informations qui méritent de paraître
sur ce site comme article à part entière.
Pour la
compréhension du lecteur nous avons conservé la forme de dialogue
et l’ordre chronologique des messages, de même que les quelques remarques
faites par des participants au Forum, comme s’il s’agissait d’une interview.
Michel
Bonvalet (Mic)
Le premier
message date du 31 juillet 2009.
Yan
:
- On découvre parfois des choses
étonnantes... ainsi concernant les scouts
interdits
dans la zone nord (occupée) pendant l'occupation... mais qui publiait
un carnet
de chant !
J'ai entre
les mains un ouvrage des Éditions SPES 79 rue de Gentilly Paris 13
eme publié
en 1943 avec le numéro d'autorisation 13.055 (et un mystérieux
numéro
C.O.I.A.C.L. n° 120.030) :
LES SCOUTS
DE FRANCE
CHANTONS,
LES SCOUTS !
Comment un
mouvement interdit pouvait-il légalement publier un ouvrage...
mystère...
à moins que ce recueil publié en zone nord n'ait été
autorisé à
la vente qu'en
zone sud ?
Jean-Jacques
Gauthé :
- Cette trouvaille démontre,
si besoin était, que bien des éléments de la
vie du scoutisme
de zone Nord sont toujours inconnus 60 ans après...
L'interdiction
touchant le scoutisme doit être nuancée, n'étant pas
comparable
à celle touchant les organisations juives, communistes ou
maçonniques.
Ainsi si les associations scoutes étaient interdites,
elles pouvaient
encore administrer leurs biens. Le cabinet du maréchal
Pétain
rappelle ce point à l'ambassade d'Allemagne en mai 1941 après
une perquisition
à La Hutte et au QG des SDF à Paris.
Le n°
d'autorisation était celui de la Commission de contrôle du
papier
d'édition.
Le COIACL est le Comité d'organisation des industries, arts
et commerces
du livre créé par un décret du 3 mai 1941.
Il comprenait 4 groupes : édition, imprimerie,
industries graphiques et librairie. Les
comités
d'organisation étaient des organismes créés par le
gouvernement
de Vichy dès l'été 1940 chargé d'organiser la
vie
économique
par branche d'activité. L'une des fonctions de COIACL avait
pour rôle,
entre autre, la répartition du papier. De plus, une
ordonnance
allemande du 27 avril 1942 soumettait l'utilisation du
papier d'imprimerie
à une autorisation préalable du MBF, le
commandement
allemand en France
Cette brochure
de chants n'était pas pas publiée par les Scouts de
France mais
par Spes. Il est très vraisemblable qu'elle a été diffusée
en zone Nord.
D'autres cas de publications scoutes diffusées via des
éditeurs
en zone Nord existent. Le plus étonnant est celui des revues
scoutes :
de 1941 à 1944, vont paraitre une série de n° des Dossiers
de
l'éducateur
(au moins 8) sous forme de fascicules thématiques, animés
par Henri
Van Effenterre, publié aux éditons Laboureur qui publiait
la
revue scouts
jusqu'en 1940. .
D'autre part,
une revue pour ado intitulée les Cahiers du colibri,
illustrée
notamment par Joubert a été imprimé et diffusée,
par voie
postale semble-t-il
en zone Nord, de 1942 à 1944. Imprimé aussi chez
Laboureur,
elle était en dépot aux éditions du Seuil à Paris.
La revue
Michou
avait précédé aux Cahiers du colibri. Il semble
bien que la
décision
de lancement des Cahiers du colibri ait été prise par
le
scoutisme
Français pour palier l'absence de revues scoutes en zone
Nord. Bien
entendu, aucune référence au scoutisme dans les textes qui
comportent
des contes, des scenettes, des bricolages....
Dernier élement
: la JOC, les éditions la Bonne presse et les Coeurs
vaillants
ont aussi eu en zone Nord ce type de revues camouflées
permettant
de maintenir un lien entre les membres de mouvements
interdits.
Les Coeurs vaillants utilisèrent du papier acheté au marché
noir selon
Thierry Crépin dans on livre"Haro sur le gangster", p 95, ce
qui était
un moyen de contourner l'ordonnance allemande de 1942
Yan
:
- Merci pour
ces très intéressantes précisions; entre autre sur
le C.O.I.A.C.L.
sur lequel
je n'avais trouvé aucune explication sur le web.
Quelques précisions
sur le livre "Chantons, les Scouts (Édition définitive)
par E.-J.
REGRETTIER et JACQUES CHAILLEY"
Sur la couverture
au dessus du titre est indiqué en lettres majuscules de 3 mm
de haut la
mention "LES SCOUTS DE FRANCE" et page 9 l'"avant propos à la
présente
édition" est signé "E.-J. R., J.C.
S.R. Clan
Montalembert, 25e, Paris".
Autant dire
que les Scouts de France ne se cachaient pas dans cette édition.
Philippe
:
- Trés
érudite et passionnante contribution. Je m'interroge cependant sur
un point. Pourquoi l'occupant, ou les autorités nationales, ont-ils
éprouvé le besoin d'interdire le mouvement scout alors même
qu'ils pouvaient y trouver de quoi alimenter leur propre propagande. Est-ce
la crainte que les mouvements de jeunesse n'amorcent une dérive vers
la lutte armée? Il est clair que les chantiers de jeunesse, comme
les établissements de formation comme l'école d'Uriage destinée
à former les cadres de la nation étaient conçus
au départ dans l'optique de servir la "révolution nationale"
et ont fini par être un vivier de recrutement de la résistance.
Peut-on éclairer ce point?
Guillaume
- Pour l'occupant,
il convient de chercher un commencement d'explication de ce qui s'est pratiqué
outre-Rhin : cohabitation des mouvements de jeunesse avec la jeunesse du
régime avant leur interdiction/intégration. Comme l'ont; en
leurs temps; expliqué les dirigeants (notamment Baldur von Schirach)
de la HJ il s'agissait de prendre en main l'éducation de la jeunesse
toute entière.
Et une cohabitation
avait peut être été envisagée dans un premier
temps (en Allemagne) mais elle tourna vite à l'affrontement entre
les divers mouvements notamment semble t il avec le scoutisme.
Jean-Jacques
Gauthé :
- Le scoutisme
est interdit en zone Nord pour des raisons purement
militaire.
Une lettre du 4 octobre 1940 du général Streccius, chef de
l'administration
militaire allemande en France, au délégué du
gouvernement
français en territoire occupé (DGTO) les vise directement
ainsi que
les Compagnons de France et les Chantiers de Jeunesse, aussi
interdits
en zone nord. Pour Streccius, "c'est de la préparation
militaire".
Le DGTO rend compte de tout ça à Vichy dans un rapport du
28 octobre
1940 en ligne sur le site de l'IHTP
http://www.ihtp.cnrs.fr/prefets/
Les Allemands
ordonnent à ce moment aux préfets de zone nord
d'entreprendre
une enquête sur les implantations des assoc scoutes, des
Chantiers
de jeunes et des Compagnons de France en zone nord. Les
dossiers de
réponse des communes interrogées par les préfets ont
été
conservés
par les archives départementales de certains départements.
Les militaires
allemands auront souvent cette attitude vis à vis du
scoutisme.
Au Maroc, la commission allemande d'armistice entame courant
1941 une enquête
détaillée sur les mouvements de jeunesse et les
scouts. Toutefois,
en Belgique le scoutisme n'est pas interdit après
l'occupation
du pays en mai 40 mais simplement surveillé.
Courant
1941, le port des uniformes y est interdit ainsi que les activités
pouvant avoir
un usage militaire : utilisation des cartes topographiques, boussoles, jeux d'approche,
sémaphore... Mais les associations pourront continuer des
activités
Il existait
évidemment dans les milieux nazis une opposition de
principe au
scoutisme. En Allemagne, un décret du 26 mai 1934 interdit
la Reichschaft
deutscher Pfadfinder qui fédérait un grand nombre
d'associations
scouts. Le décret précise qu'elle "est devenue un lieu
de refuge
des jeunes ennemi du nouvel Etat". Les groupes catholiques et
protestants
purent subsister quelques temps au prix d'enormes
difficultés.
La loi du 1er décembre 1936 sur la Jeunesse hitlérienne
lui donne
le caractère de mouvements d'état et interdit les autres
mouvements
de jeunes
Le plan d'invasion
nazi de la Grande Bretagne prévoyait l'arrestation
de Baden-Powell
et de cadres du scoutisme et délirait sur les activités
d'espionnage
du scoutisme. J'ai raconté tout ça ici
http://www.scoutunjour.org/1940-Les-nazis-envahissent-l
Quant au régime
de Vichy qui appréciaient beaucoup les scouts, il ne
faut pas oublier
qu'il pourchassa ceux qu'ils estimaient opposés à son
projet : les
Eclaireurs israélites de France sont dissous par la "loi"
du 29 novembre
1941 avec toutes associations juives (notion d'ailleurs
impossible
à définir en droit français). Un arrêté
du 7 mars 1942 du
commissaire
général aux questions juives prend possession des biens des
EIF à
compter du 23 mars 1942. Pour les amateurs de ce "grand" moment
de la vie
administrative française, voir Journal officiel, 10 mars 42,
p 975. Une
seconde dissolution des EIF intervint sur ordre de Darquier
de Pellepoix,
l'immonde commissaire aux questions juives depuis mai 42,
le 5 janvier
1943
Les Eclaireurs
bleus, minuscule association liée à la Société
théosophique,
sont aussi interdits par Vichy pour des raisons purement
idéologiques,
dans le cadre de la lutte contre la franc maçonnerie. Le
Journal officiel
du 23 mai 1942 annonce avec le plus grand sérieux la
saisie de
leurs biens... Dommage que le ridicule ne tue pas !
Yan
:
- Merci pour
toutes ses précisions, plus sérieuses que mes suppositions.
En ce qui
concerne les scouts juifs de France, leur histoire, à été
racontée,
avec évidemment un long développement sur la période
de
l'occupation,
dans le livre :
Scouts,
Juifs et Français : L'histoire des E.I. de 1923 aux années
1990
de Alain Michel
paru en 2003
à Jérusalem aux Editions Elkana
Jean-Jacques
Gauthé :
- Il ne faut
pas oublier qu'en zone nord, 2 réglementations se
superposent
: celle de Vichy qui concerne l'ordre public en géneral (ce
qui va aussi
bien englober les bals, l'interdictions des activités
communistes
ou anarchistes ou la reglementation antisémite) et celle
des Allemands
qui disposent de leur propre Journal officiel, le Vobif,
Journal officiel
pour la zone occupée, avec sa propre régelementation.
Ce qui va
obliger les éditeurs juridiques à publier des ouvrages avec
les 2 reglementations,
documents aujourd'hui précieux pour l'historien
Une ordonnance
allemande du 28 aout 1940 publiée au Vobif du 16
septembre
1940 interdit l'activité de toutes les associations et la
constitution
de nouvelles associations, réglemente le pavoisement,
interdit le
port des insignes et des uniformes, hors des tenues de
service et
interdit les réunions cortèges et défilés, des
dérogations
pouvant être
accordées localement par l'administration militaire locale
(Kommandantur)
Les milieux
collabos jugent effectivement le scoutisme clérical,
réactionnaire
et rejetant l'Homme nouveau dont elles se réclament. ce
qui ne les
emêchent pas de s'inspirer du scoutisme dans ses formes
extérieures.
c'est flagrant aux Jeunesses nationales populaires (Déat)
ou à
la Jeunesse franciste (Bucard)
A noter que
l'interdiction du scoutisme par les militaires pour des
raisons tirées
du maintien de l'ordre ou de la formation militaire de
la jeunesse
sont assez fréquente. les Français le font en 1923 lors de
l'occupation
de la Ruhr en interdisant une organisation scoute
allemande.
Et durant les années 50, de longs débats vont exister au
sein des services
de police et de renseignements français, bien avant
le début
de la guerre d'Algérie, sur l'utilité et l'opportunité
d'interdire
les Scouts musulmans algériens. Leur appartenance au
Scoutisme
français rendait cette mesure très difficile et elle ne fut
finalement
jamais mise en œuvre
Je peux donner
un autre exemple de diffusion de livres scout en zone
nord : mon
père achète à Dijon, en zone Nord, le 11 septembre 1941,
l'ouvrage
du chanoine de Saint-Laurent "Scout de France, au travail
pour la patrie" publié
en zone sud, chez Aubanel
à Avignon, Il porte
le visa de
la censure du 30 janvier 41. Le livre porte une mention
manuscrite,
d'où je tire ces informations. Le livre était paru quelques
mois auparavant
. "La Croix", qui parait en zone sud, l'a signalé
comme parution
récente dans son édition du 11 mai 41. Il a donc été
diffusé
en zone Nord bien qu'explicitement scout. Mon père avait été
scout à
Thionville en 1938 et réfugié à Dijon ne l'était
plus, le
mouvement
ne fonctionnant plus
Bien que préfacé
par le père Forestier sur un papier à entête du QG
SDF daté
du 4 janvier 41 (J'ai lu votre manuscrit, je pense qu'il
intéressera
les garçons et leur fera du bien"), l'ouvrage, qui analyse
les causes
de la défaite de 1940, est d'une bêtise consternante "Peux
tu admettre
que pour posséder bonheur et prospérité, nous ayons
eu
besoin
d'attendre l'avènement chez nous des Juifs et des métèques
?" (p
25) "On
t'a rabattu les oreilles, on t'a bouré le crâne avec les
droits de
l'homme" (p 45) !
Mic:
En conclusion, voici des informations très
importantes qui donnent un reflet tout particulier de l’ambiance qui régnait
et l’orientation donnée à des jeunes qui, comme j’ai du, je
crois, l’être, suivaient aveuglément les directives de la maîtrise
et lisaient avec candeur tout ce qui concernait ce mouvement qui avait et
qui a encore tant d’importance à leurs yeux. Merci aux particpants au Forum
pour ces précisions.
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